État de l’opinion face au nouveau pouvoir

Quel est l’état de l’opinion des Français face au nouveau pouvoir ? Qu’en est-il de leurs attentes, de leurs craintes et de leur perception de l’action du nouveau pouvoir ? L’Observatoire de l’opinion de la Fondation fait le point à partir de données exlusives de l’Ifop.

L’attentisme – encore majoritaire – commence chez certains à se teinter d’une forme d’impatience, se traduisant par une demande d’actes, de « preuves » que les engagements de campagne sont respectés. Un certain nombre de Français interrogés gardent en effet de la séquence des derniers jours le sentiment d’un aller-retour, d’un report possible des réformes annoncées : certains n’ont pas encore enregistré la correction effectuée en matière fiscale en début de semaine, et beaucoup citent l’exemple des perturbateurs endocriniens comme un renoncement symbolique important. Certains en viennent même à soupçonner un manque d’audace, redoutant que l’ambition initiale ne reste à l’état de « belles paroles ».

Il y a donc un léger sentiment de flottement, auquel s’ajoute le retour des « cafouillages » gouvernementaux qui, évidemment, déplaisent, leur rappelant trop l’« ancien monde » dont ils avaient voulu tourner la page. « Le président dit d’une façon et le Premier ministre autrement, et ça, cela me semble pas trop bon, c’est ce qui a été reproché au président Hollande ». L’association d’Emmanuel Macron avec son prédécesseur, gommée depuis la fin de la campagne, commence à réapparaître, tirée par ce qui a ainsi parfois été perçu comme des hésitations : « navigation à vue héritée de son mentor ».

Ce qui est en train de se jouer, en réalité, est un « test » du renouveau. Le renouvellement des têtes, c’est fait. Le renouvellement de l’incarnation de la fonction, aussi. Le renouveau des pratiques ? « Des promesses électorales qui tombent à l’eau… Comme d’habitude… Et après on se plaint de la défiance des électeurs vis-à-vis de cette oligarchie qu’est la classe politique française ». C’est sur cela que les attentes sont aujourd’hui focalisées : et si, pour une fois, ils faisaient ce qu’ils avaient dit plutôt que d’essayer, à peine arrivés au pouvoir, de changer ou de reculer ?

Ainsi, le discours du Congrès puis le discours de politique générale n’ont été regardés par les Français que sous l’angle d’une « confirmation » ou non des promesses de campagne : le nouveau pouvoir va-t-il se tenir, réaffirmer, « confirmer » ce qu’il avait dit ou, maintenant qu’il a tous les pouvoirs et qu’il n’y a plus d’élections prévues à court terme, changer d’avis ?

Cette demande de réaffirmation du cap à l’occasion du premier grand discours présidentiel était d’autant plus grande que la parole du président avait été rare depuis l’élection. Sa nouvelle méthode de communication est loin d’être aussi « mal vécue » par les Français que par les médias : personne ou presque ne regrette une « absence ». Mais elle accroît l’attente de reposer régulièrement des repères et des objectifs, comme l’indiquent les propos de quelques-uns qui, face à l’absence de pédagogie directe, finissent par craindre que « des discours, il n’en fait pas beaucoup, cela donne le sentiment qu’il magouille dans son coin pour mieux nous arnaquer » ; ou alimente en partie l’impression d’un exercice du pouvoir trop peu tourné vers les Français dont certains redoutent les effets.

Malgré ces doutes et ces impatiences, de nombreux Français lui prêtent encore le bénéfice du doute et une réelle intention de bien faire. Et ce, notamment parce qu’il a pris suffisamment de distance avec les « appareils politiques » pour qu’on espère qu’il « mène une politique pour les Français plutôt que pour faire carrière » : de ce point de vue, les Français attendent bien qu’il « reste au-dessus de la mêlée » et ne tombe pas dans le marais des jeux politiciens.

Si peu de paroles ont été finalement perçues, la plupart des Français jugent ce début de mandat par le registre de l’action : « pas écouté les discours, mais ses actions me conviennent pour le moment ». Le sentiment que le président « agit » est à mettre en lien avec la jeunesse et le dynamisme perçu de l’exécutif : jusqu’ici, c’est le style – la poignée de main avec Donald Trump, le « Make our planet great again », les images que le président distille régulièrement – qui, plus que les actes et mesures en tant que tels, donnent le sentiment que « quelque chose se passe ».

Ce volontarisme séduit à double titre : il signe l’idée de changement et donne à voir une France qui renoue enfin avec le mouvement, en même temps qu’il rassure sur le fait « que des choses seront faites », ou au moins « tentées », « entreprises », ce qui permet de prolonger l’attentisme, notamment parmi ses soutiens (« ce n’est que le début, laissons-leur encore quelques mois pour juger » ).

Mais si le mouvement rassure, ou séduit – en tout cas il crée une dynamique en soi –, le but et l’horizon que cela dessine n’est pas oublié par les Français : « on peut au moins reconnaître qu’il fait en sorte que les choses bougent, bien ou mal mais il veut du changement ». Le changement oui, mais en fait : en bien ou mal ? Et c’est par ce biais que reviennent les jugements sur le fond.

Les critiques commencent ainsi à fuser sur un certain nombre de mesures qui alimentent les mécontentements : l’ISF, un possible report de la suppression de la taxe d’habitation pour 80% des foyers, aucun signe de la défiscalisation des heures supplémentaires… mais surtout l’augmentation de la CSG, qui mobilise fortement les retraités. C’est incontestablement la thématique fiscale qui domine les autres sujets dans les conversations des Français, et bien souvent sous un angle critique.

Une critique qui se concentre d’ailleurs souvent sur « l’intention » perçue ou supposée. Car, bien peu ayant retenu une ou plusieurs mesures positives fortes, on manque d’éléments d’accroche : « on ne sait pas vraiment à quel jeu il joue » est une phrase que l’on entend ici et là. Cette incertitude sur les intentions finales nourrit le soupçon qu’une fois de plus « les classes moyennes et populaires » pourraient être les grandes oubliées de l’action du gouvernement : « il va enlever les impôts pour les riches, monter la CSG pour les retraités. C’est un candidat qui favorise les riches ». 

Ce soupçon d’une politique qui « oublierait » une partie des Français est accru par la forte présence d’Emmanuel Macron à l’international, comme si, en côtoyant les grands de ce monde, on craignait que le président ne s’éloigne de nous – « une bonne présence par rapport aux grands dirigeants mondiaux, mais un rapport lointain et très distant avec les Français… ».

À part la fiscalité, peu d’autres angles émergent, sinon la polémique sur les vaccins, qui mobilise fortement un certain nombre de Français (« il souhaite augmenter le nombre de vaccins obligatoires, mais dans quel but ? Engraisser les lobbies pharmaceutiques ! »). Même là, on retrouve des soupçons d’être « sous l’influence des lobbies et puissances financières » plutôt qu’au service des Français (« sinon pourquoi rendre onze vaccins obligatoires malgré les risques ? », nous demande-t-on), bref une sorte d’exercice du pouvoir dévoyé que l’on redoute car elle signerait l’échec d’une tentative de faire de la politique autrement.

C’est bien sûr ce lien direct avec les Français, cette capacité à les comprendre et à agir pour eux seuls, cette forme de compréhension et de proximité que les Français recherchent. Et à l’inverse, c’est ce qui les trouble lorsqu’elle paraît absente, quel que soit le sujet. Par exemple, les annonces concernant les voitures électriques : « je pense qu’ils vivent dans leur bulle, notamment sur les voitures totalement électriques, ils pensent que c’est avec une prime que les personnes à faible revenu vont pouvoir s’en acheter une ? Il faut qu’ils descendent de leur nuage, on m’explique comment moi avec 1100 euros par mois pour trois personnes avec un crédit de 600 euros, je fais pour me payer une voiture électrique ? À part si monsieur Macron me l’offre je ne pourrai jamais me la payer ! ».

Il est aussi intéressant de noter ce qui n’est pas évoqué.

La loi travail, ainsi, n’est presque pas évoquée – sans doute en raison de l’absence de mesures clairement identifiées, qui puissent s’imposer comme clefs de lecture du projet de loi. Le débat sur le code du travail nourrit plutôt un bruit de fond, une petite musique qui, combinée aux annonces fiscales, fait réapparaître des lignes de fractures fortes : entre les « riches » et les « petits », entre les « patrons » et les « travailleurs », entre les salariés du privé et les fonctionnaires, entre les jeunes et les « retraités » qui se sentent pour beaucoup les premiers lésés… 

Les « affaires » sont elles aussi très peu évoquées, comme si le dernier remaniement était parvenu à clore la séquence et que l’affaire Pénicaud n’était pas considérée comme importante – sans doute est-elle trop complexe, et sans symbole fort qui soit susceptible de susciter l’indignation.

Les Français, enfin, ne parlent absolument pas des réformes institutionnelles, que le président avait pourtant placées au cœur de son discours au Congrès. Cela confirme que, finalement, la réduction du nombre de députés et les autres mesures annoncées, bien que faisant l’objet d’une adhésion quasi-unanime, ne sont pas au cœur de leurs attentes, qui restent – au vu de ce qu’ils nous disent spontanément – le pouvoir d’achat, l’emploi et la sécurité. 

Les Français se situent encore dans une transition entre la phase de « mise en place » – qui a duré jusqu’au remaniement ministériel – et celle du jugement sur « l’action ». Pour le moment, ils semblent chercher à identifier, à travers les signaux qu’ils reçoivent et les attitudes qu’ils décryptent, les intentions poursuivies par le gouvernement : s’agit-il d’une politique inclusive ou au service de quelques-uns ? D’une politique qui pourra être efficace ou non ? D’une politique conforme aux intentions que l’on avait prêtées au candidat Macron ou non ? C’est la grille de lecture à l’aune de laquelle ils jugeront les actes futurs qu’ils sont en train de mettre en place, en tâtonnant. Si les impatiences et les doutes commencent à se faire jour, bien peu ont un avis définitif. Et le temps du jugement sur « les résultats » est encore bien loin. 

Le nouvel exécutif a la tâche – bien difficile – « d’inventer » le nouveau monde, les nouvelles méthodes et de s’affranchir totalement des pesanteurs et grilles de lecture héritées des quinquennats passés. Il lui faut conjurer à la fois les craintes d’un immobilisme perçu du dernier quinquennat et les travers de l’action d’un Nicolas Sarkozy ; surtout prouver qu’on ne va pas « sacrifier les classes moyennes » comme l’ont fait tous les gouvernements passés, ni reproduire les vieilles recettes qui n’ont jamais fonctionné, ni « passer en force », ni retomber dans la gestion politicienne et les petits arrangements… Bref, continuer à lever les doutes, un par un, et inventer une nouvelle manière de gouverner et d’agir.

L’heure ne sera cependant bientôt plus au décryptage, au tâtonnement, à la supposition des intentions poursuivies. Il est important de donner rapidement à voir un cap, une ligne, des repères forts, essentiels dans un contexte de « bousculement » des pratiques. Le risque, sinon, est de n’offrir qu’une lecture catégorielle de la politique menée, dont on connaît la dangerosité… pour transformer les clivages en divisions profondes.

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