Pour une politique de paix publique

La campagne présidentielle qui s’ouvre va relancer le débat sur les questions de sécurité. À rebours du sensationnalisme des médias et des effets d’annonce des candidats, Dominique Raimbourg dresse dans cette note une série de constats sur l’état de la justice française. Délinquance, police, justice, prison : il formule six propositions pour réformer la chaîne pénale française et mener une authentique politique de paix publique après 2022.

La campagne présidentielle va relancer le débat sur les questions de sécurité, et c’est parfaitement sain dans une démocratie. La difficulté de ce sujet est qu’il implique toutefois de se tenir à distance de l’émotion que suscitent les crimes et des délits relatés par les rubriques des faits divers et les émissions de télévision spécialisées.

La sécurité ne se décrète pas : c’est une production sociale générale. Elle suppose une société qui lutte efficacement contre les inégalités, une société qui sache dialoguer et passer des compromis positifs entre les intérêts parfois contradictoires de ses membres.

Au-delà de ces conditions générales, une politique de paix publique doit disposer d’une chaîne pénale efficace et d’appareils policier, judiciaire et pénitentiaire à la fois productifs et articulés entre eux. Ce n’est aujourd’hui malheureusement pas le cas.

Nous faisons ici quatre constats et formulons ensuite six propositions.

Constats

Constat n° 1 : Une chaîne pénale surchargée

Ce constat est connu. La police et la gendarmerie, la justice ensuite et la pénitentiaire enfin sont en surrégime permanent. Chaque année, la police et la gendarmerie enregistrent près de 5 millions de procès-verbaux d’infraction. Elles identifient environ 1,4 million d’auteurs (1 395 541 en 2019) qui peuvent faire l’objet de poursuites et qui peuvent éventuellement être déclarés coupables par les tribunaux.

Plusieurs milliers d’auteurs de crimes ou de délits vont bénéficier d’un classement sans suite, le plus souvent faute d’infraction suffisamment caractérisée. Plusieurs centaines de milliers d’auteurs identifiés (507 596 en 2019) sont traités par la troisième voie pénale, c’est-à-dire la médiation, le rappel à la loi, le classement sous conditions… Plusieurs dizaines de milliers d’autres (60 738 en 2019) sont traités par les juridictions pour enfants.

Puis interviennent les condamnations. Le ministère de la Justice publie sur son site un fascicule, « Les chiffres clés de la justice », qui permet de retrouver ces chiffres qui varient peu d’une année à l’autre. En 2018, les cours d’assises ont prononcé 2 232 condamnations pour des crimes, c’est-à-dire des infractions punies de peines d’emprisonnement comprises entre dix ans et une peine de réclusion à perpétuité.

Les cours d’assises n’arrivent pas à juger la totalité des crimes faute d’audiences suffisantes et la grande majorité des dossiers criminels, lorsque les faits paraissent un peu moins graves, sont finalement jugés par les tribunaux correctionnels, que ce soit en matière de viol, de tentative de meurtre ou de vols avec arme.

C’est pour lutter contre cette pratique de correctionnalisation des crimes que sont expérimentées les cours criminelles composées de cinq magistrats professionnels, qui jugent sans jury populaire les crimes punis d’un maximum de vingt ans d’emprisonnement. Il s’agit là principalement des viols, des coups mortels sans intention de tuer et des vols avec arme.

Les tribunaux correctionnels, qui jugent les infractions punies au maximum d’une peine de dix années d’emprisonnement, prononcent chaque année environ 500 000 condamnations.

Quant à l’administration pénitentiaire, elle doit détenir 64 405 détenus (au 1er mars 2021) pour 60 775 places, sans pouvoir refuser les détenus arrivant en surnombre.

L’énormité de ces chiffres démontre que l’appareil pénal français – police, gendarmerie, justice, pénitentiaire – est aujourd’hui submergé par la masse des dossiers.

Constat n° 2 : Une réponse judiciaire trop lente qui ne parvient pas à traiter le flux des dossiers policiers

En 2018, la justice a jugé 547 209 auteurs. Avec 2 232 condamnations, les cours d’assises ont une production statistiquement marginale. L’immense majorité des condamnations ont été prononcées par les tribunaux correctionnels suivant des procédures diverses et dont la durée varie d’une procédure à l’autre.

51 644 auteurs, soit 9,4% de la totalité des auteurs, ont été jugés en comparution immédiate. Cela signifie qu’ils ont été présentés au tribunal à l’issue de leur garde à vue, passant directement du commissariat au Palais de justice. Dans ces cas qui concernent des infractions simples à résoudre, généralement violentes ou commises par des récidivistes, le jugement est soit immédiat, soit très rapide en cas de renvoi demandé par le prévenu pour préparer sa défense.

Lorsque la personne poursuivie est convoquée à l’issue de l’enquête au moyen d’une COPJ (convocation par officier de police judiciaire), une procédure qui représente 173 425 cas et concerne 31,7% des personnes mises en cause, le jugement intervient en moyenne neuf mois après.

Si l’affaire est complexe et nécessite une instruction conduite par un juge d’instruction, un cas qui s’est présenté pour 20 054 auteurs jugés en 2018, soit 3,7% d’entre eux, la durée de la procédure est de 44 mois.

Pour compléter cette présentation rapide de l’activité judiciaire, il faut comprendre que 31% des condamnations sont prononcées au terme d’une procédure sans audience à l’issue de laquelle le juge rend une décision appelée « ordonnance pénale » sans avoir entendu le prévenu. La durée moyenne avant le jugement est dans ces cas-là de 4,9 mois.

Par ailleurs, 15% des condamnations le sont au terme d’une procédure de condamnation sur reconnaissance de culpabilité, dite CRPC, dans laquelle le prévenu accepte devant le juge une peine qui lui a été proposée par le procureur. La durée moyenne de la procédure est ici de 5,3 mois.

Enfin, pour apprécier l’activité judiciaire française, il faut savoir que 40% des condamnations concernent des infractions routières. En 2018, par exemple, 90 682 conduites sous l’emprise de l’alcool (sans accident de personne) ont débouché sur des condamnations.

On comprend à la lecture de ces développements qu’en dehors des comparutions immédiates pour des faits à la fois graves et simples, la réponse judiciaire en France est lente. Pour les faits de gravité moyenne traités par la COPJ, elle est de 9 mois, mais elle atteint 44 mois pour les faits les plus graves qui nécessitent une instruction.

La lenteur de ce traitement fait perdre à la réponse pénale une partie de son sens. Plus le temps passe, plus les personnes poursuivies – les prévenus – ont tendance à ne pas se présenter devant leur juge. Empiriquement, certains magistrats estiment que 75% des prévenus se présentent lorsque l’audience intervient dans les 18 mois. Au-delà, ce taux tend vers 50%.

Les victimes, les enquêteurs et la population comprennent difficilement que les auteurs identifiés ne reçoivent pas de réponse plus rapide. Un jugement vise à répondre au trouble à l’ordre social engendré par le crime ou délit. Lorsque celui-ci est trop tardif, cette réponse perd de sa force et de sa capacité d’apaisement au regard de la société.

Ajoutons encore que la délinquance astucieuse nécessite des enquêtes longues pour la mettre au jour. L’écoulement du temps permet aux délinquants « malins » de se présenter devant le tribunal dans de bonnes conditions. Ces derniers profitent ainsi de l’éloignement des faits pour obtenir des décisions plus clémentes que les délinquants souvent désinsérés qui comparaissent selon la procédure de comparution immédiate. Non contents de fissurer le pacte social, les délais de la justice sont donc également vecteurs d’inégalités.

Constat n°3 : Une administration pénitentiaire qui peine à traiter les flux de la production judiciaire

La pénitentiaire est confrontée à des difficultés semblables à celles de la justice. En 2019, 101 824 personnes sont entrées en prison. La même année, 98 962 personnes en sortaient. Par rapport à l’année précédente, il y avait donc 2 862 détenus de plus dans les prisons au début de l’année 2020. Cette différence entre les entrants et les sortants explique, en l’absence d’augmentation des places, la surpopulation carcérale.

Le 1er mars 2020, la surpopulation carcérale était critique. 71 377 détenus, dont 19 699 prévenus en attente de condamnation, se partageaient 61 094 places de prison. La surpopulation était telle que 1 620 d’entre eux dormaient sur des matelas posés sur le sol.

La pandémie de Covid-19 a entraîné une diminution du nombre de détenus. Cette baisse s’explique par trois facteurs : une diminution des entrées liées à la baisse de la délinquance entraînée par les confinements et le couvre-feu ; les décisions de libération prises par les juges des prévenus en cours d’instruction ; des libérations anticipées ordonnées par les juges d’application des peines.

Le 1er mai 2020, pour la première fois depuis le début des années 2000, il n’y avait plus, ou presque plus, de surpopulation. Le nombre de prisonniers avait été réduit de près de 13 000 personnes et s’établissait à 58 109. Pour autant, aucune explosion de la délinquance n’a été constatée dans la foulée de ces libérations. Soulignons toutefois que la mesure de la délinquance pour l’année 2020 est très difficile à faire, la pandémie rendant difficile toute comparaison avec une période ordinaire.

Cette accalmie a été de courte durée : dès le 1er mars 2021, la surpopulation s’est réinstallée dans les prisons françaises. 64 405 détenus se partageaient alors 60 775 places et 849 d’entre eux dormaient sur des matelas posés au sol. La courbe du nombre des détenus est effectivement repartie à la hausse.

Cette longue litanie de chiffres démontre une réalité simple et incontestable : la pénitentiaire est sous-dimensionnée par rapport aux flux de personnes qu’il lui est demandé d’incarcérer.

Le même constat s’impose pour les condamnés que l’administration pénitentiaire est chargée d’accompagner, de suivre et de surveiller. Ce travail est confié au service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Il regroupe aujourd’hui près de 6 000 agents, et leur nombre devrait être porté à 7 000 en 2022. Or les SPIP doivent suivre, accompagner et surveiller 64 000 détenus, 10 000 personnes placées sous bracelet électronique et 160 000 condamnés en milieu ouvert qui doivent respecter un certain nombre d’obligations et d’interdictions. La simple lecture de ces chiffres suffit à démontrer que la tâche des contrôleurs d’insertion et de probation est impossible avec un effectif aussi faible.

Constat n° 4 : Un rattrapage budgétaire impossible sur le court terme

Le sous-dimensionnement des appareils policier, judiciaire et pénitentiaire au regard des flux des cas qu’il leur est demandé de traiter est donc patent. Il est d’autant plus grave qu’il intervient en cascade : la justice peine à traiter la production policière, puis la pénitentiaire peine à traiter la production judiciaire. La tentation est donc grande de conclure qu’il suffit d’augmenter les budgets de ces trois appareils pour régler la difficulté. Malheureusement, les choses ne sont pas aussi simples.

Le Conseil de l’Europe est un organe consultatif qui rassemble 47 pays européens. En 2002, il a créé la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) qui analyse le fonctionnement de la justice dans 45 États (hors Liechtenstein et Saint-Marin). Le rapport 2020, qui porte sur les données 2018, montre que la France dépense un peu moins pour sa justice que les autres pays européens de richesse comparable. À noter que l’analyse porte uniquement sur la justice judiciaire, sans prendre en compte le budget de l’administration pénitentiaire qui est rattachée en France au ministère de la Justice.

Ainsi la France dépense 69 euros par an et par habitant pour sa justice, quand l’Espagne en dépense 92, l’Italie 83 et la Grande-Bretagne 76. Le rapport note cependant que la France est, avec l’Espagne, la Finlande et le Luxembourg, un des rares pays ou l’introduction d’une procédure judiciaire est totalement gratuite pour les citoyens.

Le nombre de juges pour 100 000 habitants met également en lumière la sous-dotation de la justice française, même si cet indicateur est à prendre avec précaution tant les variations d’un pays à l’autre sont importantes. La France compte 10,9 juges/100 000 habitants. C’est 11,5 en Espagne, 11,6 en Italie, 13,3 en Belgique et 24,5 en Allemagne. La Grande-Bretagne n’en compte quant à elle que 3,1/100 000 habitants, mais c’est sans doute en raison du grand nombre de juges non professionnels. Ce dernier chiffre incite donc à la prudence dans le maniement de cet indice.

Le nombre de procureurs pour 100 000 habitants est, en revanche, un indicateur plus probant pour démontrer la sous-dotation de notre pays. Avec trois procureurs pour 100 000 habitants, la France est le pays qui en compte le moins. Le rapport note ainsi qu’ils doivent gérer un grand nombre d’affaires (6,6 pour 100 habitants) et exercer un nombre record de fonctions par rapport à leurs homologues européens.

À ce stade de notre exposé, le manque de moyens de la justice de notre pays est démontré, tant à la vue de ses difficultés à effectuer les tâches qui lui sont assignées qu’en comparaison des moyens dont dispose la justice dans des pays de taille et de richesse comparables.

Il reste encore, pour compléter le panorama, à comprendre un paradoxe : le budget de la justice française augmente chaque année. Entre 2010 et 2016, le budget est passé de 6,859 milliards à 8,04 milliards (pensions incluses). La présentation du budget sur le site du ministère a été modifiée en 2017 : les sommes versées pour les pensions ne figurent plus dans le chiffre global. En 2017, le montant du budget était de 6,851 milliards, hors pensions. Le budget 2021 est de 8,2 milliards, toujours hors pensions. Le ministre de la Justice annonce une augmentation du budget de 8% pour 2022, ce qui le porterait à près de 9 milliards. Ce sont des augmentations incontestables.

Mais l’effet de ces augmentations a été annihilé par plusieurs facteurs. Il y a tout d’abord la multiplication de réformes de procédure. Toutes ces réformes sont bien intentionnées et souvent utiles. Mais les moyens humains et matériels nécessaires à leur mise en œuvre ne sont pas pensés, ou gravement sous-estimés.

La liste de ces réformes est longue. Citons d’abord les réformes de procédure liées à l’accroissement des droits des parties dans le procès pénal : droits de la défense pour les personnes poursuivies d’une part, droits des victimes de l’autre part. Sans être exhaustif, il faut rappeler ici ce dont il s’agit : la possibilité octroyée aux parties durant la phase de l’instruction de solliciter des actes d’enquêtes ou des expertises, le pouvoir ensuite de discuter les charges et les éventuelles nullités de procédure en fin d’instruction (article 175 du Code de procédure pénale).

La création du juge des libertés et de la détention a également participé de l’augmentation de la charge de travail, tout comme la création de la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI), la juridictionnalisation de l’exécution des peines, et la création du tribunal d’application des peines (TAP) dans les tribunaux de grande instance et de la chambre d’application des peines (CHAP) dans les cours d’appel. Précisons que cette augmentation de la charge de travail se retrouve devant les juridictions civiles, avec la création du juge de l’exécution, des procédures de surendettement et l’augmentation du nombre de divorces et de procédures familiales devant le juge aux affaires familiales (JAF). Les juridictions civiles sont certes étrangères à la chaîne pénale, mais ce sont les mêmes agents de juridiction, greffiers et magistrats, qui traitent tous ces contentieux.

L’augmentation du taux de réponse pénale vient ensuite limiter les effets de l’effort budgétaire. Ce taux mesure la proportion des infractions à laquelle la justice a donné une suite parmi celles dont elle a été saisie. Depuis une loi de finances 2001-692 du 1er août 2001, il est un des indicateurs de l’efficacité de la justice. Auparavant, les parquets (le procureur de la République et ses substituts dans chaque tribunal judiciaire) classaient sans suite une partie des dossiers de la police et de la gendarmerie, faute d’audiences pour les juger. Certains commentateurs évoquaient à l’époque le chiffre du classement sans suite d’un dossier policier sur deux.

Les pratiques ont évolué. D’abord en raison de la demande de réponse des maires et élus locaux, qui travaillent au sein des comités locaux de prévention de la délinquance. Ensuite, en raison de la mise en place du traitement en temps réel des infractions. Le traitement en temps réel consiste à mettre en place une permanence téléphonique de substituts du procureur. Saisis par les policiers ou les gendarmes enquêteurs, les substituts décident immédiatement de la suite à donner. Réguler le flux des dossiers en classant sans suite devient alors très difficile.

Enfin, la réponse pénale a augmenté car les tribunaux, et en premier lieu les parquets (c’est-à-dire le procureur et tous ses substituts), ont fait l’effort extraordinaire d’inventer la troisième voie pénale : rappel à la loi, médiation pénale, classement sous condition, médiation réparation…

À ces dispositifs innovants sont ensuite venues s’ajouter toutes les procédures sans comparution (ordonnance pénale) ou à débat contradictoire limité (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, dite CRPC).

Ainsi, les infractions commises en France ne restent pas sans réponse de la part de la justice. Mais cet effort représente une masse de travail supplémentaire qui absorbe les augmentations de budget et en annihile les effets.

De même, la suppression des grâces présidentielles a encore aggravé la charge de travail de la pénitentiaire et limité elle aussi les effets de l’augmentation budgétaire. Jusqu’en 2007, le président de la République prenait, en effet, tous les 14 juillet un décret de grâce présidentielle. Ce décret entraînait chaque année la sortie anticipée de prison de plusieurs milliers de détenus proches de leur fin de peine. Cette sortie ne faisait l’objet d’aucun suivi, ce qui soulevait de nombreuses critiques. Mais ce décret était un précieux moyen de régulation de la surpopulation carcérale, auquel le président Nicolas Sarkozy a mis fin en 2007. Ainsi, la révision constitutionnelle de 2008 a retiré au président le pouvoir de prononcer des grâces collectives. On peut comprendre les critiques contre ce mécanisme aux relents monarchiques, mais il n’a pas été remplacé et c’est désormais toute la chaîne pénale qui en pâtit : la surpopulation des prisons s’est envolée et l’effort budgétaire a été annihilé.

Pour conclure sur cette question budgétaire, il est donc évident qu’il faut redimensionner la justice et la pénitentiaire. Comme on l’a vu ci-dessus, les deux derniers budgets ont augmenté de 8% : à ce rythme, il faudra douze ans et demi pour doubler le budget de la justice et de la pénitentiaire.

Compte tenu du sous-dimensionnement actuel des fonds alloués à la justice française, il est raisonnable de prévoir un effort budgétaire sur une décennie.

Propositions

Plusieurs idées structurent ces propositions. Il faut tout d’abord se souvenir de Cesare Beccaria, juriste italien du XVIIIe siècle et penseur de la pénalité moderne contre les châtiments de l’Ancien Régime. Il soulignait que ce n’est pas la sévérité de la sanction qui dissuade de commettre le crime ou le délit, mais la certitude de cette sanction.

Ainsi, en matière de délinquance routière, le permis à points et les radars rendent la sanction certaine. Ils ont beaucoup contribué à faire diminuer les morts de la route : de près de 9 000 en 2002, année de l’annonce de la mise en place des radars, leur nombre est passé à près de 3 500 en 2019.

Les dysfonctionnements de la chaîne pénale décrits ci-dessus rendent la sanction aléatoire et incertaine. C’est le mal principal contre lequel il faut lutter pour poursuivre un objectif de paix publique.

Par ailleurs, le rattrapage budgétaire demandera quoi qu’il arrive tellement de temps qu’il faut s’adapter pour soulager dès à présent la chaîne pénale et traiter autrement certaines infractions.

De plus, il faut multiplier les actions visant à prévenir l’infraction et à renforcer la résistance du corps social.

Enfin, il faut punir plus efficacement.

Proposition n°1 : Une déjuridictionnarisation nécessaire

Pour répondre à court terme à cette embolie de la chaîne pénale française, il faut diminuer le nombre de dossiers à traiter. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas les traiter, mais qu’il faut les traiter ailleurs. En effet, la réponse qui consisterait à les classer sans suite, c’est-à-dire à ne pas les traiter, est mauvaise. Elle décourage les policiers qui ont produit ces dossiers. Surtout, elle est socialement destructrice, car les troubles qui ont conduit des citoyens à se plaindre doivent être traités.

Il est possible de traiter ailleurs certains dossiers. La première conduite sous l’emprise de l’alcool fait par exemple aujourd’hui l’objet d’une double répression. Le conducteur voit son permis retiré sur-le-champ. Dans les soixante-douze heures, le préfet prend un arrêté de suspension temporaire d’une durée maximale de six mois et l’intéressé perd des points de son permis. Ensuite, il est convoqué devant le tribunal correctionnel. Mais, compte tenu des délais de traitement des cas, l’audience du tribunal a souvent lieu après l’expiration du délai de six mois, le conducteur comparaît donc en ayant récupéré son permis. Sauf alcoolémie très importante, le tribunal a tendance à simplement confirmer la suspension prononcée par le préfet. Hormis une éventuelle dimension symbolique, la comparution n’a donc pas de plus-value.

Il faut mettre fin à ce non-sens. La répression de cette première infraction pourrait être assurée par le préfet en prolongeant la possibilité de suspension du permis jusqu’à un an, là ou la récidive constituerait, en revanche, une infraction relevant du tribunal. Sur les 90 682 condamnations prononcées en 2018 pour conduite sous l’emprise de l’alcool, 75 267 l’ont été pour une première infraction, compte tenu des 15 415 situations de récidive légale. On pourrait ainsi se délester du traitement judiciaire de 75 000 dossiers chaque année. En la rapportant aux 500 000 condamnations annuelles prononcées en moyenne par les tribunaux correctionnels, on mesure l’importance d’une telle économie pour notre système judiciaire.

Comme on va le voir ci-dessous, il est possible de trouver d’autres types de situation et de contentieux pouvant faire l’objet d’un traitement non judiciaire. Rappelons à titre d’exemple qu’en matière civile, la création d’un divorce par consentement mutuel sans passage devant un juge a économisé près de 60 000 jugements par an, soit environ la moitié des jugements rendus avant cette innovation.

Proposition n°2 : La lutte contre la délinquance des riches et des puissants

Une véritable politique de paix publique moderne doit éviter l’écueil de ne s’intéresser qu’à la délinquance populaire. Elle suppose également de lutter contre la délinquance en col blanc, discrète, mais socialement très nuisible.

Avant de penser aux traitements judiciaires, il faut actionner tous les leviers. D’abord, utiliser l’arme des marchés publics en y insérant des clauses excluant les sociétés candidates organisant la fuite de leurs profits dans des paradis fiscaux. C’est sans doute assez compliqué à mettre en œuvre, mais cela se révélera très efficace en attendant la mise en place d’un taux d’impôt mondial sur les sociétés. De la même façon, il serait possible d’insérer des clauses demandant un bilan des mesures prises par les sociétés candidates, au titre de leur devoir de vigilance sociale et environnementale.

Lorsque des poursuites sont envisagées, il est opportun de mettre en œuvre la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). La loi Sapin 2 a introduit ce mécanisme à l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale. C’est une transaction proposée par le procureur à une personne morale mise en cause pour corruption, fraude fiscale, blanchiment, etc. : le contrevenant, qui est libre de refuser, doit payer une amende, accepter un contrôle pendant trois ans maximum de l’Agence française anti-corruption et indemniser les éventuelles victimes. L’acception de la transaction entraîne l’abandon des poursuites et son refus déclenche, en revanche, la reprise des mêmes poursuites. La transaction garantit le paiement de l’amende et permet une réponse pénale plus rapide, moins coûteuse et finalement plus ferme que des poursuites.

Sur le même sujet, il convient de revenir sur la question dite « du verrou de Bercy ». C’est le nom donné au mécanisme qui réservait depuis 1920 aux services fiscaux le monopole de la décision d’engager des poursuites pénales pour fraude fiscale. En pratique, ces poursuites étaient assez rares, soit autour d’un millier par an. Elles ne concernaient que des fraudes graves, soit en raison de l’importance des fonds soustraits à l’impôt, soit de la sophistication du mécanisme, soit encore à cause de la situation de récidiviste des auteurs.

Les services fiscaux privilégient, en effet, la transaction, car les amendes négociées sont souvent plus élevées que les condamnations pénales et leur recouvrement est ici garanti et rapide. La loi du 10 octobre 2018 a instauré une transmission automatique au procureur pour les fraudes pouvant donner lieu à des pénalités de 100 000 euros et plus. La loi a aussi prévu la possibilité de signer une convention judiciaire d’intérêt public en matière de fraude fiscale. Il conviendra de réaliser un bilan de cette loi, d’examiner si les poursuites aboutissent dans un délai acceptable, si les pénalités sont suffisantes et si les amendes sont recouvrées.

Ces réponses à la délinquance des riches et des puissants sont encore insatisfaisantes, mais elles permettent de leur apporter une réponse en attendant la construction d’un appareil judiciaire et pénitentiaire à même de juger et de sanctionner selon des procédures de droit commun.

Rappelons ainsi que l’effort budgétaire décennal envisagé ci-dessus doit aussi bénéficier aux services d’enquêtes financièresde la police et de la gendarmerie ainsi qu’aux services d’enquête en général.

Proposition n°3 : Relancer la police de proximité et protéger le corps de police judiciaire

La politique contractuelle a été relancée en matière de sécurité après une expérimentation d’un contrat de sécurité intégrée à Toulouse, en octobre 2020. Un second contrat a été signé en mai avec Nantes. La circulaire du 16 avril 2021 du Premier ministre précise les contours de ce contrat. La nouveauté principale est que le contrat prévoit un effort égal en matière d’effectifs de policiers nationaux et de policiers municipaux, ainsi qu’un accent fort sur la vidéosurveillance. Pour le restant, cet outil met en œuvre une coopération de l’ensemble des acteurs : police, justice, Éducation nationale, société de transport public, bailleurs sociaux, éducateurs. Les élus locaux soulignent l’importance de ce travail, non seulement de prévention, mais plus profondément de résolutions des conflits et des difficultés.

Il faut donc à l’évidence faire travailler ensemble tous ces acteurs, sans oublier la dimension intercommunale et l’articulation avec la périphérie des métropoles et des villes, et donc avec la gendarmerie. Il faut également y associer un partenaire trop souvent oublié en France : la psychiatrie publique, responsable de la santé mentale dans les secteurs géographiques dans lesquels elle intervient.

La présence de la justice des mineurs au cœur de ce dispositif est également impérative. Pour l’immense majorité des mineurs qui y comparaissent, cette justice est efficace. Elle est ainsi appréciée des professionnels, qu’ils soient magistrats, avocats ou éducateurs. En revanche, elle est bien souvent incomprise des policiers, des gendarmes, des élus et des citoyens. Pour protéger l’anonymat des mineurs, elle est en effet invisible. C’est effectivement souhaitable, mais une communication anonymisée s’avère néanmoins nécessaire pour rassurer tous ceux qui s’inquiètent de n’avoir aucune information sur le sort réservé aux mineurs dont ils ont été les victimes, ou qui ont troublé l’ordre public dans leur environnement.

La place manque pour développer le sujet, mais il faut souligner le défaut de moyens et peut-être de doctrine de la Protection judiciaire de la jeunesse. Enfin, s’agissant de la jeunesse en danger, qui relève de la compétence des départements, un projet national impulsé par l’État et fédérant les différentes politiques départementales est plus que nécessaire.

Ce contrat de sécurité intégré doit être l’occasion de relancer une police de proximité. L’expérimentation de cette police date du gouvernement Jospin. Nicolas Sarkozy l’a mise à mal en promouvant une politique dite du chiffre, qui consistait à juger de l’efficacité policière par le nombre d’affaires judiciaires traitées. Des équipes de terrain ont cependant fort heureusement subsisté depuis son passage au ministère de l’Intérieur et à la présidence de la République.

Une circulaire d’avril 2019 recommande la mise en place de groupes de partenariats opérationnels (GOP). Installés dans chaque secteur de police, ils sont dirigés par un officier ou un gradé de rang inférieur. Ces derniers sont les interlocuteurs des différents partenaires (mairie, bailleurs, Éducation nationale, services de santé…) du dispositif. Ces responsables de secteur ont le pouvoir de provoquer la réunion de ces partenaires et d’assurer le suivi des décisions prises. C’est donc un rôle nouveau : la police n’est plus seulement chargée du traitement des plaintes, mais participe à la fois au travail de prévention et au travail de résolution des problèmes par des moyens autres que la plainte individuelle.

Il est trop tôt pour tirer le bilan de cette nouvelle organisation. Lors de son lancement, elle avait fait l’objet de critiques portant sur l’articulation et la coordination avec les autres dispositifs tels que les groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD) et les comités locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD). Ces critiques ne semblent plus aussi vives aujourd’hui.

Évoquons pour clore ce paragraphe sur la police la question des services régionaux de police judiciaire (SRPJ). Il est prévu de renforcer le pouvoir des directeurs départementaux de la police en leur transférant la direction de tous les services policiers : police de l’air et des frontières (PAF), renseignement territorial (RT)… Il paraît souhaitable que les SRPJ ne passent pas sous l’autorité du directeur départemental et restent rattachés à leur direction nationale. En cas de difficulté entre le directeur et le procureur au sujet d’un dossier délicat sur le plan local, le procureur doit, en effet, pouvoir saisir le SRPJ. Cela garantit mieux l’indépendance de la justice et l’impartialité des poursuites.

Proposition n°4 : Construire un système de peine cohérent et une culture du contrôle

En finir avec les fantasmes autour de la prison

En 2018, la justice pénale a prononcé 279 844 peines de prison, dont seulement 130 290 peines d’emprisonnement ferme, en totalité ou en partie. Sans appeler à plus d’emprisonnement, on constate que moins de la moitié des peines sont des peines fermes, les autres étant des peines avec sursis.

Si l’on rapporte ces 130 290 peines fermes aux 549 980 condamnations prononcées par toutes les juridictions confondues, la prison ferme est minoritaire. Or, la prison reste, dans l’imaginaire social, l’archétype de la peine. C’est d’ailleurs si vrai qu’une partie des peines autres se nomment des peines « alternatives à l’emprisonnement ».

Par ailleurs, une partie de l’opinion publique semble oublier que toute personne qui entre en prison en sort un jour. En 2019, 101 824 personnes sont entrées en prison, tandis que 98 962 en sortaient. Incarcérer ne sert donc à rien si la sortie n’est pas pensée, préparée et accompagnée.

Construire un dispositif pénal lisible

C’est à partir de ces données à la fois matérielles et idéologiques qu’il faut construire un dispositif pénal simple et lisible. Le schéma pourrait se structurer autour d’une série de trois peines : la prison, une peine de contrôle et de suivi (en se servant du sursis avec mise à l’épreuve) et l’amende.

Le sursis avec mise à l’épreuve rénové serait cette peine de contrôle. Il reprendrait toutes les obligations actuellement mises à la charge du condamné : travailler, se faire soigner, rembourser les victimes, ne pas fréquenter des co-auteurs ou des complices condamnés dans le même dossier, ne pas paraître dans tel ou tel endroit, etc. Il intégrerait le travail d’intérêt général (TIG), dont 30 000 sont prononcés en moyenne chaque année. Notons d’ailleurs au sujet du TIG que la plateforme TIG 360°, qui recense 21 000 postes disponibles et qui va devenir accessible aux avocats, pourrait permettre un développement de cette peine.

Le sursis pourrait éventuellement intégrer la semi-liberté, ou des incarcérations à temps partiel. Les mesures et l’intensité du contrôle pourraient être graduées en fonction du nombre de condamnations antérieures. Ce sursis permettrait de limiter les courtes peines, qui sont très rarement prononcées à l’encontre de primo-délinquants. Elles sanctionnent, en effet, le plus souvent des multirécidivistes ou des réitérants à l’encontre desquels ont déjà été prononcés des sursis simples, des sursis avec mise à l’épreuve peu contrôlés et peu suivis, ou des travaux d’intérêt général. Ce sont des condamnés qui entrent et sortent de prison. On verra ci-dessous les conditions requises pour que ces sursis avec mise à l’épreuve fonctionnent mieux.

Enfin, la troisième peine serait l’amende. Son recouvrement devrait être drastiquement amélioré. On estime que seulement la moitié environ des sommes dues est effectivement versée à l’État, les services fiscaux préférant classer sans suite les petites amendes trop chères à recouvrer. Il faudrait donc développer les recouvrements au sein même des tribunaux et mettre en place un système d’abandon des poursuites pour de petites infractions moyennant le versement d’une amende forfaitaire à la police ou à la gendarmerie.

Des peines visibles

Émile Durkheim, sociologue du XIXe siècle, expliquait que les peines sont faites pour les honnêtes gens. Elles visent à préserver la cohésion de la société en montrant au public que les transgressions sont punies. C’est pourquoi le sursis avec mise à l’épreuve (SME) rénové, qui doit remplacer une partie des peines de prison, doit être visible. Cette tâche est toutefois difficile à réaliser, car il faut également éviter la stigmatisation des condamnés. Il n’est donc pas question de rendre publics les noms des condamnés et les mesures auxquelles ils sont astreints. Mais il faut que les procureurs communiquent régulièrement, par exemple au travers de conférences de presse semestrielles, sur le nombre et la teneur des mesures en cours. De cette façon, la justice rendra ses peines visibles et compréhensibles par tous nos concitoyens.

Des peines afflictives

C’est une évidence de dire qu’une peine est une sanction et qu’elle doit donc faire de la peine à celui à qui elle s’applique. C’est pourquoi il faut revenir au terme de « contrainte » pour ce SME rénové. Le terme de « contrainte » sous-entend que le condamné voit sa liberté diminuée. Il faut mettre en avant cet aspect avant de parler de la dimension éducative et de soutien de la peine. C’est, par exemple, la contrainte contenue dans la peine de travail d’intérêt général qui rend cette peine populaire, avec en prime la dimension de réparation contenue dans ce travail réalisé gratuitement au profit de la collectivité.

Des peines effectives

La peine de contrainte ou de SME rénové doit être effective pour s’imposer socialement. Se posent donc la question de ses moyens et celle de son organisation.

L’administration pénitentiaire compte près de 40 000 agents au sein du ministère de la Justice, dont l’effectif total s’élevait en 2020 à 87 619 équivalents temps plein. Parmi ces 40 000 agents, figurent près de 30 000 surveillants et environ 6 000 personnes travaillant dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), dont il est prévu d’augmenter les effectifs pour le porter à 7 000 agents en 2022.

Aujourd’hui, les 6 000 agents des SPIP suivent 65 000 détenus, plus 162 000 condamnés à l’extérieur faisant l’objet de diverses interdictions ou obligations. Les moyens sont tout à fait insuffisants pour rendre la probation crédible et effective. La situation devrait un peu s’améliorer en 2022 avec l’arrivée d’environ 1 000 agents supplémentaires, mais cela restera encore largement insuffisant. Pour rendre le contrôle et le suivi effectifs pour tous les condamnés, il faudrait sans doute doubler le personnel de SPIP. Cela permettrait d’exercer un meilleur contrôle et un suivi plus strict de condamnés, souvent très réticents à être suivis.

Au-delà de l’insuffisance des moyens, se pose la question de l’organisation. En matière d’incarcération, la chaîne pénale est d’une efficacité extraordinaire. La police fonctionne vingt-quatre sur vingt-quatre et sept jours sur sept. La justice organise des permanences et peut siéger également sans discontinuer. La prison peut accueillir des détenus jour et nuit, toute l’année, de la même façon. En comparaison, les SPIP ne fonctionnent que sur des horaires de bureau. Il est donc souvent impossible de mettre immédiatement en place une contrainte lorsque la gravité des faits ou la personnalité du condamné le justifient. De plus, même en journée, peu de tribunaux sont organisés pour une prise en charge immédiate. En conséquence, lorsque se pose une situation limite, l’incarcération demeure la seule option ouverte.

C’est donc toute une pratique et une culture du contrôle qu’il faut mettre en place. Cela passera par l’allocation de moyens supplémentaires et par la création de filières de traitement des dossiers. Par ailleurs, il faut souligner que la mise en place d’un contrôle plus efficace, plus crédible et mieux accepté socialement permettrait de diminuer la détention préventive. Rappelons que près de 20 000 prévenus figurent en effet parmi les 65 000 personnes incarcérées.

Proposition n°5 : Lutte contre la récidive et suivi des sortants de prison

Pour réfléchir à une réforme pénale, Christiane Taubira avait organisé une vaste conférence, dite « conférence de consensus ». Pensée sur le modèle des échanges en matière de médecine ou de science, cette conférence a rendu ses conclusions en février 2013. Il était alors affirmé que 80% des sortants de prison ne faisaient l’objet d’aucun suivi. Pour les condamnés à six mois ou moins, ce taux pouvait même atteindre 98%. Dire que la lutte contre la récidive n’est pas bien prise en compte relève donc de la litote.

Deux mesures s’imposent. Tout d’abord, les réductions de peine prononcées par les juges d’application des peines doivent être assorties d’obligations lors de la sortie. Fixées par les mêmes juges d’application des peines, ces obligations doivent être révocables en cas de non-respect ou en cas de nouvelle infraction. La loi le permet aujourd’hui.

Par ailleurs, il faut mettre en œuvre la libération d’office, sauf avis contraire du juge d’application des peines, à deux tiers de peine. Cette libération sera évidemment assortie de mesures de contrôle et de suivi. La loi du 23 mars 2019 a prévu cette mesure de libération à deux tiers de peine avec effet à compter du 1er juin de la même année.

Évidemment, ces suivis de sortants nécessitent des moyens et de l’organisation, comme on l’a vu ci-dessus. Il faudrait ainsi penser à associer les services de police et de gendarmerie à certains contrôles.

Proposition n°6 : Un mécanisme de prévention de la surpopulation carcérale : le numerus clausus inversé

La prison ne réduit pas à elle seule la délinquance ou la récidive. Elle n’est efficace que si des mécanismes de prévention et de résolution des problèmes existent en amont. Elle n’est efficace que si le contrôle et le suivi à la sortie sont assurés.

C’est pourquoi le débat sur le laxisme supposé de notre justice et sur le nombre de places de prison, qui renaît à chaque élection présidentielle, est absurde. Nous avons un taux d’incarcération qui oscille entre 100 et 105 détenus pour 100 000 habitants, ce qui nous classe dans la moyenne des démocraties européennes occidentales. Ce taux a considérablement augmenté, puisqu’il était de 75 pour 100 000 au début des années 2000. Il est inutile d’aller au-delà et il convient même de diminuer le nombre de détenus en remplaçant les courtes peines par un contrôle, même très serré, en milieu ouvert.

La surpopulation carcérale s’est installée de nouveau dans nos maisons d’arrêt, qui incarcèrent les prévenus en attente de jugement et les condamnés à moins de deux ans de prison. Or une prison surpeuplée ne peut jouer son rôle de lutte contre la récidive et de réinsertion. Par ailleurs, la France a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme pour l’état de surpopulation de ses prisons.

Dernières données pour éclairer le débat sur le nombre de détenus et de places : construire une prison demande au bas mot environ cinq ans. Chaque place revient au minimum à 150 000 euros. Certains promettent d’en construire 15 000 à 20 000 au cours du prochain quinquennat : cela coûterait donc 3 milliards d’euros. Chaque détenu coûte, ici encore au bas mot, 100 euros par jour, soit 36 000 euros par an. Le coût annuel supplémentaire serait donc de 720 millions d’euros. Au regard des contraintes budgétaires de la justice française, on peut sereinement affirmer que ces promesses sont des paroles en l’air.

Il faut donc adopter une solution pragmatique, qui permette de lutter contre la récidive tout en éradiquant la surpopulation carcérale.

Le système pourrait être le suivant : limiter le nombre de détenus au nombre de places et, pour ce faire, se servir du mécanisme du numerus clausus inversé. Le principe est simple : il s’agit non pas de freiner l’entrée de condamnés en prison, mais d’accélérer la sortie de ceux qui sont proches de la fin de peine en cas d’entrée d’un nouveau détenu dans les prisons en surnombre. Dans ce cas, le juge d’application des peines dispose de deux mois pour prononcer une mesure d’aménagement de peine pour un détenu proche de la fin de peine. Dans une période de surpopulation, le mécanisme peut s’appliquer à raison de deux sortants pour un entrant. Ce mécanisme a l’immense mérite, outre le fait de mettre fin à la surpopulation carcérale, d’impliquer un suivi et un contrôle pour tout sortant.

Ce numerus clausus inversé aurait vocation à s’appliquer uniquement dans les établissements surpeuplés, c’est-à-dire les maisons d’arrêt. Il ne touchera en pratique que les condamnés à de courtes peines. Cependant il faudrait, lors de l’adoption, en limiter l’application aux détenus condamnés jusqu’à cinq ans de prison inclus. Les condamnés à de plus longues peines seraient pris en charge avec des dispositifs différents.

Conclusion

L’effort pour mettre en place cette nouvelle politique est énorme. Il faut se doter d’un appareil de contrôle qui n’existe aujourd’hui que de façon embryonnaire.

Les étapes pourraient être les suivantes. Dans un premier temps, déjuridictionnaliser largement pour soulager le travail de tous les acteurs de la chaîne pénale.

Puis, il faudrait mettre en place une large politique de libération sous contrôle. La mise en œuvre de ce contrôle suppose des embauches au sein des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Il faut penser à affecter des surveillants dans ces SPIP, pour faire bénéficier à ces derniers du savoir-faire des surveillants et de leur connaissance des détenus. Elle suppose également des protocoles d’accord pour associer la police et la gendarmerie au contrôle des sortants les plus problématiques.

Dans le même temps, l’application du numerus clausus inversé devrait mettre fin aux situations de surpopulation dans les prisons françaises. Lorsque cet appareil de contrôle appelé à remplacer largement des peines d’emprisonnement sera installé, il sera alors temps de procéder aux modifications de la loi pour affiner les outils juridiques. Le moment sera alors également venu de se pencher sur les carences de la prise en charge des malades mentaux par la psychiatrie publique et privée.

Peut-être faudra-t-il également trancher par une vaste consultation, voire un référendum, la question de la légalisation du cannabis, en se souvenant que ce marché noir génère actuellement des profits pour près de 200 000 personnes sur le territoire français. Ces profits sont très souvent petits, mais parfois considérables. Cela signifie qu’en dehors des commanditaires et des responsables de ce trafic, il faudra reconvertir une partie de ces 200 000 personnes dans l’économie légale.

Nous avons conscience du caractère très schématique de ces réflexions. Mais un tel programme, qui doit encore être affiné, permettrait de doter notre pays d’une chaîne pénale plus complète, plus cohérente et plus efficace. Qu’il s’agisse de sanctionner les incivilités du quotidien, punir les crimes et délits les plus graves ou lutter contre la délinquance en col blanc, nous devons et nous pouvons faire mieux.

Cette note est le fruit d’un travail mené autour de Dominique Raimbourg par un groupe de réflexion de militants de la fédération PS de Loire Atlantique.

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