Un aspect essentiel de la transition énergétique est la maitrise de la demande ou des consommations énergétiques qui passent elles-mêmes par la recherche de l’efficacité énergétique et de la lutte contre les gaspillages qui peuvent être évités ; c’est ce qu’on appelle également la sobriété énergétique à ne pas confondre avec la décroissance car le progrès humain n’est certainement pas la privation d’énergie.
Mis à part l’industrie dont les problématiques sont autres, les consommations dans l’habitat, le tertiaire (bureaux et commerces), les transports et bien sûr les consommations domestiques dépendent largement de données structurelles dont les collectivités locales ont la responsabilité : par leurs politiques d’aménagement du territoire, d’urbanisme (habitat et permis de construire, urbanisme commercial, infrastructures de communication, …), l’organisation des mobilités durables (cf. le chapitre qui en traite), l’architecture des réseaux de chaleur, voire de climatisation, d’électricité et de gaz, etc., elles conditionnent en grande partie les modes de consommation. En outre, ces collectivités ont pris des responsabilités dans la valorisation des ressources locales en énergies décentralisées qu’elles peuvent mobiliser pour répondre aux besoins de leurs ressortissants. Il y a donc une logique certaine à renforcer leurs compétences énergétiques à un niveau de grands ensembles territoriaux : communautés d’agglomérations urbaines et métropoles, ou, mieux encore, régions car celles-ci associent aux ensembles urbains des territoires ruraux (où pendent être valorisées des EnR).
Elles sont en outre particulièrement bien placées pour accompagner et conseiller leurs ressortissants dont elles ont la confiance. Pourtant, contrairement à l’Allemagne ou l’Autriche, par exemple, qui disposent historiquement de la maîtrise des Stadtwerke, les collectivités locales françaises n’ont guère de compétences en gestion de l’énergie ; ce sont les opérateurs historiques, EDF et GDF (devenu Suez, puis aujourd’hui ENGIE) qui ont la gestion réseaux et la relation avec les consommateurs, leurs clients, dont ils sont les fournisseurs et auxquels ils ont intérêt à vendre sans trop se soucier de leur faire économiser l’énergie…
La décentralisation énergétique est donc une problématique sur laquelle notre collectif d’expert a, dès 2013, formulé un ensemble de propositions de réformes .
Depuis lors, les lois « Nouvelle organisation territoriale de la République »(NOTRe) et de « Transition énergétique pour la croissance verte » (TECV) ont significativement avancé dans la clarification des responsabilités des grandes collectivités locales.
Ainsi les nouvelles Métropoles et les grandes communautés d’agglomération peuvent-elles regrouper à leur niveau les compétences d’autorités organisatrices de l’énergie qui étaient précédemment de la responsabilité des communes ; elle sont devenues des interlocuteurs puissants pour négocier avec ErDF et GrDF la mise en cohérence des réseaux de distribution d’énergie (électricité, gaz, chaleur) entre ceux-ci, d’une part, et en fonction des projets d’urbanisme, d’autre part.
Ces mêmes métropoles et agglomérations ont la responsabilité d’élaborer des plans climats énergie territoriaux, tandis que les Régions doivent élaborer des Schémas régionaux climat, air, énergie (SRCAE).
En outre, le Ministère de l’énergie a lancé avec l’ADEME des appels à projets TEP-CV (Territoires à énergie positive pour la croissance verte) selon une procédure d’accompagnement de programmes territoriaux d’économies d’énergie, d’efficacité énergétique, de valorisation d’EnR décentralisées
Si l’on peut comprendre que les collectivités locales n’aient pas reçu compétence d’autoriser la construction et l’exploitation des installations de grande production qui restent celle de l’Etat, il y a un problème concernant l’autorisation des productions décentralisées que des textes leur empêchent d’exercer en pratique alors que la loi leur attribue des compétences de principe dans ces domaines.
De ce fait ces avancées décentralisatrices s’avèrent être quelque peu en « trompe l’œil ». Car, dans les textes, les autorités organisatrices locales de l’énergie ne peuvent accorder les concessions des réseaux d’électricité et de gaz qu’aux opérateurs historiques – ErDF et GrDF – qui conservent leur monopole, tandis que la fourniture d’énergie aux clients domestiques demeurés au tarif réglementé (ceux qui choisissent de ne pas faire jouer leur « éligibilité » pour se tourner vers la concurrence) ne peut être concédée qu’à EDF. Le législateur n’a pas osé toucher aux positions de monopole des opérateurs historiques. On est donc encore loin d’une vraie décentralisation.
Cependant un nouveau défi apparait : la digitalisation, qui touche les utilities énergétiques comme toutes les autres industries dans le monde, offre de nouvelles potentialités. Les « sites clients » (résidentiels, entreprises, tertiaires, collectivités, etc.) deviennent connectés, souvent à l’initiative des acteurs des technologies de l’information ou des télécommunications : chauffage, eau chaude, produits électroménagers dans les maisons, systèmes de gestion technique dans les bâtiments. Un nouveau métier émerge, celui d’opérateur d’infrastructure sur site ; il suppose d’être capable d’interagir avec les systèmes du client, son chauffage, sa production ou ses moyens de stockage. Or, l’infrastructure numérique des clients étant mis en place par d’autres acteurs que les opérateurs historiques, ce sont probablement ces nouveaux acteurs qui se placeront en intermédiation entre la fourniture et l’usage, entre le producteur d’électrons et son consommateur.
Nous pensons qu’il y aurait là matière à alliance entre, d’une part, le commercialisateur d’EDF et, d’autre part, la collectivité locale qui souhaite promouvoir auprès de ses ressortissants l’efficacité et la sobriété énergétique, pour offrir des nouveaux services d’optimisation de la demande. On pourrait ainsi tenter, au moins à titre expérimental, des partenariats avec des Métropoles ou des Régions intéressées: il s’agirait de mettre en place des services régionaux de l’énergie qui, se fournissant sur le marché de gros et à terme, desserviraient les clients domestiques et les petits professionnels désireux de bénéficier d’un service public en les assistant pour optimiser la gestion de leurs consommations.
A cet égard, on peut s’interroger sur les fonctionnalités du programme de compteurs « intelligents » Linky, qui a pour finalité d’informer le gestionnaire de réseau sur les volumes consommés ou produits par les abonnés, mais n’est pas prévu pour dialoguer avec le client comme le nécessiterait la gestion des infrastructures de son site : son chauffage, son éclairage, sa production, ses moyens de stockage. Alors que se développent aujourd’hui toutes sortes d’applications de l’Internet des objets, il convient de ne pas recommencer le même type d’erreur qu’avec le Minitel quand on soutenait encore son développement tandis qu’Internet émergeait puissamment.