Municipales : décryptage d’une élection à rallonge

Après la tenue des élections municipales, l’Observatoire de la vie politique de la Fondation, par la voix d’Émeric Bréhier et Sébastien Roy, fait le bilan et tire les grands enseignements de ce scrutin historiquement long, qui sera peut-être le dernier avant la prochaine élection présidentielle en cas de report des élections régionale et départementale. 

Enfin terminées ! C’est bien ce que doivent se dire de nombreux acteurs de la vie politique française tant ces élections municipales ressemblèrent à un véritable chemin de croix pour certains d’entre eux. Mais ce sentiment a sans doute été également partagé par nos concitoyens si l’on en juge leur entrain à se déplacer aux urnes le dernier week-end de juin 2020. Même s’il convient de suivre avec attention les troisième et quatrième tours de ces élections (l’élection du maire et des adjoints, puis la mise en place des structures intercommunales ou métropolitaines), certaines conclusions peuvent bien être tirées de ce long cycle électoral, en lien avec ce que nous avions pu indiquer lors de nos notes précédentes à l’issue du premier tour du 15 mars dernier.

L’abstentionnisme toujours, et plus que jamais, premier parti de France 

Le premier élément méritant d’être évidemment mis en avant est la très faible participation électorale. Jamais des élections municipales n’avaient, au premier comme au second tour, aussi peu intéressé le corps électoral. Ainsi, jusqu’en 1989, le corps électoral s’est globalement mobilisé à plus de 70% lors des deux tours. Depuis lors, les taux de participation au premier tour n’ont jamais cessé de baisser : 69,4% en 1995, 67,4% en 2001, 66,5% en 2008, 63,5% en 2014 pour chuter à moins de 45% le 15 mars dernier. On relève même une diminution de la participation au second tour depuis 2008. Il y eut certes les circonstances sanitaires pour le moins très particulières lors de ce cycle électoral, mais on voit bien que cette chute sévère de la participation s’inscrit dans une baisse tendancielle s’affirmant depuis près de trois décennies. 

Bien entendu, les évolutions sont contrastées selon les territoires, comme lors de chaque élection locale. Évidemment, la baisse du taux de participation lors de ce second tour renvoie au fait que celui-ci a d’abord concerné les tissus urbains relativement, ou très, denses, qui, chacun le sait, votent bien moins que des zones plus rurales ou moins denses. Il n’en demeure pas moins que cette (très) faible participation non seulement ne peut qu’interroger l’ensemble des acteurs politiques, mais doit aussi rendre bien plus circonspects les commentaires sur d’éventuelles implications nationales de ces élections municipales ; nous y reviendrons. 

Lorsque l’on se souvient des critiques sur le manque de légitimité des députés élus lors des élections législatives, on ne peut que s’attendre à voir les mêmes interrogations ressurgir, provenant évidemment de tous les bords politiques, sur celle des équipes municipales nouvellement élues. Ainsi, la liste conduite par le nouveau maire de Bordeaux a recueilli un peu plus de 25 000 voix au second tour lorsque nombre de députés de Paris furent élus avec près ou un peu plus de 20 000 voix. Les élus municipaux des 15 mars et 28 juin derniers ne sont pas moins, ni plus, légitimes que les députés élus en juin 2017. Et ce en dépit des faibles taux de participation pour les deux élections. Reste que cette faible mobilisation ne peut manquer d’interpeller. Elle le doit impérativement même. Surtout qu’il ne semble pas que les villes ayant mis en œuvre depuis plusieurs années des mécanismes de « démocratie participative » aient pour autant connu des hausses de participation électorale. Ce qui, là aussi, devrait conduire à interroger ces mêmes dispositifs.

Deux tours qui ne se ressemblent pas mais se complètent 

Aux lendemains du premier tour, nous avions insisté sur la très forte proportion de maires sortants élus dès le premier tour. Phénomène assez classique au demeurant mais qui, semblait-il, avait alors atteint des niveaux assez conséquents. Toutes les formations politiques en avaient d’ailleurs profité. On aurait pu s’attendre à ce que ce phénomène se reproduise à l’occasion du second tour le 28 juin dernier. Pourtant, c’est bien loin d’être le cas. 

Ainsi, alors que sur les 495 maires des communes élus au premier tour, 445 étaient des sortants, sur les 417 maires élus au second tour, 213 étaient des sortants, lorsque 214 sont nouveaux. Soit 264 nouveaux maires dans les villes de plus de 10 000 habitants. Ce second tour a donc constitué non pas seulement une vague verte dans les métropoles, mais surtout une vague de dégagisme conséquent ou, à tout le moins, un grand chamboule-tout. Même si nombre de maires qui n’ont pas été réélus le 28 juin dernier ne l’ont pas été tout simplement car ils ne se représentaient pas, ce qui tend évidemment à amoindrir ce constat d’un « dégagisme municipal », force est de constater que, comme à chaque scrutin municipal, le second tour renforce les éléments saillants du premier. La permanence des maires élus au premier tour avait caché qu’à bien y regarder dans beaucoup de villes où le premier tour n’avait pas été conclusif, le second tour était soit ouvert soit incertain. Enfin, le bon score des écologistes et de la gauche, on le verra, fut renforcé le 28 juin dernier. 

 

 

Au-delà, il y a tout de même quelques enseignements à tirer de la tenue de ce second tour. D’abord, la (très) bonne tenue des partis disqualifiés ou affaiblis lors des derniers scrutins – présidentielle, législatives et européennes – où les géants restent des géants mais… 

Le Parti socialiste de retour ? Si on regarde 2017, oui ! Si on regarde 2014, oui mais par la petite porte 

Tout d’abord, le Parti socialiste conserve ses bastions et parvient même à (re)conquérir un nombre satisfaisant de communes. Déjà, au soir du premier tour, il était entendu qu’il avait tenu dans la plupart de ses zones de force. Ainsi se confirme-t-il dans des villes qui lui sont acquises de longue date, quand bien même parfois le rassemblement au second tour a conduit à une modification notable des rapports de force avec leurs alliés écologistes : Brest, Nantes, Le Mans, Rennes, Créteil, Cherbourg, Blois, Rouen, Paris, Clermont-Ferrand, Villeurbanne, Vaulx-en-Velin, Sedan, Bourg-en-Bresse, Mayenne, Saumur, etc. 

Il parvient même à conserver deux communes de plus de 100 000 habitants au sein desquelles aucun accord n’avait pu être trouvé avec Europe Écologie-Les Verts (EELV) : Dijon où le maire sortant François Rebsamen l’emporte avec un peu moins de dix points d’avance sur son concurrent des Républicains (LR). À l’évidence, si ce score n’est pas à la hauteur des précédentes victoires municipales du responsable socialiste, et si les derniers événements survenus quelques jours avant le scrutin n’ont pas dû lui faciliter les choses, les grands perdants sont bel et bien les écologistes qui, en refusant de partir unis dès le premier tour, ne font désormais plus partie de l’exécutif municipal et encore moins de celui de la métropole. Et, bien entendu, Lille, où l’ancienne première secrétaire du Parti socialiste qui avait pourtant porté l’accord national avec la formation écologiste à la veille de l’élection présidentielle de 2012 (y compris en laissant dans un premier temps aux Verts la circonscription de Seine-et-Marne qu’allait finir par emporter l’actuel premier secrétaire du Parti socialiste) a, in fine, préféré affronter une périlleuse triangulaire plutôt que de céder aux exigences de représentativité du parti écologiste. La victoire au finish a montré ô combien cette décision relevait bien du pari dans une phase d’abstention massive, notamment dans les quartiers populaires censés être les plus favorables à la maire sortante et à son équipe. Grâce à ces 227 voix d’avance, la maire de Lille n’a pas eu à revivre les affres de sa défaite aux législatives de 2002. 

Mais ce qui doit être relevé plus sûrement en ce qui concerne le Parti socialiste, c’est bien ses victoires, parfois derrière un candidat ou une candidate écologiste, ou parfois à la tête de liste d’union. Au-delà des communes remportées derrière une tête de liste écologiste, des villes n’ayant pas depuis fort longtemps connu de maires qui ne soient pas issus des droites ont été remportées, comme, bien sûr, Nancy, Marseille, Châtillon, Bourges, Saint-Brieuc, Corbeil-Essonnes (derrière un ancien Parti communiste), Saint-Denis (avec Mathieu Hanotin qui met fin au règne communiste), Saint-Denis dans l’île de la Réunion avec la victoire de la députée Ericka Bareigts, mais quelques-unes ont été reprises comme Morlaix, Quimper, Chambéry, Laval, Chateaudun, Athis-Mons, Périgueux et Montpellier par Michaël Delafosse. 

Ceci n’empêche pas quelques défaites évidemment, comme au Blanc-Mesnil, à Illkirch-Graffenstaden, Metz, Forbach, Bondy, Neuilly-sur-Marne, Dourdan, Guéret, Poitiers, Villeneuve-sur-Lot, Rezé (au profit d’une liste « citoyenne »), La Seyne-sur-Mer, Briançon, etc. 

Au final, le Parti socialiste est parvenu, à l’occasion de ces municipales, à demeurer la première force locale de la gauche. Après les débâcles électorales de 2017, l’échec de la stratégie européenne de 2019, 2020 est ainsi un bon cru pour les socialistes français et leur permet d’espérer un nouveau rebond à l’occasion des départementales et régionales de l’année prochaine. 

LR ou le géant bleu harcelé de toute part 

Même s’il accuse des pertes importantes et symboliques en faveur des écologistes et/ou du Parti socialiste, LR ne subit pas une véritable défaite électorale puisqu’une grande partie de ces élus sont confirmés, y compris celles et ceux qui avaient conquis des villes sur la gauche en 2014, souvent sous l’étiquette LR, parfois sous l’étiquette DVD. 

Bien évidemment, la perte de Bordeaux ou Marseille (à tout le moins sur le plan des suffrages exprimés) constitue un choc pour la droite, de nature différente dans les deux cas d’ailleurs. À Bordeaux, terre juppéiste, la greffe entre LR et LREM n’a pas été validée par les électeurs bordelais, à l’instar des Strasbourgeois ou des Lyonnais (même si, dans ce dernier cas, l’état-major parisien du parti présidentiel avait retiré son investiture aux proches de Gérard Collomb). À Marseille, c’est bien la fin d’une époque politique marquée par l’opposant historique de Gaston Defferre, Jean-Claude Gaudin. Relevons toutefois que, dans ces deux cas, il s’est agi de successions mal ou insuffisamment préparées qui ont permis aux listes d’union – l’une dès le premier tour à Bordeaux, l’autre construite en grande partie, au moins à ses débuts, contre ou à côté des organisations politiques à Marseille – de l’emporter. 

De même, le parti dirigé par Christian Jacob ne parvient pas à reprendre ni Strasbourg ni Lyon, alors même que les circonstances particulières de ces élections lui avaient ouvert des opportunités non négligeables. Et ce n’est pas la victoire de Christian Estrosi à Nice qui peut cacher cette difficulté majeure du parti à conserver voire à conquérir des positions électorales dans les métropoles. Satisfaction néanmoins, nombreuses sont les villes conquises en 2014 à rester dans le giron LR, comme notamment Limoges, Angoulême, etc., lorsque d’autres sont reprises comme Metz, Orléans, Lorient, Amboise, Bron…

Il faut aussi constater un effort de renouvellement significatif de la part des Républicains : 14 nouveaux maires LR succèdent à un maire LR, comme à Saint-Mandé, Manosque ou Concarneau. 

Le PC ne profite pas de la poussée à gauche et même décroche un peu 

Le bilan du PCF est bien plus contrasté en dépit des communiqués victorieux de sa direction nationale. Bien sûr, il conserve un certain nombre de villes, et pas des moindres, parfois dès le premier tour. Toutefois, il perd dix villes de plus de 10 000 habitants, notamment Givors, Gardanne, Arles ou Saint-Pierre-des-Corps. Mais c’est en Île-de-France que ses pertes sont les plus marquantes : Valenton, Aubervilliers, Champigny-sur-Marne, Choisy-le-Roi, Villeneuve-Saint-Georges, ou bien encore Bezons face au Parti socialiste. Et les gains, au-delà de ceux en liste d’union, sont rares (Bobigny, par exemple). Bien entendu, il parvient à conserver la plupart de ses villes : Gennevilliers, Dieppe, Grigny, Échirolles, La Courneuve, Saint-Martin-d’Hères, Martigues, Ivry, Mitry-Mory, Montreuil, Champs-sur-Marne, Vierzon, Bonneuil ou bien encore la ville de Dominique Bocquet, Saint-Amand-les-Eaux, etc. Il n’empêche, la décrue est sensible et va induire des affaiblissements du poids politique dans certaines communautés d’agglomération et fragiliser le PC pour les prochaines sénatoriales, notamment. 

L’écologie enfermée en ville 

Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur la percée des Verts lors de ces municipales. Et, de fait, indéniablement, le parti de Julien Bayou est parvenu non seulement à conserver la ville de Grenoble, prise en 2014 au Parti socialiste, mais a réussi ses paris lyonnais et strasbourgeois quasiment seul. Dans le cas lyonnais, EELV s’est même emparé de la métropole, même si, dans ce cas de figure, ce fut en s’alliant avec les partis plus « traditionnels » fortement implantés dans nombre de communes de la métropole lyonnaise. 

Plus encore, dans des stratégies d’union, EELV est parvenu également à prendre les villes de Tours, de Bordeaux et de Besançon et il a rééquilibré les rapports de force dans les métropoles gérées par leurs alliés socialistes à l’issue d’un premier tour compétitif à Brest, Nantes, Rennes et Rouen. Seules Lille et Dijon échappent en réalité au tableau de chasse. Il y a, bien entendu, eu également quelques échecs métropolitains comme à Metz et dans une moindre mesure Paris puisque la ligne « autonome » n’a pas permis de sortir du tête-à-tête avec Anne Hidalgo. Et ce même si, selon les termes de l’accord municipal d’entre-deux-tours, EELV dispose d’une mairie d’arrondissement. 

La percée des Verts dans les métropoles est donc indéniable. Toutefois, elle n’induit pas automatiquement la maîtrise des majorités métropolitaines alors même que les politiques publiques sur lesquelles la spécifité écologiste s’est affirmée (logement, aménagement, mobilité, transport, énergie…) relèvent pour l’essentiel de compétences dévolues aux métropoles. Leur capacité à s’emparer de leur présidence, ou, à tout le moins, de postes essentiels, constituera un premier test. Les nouveaux maires seront également testés sur leur capacité à entraîner politiquement les maires périurbains ou à la périphérie des métropoles et/ou des agglomérations. Le cas bordelais souligne à cet égard les difficultés que pourraient rencontrer les nouveaux maires Verts. D’abord sur la conception même de la structure communautaire : constitue-t-elle une collectivité en tant que telle porteuse de politiques publiques en propre et, à ce titre, devant être gérée par une majorité politique avec une ou des oppositions ? Ou, à l’inverse, doit-elle être le lieu d’affirmation d’un pacte métropolitain construit sur un accord de gestion des maires de la métropole sans tenir compte des étiquettes partisanes ? Si la première hypothèse peut séduire, elle eut impliqué en réalité de la part des candidats aux élections municipales (à tout le moins des mêmes partis) de porter au même niveau que leurs projets municipaux un projet communautaire défini. Ce qui fut bien rarement le cas. 

Cette percée bien réelle ne saurait toutefois faire oublier le fait que ce réseau territorial est encore sans commune mesure avec celui des « vieux » partis que sont le Parti socialiste et LR. Ainsi, si EELV va diriger sept villes de plus de 100 000 habitants, elle n’en dirigera que deux de 50 à 100 000 habitants avec les conquêtes de Poitiers sur le Parti socialiste et de Colombes sur LR, 1 de 30 à 50 000, et 6 de 10 000 à 30 000, dont deux conquêtes, Cugnaux (31) et Carrières-sous-Poissy (78) avec l’ancien maire et conseiller régional Eddie Aït. Si, bien évidemment, les scores d’EELV aux européennes avaient progressé dans l’ensemble des territoires, il n’en reste pas moins que ces municipales ont essentiellement, pour ne pas dire seulement, conforté cette progression dans les zones centres des métropoles et agglomérations. 

Si les « vieux partis » ont donc tenu, si EELV est parvenu à percer dans l’électorat très urbain des villes centres des métropoles, alors, logiquement, les autres formations ou mouvements politiques ont dû mécaniquement connaître une cinglante défaite. 

La France insoumise : l’impasse au figuré et au propre… 

Les municipales apparaissent à l’évidence comme une occasion manquée pour le parti de Jean-Luc Mélenchon. Les européennes avaient déjà constitué une singulière désillusion pour le quasi-qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle. Les municipales ne vont sans doute pas arranger les divisions internes qui depuis plusieurs mois émaillent la vie de cette organisation politique somme toute assez « gazeuse ». Bien évidemment, certaines militantes et certains militants depuis longtemps ancrés dans différents territoires continuent à être parfois parties prenantes de majorités municipales. Toutefois, le maillage territorial déjà faible sort plus encore amoindri tant LFI s’est souvent construit dans ses municipales à côté, voire contre, les regroupements des autres forces de gauche, y compris du Parti communiste, et des écologistes. À cet égard, le choix des troupes bordelaises de s’allier avec le NPA plutôt que de rejoindre la bannière de Pierre Hurmic était symptomatique. Alliance dont la condition sine qua non était le non-ralliement à la liste de rassemblement conduite par l’opposant historique de la droite bordelaise, et quitte à ce que cette décision conduise au succès de l’héritier d’Alain Juppé. À Marseille, la presse s’en est fait largement l’écho, le choix de participer au Printemps marseillais n’a pas eu les faveurs du leader et député marseillais. Y compris dans les restes de la « ceinture rouge », les attitudes des militants de LFI n’ont pas favorisé les listes de rassemblement. Finalement, seul Manuel Bompard à Toulouse contribua efficacement à un rassemblement concurrent de la liste bâtie autour du Parti socialiste avec une certaine efficacité, même si, au bout du compte, cette stratégie n’aboutit pas à une victoire au Capitole. Résultat : le parti de Jean-Luc Mélenchon est bien à la marge des discussions sur une gauche rassemblée ! Plus inquiétant peut-être, la difficulté prochaine pour le leader de LFI d’obtenir les 500 parrainages pour la prochaine élection présidentielle, ce d’autant lorsque l’on se remémore la course de fond qui lui a été nécessaire la dernière fois.

Le RN ni des villes ni des champs fissure quand même de plafond de verre 

Le bilan est bien plus contrasté pour le Rassemblement national. Comme nous l’avons expliqué dans les notes publiées à l’issue du premier tour, certes, une grande majorité de ses maires ont été réélus dès le 15 mars dernier, à l’instar de très nombreux maires, toutes étiquettes confondues. Ce qui, à certains égards, signale que la « normalisation » recherchée du RN était acquise, en tout état de cause, concernant ces édiles municipaux. 

Néanmoins, la stratégie – car cela en était une et était affiché comme tel – de présenter moins de listes afin de polariser ses forces dans certaines villes n’eut pas l’effet escompté puisque les résultats, en pourcentage, chutèrent de manière drastique dans les villes où le RN fut présent en 2020 après l’avoir été en 2014. Résultat, le nombre de listes estampillées ou proches du RN présentes au second tour le 28 juin dernier diminua de manière conséquente, entraînant immédiatement l’affaissement du nombre d’élus dans les conseils municipaux. Cela ne facilitera à l’évidence pas le travail de collection des parrainages pour la prochaine élection présidentielle. Pis, le second tour ne permit pas au RN d’atteindre les objectifs qu’ils s’étaient fixés dans les villes de plus de 10 000 habitants. D’abord, il perd les villes de Mantes-la-Ville (seule commune francilienne dirigée par un cadre FN) et du Luc, ainsi que la mairie du 7e secteur à Marseille. Marie-Claude Bompard, par ailleurs, perd la ville de Bollène. Le RN échoue à prendre les villes de Marles-les-Mines et de Vauvert qui paraissaient pourtant au soir du premier tour à sa portée, même s’il parvient à s’emparer des communes de Moissac et de Bruay-la-Buissière. 

Seul succès réel : la prise de Perpignan par Louis Aliot. Même si celle-ci est le fruit d’un travail de « notabilisation » de la candidature et qu’elle a prospéré sur un terreau favorable compte tenu de l’affaissement de l’assise électorale du maire sortant, il n’empêche que ce succès constitue un symbole fort qui ne saurait être ignoré. Notamment car il ne fut pas empêché par la mise en place tardive et plus qu’imparfaite d’un « front républicain » qui n’avait de « front » que le nom. L’augmentation de la participation entre les deux tours n’a d’ailleurs pas suffi au maire sortant pour l’emporter et est bien loin de ne pas avoir également profité au candidat soutenu par le RN. Si la participation passe de 39,73% à 47,23%, le nombre de bulletins nuls ou blancs passe de 2,11% à 6,27% ! Si le maire sortant recueille 9114 voix supplémentaires au second tour, cela n’en fait que 205 de plus que le total des scores des listes EELV, LREM et DVG présentes au premier tour, contre 6 470 de plus pour le candidat frontiste. La conquête de Perpignan est ainsi symbolique à plus d’un titre : le front républicain n’empêche plus la victoire dans une ville de 100 000 habitants mais, dans le même temps, elle ne saurait cacher l’échec de la stratégie d’« inondation » espérée par la direction nationale du parti. 

Le parti de la start-up nation et le pays des 35 0000 communes : une incompréhension ? 

L’échec de LREM est tout aussi criant, à tout le moins si l’on prend en compte les objectifs initiaux affichés. Il est bien loin le temps où la stratégie annoncée par les instances du mouvement visant à soutenir des maires sortants dans une véritable tactique du « coucou » et à n’envoyer au feu que peu de candidatures purement estampillées LREM devait conduire à la constitution d’un maillage territorial permettant de préparer les prochaines sénatoriales et de servir de tête de pont pour les régionales du printemps 2021. 

Il y a d’abord, en miroir inversé des succès d’EELV, les échecs nets des stratégies d’En marche dans l’ensemble des métropoles. À Lille, même si son score est honorable, LREM n’a été à aucun moment dans « le film », pas plus qu’à Dijon, Poitiers, Brest, Rennes, Nantes, etc. À Besançon comme à Strasbourg, les candidats espérant succéder aux maires socialistes ayant soutenu la démarche du président de la République ont été battus. À Lyon, le plus que proche d’Emmanuel Macron Gérard Collomb a non seulement perdu son pari, municipal comme métropolitain, mais également l’investiture de ce mouvement qu’il a en grande partie contribué à créer. À Bordeaux, la greffe Cazenave n’a non seulement pas fonctionné au premier tour, mais n’a pas permis à la droite de conserver cette place forte que fut Bordeaux. À Metz, LREM a disparu dans la dissidence, à Nancy, le soutien de LREM au maire radical sortant n’a pas empêché la gauche de prendre la capitale lorraine pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale. Quant à Paris, pourtant place forte aux dernières élections législatives et européennes du parti présidentiel, la défaite a tourné à la bérézina. Jamais la candidate Agnès Buzyn n’est parvenue à apparaître comme une alternative crédible à l’opposition Hidalgo-Dati. Si la maire de Paris ne parvint finalement ni à reconquérir le 9e arrondissement perdu par la gauche en 2014, ni à prendre le 5e arrondissement, les excellents scores réalisés dans les autres arrondissements lui permirent de dépasser les 100 conseillers de Paris ! La carte politique des arrondissements aura donc connu deux modifications par rapport à 2014. Après la fusion des quatre premiers arrondissements en un seul secteur électoral, celui-ci étant conquis par la gauche, LR perd un maire d’arrondissement dans le 1er arrondissement, et perd également le 9e arrondissement au profit de LREM. Anne Hidalgo progresse un peu et LR recule de deux arrondissements. Au final, LR résiste bien, LREM s’effondre et le Parti socialiste et ses alliés progressent uniquement à la faveur d’une modification de la carte électorale. La carte politique parisienne depuis 2001 est d’une permanence impressionnante. Le 5e toujours convoité et espéré par la gauche reste toujours à droite. Le 9e n’aura été de gauche que grâce au socialiste Jacques Bravo entre 2001 et 2014 et le Parti socialiste n’a pas encore trouvé son remplaçant. 

La liste des déceptions, voire des déroutes, de LREM est longue. Toutefois, elle ne saurait faire oublier que bien des maires sortants, de droite et de gauche, furent élus dès le premier tour avec sur leur liste des candidates et candidats issus de LREM. De même qu’in fine, le nombre de municipalités dirigées par des maires appartenant au « bloc présidentiel et gouvernemental » (LREM-MoDem-Agir) n’est somme toute pas si ridicule : une ville de plus de 100 000, 4 au-dessus de 50 000, 6 au-dessus de 30 000 et 41 au-dessus de 10 000. L’enjeu de la réorganisation partidaire de la majorité présidentielle, avec le dépassement de ce non-parti qu’est LREM, apparaît ici d’autant plus crucial. Il est aussi à noter un phénomène qui en termes de nombre de maires impacte principalement LR, le Parti socialiste et l’UDI : l’augmentation des maires élus avec les étiquettes DVD ou DVG qui cachent souvent le fait que dans des listes composites le maire élu est soit LR, soit Parti socialiste, soit UDI. Il faut donc avoir conscience que le tassement de ces trois partis est moins important qu’on ne pourrait le croire à la seule lecture des chiffres. Cette augmentation sensible de maires élus sous les étiquettes DVG et DVD est également l’un des symptômes de cet affaissement de l’emprise des structures partisanes sur les vies politiques locales.

 

 

Il faut également relever une progression très forte des maires divers ou sans étiquette qui représentaient 3,47% en 2014 et pèsent, en 2020, 7,81% des maires des villes de plus de 10 000 habitants. Maintes situations locales peuvent expliciter cette étiquette qui permet parfois à des listes DVD et DVG de se retrouver au second tour pour affronter une liste clairement « de droite » ou « de gauche » au second tour.

Si, comme nous l’avons montré, le résultat global des élections municipales est bien plus empreint de contradictions et de paradoxes qu’au premier regard, il n’en demeure pas moins que les partis de l’ancien monde ont confirmé leur résistance, appuyés qu’ils sont sur des élus locaux bien implantés ayant rarement mis en avant leur appartenance partisane ; que la poussée électorale de « l’idée écologiste » a profité dans les villes-centres aux listes conduites par EELV (et plus encore en cas d’union) ; que l’échec est plus ou moins patent pour les candidats de LREM, du RN et de LFI. Demeure un élément à suivre dans les prochains jours avec beaucoup d’attention : la mise en place des structures communautaires et métropolitaines, notamment mais pas uniquement loin de là, dans celles où les Verts sont parvenus à conquérir la ville-centre, tant ces structures disposent des compétences et des moyens financiers au cœur des politiques publiques fondamentales pour EELV.

Tout ceci pourrait alors laisser supposer la revivification du clivage « gauche-droite » et des candidatures s’en réclamant. Si, c’est une évidence, les enquêtes d’opinion sur la prochaine présidentielle n’ont rien de prédictif et que les candidatures testées constituent à l’évidence un biais certain, il n’en demeure pas moins que la concomitance de deux de ces enquêtes avant et après le second tour des municipales ne peut que laisser songeur. Ainsi, les trois partis clairement perdants ou, au mieux, « non gagnants » de cette séquence électorale rassembleraient entre 65% et 70% des intentions de vote. Ce qui attire l’attention ici, c’est bien les performances accordées au président de la République sortant (entre 26% et 31%), à Marine Le Pen (entre 26% et 28%), ainsi qu’à Jean-Luc Mélenchon (entre 11% et 13%). Comme si, au final, la scène politique nationale née à l’occasion de la dernière élection présidentielle perdurait en dépit de la bonne tenue des organisations politiques, étrillées lors de cette dernière, à l’occasion des municipales de mars et juin dernier . 

Plus encore pour le candidat putatif Emmanuel Macron, 76% de ses électeurs de 2017 choisiraient de nouveau de lui faire confiance lorsque 17% des électeurs de Benoît Hamon voteraient pour lui et, surtout, 29% de ceux de François Fillon (ce qui en fait tout de même beaucoup plus sur une base de 20% contre moins de 7%) envisageraient de faire de même. Seuls 9% des électeurs du président de la République mettraient un bulletin de vote « Jadot » dans les urnes. Non seulement la base électorale du président de la République semble, à ce stade, tenir, mais, plus encore, sa stratégie d’élargissement paraît pour le moment fonctionner. À tout le moins pour le premier tour. La polarisation entre le RN et LREM qui a totalement disparu lors de ces dernières municipales semblerait ainsi être, encore une fois à ce stade, assurée sur le plan national, confirmant les dernières élections européennes. 

La bataille sur le contenu des nouveaux clivages devant structurer la vie politique n’est donc pas derrière nous, mais bien à l’inverse devant. Ce qui peut conduire, à l’évidence, à des conclusions révolutionnaires. Car, si dans le cadre d’un clivage « gauche-droite », chaque camp a relativement fait sienne la règle de l’alternance, c’est évidemment loin d’être le cas dans le cadre d’un clivage « ouverture-fermeture » ou même « élite-peuple ». Tout laisse à croire, avec la concomitance de la tenue de ces élections municipales marquées par une relative mais bien réelle poussée des gauches et des sondages d’intention de vote pour la prochaine présidentielle, que le parallélisme des vies politiques nationale et locale, marque de fabrique de la vie politique depuis les années 1970 sous l’impulsion du Parti socialiste de François Mitterrand, ait vécu. Au moins à ce stade. Ce phénomène, fruit d’une volonté d’imposer la ligne d’« union de la gauche » du sommet à la base, a cristallisé la scène politique nationale en imposant partout le clivage « gauche-droite ». Avec l’affaissement de la portée structurante de celui-ci, la question est aujourd’hui de savoir si cette déconnexion sera durable ou si ce clivage trouvera à se revivifier dans l’idée de la « social-écologie », ou bien s’il se verra substitué un clivage « ouverture-fermeture » (qui a pu en partie fonctionner lors de la dernière présidentielle), ou un clivage autour de la question écologique (à la mode Jadot et non Bayou). Mais dans cet entre-deux, c’est bien la déconnexion des scènes politiques nationale et locales qui semble l’emporter.

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