Pour diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050, comme la France l’a prévu dans la loi de transition énergétique pour une croissance verte (LTECV), il faut sortir du tout pétrole dans les transports. Car ceux-ci représentent quelque 27% de nos émissions. La Note que nous avons publiée, suite à l’audition d’une dizaine d’experts, fait une série de propositions allant dans ce sens.
Accélérer les mutations technologiques
Un premier axe consiste sans doute à accélérer les mutations technologiques dans les motorisations et les énergies de traction. A cet égard des nombreuses voies sont explorées par les constructeurs sans qu’aucune aujourd’hui ne s’impose:
- la voiture à essence 2l/100 est certes, dès aujourd’hui, parfaitement faisable mais pour diminuer ainsi les consommations elle devra rester frustre et ne se vendra guère,
- l’hybridation des moteurs est essentielle pour gagner en consommation spécifique mais coûte cher et, si l’on veut offrir une vraie autonomie en motorisation électrique avec batteries rechargeables, cela impose une double chaine de traction ce qui est coûteux,
- le véhicule tout électrique se heurte à l’insuffisante autonomie pour un poids de batteries raisonnable ; c’est une solution adaptée aux trajets journaliers pendulaires et suppose que l’utilisateur dispose d’un point de recharge privatif à son lieu habituel de parking; c’est à cela qu’il convient de faire porter l’effort. Mais ce ne peut être la voiture familiale pour partir en vacances sur des trajets longs et mieux vaudrait consacrer l’argent public à favoriser l’équipement en bornes de recharges de proximité, plutôt que le long des routes ou des autoroutes,
- la pile à combustible hydrogène, alimentant une chaine de traction électrique, offre une perspective séduisante avec 500 km d’autonomie, … à condition de pouvoir produire l’hydrogène dans des conditions économiques et, de préférence par électrolyse pour ne pas émettre de CO²,
- les biocarburants de 2ème génération, voire le gaz (GNV, GNL, GPL) en particulier pour les bus, les camions, les véhicules de livraison offrent une alternative, moins émettrice de CO² et surtout de particules que l’essence ou le diesel.
- Toutes ces mutations doivent être soutenues et le marché arbitrera. Reste qu’elles n’auront d’effets significatifs qu’à terme car elles ne se concrétiseront qu’au rythme de renouvellement du parc existant, ce qui demande une vingtaine d’années. Les gestionnaires de flotte ont aussi un grand rôle pour accompagner les mutations tels la RATP qui prévoit d’équiper son parc de bus à 80% en électrique d’ici 2025.
Il revient aux pouvoirs publics de durcir les réglementations, notamment sur les véhicules autorisés car, outre la réduction des émissions de GES, se pose avec acuité le problème des émissions de particules nuisibles à la santé. Une mention spéciale doit aussi être portée aux dispositions fiscales concernant les véhicules de sociétés, en réalité avantage en nature offert aux cadres dirigeants, qui encouragent l’usage de limousines fort peu écologiques …
La solution passe par le numérique
Une autre voie apparait depuis peu : la numérisation des données, le dialogue interactif, la robotisation permettent d’obtenir des effets beaucoup plus significatifs à court terme.
A parc automobile donné, le simple fait de passer de 1,2 à 2 passagers par véhicule permet de gagner une quarantaine d’années de progrès technologiques en termes de réduction des émissions par les moteurs.
Il en est ainsi, par exemple, de BlaBlaCar qui permet d’éviter la consommation de 500 000 tonnes de carburant et l’émission d’un million de tonnes de CO2 grâce à un taux de remplissage moyen de 2,8 personnes par voiture pour des trajets de longue distance. En revanche le business model reste à créer en zone péri-urbaine, pour des trajets de courte distance, quotidiens et à horaires contraints, à fréquence régulière, à déplacement unitaire où l’auto-partage ne représente qu’une faible économie de coût.
Un nouveau type d’usage se développe par ce qu’on appelle la « voiture servicielle » dont l’usager n’est pas propriétaire mais n’achète que le service ; l’exemple le plus spectaculaire est celui d’Autolib avec ses Blue Cars dont l’usage se prête bien à la motorisation électrique et à l’accompagnement en services numériques.
Ce sont également les potentialités de robotisation des transports publics ferroviaires qui permettent de progresser en régularité, en cadencement, en capacité. Dans un contexte de ressources rares en financements publics, l’objectif devrait être de prioriser l’optimisation et la robotisation du réseau existant davantage que la construction d’infrastructures nouvelles comme le Grand Paris Express (GPE) ou de nouvelles lignes ferroviaires à grande vitesse.
Ce sont enfin les progrès de connectivité dans les transports publics où le temps passé n’est plus un temps « perdu » mais devient actif et concurrence avantageusement la conduite individuelle.
Bref le numérique appliqué à la mobilité a trois effets :
- Une diminution des émissions de GES, grâce à des moyens applicables aux véhicules actuels non connectés par de nouveaux modèles d’utilisation,
- Un regain d’attractivité des véhicules connectés où la vitesse prend moins d’importance ; elle peut être réduite autorisant des économies d’énergie et d’émission de GES.
- La tension entre les échelles de temps : 10 ans d’effort pour penser améliorer le réseau ferré en Île-de-France / quelques mois pour lancer BlaBlaCar.
Accélérer les mutations sociétales
La troisième voie consiste à accélérer les mutations sociétales qui permettent de diminuer les mobilités contraintes au profit des mobilités choisies.
Il en est ainsi du télétravail ou travail mobile, aujourd’hui facilité par la numérisation de l’économie et le haut-débit, grâce auxquels l’employé n’est plus contraint de se trouver tous les jours de la semaine sur le lieu de son employeur : dans bien des cas, il pourrait substituer à ses trajets journaliers domicile-travail un seul trajet hebdomadaire ou simplement occasionnel et travailler le reste du temps à distance par Internet; quant à ses horaires de déplacements, ils peuvent être beaucoup plus souples et s’étaler en dehors des pointes du matin et du soir.
Le e-commerce permet aussi de substituer, aux multiples déplacements individuels vers des grandes surfaces en périphérie urbaine, des livraisons par véhicules professionnels. La question est alors celle de l’organisation logistique qu’il faut alors optimiser : il convient de rapprocher les plateformes, actuellement rejetées en grande périphérie, de leurs zones de chalandises pour pouvoir utiliser sur le « dernier km » des véhicules zéro-émissions ; la géolocalisation en continue des colis permet aussi d’optimiser les circuits de livraison et, dans les cas de BtoC, le client final peut choisir de faire déposer son colis dans un lieu dédié proche de son domicile.
En outre, avec Internet, l’espace public urbain s’est élargi bien davantage que la seule ville agglomérée. L’aménagement du territoire et l’urbanisme doivent en traiter ; ils peuvent contribuer à modeler une organisation de l’espace qui réduise les mobilités contraintes et favorise l’efficacité énergétique des transports.
Dans ce nouveau contexte émergent, le rôle des Autorités Organisatrices de la Mobilité Durable (AOMD) est essentiel. Elles rassemblent aujourd’hui, au niveau d’une agglomération ou d’une région, les compétences de transport public, de stationnement, de péage urbain, de circulation, ainsi que l’organisation des services de mobilité complémentaires aux transports publics (auto-partage, vélo, taxis,…). Il revient aux élus des agglomérations et des régions de les prendre en main pour exploiter en synergie ces multiples vecteurs de mobilité complémentaires, tant pour accélérer et accompagner les progrès technologiques sur les motorisations que le passage à des énergies alternatives non carbonées, que pour l’organisation des nouvelles mobilités durables.
La récente loi de transition énergétique pour une croissance verte (LTECV), dans son chapitre « Développer les transports propres pour améliorer la qualité de l’air et protéger la santé», a ouvert de nombreuses pistes originales et progessistes : compétences des AOMD pour organiser l’auto-partage, attribution d’un signe distinctif aux véhicules affectés à cette activité, aménagement de parkings d’auto-partage sur le domaine autoroutier, conditions privilégiées de stationnement et de circulation aux véhicules à faibles émissions, multiplication des points de recharge, non seulement dans l’espace public mais aussi, ce qui semble plus pertinent, sur des emplacement privés, etc.
Mais cette loi pêche par ses carences en matière d’approches plus structurelles sur la dissociation lieu de travail – lieu d’emploi, la logistique urbaine (dont il est vain d’en attribuer l’organisation aux AOMD qui n’en ont pas les compétences, s’agissant d’opérateurs privés), d’urbanisme sur la ville élargie ; elle pêche aussi par sa naïveté concernant le transfert vers le rail du transport routier de marchandises.