Le 8 novembre prochain, les Américains sont appelés aux urnes pour les élections de mi-mandat. Ce scrutin complexe se déroule en réalité sur plusieurs semaines, dans un contexte de vives tensions entre démocrates et républicains et alors que le système électoral américain est fondamentalement différent du système français. Steve Cron, président du club des démocrates de Pacific Palisades (Los Angeles), nous éclaire sur les activités du Parti démocrate au niveau local et sur le vote du 8 novembre qui regroupe des élections à de nombreuses fonctions municipales, nationales et un vote « référendaire » sur des sujets variés.
Il est interrogé par Vincent Robin et Caroline Werkoff dans le cadre des travaux de l’Observatoire de l’Amérique du Nord de la Fondation.
Comment s’organise et travaille le club démocrate que vous présidez ?
Il y a des clubs comme le nôtre à travers tout le pays. À Pacific Palisades, notre organisation comprend 700 membres environ, ce qui est relativement important. Quiconque se reconnaissant dans les valeurs démocrates peut nous rejoindre contre une cotisation annuelle de 25 dollars. Notre conseil de 32 membres élus se réunit une fois par mois, et le club en son ensemble une fois par an pour soumettre des questions au vote ou recevoir des élus locaux ou nationaux. Lors des réunions mensuelles, le conseil examine une par une les recommandations faites par notre pod, groupe de recherche sur les candidats et les propositions (mesures soumises à référendum local, voir ci-dessous).
Pour qu’une proposition soit soutenue par le club, il faut une proportion de 60%, ce qui explique que le club ne donne pas toujours de consigne de vote à ses membres sur certaines propositions. 80% du temps, le comité suit les recommandations du groupe de recherche. Parfois, aucune position n’est adoptée car il y a trop d’opposition au sein de la direction.
Pourquoi est-ce que le club ou les citoyens voteraient non à des propositions qui, comme la proposition 27 (Legalize Sports Betting and Revenue for Homelessness Prevention Fund Initiative) ou la 29 (Dialysis Clinic Requirements Initiative) par exemple, paraissent aller dans le sens des valeurs du parti démocrate ou, plus largement, de l’intérêt général ?
Les propositions sont des textes qui n’ont pas, pour une raison ou une autre, été votés au niveau des assemblées californiennes élues et qui sont alors soumis à référendum au moment des élections législatives et locales à l’initiative de groupes de citoyens soucieux de régler un problème. Parfois, la situation est plus cynique : des groupes de pression ou des corporations s’organisent pour faire voter des textes contribuant plus ou moins directement à leurs profits. En ce qui concerne la proposition 27, le but affiché est de financer la lutte contre le sans-abrisme, un problème majeur à Los Angeles, en utilisant les profits des jeux de hasard. En réalité, cette proposition permettrait d’asseoir la situation de monopole de certaines entreprises de ce secteur qui deviendraient des lobbies encore plus puissants, et peu d’argent serait finalement alloué à la lutte contre l’exclusion. De la même façon, la proposition 29 imposerait un docteur dans chaque centre de dialyse alors même qu’il n’y a pas d’étude démontrant des erreurs commises par le personnel technique de ces centres qui nécessiteraient cette présence. Le conseil a estimé que cette proposition servirait davantage les intérêts du lobby des médecins que l’intérêt des patients. En effet, l’absence de docteur dans certains centres entraînerait leur fermeture. Par ailleurs, l’intitulé des propositions est souvent trompeur. Par exemple, il y a environ vingt ans, Occidental Oil a mis au vote une proposition appelée Clean Energy Bill dont le but pour eux était de pouvoir installer une plateforme pétrolière sur le littoral. Des citoyens se sont mobilisés pour mettre en place une proposition alternative, mais leur message était nécessairement brouillé car ils incitaient les gens à voter « non » au Clean Energy Bill, ce qui paraissait paradoxal. Tout l’objet de notre travail, au club, est de permettre à nos membres et aux citoyens de prendre une décision informée quant au vote en démêlant le vrai du faux.
En France, cela fait des années que différents groupes et citoyens demandent davantage de référendums, y compris d’initiative populaire. De votre point de vue, quels sont les avantages et inconvénients de ces scrutins pour la démocratie ?
L’avantage indéniable est que, quand tout se passe bien, ce processus permet aux « petits » citoyens de faire voter une loi qui les aide, eux et l’intérêt général, mais que les représentants politiques n’ont pas voulu ou pas pu voter. Ils s’organisent, font campagne et obtiennent un vote. L’inconvénient, c’est que des groupes d’intérêt ont compris qu’ils pouvaient faire voter des lois les aidant à maximiser leurs profits en facilitant leurs activités ou en se débarrassant de certaines de leurs obligations légales. On peut ainsi imaginer que les entreprises soucieuses d’économiser puissent soutenir un projet appelé Citizens for Clean Water prévoyant que ce soit non plus ces entreprises, mais les autorités, qui procèdent à la purification des eaux qu’elles ont polluées. Le nom de la proposition est attractif mais son but ultime ne l’est pas de notre point de vue.
Outre le vote sur les propositions, pouvez-vous rappeler les différents scrutins qui se tiennent ce mois-ci ?
Cette année, les Américains ne votent pas pour le président, mais tous les deux ans ils sont appelés à choisir leurs représentants : cette année, les Californiens choisissent leur gouverneur (élu tous les quatre ans), leurs députés à la chambre des représentants de l’État et au Congrès, leurs sénateurs au niveau de l’État et un de leurs deux sénateurs siégeant au Congrès. Les habitants de Los Angeles voteront aussi pour les postes dépendant du comté (superviseurs, sheriff, juges, assesseurs) et de la ville (maire, conseil municipal, contrôleur, procureur, membres du conseil d’administration des universités publiques municipales). Par conséquent, un bulletin de vote comprend six à huit pages, avec des cases à cocher. Aujourd’hui, les citoyens peuvent voter en avance dans certains centres agréés, par correspondance les vingt-neuf jours précédant le vote ou bien en personne le jour J. Un bulletin compte, même si le votant n’a pas coché de case sur certains scrutins. Voter sur autant de sujets différents en une fois peut s’avérer décourageant, donc on peut se demander si cela favorise réellement la démocratie locale.
Los Angeles a des préoccupations spécifiques tels que la sécheresse ou les SDF. Selon vous, dans quelle mesure est-ce que ces sujets inciteront les habitants de Los Angeles à voter pour tel ou tel candidat ?
Si on part du principe que la sécheresse est un problème lié au réchauffement climatique, comme les inondations dans l’Est ou les tornades dans le Midwest, alors ce sujet n’influencera pas vraiment les votants dans le sens où leur opinion est souvent déjà formée. Un partisan de Trump pensera souvent que le réchauffement climatique n’existe pas, ou considérera que lutter contre ce fléau est trop onéreux et freinera l’économie.
S’agissant du sans-abrisme, il faut rappeler que le problème est structurel à Los Angeles car le climat est clément et attire donc des marginaux des villes du nord et de l’est des États-Unis, et parce que la ville est connue pour sa tolérance envers les sans-abris. La crise sanitaire a encore aggravé une situation déjà critique. Les candidats au conseil municipal pour le district 11 (dont dépend Pacific Palisades) ont chacun proposé des mesures pour lutter contre le problème, l’un mettant en avant l’interdiction de camper devant les écoles par exemple, l’autre la recherche de solutions de logement. Nous n’avons pas trouvé de consensus sur ce sujet pour recommander à nos membres de voter pour un candidat en particulier. Nous n’avons pas non plus émis de recommandation concernant la proposition d’une taxe de 5% sur les ventes de propriétés au-dessus des 5 millions de dollars (proposition ULA Tax on $5 million house sales initiative) car la question divise nos membres.
Comment le club des démocrates a-t-il fondé son choix de soutenir Karen Bass pour l’élection du maire plutôt que Rick Caruso ?
Je ne peux pas parler pour tout le monde, mais notre raisonnement fut le suivant. Karen Bass a eu une longue carrière en politique, au niveau de l’État – elle a été la première femme à présider la Chambre des Représentants de Californie – elle siège au Congrès depuis un an, elle a voté en faveur de plusieurs projets de loi cohérents avec les buts du Parti démocrate. Nous avons donc tendance à lui faire davantage confiance qu’à Rick Caruso, un magnat de l’immobilier qui n’est affilié démocrate que depuis six mois après avoir été républicain pendant des années, et qui n’a pas vraiment démontré qu’il défendait nos valeurs. En tout cas, nous ne savons pas ce qu’il entend faire, et il est soutenu par beaucoup d’intérêts financiers, dont nous craignons qu’ils ne comptent finalement plus pour lui que les besoins des citoyens.
Au niveau national, quel serait l’impact d’une majorité républicaine à la Chambre des Représentants ?
Plusieurs conséquences. Le comité d’enquête sur le 6 janvier serait suspendu immédiatement. J’imagine que les républicains lanceraient une procédure de destitution à l’encontre de Joe Biden pour des motifs vaseux liés à l’inflation. Ils réduiraient les mesures de protection de l’environnement et tenteraient de limiter la portée du plan d’infrastructures porté par le président en début de mandat. Si les républicains emportaient aussi la majorité au Sénat et qu’une opportunité de nommer un nouveau juge à la Cour suprême se présentait, ils joueraient la montre pour empêcher Biden de nommer quiconque en espérant un président républicain en 2024. Ils pourraient tenter d’introduire une interdiction nationale de l’avortement. Biden pourrait lui tenter d’introduire des mesures de protection de ce droit. Dans les deux cas, il est peu probable que cela aboutisse car l’équilibre des pouvoirs ferait que le bras de fer entre le président et le Congrès se terminerait comme par le passé en statu quo.
Portez-vous personnellement un regard optimiste sur l’avenir de la démocratie américaine ?
Je suis très inquiet. Avant 2020, aucune élection n’avait été remise en cause à ce point. Certains candidats malheureux avaient mis en doute la validité de certains scrutins devant les tribunaux – ce qui est leur droit quand le doute est permis – mais en tout cas ils acceptaient la décision de justice qui s’ensuivait. Al Gore avait reconnu sa défaite (pourtant douteuse) face à George W. Bush et Hillary Clinton s’est inclinée malgré près de trois millions de voix supplémentaires au vote populaire, car c’est la règle du jeu. Donald Trump, lui, a mené des recours devant des dizaines de tribunaux, et n’en a pas gagné un seul. Il a donc ensuite empoisonné l’esprit des citoyens en répétant que les élections avaient été truquées, ce qui a conduit comme on le sait à l’attaque du Capitole par ses partisans, et surtout à diminuer la confiance de beaucoup d’Américains dans le processus démocratique. Certaines personnes qui ont nié la validité des élections de 2020 se présentent aujourd’hui (sous les couleurs républicaines) au poste de secrétaire d’État dans plusieurs États, alors même que c’est la personne à ce poste et son équipe qui examinent la validité des élections.
Je garde néanmoins l’espoir que les citoyens de bon sens ont vu que Trump – et le Parti républicain d’ailleurs – soutenaient des fanatiques d’extrême droite depuis des années, et qu’ils voteront donc pour des personnes plus raisonnables et soucieuses du bien-être de notre démocratie. En tout cas, l’élection d’une majorité républicaine au Congrès le mois prochain enverrait le signal indéniable que Trump ou quelqu’un d’aussi dangereux que lui aurait de bonnes chances de l’emporter en 2024, et je trouve cela vraiment effrayant de se dire que, plus de deux cents ans après sa fondation, la démocratie américaine puisse être menacée par des fanatiques d’extrême droite.