Le vice-président de la Fondation Jean-Jaurès Gérard Lindeperg, ancien numéro 2 du Parti socialiste et coordinateur national du courant rocardien, revient sur la personnalité de Michel Rocard.
Beaucoup d’émotion et de tristesse à l’annonce de la disparition de Michel Rocard. Lors de ma dernière rencontre il y a quelques semaines, j’avais observé l’atteinte du mal qui l’affaiblissait physiquement et qui contrastait avec la vivacité d’une intelligence toujours en éveil.
J’ai milité avec Rocard depuis 1960, date à laquelle nous avons fondé le PSU, et tout au long de ces années qui dépassent le demi-siècle, il n’a jamais déçu ceux qui l’ont suivi dans ses multiples combats.
Michel Rocard était à la fois attaché à l’histoire du socialisme et partisan de sa modernisation pour l’adapter aux mutations du monde. C’était un intellectuel qui aimait le débat d’idées et en même temps un homme politique qui avait la préoccupation des réalisations concrètes comme il a su le faire en inventant le RMI ou en créant la CSG qui permet aujourd’hui de financer notre protection sociale.
Son combat contre les archaïsmes de la gauche française n’a pas toujours été compris par le Parti socialiste ; sous prétexte qu’il voulait « parler vrai » en refusant les promesses que l’on ne peut pas tenir, on a parfois voulu en faire un socialiste tiède alors que c’était un homme de gauche beaucoup plus authentique que la plupart de ses critiques.
Homme de conviction, Michel Rocard était éloigné de tout sectarisme et il a su dépasser les barrières partisanes lorsque l’intérêt de la France était en jeu. Humaniste et homme de dialogue, il a su nouer des contacts fructueux avec la société civile à travers les syndicats, les mutuelles, le monde associatif et coopératif. Partisan du compromis, il a réussi là où tous les autres avaient échoué en établissant une paix durable en Nouvelle Calédonie.
Au fil du temps et des événements, les faits ont tranché les débats des années 1980 en faveur des idées de Michel Rocard… mais que de temps perdu et d’occasions manquées ! Parmi les nombreux écrits des leaders socialistes qui ont succédé à Jaurès et Blum, ceux de Rocard sont sans doute ceux qui nous seront les plus utiles pour agir et préparer l’avenir.
J’ai rencontré Rocard pour la première fois dans la banlieue lyonnaise à l’occasion d’un stage de formation qu’il animait sous le pseudonyme de Georges Servet… pour ne pas trahir le jeune inspecteur des finances qui sortait de l’ENA. Il arpentait la salle en tous sens dans un nuage de fumée provoqué par les gauloises qu’il fumait l’une après l’autre ; nous étions subjugués par son intelligence et la nouveauté de son discours qui traçait les perspectives d’une nouvelle gauche. Depuis lors, je n’ai jamais vu vieillir Rocard qui est resté le même agitateur d’idées, mais aussi un homme simple et amical, proche des militants.
Rocard a donné par sa rigueur morale toutes ses lettres de noblesse à la politique. Ce fut pour moi un plaisir et un honneur de travailler à ses côtés.