Alors que la situation sanitaire demeure compliquée au Mexique, Humberto Morales, professeur à l’université de Puebla, décrypte les enjeux des différents scrutins organisés le 6 juin prochain, et notamment les élections législatives.
Cette année, le Mexique va aux urnes le 6 juin prochain pour élire 15 gouverneurs d’État (le Mexique est une république fédéralisée) et 21 000 élus populaires. À la Chambre des députés, 300 sièges seront issus du scrutin majoritaire et 200 élus en proportion des résultats de chaque parti et coalition politiques. De façon simultanée dans plusieurs États fédéraux, il y aura un renouvellement des Congrès locaux de députés et celui des élus municipaux (dont ceux de la ville de Mexico).
Le MORENA (Mouvement de régénération nationale), le parti politique au pouvoir depuis décembre 2018 – et l’élection d’Andrés Manuel López Obrador (AMLO) à la présidence de la République –, arrive à cette élection dans des conditions plus disputées qu’il y a trois ans par les forces politiques traditionnelles, celles de l’ancien parti historique (le PRI, Parti révolutionnaire institutionnel) en alliance « contre-nature » avec le parti de la droite mexicaine (le PAN, Parti action nationale) et d’autres forces comme le PRD (Parti de la révolution démocratique) dont est issu le MORENA, suite à une scission à l’initiative d’Andrés Manuel López Obrador, « El peje ». Cette fois-ci, le charisme d’AMLO sera absent de la campagne. Il ne figure pas dans la publicité électorale et il est sujet à une usure politique, conséquence de l’exercice du pouvoir depuis presque deux ans et demi. Mais le président a besoin de conserver la majorité absolue à la Chambre des députés pour faire adopter des réformes constitutionnelles de grande envergure pour les trois dernières années de sa gestion, afin de consolider ce qu’il a défini, selon son slogan politique, comme « le vrai changement ».
Les 15 candidatures en jeu pour l’élection des gouverneurs d’État sont des positions clés pour accroître le contrôle politique et économique du pays par le pouvoir actuel. Les sondages réalisés à ce jour montrent que le MORENA a la possibilité de conquérir 7 ou 8 États fédéraux sur les 15 en concurrence – les données lui accordent l’avantage au Guerrero, en Basse-Californie, au Sinaloa et à Sonora. Le PRI resterait, avec ses positions acquises, la force régionale majoritaire avec 12 États fédéraux.
Tous les instituts de sondages sont d’accord pour dire que le MORENA et ses alliés (le Parti du travail, PT, et le Parti vert écologiste du Mexique, PVEM) pourraient avoir une majorité absolue au Congrès (50%, + 1) en bénéficiant de la popularité d’AMLO qui reste encore d’environ 60%, l’une des plus remarquables au niveau mondial. Le MORENA recueillerait 43% des suffrages pour les élections fédérales des députés, l’alliance PRI et PAN obtiendrait 18% environ, et PVEM et PT, alliés de MORENA, 4% et 3,5%. Parmi toutes les combinaisons possibles, celle dans laquelle le MORENA n’aurait pas la majorité absolue se traduirait par la mise en place de négociations entre le parti au pouvoir, ses alliés, et avec l’opposition. Une condition nécessaire à AMLO pour mener à bien ses projets.
L’activité centrale de la Chambre des députés est l’approbation annuelle des budgets. Ces trois dernières années, le MORENA, avec sa majorité absolue, a réussi à redistribuer l’argent public conformément aux engagements du président : qu’il s’agisse de projets d’infrastructure (tels que le Train Maya, l’aéroport Felipe Ángeles et la raffinerie Dos Bocas), des programmes sociaux et du renforcement des forces armées. Avec ses alliés du PT et du PVEM, le MORENA peut espérer obtenir 315 sièges contre 175 pour la coalition des oppositions Va por México (PRI-PAN-PRD) et le Movimiento Ciudadano (MC) qui commence à s’affirmer en tant que parti de gauche modéré indépendant, centré actuellement dans l’État de Jalisco.
Ce scénario d’une majorité qualifiée (peu probable mais pas impossible) permettrait au gouvernement de López Obrador de faire approuver des projets tels que la réforme fiscale que le ministère des Finances a déjà anticipée, une éventuelle réforme énergétique, l’élection de nouveaux conseillers de l’Institut national des élections, et, pourquoi pas, une nouvelle Constitution où le grand tabou mexicain hérité de la Révolution de 1910, « Sufragio Efectivo y no Reelección » (la non-réélection du président), pourrait être levé et ainsi changer radicalement le futur des prochaines élections présidentielles au Mexique.