#MeToo en France : le regard des Français sur les affaires les plus médiatisées

De l’affaire Depardieu à la prise de parole de Judith Godrèche et de tant d’autres victimes de violences sexistes et sexuelles (VSS) – connues ou inconnues –, le mouvement #MeToo se poursuit en France. Flora Baumlin, directrice de clientèle, et Chloé Tegny, chargée d’études senior au département Opinion et stratégies d’entreprise de l’Ifop, livrent les enseignements de l’enquête qu’elles ont réalisée pour le magazine Elle pour mesurer l’état de l’opinion publique sur le mouvement #MeToo en France, notamment sur les affaires les plus médiatisées impliquant des hommes de pouvoir. Si la société dans son ensemble a pris conscience de ces réalités et que les attentes sont fortes pour une meilleure prise en charge par la justice de ces affaires, l’enquête montre néanmoins la prégnance de résistances et des différences marquées entre les genres et les positionnements politiques.

Depuis l’émergence du mouvement #MeToo en 2017 aux États-Unis avec les accusations portées contre le producteur de cinéma Harvey Weinstein, des dizaines de plaintes et cas de violences sexistes et sexuelles exercées par des hommes en position de pouvoir dans différents milieux (politique, sportif, médiatique, culturel, artistique…) ont été mis à jour en France. C’est le cas notamment des affaires Patrick Poivre d’Arvor, Gérard Depardieu, Olivier Duhamel, Jean-Marc Morandini, Nicolas Hulot, Luc Besson ou encore Damien Abad. 

En 2018, l’actrice Charlotte Arnould déposait la première plainte contre Gérard Depardieu et, en 2019, Adèle Haenel prenait la parole pour dénoncer les agressions sexuelles du réalisateur Christophe Ruggia. Pourtant, c’est seulement avec les dénonciations récentes de Judith Godrèche contre le réalisateur Benoît Jacquot ainsi que la diffusion de l’émission Complément d’enquête1Damien Fleurette, Daniela Vella et Emmanuel Baert, « Gérard Depardieu : la chute de l’ogre », Complément d’enquête, France 2, 7 décembre 2023. consacrée à Gérard Depardieu qu’émerge en 2024 l’idée d’un #MeToo du cinéma français. 

L’Ifop a réalisé pour le magazine Elle une mesure de l’état de l’opinion publique sur le mouvement #MeToo en France, notamment sur les affaires le plus médiatisées impliquant des hommes de pouvoir. Effectuée du 16 au 19 février 2024 auprès d’un échantillon représentatif de 2056 Français âgés de 18 ans et plus, cette enquête nous livre plusieurs enseignements.    

Elle révèle tout d’abord une empathie très importante des Français envers les femmes qui dénoncent les violences sexistes et sexuelles (VSS) perpétrées par les hommes de pouvoir, ainsi que des attentes fortes d’une prise en charge de ces affaires par la justice. Enfin, elle donne à voir que si la dynamique de conscientisation des violences sexistes et sexuelles touche l’ensemble des Français, l’évolution des mentalités se fait à des rythmes variables avec des différences marquées entre les genres et les positionnement politiques. 

Une empathie forte des Français envers les victimes des violences sexistes et sexuelles perpétrées par des hommes de pouvoir

Si les différents soutiens très médiatiques aux personnalités mises en cause avaient pu laisser penser de prime abord que la société française était divisée voire fracturée sur le sujet (tribune de soutien à Gérard Depardieu2Tribune collective, « «N’effacez pas Gérard Depardieu» : l’appel de 50 personnalités du monde de la culture », Le Figaro, 25 décembre 2023., soutien du président de la République3« Invité : Emmanuel Macron », C à Vous, France 5, 20 décembre 2023.), on constate au contraire une empathie quasi unanime pour les victimes de violences sexistes et sexuelles perpétrées par des hommes de pouvoir. Ainsi, près de huit Français sur dix (79%) disent éprouver de l’empathie pour les femmes qui dénoncent les violences sexuelles infligées par les hommes de pouvoir et 43% sont même tout à fait d’accord avec cette affirmation. 

Par ailleurs, concernant les femmes ayant vécu des relations d’emprise avec un homme adulte lorsqu’elles étaient adolescentes – comme Judith Godrèche avec Benoît Jacquot ou encore Vanessa Springora avec Gabriel Matzneff –, 80% des Français considèrent que leur prise de parole pour raconter leur vécu est un acte courageux et 50% sont même « tout à fait d’accord » avec cette affirmation4Pour rappel, la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste établit un double seuil de non-consentement sexuel pour les personnes mineures de moins de 15 ans, et de 18 ans pour les affaires d’inceste..

Et au-delà de cette empathie, les Français témoignent même d’une réelle prise de conscience de l’impact à long terme des violences sexistes et sexuelles subies, signe d’une forme de maturité sur le sujet, plus de six ans après le début du mouvement #MeToo. Ils sont en effet 82% à considérer que les conséquences (psychiques, professionnelles…) de ces relations pour les jeunes femmes ne sont pas assez reconnues, et 45% sont même « tout à fait d’accord » avec cette affirmation. 

Ce soutien du grand public aux victimes semble marquer un début de libération de l’écoute, dans le sillage d’une libération de la parole. À noter également, ces marques d’empathie, pourtant quasi unanimes, sont encore plus prononcées chez les personnes se déclarant féministes (entre 84% et 89%, soit cinq à dix points de plus que la moyenne des Français) et ce sont les indicateurs sur lesquelles elles se distinguent le plus de la population générale.

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« Je parle mais je ne vous entends pas » : une rupture entre le regard des Français et l’omerta du cinéma

Cette empathie dont font preuve les Français n’est rendue possible que parce que le regard qu’ils portent sur une relation sexuelle entre un homme de plus de 40 ans et une jeune fille mineure est aujourd’hui unanime : 89% des Français trouvent cela choquant, et 70% trouvent même cela « tout à fait choquant ». La page des excès post soixante-huitards, soutenant et valorisant la pédocriminalité sous couvert de libération sexuelle, semble ainsi définitivement tournée pour les Français. 

Pourtant, comme l’explique l’historienne Delphine Chedaleux, certaines pratiques restent monnaie courante dans le milieu du cinéma : « Ces pratiques de prédation, connues de tous, sont euphémisées, voire applaudies comme des marques de transgression. La croyance dans le génie et le pouvoir absolu du créateur est plus forte que la conviction qu’il faut protéger des adolescentes, voire des petites filles5Marine Turchi, « Le cinéma français au cœur de la bataille #MeToo », Mediapart, 8 février 2024..

Le milieu du cinéma semble ainsi particulièrement en retard dans la prise en compte des violences sexistes et sexuelles en son sein : 83% des Français considèrent qu’il devrait les condamner plus fermement et 55% en sont même « tout à fait » convaincus, faisant écho au discours de Judith Godrèche aux César le 23 février dernier, qui déplorait le manque de réaction du monde du cinéma à ses dénonciations6« Le discours engagé et émouvant de Judith Godrèche – César 2024 », Canal +, 23 février 2024.

Et la fracture entre la société et une partie du monde du cinéma se fait plus nette encore. La tribune en soutien à Gérard Depardieu publiée en décembre dernier dans Le Figaro soulignait « lorsqu’on s’en prend à Gérard Depardieu, c’est l’art que l’on attaque »7Ibid., appelant ainsi à excuser les actions de l’homme au nom de la grandeur de l’artiste. Pour autant, les Français ne sont pas de cet avis et dissocient unanimement les actes et la réputation artistique : ils sont seulement 5% à penser que « le talent de Gérard Depardieu peut excuser certains de ses comportements avec les femmes ». 

« Un président ne devrait pas dire ça » : Emmanuel Macron désavoué par les Français pour son soutien à Gérard Depardieu 

« Non, nous ne sommes pas fiers de Gérard Depardieu »8« Affaire Gérard Depardieu : « Non, nous ne sommes pas fiers » de lui, répond François Hollande à Emmanuel Macron », France Info, 21 décembre 2023.. Cette phrase, prononcée par l’ancien président de la République, François Hollande, sur France Inter, vient en riposte aux propos tenus par Emmanuel Macron dans l’émission C à Vous sur France 5 le 20 décembre 20239Ibid.. Ce dernier avait à cette occasion fait valoir la contribution de Gérard Depardieu au rayonnement culturel de la France « dans le monde entier » et dénoncé une « chasse à l’homme »10Ibid.

Interrogés sur cette même formule, seuls 17% des Français sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle « Gérard Depardieu rend fière la France », et 3% sont « tout à fait d’accord ». Dans la même lignée, seuls 15% estiment qu’« Emmanuel Macron a bien fait de soutenir Gérard Depardieu dans une interview », et 4% sont « tout à fait d’accord ».

Au sein même des sympathisants de la majorité présidentielle, les propos du président Macron ne font pas l’unanimité : à peine 20% considèrent que « Gérard Depardieu rend fière la France » dont 1% « tout à fait », et 21% que le président « a bien fait de soutenir Gérard Depardieu dans une interview », dont 4% « tout à fait ». À noter que les plus hauts scores d’adhésion sur ces deux affirmations, bien que largement minoritaires, sont observés auprès des sympathisants de droite. 

De la même manière, les personnes âgées de 65 ans et plus, qui avaient 15 ans ou plus au moment de la sortie du film « Les Valseuses » et qu’on peut imaginer plus marquées par la filmographie de Gérard Depardieu, ne se montrent pas plus en soutien de l’acteur : seule une minorité considère qu’Emmanuel Macron « a bien fait de soutenir Gérard Depardieu » (19%) ou qu’« il rend fière la France » (20%). 

La faiblesse de ces scores démontre que le soutien apporté à l’acteur par le président de la République s’est fait à contre-courant de l’opinion publique, y compris au sein des plus âgés et des sympathisants de la majorité présidentielle. Et cette prise de position a pu sembler d’autant plus incompréhensible qu’elle s’inscrit totalement à rebours du principe d’égalité femmes-hommes pourtant déclarée « grande cause du premier quinquennat » d’Emmanuel Macron, et dont la lutte contre les violences sexistes et sexuelles découle. 

« Violences partout, justice nulle part ? » Les Français en attente d’une prise en charge sérieuse des violences sexistes et sexuelles par la justice française

Face à la multiplication des mises en accusation relatives à ces différentes affaires de violences sexistes et sexuelles perpétrées par des hommes de pouvoir et à la découverte de l’ampleur du sujet, deux tiers des Français jugent actuellement leur prise en charge par la justice française insatisfaisante. Ce score grimpe à 73% auprès des femmes, et jusqu’à 77% chez les femmes de moins de 35 ans, plus conscientisées mais aussi plus concernées par le sujet des violences sexistes et sexuelles au quotidien. 

Si les personnes mises en cause bénéficient légitimement du principe de présomption d’innocence, 88% des Français sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle « les comportements de ces hommes sont totalement inacceptables et doivent être durement sanctionnés », dont une très large majorité (60%) qui sont « tout à fait d’accord ». Loin du « tribunal populaire » décrié par certaines personnalités publiques, ce sont bien les comportements des mis en cause que les Français appellent à sanctionner. 

Au-delà, un Français sur deux semble même soutenir une forme de principe de précaution face aux violences sexistes et sexuelles. Ainsi, selon une enquête menée par OpinionWay pour La Tribune, 50% des Français considèrent que le fait d’interdire à un acteur ou réalisateur accusé d’agression sexuelle ou de viol de travailler avant d’être jugé ou condamné représente un progrès11Pauline Delassus, « MeToo : le 7art face à la sévérité des Français », La Tribune, 18 février 2024.

À la mise en lumière du caractère systémique des violences sexistes et sexuelles, s’ajoute la perception chez les Français d’un important « sentiment d’impunité pour les auteurs de violences sexistes et sexuelles dans les milieux de la culture et du cinéma », partagée par 80% de la population, dont 41% qui sont « tout à fait d’accord ». 

Aujourd’hui en France, moins de 1% des plaintes pour viol ou tentative de viol aboutissent à une condamnation d’après l’Insee. Et le milieu du cinéma semble porter cette impunité au rang d’exception culturelle française, le mythe du génie créateur servant d’alibi à la domination masculine et à la prédation, comme l’explique l’historienne du cinéma Delphine Chedaleux dans un entretien à Mediapart12Ibid..  

Ainsi, le fait d’appartenir à la catégorie des « hommes de pouvoir », mêlant richesse et célébrité, a fortiori dans le milieu du cinéma, participerait d’un sentiment d’une justice à géométrie variable ou d’une plus grande permissivité à l’égard de ces hommes dans les affaires de violences sexistes et sexuelles, déjà peu condamnées dans l’ensemble de la société. Les personnes appartenant aux catégories pauvres (vivant avec moins de 900 euros par mois) sont surreprésentées parmi celles qui mettent en avant l’existence de ce sentiment d’impunité dans les « hautes sphères » (49% sont « tout à fait d’accord » avec cette affirmation, contre 41% en moyenne), ajoutant une dimension de « lutte des classes » dans cette défiance face au pouvoir. 

Après les prises de parole, la persistance d’une forme de doute

En parallèle de la prise de conscience de la gravité des violences sexistes et sexuelles évoquée plus haut, 59% des Français considèrent tout de même que « dans certains cas, il n’y a pas de certitudes que les faits de violences sexuelles aient réellement eu lieu » et 16% se déclarent « tout à fait d’accord » avec cette affirmation. Cette persistance du doute à l’égard de la parole des victimes présumées est particulièrement prégnante dès lors que les accusations impliquent des personnalités publiques et appréciées par les Français. 

Elle s’inscrit également dans une interprétation excessive et une confusion autour du principe de présomption d’innocence, sur laquelle revient le magistrat français Édouard Durand dans Mediapart13Sarah Brethes, « “L’arrêt de la Ciivise est vécu comme une violence, une trahison, un abandon” », Mediapart, 7 février 2024.. Ancien président de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), ce dernier inscrit la lutte contre les violences sexuelles commises contre les enfants dans la lutte plus globale contre les violences sexistes et sexuelles et considère l’interprétation du principe de la présomption d’innocence comme « erronée et abusive » au sein de la société. Elle est, selon lui, aujourd’hui invoquée « pour interdire de nommer ce que nous voyons », alors que ce principe n’a vocation à s’appliquer que dans les tribunaux pour garantir les droits de l’accusé dans le cadre d’un processus institutionnel judiciaire pénal. Pour le juge Durand, la présomption d’innocence ne peut en rien interdire à l’opinion publique de se positionner sur le sujet : « la présomption d’innocence ne suspend pas le regard sur la réalité et le jugement de cette réalité ».

Une conscientisation encore inachevée des mécanismes de la culture du viol 

Pour autant, si l’empathie et l’attente de justice pour les victimes de violences sexistes et sexuelles ont fait leur chemin dans la population française, la compréhension des mécanismes qui rendent possibles les abus de pouvoir et les violences est encore incomplète. Une courte majorité de Français (51%) est d’accord avec l’affirmation « les productions culturelles actuelles (films, séries, livres…) continuent de normaliser ou de valoriser ce type de relations entre des hommes adultes et des adolescentes ». Pourtant les productions culturelles, et au premier rang desquelles le cinéma, contribuent nécessairement à la construction de représentations dominantes et véhiculent encore souvent des stéréotypes sexistes. Comme l’explique Iris Brey, « le cinéma est l’un des endroits où se fabrique la culture du viol et de l’inceste, parce qu’il dépeint majoritairement les agressions sexuelles du point de vue de l’agresseur comme un jeu, ou comme un moment érotique »14Iris Brey, « Affaire Depardieu : “Le cinéma est un des endroits où se fabrique la culture du viol” », Le Monde, 6 janvier 2024..

Ainsi la contribution des productions culturelles à la construction ou au maintien de représentations dominantes qui banalisent ou minimisent le sexisme et les violences sexistes et sexuelles semble encore faire débat, ou du moins n’être pas perçue et comprise par une partie importante de la population française.

Des femmes plus expertes concernant les enjeux des violences sexistes et sexuelles 

À travers cette enquête, si l’ensemble de la population française porte un regard commun sur la condamnation des violences sexistes et sexuelles et s’inscrit dans la même dynamique, des écarts de conscientisation sont visibles à travers plusieurs segments de la population. Comme nous l’observons par ailleurs dans nos enquêtes sur l’égalité femmes-hommes en milieu professionnel, les femmes se montrent systématiquement à la fois plus empathiques avec les victimes dénonçant les violences, plus vigilantes sur le sujet, plus conscientes des mécanismes de la culture du viol et plus exigeantes quant aux réponses attendues de la part de la justice et du milieu du cinéma.

Les jeunes femmes et les jeunes hommes :  vers un grand écart idéologique ? 

Cette enquête révèle également un écart de perception parfois important entre les femmes et les hommes de moins 35 ans, écart que l’on retrouve, dans une bien moindre mesure, entre les hommes et les femmes des autres générations. Ainsi, bien que minoritaires, les jeunes hommes estimant qu’« Emmanuel Macron a bien fait de soutenir Gérard Depardieu dans une interview » ou encore que ce dernier « rend fière la France » sont sensiblement plus nombreux que les jeunes femmes : 20% des jeunes hommes contre 7% des jeunes femmes pour la première affirmation, 27% des jeunes hommes contre 5% des jeunes femmes pour la seconde. 

Plus précisément, c’est dans l’intensité du positionnement face à différentes affirmations que l’on retrouve les écarts les plus importants.

Ces écarts de perception au sein de cette tranche d’âge constituent d’autant plus un paradoxe que les jeunes hommes sont un peu plus nombreux que leurs aînés à se déclarer féministes (57% des hommes de moins de 35 ans contre 49% pour les hommes de 35 à 49 ans et 52% pour les hommes de 50 ans et plus). 

Ils sont également plus nombreux à se satisfaire de la prise en charge de ces affaires par la justice (+16 points vs les jeunes femmes), et moins nombreux à trouver choquantes les relations asymétriques entre un homme de plus de 40 ans et une adolescente (-9 points sur le « tout à fait d’accord »). 

Plus encore, seule une minorité d’entre eux (48%) considèrent que « les productions culturelles actuelles continuent de normaliser ou de valoriser ce type de relations entre des hommes adultes et des adolescentes », contre 64% des jeunes femmes (soit un écart de 16 points entre les deux catégories).

Cette différence de perception tient à la fois d’une mise à distance de ces sujets par les jeunes hommes – qui se sentent bien moins concernés que les femmes par les problématiques de violences sexistes et sexuelles – voire peut-être d’une certaine forme de résistance à l’égard du mouvement #MeToo sous l’influence de figures masculinistes et youtubeurs célèbres, très en vogue au sein de la génération des 18-24 ans, et qui prônent un retour aux valeurs traditionnelles avec une division genrée de la société suivant les principes d’obéissance et de soumission pour les femmes et l’esprit de conquête et de pouvoir pour les hommes15« Rapport annuel 2024 sur l’état des lieux du sexisme en France. S’attaquer aux racines du sexisme », Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 22 janvier 2024.. À plusieurs égards au travers de cette enquête, l’opinion de ces jeunes hommes se rapprochaient fortement de celle des hommes de 50 ans et plus, à tendance plus conservatrice sur ces sujets de société. 

Un certain déficit d’éducation des jeunes hommes sur le sujet par rapport aux jeunes femmes ayant pris le tournant du féminisme constitue également un élément fondamental d’explication de ces écarts d’opinion au sein d’une même tranche d’âge, alors même qu’ils constituent eux aussi le cœur de la génération #MeToo et qu’ils peuvent également être eux-mêmes victimes de violences sexistes et sexuelles, comme l’illustre l’émergence très récente du #MetooGarçons16Adrien Naselli, « #MeTooGarçons, nouvelle étape dans la lutte contre le patriarcat ? », Libération, 4 mars 2024..

Une prise de conscience qui dépasse les clivages partisans, mais des sympathisants de gauche plus en pointe sur le sujet des violences sexistes et sexuelles

D’un point de vue politique, on observe une certaine homogénéité dans la perception qu’ont les sympathisants des différents partis des violences sexistes et sexuelles. Pour autant, les sympathisants de gauche se déclarent plus féministes que les sympathisants de droite (69% contre 58%), et on dénote des écarts dans l’intensité des réponses apportées au sein de l’enquête.

Les sympathisants d’Europe Écologie-Les Verts (EE-LV) sont les plus représentés parmi ceux qui condamnent fermement ces violences et éprouvent de la sympathie à l’égard des victimes présumées, sans doute marqués par le passé du parti avec notamment l’affaire Denis Baupin et la figure emblématique de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au sein de ce parti, Sandrine Rousseau. 

Les sympathisants de la majorité présidentielle et de la droite sont, quant à eux, parmi les plus nombreux à estimer que le président de la République a bien fait de soutenir Gérard Depardieu et qu’« il rend fière la France », bien que les scores restent eux aussi nettement minoritaires. Ils sont également parmi les plus nombreux à estimer que la prise en charge de ces affaires par la justice est satisfaisante : 40% pour les sympathisants du parti Renaissance et 34% auprès des sympathisants des Républicains, contre seulement 21% pour l’ensemble des Français interrogés. Enfin, comme les sympathisants de droite, les soutiens du parti présidentiel se distinguent également par leur plus grande mise en doute de la parole des femmes, avec 70% qui estiment que dans « certains cas il n’y a pas de certitude que les faits de violences sexuelles aient réellement eu lieu », soit 11 points de plus que la moyenne des Français et 20 points de plus que les sympathisants de gauche.  

Enfin, c’est parmi les sympathisants du Rassemblement national (RN) et du parti Reconquête d’Éric Zemmour que l’on trouve les positions les plus conservatrices. 

À noter que les sympathisants du RN, dont le parti s’inscrit dans une logique contestataire à l’égard de l’ordre établi voire antisystème, comptent également parmi les plus nombreux à juger insatisfaisante la prise en charge de ces affaires par la justice française (74% contre 66% des Français dans l’ensemble).

En conclusion : regarder le cinéma au prisme du travail

Judith Godrèche était auditionnée le 29 février dernier par le Sénat et a demandé la mise en place d’une commission d’enquête sur les violences sexuelles dans le cinéma17« Droits des femmes : audition de Judith Godrèche », Délégation aux droits des femmes, Sénat, 29 février 2024., nous rappelant qu’au-delà du glamour et des paillettes, l’industrie du cinéma reste avant tout un secteur d’activité professionnelle. Et si les abus de pouvoir existent dans tous les milieux, analyser les violences qui s’exercent dans le cinéma par ce prisme permet de prendre la mesure de « l’exception culturelle » qui lui est accordée. Pour une grande partie des faits qui ont été dénoncés et médiatisés, ils ont eu lieu dans le cadre du travail, sur des plateaux de tournage notamment, ajoutant à la dimension asymétrique des dynamiques de pouvoir qui s’y exercent : le pouvoir économique et créatif reste aux mains des réalisateurs et des producteurs. La parole se libère, les Français sont à l’écoute, il s’agit à présent d’assurer aux travailleurs et travailleuses de tous les secteurs d’activité un environnement de travail sain et inclusif. 

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