Marchais-Mélenchon : rupture ou continuité ?

Avant le score de Jean-Luc Mélenchon (19,6% des voix au premier tour de cette élection présidentielle), il faut remonter à l’élection présidentielle de 1981 et à Georges Marchais pour trouver un candidat situé à la gauche du Parti socialiste et ayant franchi la barre des 15%. Quelles sont les différences et les continuités de ces deux votes sur le plan géographique ? Analyse avec Jérôme Fourquet et Chloé Morin, pour l’Observatoire de l’opinion.

À l’époque, le candidat du Parti communiste avait obtenu 15,4% des voix. Comme le montre la carte suivante, il avait enregistré ses meilleurs résultats dans quatre grandes régions où l’influence du communisme était alors très importante. Il s’agissait tout d’abord des terres industrielles nordistes, avec les départements du Nord, du Pas-de-Calais, de la Somme et de l’Aisne, auxquelles on peut ajouter les Ardennes, l’Oise et la Seine-Maritime. Second bastion, la ceinture rouge de Paris avec les départements de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Les campagnes rouges du Limousin et des bordures du Massif central constituaient la troisième zone de force de Georges Marchais, avec les départements comme l’Allier, la Haute-Vienne, la Creuse, la Corrèze, la Dordogne et le Cher. Enfin les départements d’un vaste Midi rouge, courant de Perpignan à Marseille, offrirent également de très bons résultats à Georges Marchais. Ce dernier était en revanche à la peine dans toutes les régions catholiques : le Grand-Ouest (à l’exception des Côtes d’Armor), l’Alsace, la Savoie, le sud du Massif central et les Pyrénées-Atlantiques.
 

Le leader de la France insoumise, qui s’est notamment appuyé sur les communistes (même si une partie de l’appareil a rechigné à s’impliquer dans sa campagne), améliore de plus de 4 points le score de Georges Marchais à l’époque : 19,6% contre 15,4%. Par ailleurs, Jean-Luc Mélenchon s’est distancé du Parti communiste, tant dans le contenu idéologique de ses discours que dans ses rapports récents avec l’appareil. Mais la comparaison de la géographie de ces deux votes est intéressante, en ce qu’elle dit des mutations économiques et sociales que la France a connues depuis 1981.

Première observation : si l’étiage est relativement proche, on note que la géographie de ces deux votes diffère assez nettement. Certes, certains fiefs communistes figurent encore parmi les départements ayant placé Jean-Luc Mélenchon le plus haut. C’est le cas de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne, de la Seine-Maritime, ou bien encore de la Haute-Vienne, de la Dordogne, de l’Hérault et des Bouches-du-Rhône. Mais certains bastions manquent à l’appel. À l’inverse, le candidat de La France insoumise obtient des scores significatifs en Loire-Atlantique, où la tradition communiste est pourtant faible. Ces divergences nous amènent à la conclusion que le vote Mélenchon ne saurait être réduit à une réminiscence du communisme.Les écarts entre les niveaux des votes Marchais en 1981 et Mélenchon en 2017 permettent de bien saisir les réalignements sociologiques et politiques ayant affecté le territoire français depuis le début des années 1980. Mais ils permettent aussi de mettre en évidence le principal ingrédient de la dynamique de Jean-Luc Mélenchon lors de cette campagne, à savoir sa capacité à capter toute une partie de l’électorat socialiste – 26% des électeurs Hollande du premier tour de 2012 ont voté pour lui.

On voit ainsi sur la carte ci-dessus qu’il amplifie très fortement le score de Georges Marchais dans tous les départements de l’Ouest de la France : +12 points en Ille-et-Vilaine, +10 points dans le Maine-et-Loire et en Mayenne. C’est le cas également en Alsace (+10 points dans le Bas-Rhin) mais aussi dans le Sud-ouest : Haute-Garonne (+8 points), Pyrénées-Atlantiques (+9 points), Aveyron (+10 points) et Lozère (+11 points). Ce basculement d’un électorat socialiste vers La France insoumise coïncide avec une autre évolution, sur un temps plus long. En effet, la plupart de ces régions (Grand-Ouest, Pyrénées-Atlantiques, sud du Massif central et Alsace) sont des territoires de tradition catholique. Et à mesure qu’au cours des trente dernières années, la pratique religieuse y refluait, la gauche socialiste y était montée en puissance. L’avenir dira si cette mutation va connaître un nouveau stade, avec l’affirmation d’un ancrage de la gauche radicale dans ces terres de tradition catholique.

Dans le même temps, comme mentionné plus haut, on note que Jean-Luc Mélenchon n’est pas parvenu à retrouver l’étiage du vote Marchais de 1981 dans toute une série de bastions historiques du Parti communiste. C’est vrai dans le bloc ouvrier du nord : -4 points dans le Pas-de-Calais et la Somme, -5 points dans l’Aisne. C’est le cas également dans le centre du pays où il s’agissait d’un communisme rural : -3 points dans l’Allier, -2 points en Haute-Vienne par exemple. De la même façon, le niveau d’aujourd’hui est un peu plus faible dans les Bouches-du-Rhône et le Var (-2,5 points), les Alpes-Maritimes (-1 point), la perte étant plus lourde dans le Gard (-3,5 points). Ceci renvoie aux mutations socio-économiques qu’ont connues ces territoires : désindustrialisation et paupérisation dans le nord, déclin de la petite propriété paysanne dans les campagnes rouges du centre de la France et tertiairisation du littoral méditerranéen, qui ont fait disparaître les bases sociales sur lequel le Parti communiste s’appuyait. À l’issue de sa campagne dynamique, Jean-Luc Mélenchon est parvenu à reprendre une partie du terrain perdu mais n’a pas enrayé le processus de déclin du Parti communiste au profit d’une montée du Front national, notamment dans ses bastions historiques du nord et du sud.

 

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