À quinze jours de l’élection présidentielle aux États-Unis, le scrutin s’annonce comme l’un des plus serrés de l’histoire récente du pays. Comment les Américains vivent-ils cette campagne ? Lesquelles de leurs préoccupations seraient les plus susceptibles de peser dans le vote ? Frédéric Micheau, directeur général adjoint et directeur du Pôle opinion d’OpinionWay, analyse les ressorts de l’évolution de l’opinion américaine depuis le début de la campagne.
L’acceptation de la défaite et de ses conséquences, une tradition rompue
Dans l’histoire américaine, Grover Cleveland occupe une place à part : il est le seul président battu au suffrage universel à l’issue de son premier mandat (1884-1888) à avoir été réélu (1892). Il est ainsi à la fois le 22e et le 24e président des États-Unis. Hormis Grover Cleveland, seuls trois anciens présidents ayant quitté la Maison Blanche ont cherché à y revenir : Martin Van Buren en 1840, Millard Fillmore en 1852 et Theodore Roosevelt en 1912. Tous ont été battus.
Depuis plus d’un siècle, tous les présidents sortants ayant échoué lors de leur tentative de réélection ont pris acte du désaveu subi dans les urnes, en concédant leur défaite et en s’abstenant de lancer une nouvelle candidature à l’élection présidentielle. Cette ligne de conduite fut appliquée par Herbert Hoover après 1932, Gerald Ford après 1976, Jimmy Carter après 1980 et George H. Bush après 1992.
Ainsi, dans la vie politique américaine, à la différence de la France, un président battu n’ayant accompli qu’un seul mandat se retire définitivement de la scène de la politique active, même s’il continue à entretenir ses réseaux et à tirer certains fils en coulisse. Il rédige ses Mémoires, fonde une bibliothèque dans son État et n’apparaît en public que lors d’événements destinés à lever des fonds et des conventions de son parti tous les quatre ans.
Lors de la dernière élection présidentielle, Donald Trump a rompu avec cette tradition séculaire. Avec obstination, il a refusé de reconnaître son échec, alors qu’il a été devancé de plus de 7 millions de voix au niveau national et n’a obtenu le soutien que de 232 grands électeurs contre 306 pour son adversaire, Joe Biden. Et il cherche aujourd’hui à renouveler l’exploit de Grover Cleveland.
Comment a-t-il pu s’exonérer de cette règle informelle ? Comment s’est-il relevé d’une défaite nette avant de conquérir l’investiture du Parti républicain pour la troisième fois, un exploit que seul Richard Nixon avait accompli auparavant ? Quelles sont ses chances réelles de revenir à la Maison Blanche ? Comment les Américains perçoivent-ils le duel inattendu qui l’oppose à Kamala Harris ?
L’analyse détaillée des études d’opinion offre des clés de réponse à ces questions, qui permettent de mieux appréhender les contours du scrutin majeur que sera l’élection présidentielle américaine du 5 novembre 2024.
La triple prouesse de Donald Trump
Lorsqu’il quitte le pouvoir en janvier 2021, la carrière politique de Donald Trump semble achevée. Sa cote de popularité est au plus bas (29%)1Sondage Pew Research Center (échantillon de 5360 personnes, 8-12 janvier 2021).. Plus de deux tiers (68%) des Américains estiment qu’il ne devrait pas continuer à être une figure politique nationale majeure. Son rétablissement spectaculaire n’a été possible qu’au prix d’une triple prouesse.
Se relever d’une procédure de destitution
Si Donald Trump est aujourd’hui en mesure de participer à nouveau à l’élection présidentielle, c’est d’abord parce qu’il n’a pas reconnu les résultats du précédent scrutin et a refusé d’admettre sa défaite. Conformément au système de vérité alternative et de fausses nouvelles qu’il dénonce tout en en étant le principal agent, cette stratégie a visé à maintenir l’image de gagnant flamboyant qu’il cherche à projeter depuis les années 1980, d’abord dans les milieux d’affaires, puis en politique.
Dès le soir du scrutin de 2020, il évoque des irrégularités massives commises par le camp démocrate pour le priver d’un second mandat, puis alimente ce récit pendant plusieurs semaines, sans paraître cependant crédible : 62% des Américains considèrent alors qu’il ne se fonde pas sur des preuves solides pour lancer ces accusations de fraude électorale. Et deux tiers de la population estiment qu’il agit de façon « irresponsable »2Sondage ABC News pour Washington Post (échantillon de 1002 personnes, 10-13 janvier 2021)..
En décembre 2020, après que le collège électoral a en majorité voté pour Joe Biden, 70% des Américains3Sondage Suffolk University pour USA Today (échantillon de 1000 personnes inscrites sur les listes électorales, 16-20 décembre 2020). estiment que Donald Trump doit concéder l’élection à son adversaire. 95% des sympathisants démocrates partagent cet avis. Mais une majorité de sympathisants républicains (57%) y sont opposés.
Fort du soutien de sa base électorale, Donald Trump encourage ses partisans à marcher vers le Capitole le 6 janvier 2021, le jour où le Congrès doit certifier les résultats de l’élection. La manifestation se transforme en émeute. Des insurgés partent à l’assaut du bâtiment, y pénètrent pour saccager les lieux avant d’être évacués par la Garde nationale. Le lendemain de cette sédition au retentissement mondial, Donald Trump concède finalement l’élection, qualifie les événements de la veille d’« attaque odieuse » et se désolidarise des émeutiers, tout en promettant à ses supporters que « notre incroyable aventure ne fait que commencer ».
La réaction immédiate de l’opinion est nette : cet événement peut être décrit comme « un acte de terrorisme4Sondage Hart Research Associates (D) et Public Opinion Strategies (R) pour NBC News (échantillon de 1000 personnes inscrites sur les listes électorales, 10-13 janvier 2021). » (57%). Et il s’agit d’une « tentative de coup d’État5Sondage Quinnipiac University (échantillon de 1239 personnes inscrites sur les listes électorales, 7-10 janvier 2021). » pour 47% des Américains (contre 43% qui pensent l’inverse). Le président Trump en est rendu directement responsable (56%). Il sape la démocratie (60%), beaucoup plus qu’il ne la protège comme il le prétend (34%). Dans ces conditions, il doit démissionner (53%) ou être démis de ses fonctions (52%).
Le pousser à quitter la Maison Blanche est le but de la Chambre des représentants, à majorité démocrate, lorsqu’elle enclenche le 13 janvier 2021, à une semaine de la fin officielle du mandat du président, une destitution pour « incitation à l’insurrection », procédure qui est largement approuvée par les Américains (55%)6Sondage Quinnipiac University (échantillon de 1131 personnes inscrites sur les listes électorales, 15-17 janvier 2021).. De surcroît, une majorité de la population estime que Donald Trump doit être rendu inéligible (59%).
Le texte est voté par les députés. Le procès a donc lieu au Sénat, conformément à la Constitution. 52% des Américains souhaitent que leur sénateur vote en faveur de la condamnation de Donald Trump et le déclare coupable des accusations portées contre lui7Sondage Gallup (échantillon de 906 personnes, 21 janvier-2 février 2021).. Néanmoins, un verdict d’acquittement est prononcé le 13 février 2021 : 57 sénateurs ont voté pour la destitution, alors que 67 voix sont nécessaires. Premier exploit : Donald Trump survit aux conséquences immédiates de l’attaque du Capitole, qui aurait dû être son tombeau politique.
Ne pas être disqualifié par les affaires judiciaires
Après avoir quitté le pouvoir contre son gré et sans avoir assisté à la cérémonie d’investiture de son successeur, il doit faire face à une série impressionnante d’affaires judiciaires. En juillet 2021, une commission d’enquête bipartisane sur les événements du 6 janvier est installée par la Chambre des représentants. 61% des Américains soutiennent cette initiative8Sondage Quinnipiac University (échantillon de 1313 personnes, 7-10 janvier 2022).. Le rapport final de cette commission est publié le 21 décembre 2022 et appelle à des poursuites judiciaires contre Donald Trump. C’est désormais au ministère de la Justice de décider de son sort.
Un procès fédéral pour tentatives illicites d’inverser les résultats de l’élection est prévu en mars 2024. Mais Donald Trump invoque l’immunité pénale des présidents. 62% des Américains estiment qu’il ne devrait pas être protégé contre les poursuites pénales9Sondage YouGov pour CBS (échantillon de 2063 personnes, 5-7 juin 2024).. La Cour suprême examine la question et statue finalement en sa faveur le 1er juillet 2024, en établissant qu’il bénéficie d’une « présomption d’immunité » concernant les actions effectuées dans le cadre de son mandat.
Dans la foulée, la Cour d’appel de l’État de Géorgie qui a inculpé Donald Trump pour tentative de fraude électorale suspend la procédure pénale à son encontre. La tenue d’un procès est ainsi reportée à 2025, soit après la présidentielle.
En juin 2023, Donald Trump est mis en examen pour avoir emporté dans sa résidence de Mar-a-Lago, en Floride, des documents confidentiels de la Maison Blanche, qui auraient dû être versés aux archives nationales, puis avoir refusé de les restituer. 53% des Américains considèrent qu’il a commis quelque chose d’illégal, mais seulement 13% des sympathisants républicains (contre 84% des sympathisants démocrates)10Sondage AP-Norc (échantillon de 1222 personnes, 22-26 juin 2023).. En juillet 2024, l’ensemble de la procédure est annulé.
Cependant, Donald Trump ne peut éviter de comparaître devant un tribunal dans un autre dossier plus ancien. En avril et mai 2024, il est jugé au pénal pour avoir maquillé des paiements réalisés en 2016 afin d’acheter le silence d’une ancienne liaison, l’ex-actrice de films pornographiques Stormy Daniels. Pour la première fois, un ancien président est assis sur le banc des accusés.
Il est reconnu coupable sur les 34 chefs d’accusation. Mais l’annonce de sa peine, qui pourrait prendre la forme d’un emprisonnement, est reportée au 26 novembre, c’est-à-dire après le scrutin présidentiel. Ce verdict de culpabilité ne lui porte pas préjudice. Il a même pour effet de resserrer les rangs de sa base électorale : 81% des sympathisants républicains estiment que leur parti doit continuer à le soutenir11Sondage Economist/YouGov (échantillon de 1766 personnes, 2-4 juin 2024)..
Ainsi, les principaux dossiers judiciaires qui menaçaient sa candidature sont tous suspendus ou reportés. Il se présente comme « un prisonnier politique », victime de l’acharnement judiciaire du pouvoir. 57% des électeurs et 93% des sympathisants républicains partagent son avis et jugent probable que les accusations émises à son encontre aient été motivées par des raisons politiques12Sondage Monmouth University (échantillon de 1106 personnes inscrites sur les listes électorale, 6-10 juin 2024)..
Deuxième tour de force : Donald Trump n’est pas empêché judiciairement de participer à l’élection présidentielle. Ses sympathisants continuent de lui apporter leur soutien. Ses intentions de vote ne pâtissent pas de ses mises en examen et de ses condamnations, comme si les électeurs dressaient une frontière étanche entre la justice et la politique.
Réduire la concurrence politique
Parallèlement, Donald Trump doit faire face dans son camp à l’émergence d’une concurrence d’autant plus vive qu’elle avait dû mettre sous le boisseau ses ambitions lors de la campagne de réélection de 2020.
Dans un premier temps, les rivaux de l’ancien président voient leurs espoirs confortés par l’effritement du soutien apporté à Donald Trump par la base du parti. En août 2022, 63% des sympathisants républicains estiment que l’ancien président devrait continuer à jouer un rôle majeur dans la politique nationale, mais ce chiffre est en recul de 4 points en un an13Sondage Pew Research Center (échantillon de 7647 personnes, 1er-14 août 2022).. Parmi ceux-ci, 39% aimeraient le voir se présenter à nouveau à la présidence en 2024, soit une baisse de 5 points.
Après cette première inflexion dans les sondages, les élections de midterm de 2022 apportent une preuve de sa perte d’influence électorale. La plupart des candidats qu’il a personnellement soutenus, souvent inexpérimentés ou complotistes, ont rencontré l’échec tant dans les élections au Congrès que pour des postes de gouverneurs, alors même qu’une vague républicaine aurait pu déferler sur le pays.
L’étoile de Donald Trump semble pâlir et plusieurs personnalités estiment que le moment est venu de tourner la page du trumpisme. Parmi les plus connues, Mike Pence, qui a refusé en tant que président du Sénat de rejeter les résultats de la présidentielle de 2020, un choix approuvé par 72% des Américains et même 52% des sympathisants républicains14Sondage Quinnipiac University (échantillon de 1 321 personnes, 10-14 février 2022).. Violemment tancé par Donald Trump pour cette décision, l’ancien vice-président annonce sa candidature en juin 2023.
Très virulente à l’égard de l’ancien président, sa campagne ne parvient pas à trouver un écho dans l’opinion publique : Mike Pence doit déclarer forfait en décembre de la même année. La trajectoire est identique pour l’ancien gouverneur du New Jersey (2010-2018) Chris Christie, déjà présent lors des primaires de 2016. Dans le cas de ces deux candidatures, la critique pleine d’âpreté portée contre Donald Trump n’a produit aucun effet dans les sondages d’intention de vote.
Le gouverneur de Floride Ron DeSantis a représenté une menace plus substantielle. En novembre 2022, sa réélection avantageuse dans le Sunshine State (59%, et une avance de 20 points sur son adversaire, soit un écart inédit depuis quarante ans) contraste avec l’échec des candidats adoubés par Donald Trump et attire l’attention médiatique : à 45 ans, ne serait-il pas la relève du Parti républicain ? Son action pendant la crise liée à la pandémie de Covid-19, ses critiques du « wokisme », son isolationnisme portent la promesse idéologique d’un programme trumpiste dénué des outrances du style de Donald Trump et des excès de sa personnalité.
Face à cette opposition qu’il voit se constituer, Donald Trump réagit vigoureusement, accablant son adversaire d’un surnom dévalorisant (« Ron le moralisateur », Ron DeSanctimonious) et l’attaquant sur sa faiblesse de caractère. Il reprend l’avantage et creuse à nouveau l’écart dans les intentions de vote. À la fin de 2023, à la veille de l’ouverture du cycle des primaires, Donald Trump fait figure de grand favori pour obtenir l’investiture du Parti républicain (GOP) : 52% des sympathisants républicains le citent spontanément comme leur premier choix15Sondage Pew Research Center (échantillon de 5203 personnes, 27 novembre-3 décembre 2023).. Ses concurrents obtiennent des scores bien plus faibles.
En janvier 2024, le caucus de l’Iowa confirme la domination de Donald Trump, qui emporte la majorité des voix (51%) et devance Ron DeSantis de 30 points. Deux jours avant la primaire du New Hampshire, le gouverneur de Floride se retire de la course et apporte son soutien à Donald Trump.
L’ancienne ambassadrice des États-Unis aux Nations unies Nikki Halley cherche alors à proposer une offre électorale nouvelle. À 52 ans, elle entend elle aussi incarner le renouveau. Mais à la différence de Ron DeSantis, elle propose de revenir à la ligne politique traditionnelle du Parti républicain, notamment en prônant plus d’interventionnisme en politique étrangère.
Le 23 janvier 2024, elle perd la primaire du New Hampshire. Reproduisant la stratégie de Ted Cruz en 2016, elle cherche alors à fédérer l’anti-trumpisme, sans y parvenir. Lors du « Super Tuesday » de mars 2024, elle ne remporte qu’un seul État et se retire, laissant le champ libre à Donald Trump. C’est la troisième performance de l’ancien président, qui a su déjouer l’ascension de ses rivaux.
Résumons : Donald Trump a survécu à une élection présidentielle perdue, avant d’échapper à une procédure de destitution, puis de s’extirper de multiples affaires judiciaires et enfin de s’imposer dans les primaires de son parti. Le 13 juillet dernier, alors qu’il prononce un discours à Butler en Pennsylvanie, il est l’objet d’une tentative d’assassinat, dont il sort indemne. Le survivant politique est transfiguré en miraculé.
La convention républicaine qui s’ouvre à Milwaukee deux jours plus tard lui attribue l’investiture dans une ambiance de liesse messianique. Donald Trump triomphe et choisit comme colistier JD Vance. L’âge du sénateur de l’Ohio (39 ans) est conçu comme un argument de poids pour dresser un contraste saisissant avec Joe Biden, président en exercice le plus âgé de toute l’histoire américaine.
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Abonnez-vousLe renoncement de Joe Biden
Une action critiquée, en particulier en économie
Malgré les accusations portées à son égard par Donald Trump, la légitimité de Joe Biden lorsqu’il entre à la Maison Blanche n’est pas entachée de soupçons : 60% des Américains estiment qu’il a remporté cette élection de manière honnête, même si un tiers (32%) juge qu’il l’a gagnée uniquement grâce à la fraude électorale16Sondage Monmouth University (810 personnes, 12-16 novembre 2020)..
Mais rapidement après sa prise de fonction, sa cote de popularité chute. En août 2021, la gestion piteuse du retrait des troupes américaines d’Afghanistan, désapprouvée par 61% des Américains17Sondage Marist pour NPR/PBS NewsHour (échantillon de 1241 personnes, 26-31 août 2021)., donne une image désastreuse de faiblesse et d’impréparation, écho lointain du départ précipité d’Iran en 1979. La scène internationale est source d’un nouvel affaiblissement pour le président lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. En avril 2022, 48% des Américains désapprouvent la façon dont il gère le conflit (contre 39% qui approuvent)18Sondage Quinnipiac (échantillon de 1412 personnes, 7-11 avril 2022)..
Sa gestion de la politique étrangère est désapprouvée par une majorité de la population (56%), mais une majorité encore plus forte (63%) rejette sa politique économique, véritable point faible de son bilan19Sondage AP-NORC (échantillon de 1165 personnes, 10-14 août 2023). Dès octobre 2021, il est percuté de plein fouet par la vague inflationniste : 59% des Américains (+10 points en un mois) jugent négativement son action en matière d’économie20Sondage Beacon Research (D) and Shaw & Company Research (R) pour Fox News (échantillon de 1003 personnes inscrites sur les listes électorales, 16-19 octobre 2021).. Alors que la hausse des prix prend la tête de leurs préoccupations (87%), ils observent une brutale dégradation de leur pouvoir d’achat.
En juillet 2022, 50% d’entre eux estiment que leur situation financière personnelle est pire qu’il y a un an (contre 27% en 2021). La crise perdure et l’inflation s’installe. Une majorité de la population considère que le président Biden et son administration ne font pas assez d’efforts pour investir dans l’économie (56%) et réduire les inégalités économiques (52%)21Sondage Ipsos pour Reuters (échantillon de 2009 personnes, 28 juillet-1er août 2023).. Si l’inflation est tangible pour la plupart des Américains, les actions entreprises sont méconnues : les deux principales lois pâtissent d’une notoriété modérée, qu’il s’agisse de l’Infrastructure Investment and Jobs Act de 2021 (39%) ou de l’Inflation Reduction Act de 2022 (46%).
Ainsi, pendant la totalité du mandat de Joe Biden, une majorité d’Américains considère que le pays est « sur la mauvaise voie ». Cet indicateur, qui a culminé à 79% en juin 2022 au plus fort de la hausse des prix, s’établit à 64% en septembre 2024. Seuls 26% des Américains estiment que les États-Unis vont dans « la bonne direction ».
Une mise en cause personnelle
Cette critique de la politique appliquée se traduit par une forte impopularité. Selon Gallup, la cote de Joe Biden est restée majoritaire dans les premiers mois de son mandat, avant de chuter à 43% en septembre 2021, à nouveau en raison de la poussée inflationniste. Depuis cette date, elle est demeurée minoritaire, oscillant entre 37% et 43%.
En juillet 2024, avec un score de 32%, son niveau est largement inférieur à celui des présidents récents au même moment de leur premier mandat : George W. Bush en 2004 (50%), Barack Obama en 2012 (52%), George H. Bush en 1992 (56%), Bill Clinton en 1996 (59%) et Ronald Reagan en 1984 (62%). Seul Donald Trump en 2020 a obtenu un résultat plus médiocre (29%).
Cette mise en cause prend une dimension personnelle. Sa véritable faiblesse concerne son âge. À 81 ans, il est le président en exercice le plus âgé de toute l’histoire américaine, un record que détenait auparavant Donald Trump.
67% des Américains considèrent qu’il est trop âgé pour être président (contre seulement 37% à propos de Donald Trump, qui n’est plus jeune que de trois ans)22Sondage Gallup (échantillon de 1005 personnes, 3-25 juin 2024).. Et seulement 31% des citoyens sont prêts à voter pour un candidat présidentiel de plus de 80 ans, soit un score deux fois plus faible qu’en ce qui concerne un candidat de plus de 70 ans (63%).
59% des Américains se disent « très préoccupés » par l’âge de Joe Biden contre 18% par celui de Donald Trump. 76% des personnes interrogées redoutent que le démocrate soit trop vieux pour exercer la fonction, soit deux fois plus que pour son adversaire républicain (38%).
Ces préoccupations portent d’abord sur ses capacités physiques. Les images télévisées d’un président raide dans ses mouvements, à la marche ralentie et perdant régulièrement l’équilibre nourrissent les jugements négatifs sur son état de santé : en juillet 2024, seulement 24% des Américains le déclarent en forme. Et une majorité (60%) estiment qu’il n’est pas physiquement « apte à remplir un autre mandat de président »23Sondage YouGov pour Yahoo News (1754 personnes, 28 juin-1er juillet 2024).. L’évaluation de la condition physique du président n’a jamais été pire.
À cela s’ajoutent des préoccupations très répandues sur sa santé mentale. 72% des électeurs considèrent qu’il ne dispose pas des capacités cognitives et mentales requises pour exercer la fonction présidentielle24Sondage YouGov pour CBS News (échantillon de 1130 personnes inscrites sur les listes électorales, 28-29 juin 2024).. En comparaison, le jugement porté sur Donald Trump, très mauvais dans l’absolu, paraît nettement plus favorable (50%).
Conscient de ces faiblesses, le septuagénaire Trump se répand en invectives contre l’octogénaire Biden, surnommé « Joe l’endormi » (Sleepy Joe), en mettant en doute son aptitude à exercer la fonction présidentielle. Les attaques portent : deux tiers des Américains considèrent qu’il est un leader « assez faible » (19%) ou « très faible » (46%)25Sondage YouGov pour The Economist (échantillon de 1599 personnes, 23-25 juin 2024)..
Les interrogations de l’opinion sur sa politique et sur sa personne conduisent Joe Biden à accepter un débat avec Donald Trump avant l’été, en contradiction avec l’usage qui fait débuter les rencontres entre les candidats après leur investiture, c’est-à-dire en septembre. Le président y voit en particulier l’occasion de lever les doutes sur ses capacités physiques et cognitives.
Un débat calamiteux, une fin précipitée
Le débat, qui a lieu le 27 juin dernier sans public, est diffusé sur CNN. 74% des Américains déclarent l’avoir regardé (56%) ou avoir vu suffisamment d’extraits pour se faire une opinion sur son déroulement (18%). Le sentiment général est sans nuance : Donald Trump a semblé le plus
« cohérent » (58% contre seulement 15% pour son adversaire), « le plus fort » (59% contre 17%) et le plus « présidentiel » (45% contre 37%)26Sondage YouGov pour Yahoo News (échantillon de 1754 personnes, 28 juin-1er juillet 2024).. Bref, 76% des Américains considèrent qu’il est sorti vainqueur de la joute télévisée contre Joe Biden (23%).
Au lendemain de cette piètre performance du président, la panique saisit son camp et la candidature du locataire de la Maison Blanche, qui va généralement de soi à l’issue du premier mandat, est ouvertement remise en question. Fin juin 2024, 75% des Américains et une majorité des sympathisants démocrates considèrent que le Parti démocrate dispose de meilleures chances de l’emporter si Joe Biden n’est pas investi27Sondage SSRS pour CNN (échantillon de 1274 personnes, 28-30 juin 2024).. Chez les républicains, la situation est strictement inverse : Donald Trump apparaît comme le meilleur candidat du parti, tant pour les sympathisants (83%) que pour l’ensemble de la population (60%).
Début juillet, la pression s’accroît sur Joe Biden. Lors d’un point presse en marge du sommet marquant le 75e anniversaire de l’Otan à Washington, il appelle au micro le président ukrainien par le nom du président russe. Conséquence de ces lapsus à répétition et de ces gaffes incessantes : 70% des Américains souhaitent qu’il se retire de la course à la Maison Blanche, un vœu partagé par 65% des sympathisants démocrates28Sondage AP-Norc (échantillon de 1253 personnes, 11-15 juillet 2024)..
Des soutiens traditionnels du parti, comme l’acteur George Clooney, prennent publiquement position pour un changement de candidat. De guerre lasse, Joe Biden annonce le retrait de sa candidature dans une lettre publiée le 21 juillet 2024. En cherchant à conforter sa position et à rassurer ses soutiens à travers un débat anticipé, il a précipité sa propre fin.
Amère consolation, 87% des électeurs approuvent son choix et expriment du soulagement (58%)29Sondage SSRS pour CNN (échantillon de 1631 personnes inscrites sur les listes électorales, 22-23 juillet 2024).. Malgré une polémique naissante cherchant à mettre Joe Biden en conformité totale avec sa décision en lui demandant de démissionner sur le champ, 70% des citoyens considèrent qu’il doit rester en poste et accomplir son mandat jusqu’à son terme.
L’élection présidentielle de 2024 ne sera donc pas la revanche annoncée de celle 202030Les deux scrutins présidentiels ayant opposé les mêmes candidats ont eu lieu pour la dernière fois en 1956 (Dwight D. Eisenhower face à Adlai Stevenson, comme en 1952). Au total, l’affrontement entre les mêmes candidats à deux reprises successives a eu lieu six fois dans l’histoire américaine.. Joe Biden devient le 12e président n’ayant accompli qu’un seul mandat.
Une nouvelle élection
Kamala Harris, l’héritière naturelle
L’annonce du retrait impromptu de Joe Biden ouvre une toute nouvelle élection, dans laquelle Kamala Harris fait immédiatement figure d’héritière naturelle : 76% des sympathisants démocrates estiment que le parti devrait l’investir comme candidate pour l’élection présidentielle.
Elle bénéficie à plein de sa position institutionnelle, qui fait du vice-président le suppléant automatique du président, s’il décède, est empêché ou démissionne en cours de mandat. Autre avantage de sa fonction, Kamala Harris est également la seule personnalité du Parti démocrate connue par une majorité d’Américains (56%)31Sondage YouGov (échantillon 1123 personnes, 19-21 juillet 2024).. Elle devance nettement les figures ascendantes du parti comme le gouverneur de Californie Gavin Newsom (35%), le secrétaire aux Transports Pete Buttigieg (29%), le sénateur du New Jersey Cory Booker (30%) et la sénatrice du Minnesota Amy Klobuchar (28%).
Sa notoriété est également bien plus forte que toute une série de gouverneurs, qui considèrent leurs fonctions comme un tremplin vers la Maison Blanche, comme ce fut le cas pour Jimmy Carter (Géorgie) ou Bill Clinton (Arkansas) : la gouverneure du Michigan Gretchen Whitmer (28%), le gouverneur de l’Illinois JB Pritzker (28%), le gouverneur de Pennsylvanie Josh Shapiro (14%), le gouverneur du Kentucky Andy Beshear (20%) ou le gouverneur du Colorado Jared Polis (15%) demeurent faiblement connus.
Elle profite ainsi de l’absence de concurrence au sein de son camp. À quelques mois seulement du scrutin, il est nécessaire de se mettre en ordre de bataille rapidement. Et il serait suicidaire d’ouvrir une querelle intestine alors que le camp républicain fait bloc derrière son champion. Bref, sa candidature apparaît comme une solution d’évidence tant pour les caciques du parti que pour les électeurs, qui basculent dans l’enthousiasme.
Les sympathisants démocrates seraient « fiers de l’avoir comme présidente » (88%)32Sondage YouGov (échantillon 1123 personnes, 19-21 juillet 2024).. Pour eux, elle « représente l’avenir du Parti démocrate » (83%). Politiquement, ils se sentent en accord avec elle « sur les questions qui comptent le plus eux » (84%) et considèrent qu’elle saurait « unifier le pays et ne pas le diviser » (77%). Électoralement surtout, elle présente « de bonnes chances de battre Donald Trump » (75%). Après l’inquiétude diffuse suscitée par la candidature de Joe Biden, l’espoir renaît.
Parmi les qualités attendues du colistier qu’elle doit désormais choisir, les principales concernent son apport en termes d’efficacité électorale. Ainsi, il est important qu’elle sélectionne un candidat à la vice-présidence qui « a démontré son attrait auprès des électeurs influents » (72%) et « apporte un équilibre idéologique au ticket démocrate » (63%). Les considérations tactiques priment sur la compétence : seuls 57% estiment important que le candidat choisi « possède une expérience gouvernementale » (57%).
En réponse à ce portrait-robot, Kamala Harris choisit comme colistier Tim Walz, gouverneur du Minnesota et président de l’association des gouverneurs démocrates. Son ancrage géographique doit permettre de faire basculer les États indécis des Grands Lacs, en particulier le Michigan (15 grands électeurs) et le Wisconsin (10 grands électeurs).
Lors de la convention des démocrates, organisée du 19 au 22 août 2024, Kamala Harris rejoint le groupe des 12 vice-présidents officiellement investis par un parti pour la phase finale de l’élection présidentielle (6 d’entre eux ont été élus).
Première conséquence de ce nouveau jeu politique, Robert Kennedy Jr se retire de la course à la présidentielle. Neveu de l’ancien président martyr, le fils de Bobby Kennedy avait logiquement annoncé sa candidature aux primaires du Parti démocrate, avant de se présenter en candidat indépendant. Dans un premier temps, sa candidature, qui représentait un dérivatif pour les électeurs démocrates refusant de soutenir Joe Biden, a prospéré jusqu’à atteindre 16% des intentions de vote en juin 202433Sondage Harris X (échantillon de 1500 personnes inscrites sur les listes électorales, 28-30 juin 2024).. Mais l’émergence de Kamala Harris a mis fin à ses espoirs. Le 24 août 2024, il abandonne sa campagne et se rallie à Donald Trump.
Politiquement, la séquence a été réussie pour la candidate démocrate. Sa cote de popularité gagne 12 points entre fin juin et début septembre (47%)34Baromètre mensuel Harris X pour le Center for American Political Studies (CAPS) de Harvard.. Les intentions de vote mesurées au niveau national se retournent. Alors que Donald Trump disposait en moyenne d’une avance de 3 points sur Joe Biden au moment de son retrait (21 juillet 2024), il est devancé à partir du 5 août par Kamala Harris. L’avantage de la démocrate reste faible. Mais le rapport de force, qui était très défavorable à son camp, s’est rééquilibré.
Une opposition de styles
En devenant la première femme vice-présidente des États-Unis ainsi que la première Afro-Américaine et la première Américaine d’origine asiatique à exercer cette fonction, Kamala Harris est entrée dans l’histoire. Deuxième femme investie par le Parti démocrate, après Hillary Clinton en 2016, elle pourrait devenir la première présidente.
Cette situation suscite des interrogations sur la possibilité de la victoire d’une femme, tout comme des doutes se sont exprimés avant l’élection de Barack Obama en 2008. L’appartenance de Kamala Harris à la gent féminine pourrait-elle constituer un handicap électoral ? 38% des Américains estiment que le fait qu’elle soit une femme lui portera préjudice35Sondage AP-Norc (échantillon de 2028 personnes, 12-16 septembre 2024).. Ce chiffre était seulement de 29% en août 2016 en ce qui concernait Hillary Clinton…
Malgré cette crainte, 57% des Américains (60% des femmes et 53% des hommes) espèrent personnellement que les États-Unis éliront une femme présidente au cours de leur vie36Sondage YouGov (échantillon de 1107 personnes, 30 juillet-1er août 2024).. D’une manière générale, près de deux tiers (64%) n’expriment pas de préférence concernant l’appartenance sexuelle du président37Sondage YouGov (échantillon de 2266 personnes, 25-29 juillet 2024).. Mais un quart préfèrerait qu’il s’agisse d’un homme, notamment les hommes (31%) et, plus encore, les sympathisants républicains (50%).
Au-delà de cette différence évidente, l’âge distingue aussi les deux candidats. À 59 ans, Kamala Harris est de dix-huit ans plus jeune que Donald Trump, qui perd l’argument qu’il utilisait contre Joe Biden. Par voie de conséquence, elle « représente le changement » beaucoup mieux que son adversaire (47% contre 38%)38Sondage Hart Research Associates (D) et Public Opinion Strategies (R) pour NBC News (échantillon de 1000 personnes inscrites sur le listes électorales, 13-17 septembre 2024).. Ce point fondamental, recherché par tout candidat non sortant, lui permet de ne pas être lestée par le bilan du président. Certes, 40% des Américains estiment qu’elle « n’est pas le changement dont nous avons besoin car elle poursuivra la même approche que Joe Biden ». Mais une part équivalente de la population porte le même jugement sur Donald Trump (39%).
Le contraste entre les deux prétendants s’exprime lors d’un débat télévisé le 10 septembre dernier. 59% des Américains ont regardé les échanges diffusés par ABC : 56% d’entre eux désignent Kamala Harris comme vainqueur, contre 26% pour son adversaire. Elle est apparue plus « présidentielle » (51% contre 35%), plus « forte » (47% contre 39%) et plus « compétente » (50% contre 36%) que son opposant qui a semblé plus « insultant » (53% contre 28%) et plus « mensonger » (49% contre 35%)39Sondage YouGov pour Yahoo News (échantillon de 1755 personnes, 11-13 septembre 2024)..
Au cours de cette performance réussie, 69% des Américains en ont appris davantage sur Kamala Harris et, pour 46% des téléspectateurs, le débat a amélioré leur opinion d’elle (contre 29% dégradé). La victoire est nette. Conséquence immédiate : alors que les récentes élections ont systématiquement opposé à plusieurs reprises les deux candidats et, malgré le souhait de 64% des électeurs40Sondage Quinnipiac (échantillon de 1728 électeurs potentiels, 19-22 septembre 2024)., Donald Trump refuse une seconde confrontation directe.
Au-delà de l’exercice du débat, Kamala Harris est davantage appréciée humainement que son adversaire. Aux yeux d’une majorité, elle semble « intelligente » (59%), « raisonnable » (56%) et « claire » (52%), quand son opposant paraît « insultant » (69%) et « déroutant » (53%). Indépendamment de ce qu’ils pensent de sa politique, 52% des Américains aiment la façon dont elle se comporte personnellement, tandis que 64% n’apprécient pas le comportement de Donald Trump41Sondage CBS News (échantillon de 3129 personnes inscrites sur les listes électorales, 18-20 septembre 2024)..
Cette opposition de styles entre les deux personnalités se décline en termes de présidentialité perçue des candidats. Ni Kamala Harris (44%) ni Donald Trump (36%) ne feraient « un bon président ». Mais l’ancien président, malgré ou à cause de son passage à la Maison Blanche, est majoritairement vu comme un « mauvais président » (57%), ce qui n’est pas le cas de son adversaire démocrate (41%)42Sondage AP-Norc (échantillon de 2028 personnes, 12-16 septembre 2024)..
Cependant, même si les qualités personnelles sont importantes pour 56% des électeurs, elles le sont davantage pour les démocrates que pour les républicains (71% contre 43%). Surtout, les politiques publiques comptent beaucoup plus (86%, soit un écart de 30 points). Et sur ce terrain, le candidat républicain semble disposer d’un léger avantage.
Les préoccupations économiques de l’opinion
D’abord remarquons que la plupart des données d’opinion traditionnelles favorisent le Parti républicain43Sondage Gallup (échantillon de 1007 personnes, 3-15 septembre 2024).. 48% des Américains se disent proches du GOP, contre 45% pour le Parti démocrate. Historiquement, cet indicateur a une efficacité prévisionnelle élevée. Les démocrates n’ont gagné la présidentielle que lorsqu’ils disposaient d’un avantage d’au moins 3 points (en 1992, 1996, 2008, 2012 et 2020).
Ensuite, le Parti républicain semble le plus à même « de gérer le problème le plus important » (46% contre 41%), « de maintenir la prospérité de l’Amérique » (50% contre 44%) et « de protéger l’Amérique des menaces internationales » (54% contre 40%). L’environnement politique, qui dit en creux l’usure du pouvoir démocrate, semble favorable au candidat investi par le Parti républicain.
Autre perception qui peut jouer à l’avantage de Donald Trump, le pays va dans la mauvaise direction pour 71% des Américains44Sondage YouGov pour The Economist (échantillon de 1582 personnes, 13-16 juillet 2024)., ce qui semble donner raison à sa rhétorique du déclin américain. Malgré la baisse récente du taux d’inflation, les inquiétudes socio-économiques sont prédominantes. 43% des Américains déclarent que la situation financière de leur famille s’est dégradée depuis l’année dernière. Seuls 13 % déclarent qu’elle s’est améliorée. Les perspectives restent sombres et 22% des personnes interrogées estiment que leur situation financière et celle de leur foyer s’aggraveront l’année prochaine.
Dans la liste des problèmes qui se posent au pays, l’inflation est citée en premier (51%), devant l’immigration (35%), l’extrémisme politique et la criminalité ou la violence armée (23% chacun). Viennent ensuite le coût ou la disponibilité du logement (19%), les soins de santé (18%), le budget et la dette du gouvernement (15%), l’avortement (15%) et le changement climatique (14%).
Dans ces principaux champs d’action politique, Donald Trump semble disposer d’un programme politique supérieur à celui de Kamala Harris. Il surpasse son opposante en matière d’économie, d’inflation et d’emploi (41% contre 35%) d’une part, et d’immigration et de sécurité aux frontières (44% contre 30%) d’autre part, soit les sujets qui comptent le plus aux yeux des électeurs. Ses propositions paraissent aussi plus efficaces en ce qui concerne l’international (guerre, conflits étrangers ou terrorisme) (38% contre 32%).
Inversement, Kamala Harris ferait mieux que Donald Trump dans des domaines qui apparaissent au second plan des préoccupations immédiates des Américains : l’avortement (45% contre 27%), l’extrémisme politique, la polarisation et la légitimité électorale (37% contre 27%) ou la santé (39% contre 27%). Ses propositions les plus fortes semblent ainsi moins alignées avec les attentes les plus prégnantes des électeurs.
Toutefois, il faut surveiller la question de l’avortement, qui peut s’avérer mobilisatrice. En 2022, la Cour suprême a décidé de revenir sur son arrêt Roe vs Wade datant de 1973 et autorisant l’avortement. Deux ans plus tard, ce revirement n’est toujours pas soutenu par la population américaine : 61% des Américains estiment que leur État devrait permettre à une personne de se faire avorter légalement, quelle qu’en soit la raison45Sondage AP-Norc (échantillon de 1088 personnes, 20-24 juin 2024)..
Le soutien à la légalisation est en hausse de 12 points par rapport à une étude réalisée en 2021. Il est majoritaire chez les démocrates (83%, +14 points) et progresse nettement parmi les républicains (38%, +11 points). Il est plus élevé chez les femmes (63%, +17 points) que chez les hommes (59%, +8 points). 64% des Américains estiment même que le Congrès devrait « voter une loi garantissant l’accès à l’avortement dans tout le pays », c’est-à-dire quelles que puissent être les spécificités de chaque État.
Sur cette question, Kamala Harris pourrait donc mettre Donald Trump face à ses contradictions. De la même façon, elle pourrait profiter des inquiétudes concernant l’état de la démocratie américaine. Alors que la polarisation et la radicalité de la vie politique s’accroissent, elle est perçue comme une personne « raisonnable » (58%), qui est « à même d’unifier le pays » (52%)46Sondage Leger pour New York Post (échantillon de 1010 personnes, 27-29 septembre 2024).. Cette dimension est d’autant plus importante que les craintes sont fortes de voir se répéter la période d’intenses tensions sociales et de violence politique vécue après la dernière élection : 73% des électeurs se disent inquiets à ce sujet, en particulier les démocrates (90%), les indépendants (69%) mais aussi une majorité de républicains (59%)47Sondage Quinnipiac (échantillon de 1728 électeurs potentiels, 19-22 septembre 2024)..
Or, le risque de contestation des résultats est considérable car, pour l’heure, aucun des candidats ne dispose d’un avantage décisif et aucun n’est pénalisé par un handicap rédhibitoire. L’élection présidentielle apparaît extraordinairement serrée, au point d’être qualifiée par Politico de « combat au couteau dans une cabine téléphonique »48Shepard, Steven. « Where the race between Trump and Harris stands on Labor Day, according to our polling expert », Politico, 2 septembre 2024.. Les partisans de Kamala Harris comptent sur la solidité du mur bleu (Blue Wall), cet ensemble d’États qui votent systématiquement pour le candidat démocrate. Ceux de Donald Trump espèrent voir une fissure y apparaître, comme en 2016, notamment dans le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie. Ces trois États pivots détiennent, avec le Nevada, l’Arizona, la Georgie et la Caroline du Nord, la clé du scrutin de 2024.
Et pour l’instant, ils demeurent particulièrement indécis49Sondage Redfield & Wilton Strategies pour The Telegraph (échantillon de 18 875 électeurs dans les Swing States, 27 septembre-2 octobre 2024).. Le Wisconsin (47% contre 46%), le Michigan (48% contre 46%), la Pennsylvanie (48% contre 47%) et le Nevada (48% contre 47%) penchent pour Kamala Harris. Inversement, l’Arizona (48% contre 47%), la Caroline du Nord (47% contre 45%) et la Georgie (47% contre 47%) semblent plus favorables à Donald Trump. Mais, dans tous ces Battleground States, les sondages d’intention de vote indiquent des écarts inférieurs à 2 points, soit dans la marge d’erreur, ce qui rend strictement impossible l’identification du vainqueur.
Dans ces conditions, la précision des intentions de vote fait l’objet d’interrogations. Si les résultats des midterms de 2018 et 2022 ont été plutôt bien anticipés par les sondeurs américains, les élections présidentielles de 2020 et surtout de 2016, cas historique de banqueroute de l’industrie sondagière, ont montré toutes les limites de l’évaluation du vote pour Donald Trump, qui constitue un obstacle méthodologique spécifique. Il n’est pas exclu qu’une partie des électeurs de l’ancien président Trump se déplacent aux urnes uniquement lorsque son nom figure sur le bulletin de vote, et pas dans les autres scrutins. Or les sondeurs utilisent les élections intermédiaires pour caler leur prévision de la participation électorale, ce qui aurait pour conséquence indésirable de minorer le poids des électeurs trumpistes dans les intentions de vote pour l’élection présidentielle.
Cette difficulté rejoint et complexifie la mesure anticipée de la participation électorale. Ardu par nature, cet exercice s’était soldé en 2020 par un échec patent puisque la progression du nombre d’électeurs n’avait pas été perçue, malgré son ampleur (66,7%, soit une hausse de plus de 7 points par rapport à 2016). Ce point est d’autant plus crucial que la décision peut se jouer à quelques dizaines de milliers de voix dans les Swing States.
Ce système, qui accorde un poids démesuré à une poignée d’électeurs, est de plus en plus remis en question. 63% des Américains préféreraient que le vainqueur de l’élection présidentielle soit celui qui remporte le plus de voix à l’échelle nationale. Seul un tiers (35%) est favorable au maintien du système actuel du collège électoral50Sondage Pew Research Center (échantillon de 9 720 personnes, 26 août-2 septembre 2024)..
Conclusion
La campagne présidentielle de 2024 s’est composée de deux séquences distinctes. La première annonçait la réédition de l’affiche de 2020. Comme tout sortant à l’issue de son premier mandat, Joe Biden s’apprêtait à défendre son bilan face à une troisième candidature successive de Donald Trump, qui a su déjouer les obstacles nombreux et coriaces qui auraient pu l’empêcher de tenter de prendre sa revanche. Au début de l’été, dans le sillage de l’émotion soulevée par la tentative d’assassinat dont il a été la cible, le républicain semblait promis à une réélection facile face à un Joe Biden affaibli politiquement et personnellement. Rejeté par l’opinion, ce combat en forme de rematch n’aura pas lieu, en raison du forfait d’un des combattants.
Le surgissement de Kamala Harris, improvisée candidate de substitution du camp démocrate, a ouvert un second chapitre dans la campagne, renouvelant à maints égards le jeu électoral. Propulsée sur le devant de la scène, la vice-présidente a su s’installer prestement dans la peau d’une candidate crédible, rassembler son camp et incarner une opposition sérieuse à Donald Trump, qui est apparu déstabilisé et hésitant sur la stratégie à adopter pour contrer ce nouvel adversaire. Combattive lors du débat, elle a su rééquilibrer le rapport de force électoral, au point de devenir favorite du pronostic de victoire : 40% des Américains estiment qu’elle va remporter l’élection (contre 35% pour son adversaire)51Sondage YouGov pour The Economist (échantillon de 1638 personnes, 29 septembre-1er octobre 2024)..
Le scrutin de novembre sera probablement l’un des plus serrés de l’histoire récente. Après les présidentielles de 2000 et 2020, une nouvelle incapacité du système électoral à dégager rapidement un vainqueur incontestable porterait un coup rude à la vie politique américaine. Retenant leur souffle, les Américains voient clair quand ils jugent que ce scrutin aura un grand impact sur l’avenir de la démocratie aux États-Unis (72%)52Sondage AP-Norc (échantillon de 2028 personnes, 12-16 septembre 2024)..
- 1Sondage Pew Research Center (échantillon de 5360 personnes, 8-12 janvier 2021).
- 2Sondage ABC News pour Washington Post (échantillon de 1002 personnes, 10-13 janvier 2021).
- 3Sondage Suffolk University pour USA Today (échantillon de 1000 personnes inscrites sur les listes électorales, 16-20 décembre 2020).
- 4Sondage Hart Research Associates (D) et Public Opinion Strategies (R) pour NBC News (échantillon de 1000 personnes inscrites sur les listes électorales, 10-13 janvier 2021).
- 5Sondage Quinnipiac University (échantillon de 1239 personnes inscrites sur les listes électorales, 7-10 janvier 2021).
- 6Sondage Quinnipiac University (échantillon de 1131 personnes inscrites sur les listes électorales, 15-17 janvier 2021).
- 7Sondage Gallup (échantillon de 906 personnes, 21 janvier-2 février 2021).
- 8Sondage Quinnipiac University (échantillon de 1313 personnes, 7-10 janvier 2022).
- 9Sondage YouGov pour CBS (échantillon de 2063 personnes, 5-7 juin 2024).
- 10Sondage AP-Norc (échantillon de 1222 personnes, 22-26 juin 2023).
- 11Sondage Economist/YouGov (échantillon de 1766 personnes, 2-4 juin 2024).
- 12Sondage Monmouth University (échantillon de 1106 personnes inscrites sur les listes électorale, 6-10 juin 2024).
- 13Sondage Pew Research Center (échantillon de 7647 personnes, 1er-14 août 2022).
- 14Sondage Quinnipiac University (échantillon de 1 321 personnes, 10-14 février 2022).
- 15Sondage Pew Research Center (échantillon de 5203 personnes, 27 novembre-3 décembre 2023).
- 16Sondage Monmouth University (810 personnes, 12-16 novembre 2020).
- 17Sondage Marist pour NPR/PBS NewsHour (échantillon de 1241 personnes, 26-31 août 2021).
- 18Sondage Quinnipiac (échantillon de 1412 personnes, 7-11 avril 2022).
- 19Sondage AP-NORC (échantillon de 1165 personnes, 10-14 août 2023)
- 20Sondage Beacon Research (D) and Shaw & Company Research (R) pour Fox News (échantillon de 1003 personnes inscrites sur les listes électorales, 16-19 octobre 2021).
- 21Sondage Ipsos pour Reuters (échantillon de 2009 personnes, 28 juillet-1er août 2023).
- 22Sondage Gallup (échantillon de 1005 personnes, 3-25 juin 2024).
- 23Sondage YouGov pour Yahoo News (1754 personnes, 28 juin-1er juillet 2024).
- 24Sondage YouGov pour CBS News (échantillon de 1130 personnes inscrites sur les listes électorales, 28-29 juin 2024).
- 25Sondage YouGov pour The Economist (échantillon de 1599 personnes, 23-25 juin 2024).
- 26Sondage YouGov pour Yahoo News (échantillon de 1754 personnes, 28 juin-1er juillet 2024).
- 27Sondage SSRS pour CNN (échantillon de 1274 personnes, 28-30 juin 2024).
- 28Sondage AP-Norc (échantillon de 1253 personnes, 11-15 juillet 2024).
- 29Sondage SSRS pour CNN (échantillon de 1631 personnes inscrites sur les listes électorales, 22-23 juillet 2024).
- 30Les deux scrutins présidentiels ayant opposé les mêmes candidats ont eu lieu pour la dernière fois en 1956 (Dwight D. Eisenhower face à Adlai Stevenson, comme en 1952). Au total, l’affrontement entre les mêmes candidats à deux reprises successives a eu lieu six fois dans l’histoire américaine.
- 31Sondage YouGov (échantillon 1123 personnes, 19-21 juillet 2024).
- 32Sondage YouGov (échantillon 1123 personnes, 19-21 juillet 2024).
- 33Sondage Harris X (échantillon de 1500 personnes inscrites sur les listes électorales, 28-30 juin 2024).
- 34Baromètre mensuel Harris X pour le Center for American Political Studies (CAPS) de Harvard.
- 35Sondage AP-Norc (échantillon de 2028 personnes, 12-16 septembre 2024).
- 36Sondage YouGov (échantillon de 1107 personnes, 30 juillet-1er août 2024).
- 37Sondage YouGov (échantillon de 2266 personnes, 25-29 juillet 2024).
- 38Sondage Hart Research Associates (D) et Public Opinion Strategies (R) pour NBC News (échantillon de 1000 personnes inscrites sur le listes électorales, 13-17 septembre 2024).
- 39Sondage YouGov pour Yahoo News (échantillon de 1755 personnes, 11-13 septembre 2024).
- 40Sondage Quinnipiac (échantillon de 1728 électeurs potentiels, 19-22 septembre 2024).
- 41Sondage CBS News (échantillon de 3129 personnes inscrites sur les listes électorales, 18-20 septembre 2024).
- 42Sondage AP-Norc (échantillon de 2028 personnes, 12-16 septembre 2024).
- 43Sondage Gallup (échantillon de 1007 personnes, 3-15 septembre 2024).
- 44Sondage YouGov pour The Economist (échantillon de 1582 personnes, 13-16 juillet 2024).
- 45Sondage AP-Norc (échantillon de 1088 personnes, 20-24 juin 2024).
- 46Sondage Leger pour New York Post (échantillon de 1010 personnes, 27-29 septembre 2024).
- 47Sondage Quinnipiac (échantillon de 1728 électeurs potentiels, 19-22 septembre 2024).
- 48Shepard, Steven. « Where the race between Trump and Harris stands on Labor Day, according to our polling expert », Politico, 2 septembre 2024.
- 49Sondage Redfield & Wilton Strategies pour The Telegraph (échantillon de 18 875 électeurs dans les Swing States, 27 septembre-2 octobre 2024).
- 50Sondage Pew Research Center (échantillon de 9 720 personnes, 26 août-2 septembre 2024).
- 51Sondage YouGov pour The Economist (échantillon de 1638 personnes, 29 septembre-1er octobre 2024).
- 52Sondage AP-Norc (échantillon de 2028 personnes, 12-16 septembre 2024).