Les élections des 24 et 24 février derniers ont laissé l’Italie dans l’incertitude : la victoire du centre-gauche à la Chambre basse est assombrie par l’absence de majorité au Sénat et l’arrivée dans le paysage politique du mouvement iconoclaste de Beppe Grillo.
Les élections des 24 et 24 février derniers ont laissé l’Italie dans l’incertitude : la victoire du centre-gauche à la Chambre basse est assombrie par l’absence de majorité au Sénat et l’arrivée dans le paysage politique du mouvement iconoclaste de Beppe Grillo.
Lundi 25 février 2013, 15 heures : les bureaux de vote italiens ferment leurs portes. A la télévision, les premiers sondages donnent une nette victoire au centre-gauche à la Chambre des députés et au Sénat. La Bourse de Milan enregistre une tendance positive et le spread de crédit diminue. Une demi-heure plus tard, les résultats sont moins encourageants pour Pier Luigi Bersani, leader de la coalition de centre-gauche. Pour le Parti démocrate (PD) et son petit allié, « Gauche Ecologie et Liberté » (en italien Sinistra Ecologia e Libertà, SEL), commence un cauchemar rappelant les élections de 2006, où Romano Prodi avait arraché la victoire sur le fil avec 25 000 voix d’avance sur Silvio Berlusconi. Peu après minuit tombent les résultats finaux : une courte victoire (124 000 voix d’avance sur le centre-droit) de la coalition progressiste à la Chambre de députés et pas de majorité au Sénat. En vertu de la loi électorale, avec seulement 29,5 % des voix, le centre-gauche obtient 55 % sièges de la Chambre basse. Mais au Sénat, la situation est différente : une prime de majorité est accordée, dans chacune des régions, à la coalition arrivée en tête du scrutin. Le centre-gauche, tout en ayant recueilli davantage de suffrages au niveau national que le centre-droit (31,6 % contre 30,7 %), ne gagne que dans douze régions importantes et est battu dans des régions (Lombardie, Sicile et Campanie) pourtant nécessaires pour obtenir une majorité absolue à la Chambre haute.
Les nouveautés de cette élection : vers la troisième République ?
La « victoire mutilée » du centre-gauche, pour reprendre l’expression du politologue Marc Lazar, n’est pas la seule surprise de cette élection, qui a connu un taux de participation de 75 % (moins trois points par rapport à l’élection précédente). Sous-estimé par ses opposants comme par les analystes, le Mouvement Cinq étoiles (en italien, Movimento Cinque Stelle, M5S), dirigé par Beppe Grillo, comique et blogueur de 64 ans, a rencontré un succès inattendu. En Europe occidentale, c’est la première fois qu’un parti, à son premier test électoral au niveau national, arrive en tête avec plus de 25 % des voix. Par ailleurs, c’est la première fois dans l’histoire de la République italienne que trois partis obtiennent plus de 20 % des voix. Comme le souligne le politologue italien Piero Ignazi, ces élections montrent que l’Italie passe d’un système bipolaire à un système à quatre pôles, dont trois de même dimension. On doit ce changement à la forte diminution des suffrages accordés aux partis traditionnels et à l’augmentation de la volatilité électorale.
Par ailleurs, seuls 35,6 % des parlementaires sortants retrouvent leur siège – le taux de renouvellement est d’habitude plutôt proche de 50 % d’une élection à l’autre – ce qui est également le signe d’un changement de tendance. Il faut noter que le pourcentage des femmes élues est en nette augmentation : le Parlement compte désormais 30,8 % de femmes, contre 20,2 % en 2008. Le PD et le M5S sont les plus « paritaires » puisque 38 % de leurs élus sont des femmes, la Ligue du Nord, bonne dernière, n’en comptant que 13,5 %. Cependant, si cette élection représente sans conteste un tournant, il semble encore trop tôt pour se prononcer sur la fin de la deuxième République.
Le déclin des partis traditionnels
Lors des élections de 2008, le Peuple de la Liberté (PDL, centre-droit) et le Parti démocrate (le centre-gauche, alors dirigé par Walter Veltroni) ont recueilli 70 % des voix. En 2013, leurs deux résultats cumulés ne dépassent pas 47 %. Le parti de Silvio Berlusconi, qui avait remporté les élections en 2008, a perdu plus de six millions de voix, chutant de 37,4 % à 21,6 %. Une baisse principalement imputable au mauvais bilan du gouvernement Berlusconi et aux scandales politiques qui ont émaillé son mandat.
Quant au Parti démocrate, il perd environ 3,5 millions de voix, passant de 33,2 % à 25,4 %. Si les régions « rouges » confirment leur statut de fiefs électoraux pour le parti de Pier Luigi Bersani, ce dernier subit une perte de suffrages dans presque toutes les régions, sauf en Molise, dans le sud de l’Italie. L’électorat a sanctionné à la fois le fait que les progressistes aient soutenu la politique d’austérité du gouvernement Monti et l’affaire « Monte dei Paschi di Siena ». De plus, comme Marc Lazar a pu le souligner, Pier Luigi Bersani a joué sur son image de « candidat normal », une erreur dans une situation exceptionnelle marquée par une crise sociale, politique et de confiance en Europe. Selon certains observateurs, le leader progressiste n’a pas fait de véritable campagne électorale, pensant que toute initiative pouvait constituer une prise de risques inutile dans le contexte favorable de l’après-primaires de l’automne 2012.
Même la Ligue du Nord (mouvement séparatiste), en dépit de son opposition au gouvernement Monti et à « l’Europe technocratique », voit réduire de moitié ses suffrages (4,1 %, contre 8,3 % en 2008). Ce phénomène est particulièrement visible en Vénétie et dans les vallées de Lombardie, où elle s’était enracinée dans les années 1990 aux dépens de la Démocratie chrétienne. Cette forte baisse est due à la démission, en avril 2012, de son fondateur et secrétaire général Umberto Bossi, poursuivi pour détournement de fonds.
Le Mouvement Cinq étoiles : un parti « national »
Le Mouvement Cinq étoiles a su profiter de la crise des partis traditionnels en attirant la majorité des électeurs déçus. Il est arrivé en tête dans cinquante « départements » (les province italiennes) et en deuxième position dans quarante d’entre eux. A titre de comparaison, le Parti démocrate est en tête dans quarante départements, tandis que le PDL dans seulement 17 (qui se situent, pour la quasi-totalité, dans le Sud). Le M5S est présent sur le territoire – il obtient entre 25 et 30 % dans dix régions, et plus de 20 % dans sept autres –, mais surtout dans des régions traditionnellement « rouges », dans les départements de la Vénétie et dans le Sud, en particulier en Sicile. Pour cette raison, le politologue italien Ilvo Diamanti a qualifié le M5S de parti « national », comme avait pu l’être la Démocratie chrétienne. Selon une étude réalisée par le CISE-Luiss, le M5S a, dans les bureaux de vote du Centre et du Nord de l’Italie, attiré des électeurs du centre-gauche et de la gauche radicale, tandis que dans le Sud, il a su parler aux électeurs de tous les partis, grâce à la protestation anti-establishment. On peut dire que le M5S a cristallisé les insatisfactions à l’égard de la « vieille politique », de l’austérité imposée par Bruxelles et du processus d’intégration européenne en général.
L’échec du centre et de la gauche radicale
En dépit des attentes, le pôle centriste, dirigé par le Premier ministre sortant Mario Monti, et la liste « Révolution civile » (gauche radicale), menée par l’ancien procureur du parquet de Palerme Antonio Ingroia, ont déçu.
Mario Monti a obtenu un bon résultat dans le Nord-Est et dans certains départements du Sud, mais il n’a pas réussi à disputer à Silvio Berlusconi sa place de leader du centre-droit. Son programme, intitulé « Changer l’Italie, réformer l’Europe », n’a pas convaincu la majorité des électeurs modérés. Mario Monti a surtout payé son manque d’expérience politique et son incapacité à faire face aux promesses démagogiques de Silvio Berlusconi. Son résultat final – 10,5 % des suffrages – et son image d’homme « au-dessus des partis » ont pâti de l’alliance qu’il a passée avec Pier Ferdinando Casini et Gianfranco Fini qui, étant élus au Parlement depuis 1983, sont marqués du sceau de la « vieille politique ». Selon diverses sources, Mario Monti serait prêt, sur les conseils de certains membres du Parti populaire européen, à créer son parti, conservateur et pro-européen.
La liste Révolution civile (2,2 %) a confirmé la marginalisation de la gauche radicale. Sans un programme clair, mené par un leader manquant d’expérience politique, elle a été incapable de regagner les faveurs d’un électorat déçu, qui a préféré voter pour Beppe Grillo. Cela a conduit Luigi De Magistris, maire de Naples et fondateur de Révolution civile, à déclarer que « l’expérience de ce rassemblement de gauche est finie ». Comme en 2008, la gauche radicale n’est donc pas représentée au Parlement italien.
Un Sénat sans majorité : et après ?
Ayant perdu dans les grandes régions du Sud, le centre-gauche de Pier Luigi Bersani ne dispose que de 123 sièges sur 315 au Sénat et se voit donc privé de majorité. Si, avant les élections, les analyses convergeaient pour considérer comme presque acquise une alliance post-électorale au Sénat entre Pier Luigi Bersani et Mario Monti, les résultats ne l’ont pas permise puisque Mario Monti ne dispose que de 19 sénateurs, pas assez pour créer une majorité avec le PD. Le PDL, grâce à sa victoire dans les régions clés du Sud (Sicile, Pouilles et Campanie), peut compter sur 117 sénateurs. Le M5S, fort de ses 54 sénateurs, pourrait être décisif pour créer une majorité au Sénat.
Dès lors, Pier Luigi Bersani est confronté à un choix : soit former une grande coalition avec Silvio Berlusconi – ce qui serait peu apprécié par les militants PD –, soit former une alliance « technique » avec le M5S. Le leader des progressistes semble déterminé à conclure une entente avec le mouvement de Beppe Grillo sur huit points clés permettant de sortir de l’impasse institutionnelle. Bien que Beppe Grillo ait qualifié Pier Luigi Bersani de « mort vivant », nombreux sont les militants du M5S à avoir demandé une alliance avec le Parti démocrate. Mais c’est un avis qui n’est pas partagé par Gianroberto Casaleggio, conseiller de Beppe Grillo et éminence grise du M5S. Pier Luigi Bersani, en leader pragmatique, a déclaré de son côté qu’il donnerait la priorité à un changement de stratégie en Europe, la réduction des inégalités sociales, l’amélioration du fonctionnement de la démocratie et l’investissement pour le développement durable. Même Matteo Renzi, maire de Florence, a exprimé son soutien à Pier Luigi Bersani et a jugé impossible de former une grande coalition avec le parti de Silvio Berlusconi. Selon Massimo D’Alema, dirigeant du PD, une sortie politique de Silvio Berlusconi permettrait la création d’une grande coalition, bien vue par les marchés.
A l’étranger, les signes de « détente » à l’égard du personnage de Beppe Grillo sont venus du Secrétaire d’Etat américain, John Kerry, et du président du Parlement européen, Martin Schulz. Ce dernier a déclaré que « Beppe Grillo n’a pas beaucoup en commun avec Marine Le Pen et Geert Wilders » et que « le M5S n’est pas xénophobe ».
Pour des raisons économiques et institutionnelles, il faut que le pays sorte de l’impasse. L’Italie est la troisième économie de la zone euro, un membre du G8 et possède la troisième dette la plus importante au monde. En outre, le 15 mai prochain, le mandat du président de la République, Giorgio Napolitano, viendra à expiration. Si le vote des 24 et 25 février derniers ne peut être analysé comme un vote contre l’Europe en particulier, l’impasse politique en Italie pourrait s’avérer très dangereuse pour toute l’Union européenne.