L’Italie a connu une crise de gouvernement qui s’est finalement soldée par la victoire d’Enrico Letta et du « parti de la stabilité ». Enrico Sama revient sur les dessous de cette crise et fait le point sur l’état des différentes forces en présence.
Tout commence le 1er août dernier, quand la Cour de cassation condamne de façon définitive Silvio Berlusconi, leader du parti Peuple de la Liberté (en italien Popolo della Libertà, PDL), à quatre ans de réclusion pour fraude fiscale dans le procès Mediaset. Grâce à la loi sur l’indulto[1], sa peine est réduite à un an. Mais une fois condamné de façon définitive, tout député ou sénateur doit se voir déclarer inéligible, en vertu de la loi dite Severino, votée durant la dernière législature également par le PDL. Pour décider de cette inéligibilité, le Sénat doit se prononcer à la majorité, à bulletin secret.
La sentence de la Cour de cassation fait réagir vivement le centre-droit. Et elle intervient dans un climat de campagne électorale : des sujets sensibles comme la seconde tranche de l’IMU (taxe foncière) et l’augmentation prévue de la TVA sont devenus des motifs de dispute constante entre le PDL et le Parti Démocrate (PD). Le centre-droit s’attaque aussi régulièrement aux juges « persécuteurs et de gauche ». Dès lors, à l’annonce de la décision de la Cour de cassation, il essaie de « négocier » avec le président de la République une grâce présidentielle – qui lui est refusée – et fait même un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme[2]. Les vives discussions au sein de la Commission des élections[3] du Sénat (où le PD, le parti SEL et le M5S[4] ont la majorité) sur l’inéligibilité de Silvio Berlusconi contribuent à rendre la situation explosive.
Profitant de la visite du président du Conseil Enrico Letta aux Etats-Unis, Silvio Berlusconi annonce la renaissance de Forza Italia, le parti avec lequel il avait fait son entrée sur la scène politique en 1994, et décide de retirer son soutien au gouvernement, coupable, à ses yeux, d’avoir trahi ses engagements en matière d’impôts. Il donne ensuite comme consigne aux ministres membres de son parti de démissionner du gouvernement.
Le politologue Ilvo Diamanti souligne dans le journal La Repubblica que « Berlusconi est un homme de campagne électorale, il a besoin de nouvelles élections, parce que sans élection sa vie politique est terminée »[5].
Le succès du « Parti de la stabilité »
Après vingt ans d’alternance entre centre-droit et centre-gauche, le gouvernement Letta s’est donné deux objectifs : faire des réformes – en particulier le vote d’une nouvelle loi électorale – et garantir la stabilité de son pays, notamment vis-à-vis des institutions européennes. La ligne dure adoptée par Silvio Berlusconi, soutenue par les faucons de son parti (les plus radicaux, exclus du gouvernement), remet en cause ces deux engagements. L’aile pro-gouvernement du PDL, dirigée par le ministre de l’Intérieur et vice-président du Conseil Angelino Alfano et du ministre des Réformes constitutionnelles Gaetano Quagliariello, exprime son désaccord quand Silvio Berlusconi retire son soutien. A l’occasion du vote de confiance, lors duquel le président du Conseil a rappelé dans un discours au Sénat que « la stabilité est une valeur absolue », plus de vingt sénateurs du centre-droit ont annoncé soutenir le gouvernement, en envisageant la possibilité de créer un groupe autonome inspiré du Parti populaire européen. L’issue du vote est sans ambiguïté : le gouvernement Letta obtient à la Chambre des députés 435 votes pour et 162 votes contre, et au Sénat 235 votes pour et 70 contre (SEL, LN, M5S)[6].
Les dessous du vote
Le gouvernement, sorti renforcé, peut envisager avec plus de sérénité le 1er janvier 2014, le jour où l’Italie assumera la présidence, pour six mois, de l’Union européenne. Le ministre des Relations avec le Parlement, Dario Franceschini (PD), a déclaré que se mettait en place une « nouvelle majorité ». Différents analystes avancent qu’une formation centriste pourrait se créer, formation comparable aux partis chrétiens-démocrates européens.
Ce moment peut-il être celui de la naissance d’une nouvelle droite ? Selon Luigi La Spina, il est peu concevable que le centre-droit italien se transforme en parti comparable à la CDU de Angela Merkel ; lui font encore défaut un projet construit dans le temps et un véritable enracinement social[7].
L’opposition au gouvernement formée par M5S, SEL, LN et FdI est inconsistante. Le M5S paie l’inexpérience de ses représentants et sa stratégie isolationniste. Le politologue Ilvo Diamanti explique ainsi la force du gouvernement Letta par la faiblesse des autres forces politiques.
Les défis à venir
La réforme de la loi électorale constitue le défi le plus urgent. Dans les prochains jours, la Cour constitutionnelle pourrait déclarer la « prime de majorité »[8] inconstitutionnelle, en redonnant au système électoral son caractère uniquement proportionnel. Or les sondages montrent que l’électorat est divisé en trois. Selon l’institut Ipsos, si une élection se tenait aujourd’hui, le PD arriverait en tête avec 30 % des voix, suivi du PDL avec 24 % et du M5S avec 21,4 %. La coalition de centre-gauche obtiendrait 35 %, le centre-droit 32,1 %. Ces chiffres montrent que le retour de Silvio Berlusconi dans les urnes serait une folie. Ainsi que l’explique le politologue Roberto D’Alimonte[9], il existe un risque d’ingouvernabilité. Il semble urgent de faire une nouvelle loi, mais il existe des divergences entre le PD et le PDL.
Ces deux partis sont pris dans leurs débats internes. Du côté du PD, les discussions portent sur la préparation du congrès du parti en vue de l’élection d’un nouveau secrétaire. La direction du parti a déjà annoncé que les primaires se tiendraient le 8 décembre prochain, mais Enrico Letta a décidé de rester à l’écart des annonces de candidatures. Pour l’instant, le maire de Florence Matteo Renzi part favori, mais les jeux ne sont pas encore faits.
Quant au PDL, son leader sort de cet épisode considérablement affaibli. Silvio Berlusconi sera selon toute vraisemblance déclaré inéligible par le Sénat à la mi-octobre. Les députés et sénateurs du PDL ont bien menacé de démissionner si le « parti de la stabilité » l’emportait, mais cela ressemble plus à un coup de bluff politique. Silvio Berlusconi se retira-t-il pour autant de la vie politique italienne ? On peut en douter. Il jouera certainement un rôle « extraparlementaire ». En effet, il n’est pas encore apparu de leader charismatique capable de fédérer le centre-droit. La naissance d’une « Merkel italienne » est peu probable et Silvio Berlusconi l’a bien compris.
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