Après deux mois mouvementés, l’Italie sortirait-elle de l’impasse politique ? Giorgio Napolitano est reconduit à la présidence de la République et un gouvernement de « grande coalition », dirigé par Enrico Letta, reçoit, les 29 et 30 avril 2013, la confiance des deux Chambres.
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L’Italie sort de l’impasse politique. Deux mois après les élections, qui ont abouti à un Sénat sans majorité, les principales forces politiques ont trouvé un accord sur un gouvernement de « grande coalition ». Ce résultat est la conséquence du refus péremptoire du Mouvement 5 étoiles (M5S) d’une alliance avec le Parti démocrate (PD) de Pier Luigi Bersani. Pendant ces deux derniers mois, le leader de la coalition de centre-gauche, formée par le PD et « Gauche Ecologie et Liberté » (en italien Sinistra Ecologia e Libertà, SEL), avait pourtant plusieurs fois tendu la main au parti de Beppe Grillo en proposant un « gouvernement de changement » sur huit points clés. En vain : le M5S a préféré un « splendide isolement » ; le PD s’est donc trouvé face à l’option la plus difficile : l’alliance avec Silvio Berlusconi. Une pilule amère à avaler pour le PD et ses militants, qui croyaient le Cavaliere hors jeu après les démissions de novembre 2011.
L’élection du président de la République
C’est l’élection du président de la République qui est venue débloquer la situation politique. Comme le prévoit la Constitution, le président est élu à bulletin secret par un collège de 1007 grands électeurs (les députés et sénateurs et une délégation de représentants des autorités régionales et locales). Pour être élu, il est nécessaire d’obtenir une majorité des deux tiers lors des trois premiers tours de scrutin ; à partir du quatrième, la majorité absolue est en revanche suffisante. La veille du premier tour, fixé au 18 avril 2013, Pier Luigi Bersani propose, en accord avec Silvio Berlusconi, la candidature de Franco Marini, ancien président du Sénat, membre du PD et ancien syndicaliste de la Confédération italienne des syndicats de travailleurs (CISL), syndicat d’inspiration catholique. Cette candidature provoque de nombreuses polémiques au sein du centre-gauche et, le jour suivant, Franco Marini n’obtient pas la majorité des deux tiers. Sans stratégie, le PD décide de voter blanc au deuxième et troisième tours, bien que Nichi Vendola, le leader de SEL, et une partie des militants démocrates aient appelé à élire le candidat du M5S Stefano Rodotà, juriste et ancien parlementaire de gauche. Au quatrième tour, Pier Luigi Bersani propose la candidature de Romano Prodi, fondateur du PD. Les grands électeurs démocrates approuvent à l’unanimité, tandis que le centre-droit annonce qu’il va s’abstenir. Pour tout le monde, les jeux sont faits, mais c’est sans compter sur un imprévu : en effet, 101 grands électeurs du PD n’apportent pas leur suffrage à l’ancien président du Conseil, faisant ainsi échouer la stratégie de Pier Luigi Bersani. Un véritable choc pour le PD, à tel point que Pier Luigi Bersani et le secrétariat du PD annoncent leur démission. Le premier parti italien est au bord de la crise de nerfs.
C’est dans ce contexte particulier que le président sortant Giorgio Napolitano (88 ans) se déclare disponible pour un nouveau mandat. Il est élu au sixième tour avec 738 voix, tandis que SEL et M5S votent pour Stefano Rodotà. Pour la première fois dans l’histoire de la République italienne, un président est réélu. « Un cas exceptionnel dû au caractère exceptionnel des événements », selon les propres mots de Giorgio Napolitano dans son discours d’investiture. Un discours passionnant, au cours duquel le président a durement réprimandé les forces politiques – coupables selon lui de placer leurs intérêts personnels avant ceux du pays – et a souligné la nécessité de mettre en œuvre des réformes vitales. Ce discours, qui a recueilli de nombreux applaudissements de la part des représentants politiques présents, à l’exception de ceux du M5S, montre la volonté du président de travailler avec un gouvernement de « responsabilité nationale » auquel participent toutes les forces politiques. Avec sa réélection, Giorgio Napolitano a reconquis le pouvoir de dissoudre le Parlement, un pouvoir que la Constitution lui enlève dans les six derniers mois du mandat précédent (« semestre blanc »).
Le gouvernement Letta
Une semaine plus tard, Enrico Letta, vice-secrétaire du PD, est chargé de former un gouvernement composé par des membres du PD, du Peuple de la Liberté (PDL, centre-droit) et du Choix civique (en italien Scelta Civica, centriste). Lors des différentes consultations, Enrico Letta a cherché, sans succès, à impliquer le M5S, en l’invitant à se « mélanger » avec les autres forces politiques, c’est-à-dire à sortir de sa position de « splendide isolement ». Le président Napolitano a défini le gouvernement Letta comme le « seul gouvernement possible » et il a invoqué l’« esprit de cohésion et de respect » entre les partis.
Ce gouvernement présente de nombreuses caractéristiques nouvelles. Il est le premier gouvernement qui voit alliés, après vingt ans d’opposition, centre-droit et centre-gauche. De plus, c’est un gouvernement de « renouvellement » : l’âge moyen est de 53 ans, soit onze ans de moins que le gouvernement sortant de Mario Monti. Le président du Conseil et le vice-président sont en-dessous de cette moyenne, puisqu’Enrico Letta a 46 ans et Angelino Alfano (PDL) 42. La plus jeune ministre est Nunzia de Girolamo (PDL) qui, à 38 ans, se voit chargée des politiques agricoles, tandis que le plus âgé est le ministre de l’Economie Fabrizio Saccomanni (sans parti) qui a 71 ans. Sur les 21 ministres, neuf appartiennent au PD, cinq au PDL, deux au Choix civique et quatre sont des « techniciens ».
Le gouvernement reçoit la confiance des deux chambres du Parlement les 29 et 30 avril 2013. Seuls SEL, Frères d’Italie (en italien Fratelli d’Italia, petit parti divers droite) et le M5S votent contre le gouvernement. La Ligue du Nord (mouvement séparatiste) s’est abstenue. Selon Nichi Vendola, le leader de SEL, le gouvernement Letta représente la fin de l’alliance de centre-gauche. Un mouvement d’humeur qui traverse également le PD, puisque tous ses dirigeants n’approuvent pas cette grande coalition. Suite à la démission de Pier Luigi Bersani, un secrétaire provisoire sera nommé en mai et le congrès du parti se tiendra très probablement à l’automne prochain. Beppe Grillo, quant à lui, se montre très critique et déclare que « Letta ressuscite Barabbas ». Différents analystes politiques définissent la mise en place du gouvernement Letta comme le retour de la Démocratie Chrétienne (DC), le parti au pouvoir sous la Première République. Enrico Letta, Angelino Alfano et le ministre des relations avec le Parlement Dario Franceschini ont d’ailleurs fait partie de la DC.
Du côté de la société civile, des avis positifs ont été exprimés par Confindustria, le Medef italien, qui parle d’un « exécutif de qualité », et par les organisations catholiques. Selon un sondage de l’institut Ipsos, 57 % des Italiens accordent leur confiance à ce gouvernement.
Les objectifs de la « grande coalition »
Le gouvernement s’est fixé plusieurs priorités : sortir de la crise économique, réformer la Constitution et réduire le train de vie de l’Etat. En accord avec Silvio Berlusconi, Enrico Letta a affirmé que la taxe foncière sera gelée dans l’attente de nouvelles études. De plus, il a annoncé qu’il n’y aura pas d’augmentation de la TVA. Pour mener à bien la réforme de la Constitution, sera créée une Convention ad hoc composée de députés et d’experts. Le président du Conseil a déclaré que 18 mois au moins seront nécessaires pour évaluer l’action de la Convention. Le ministre chargé de la réforme institutionnelle, Gaetano Quagliarello (PDL), est un professeur à la LUISS de Rome spécialiste du gaullisme. Enfin, un des objectifs de la « grande coalition » est d’instaurer un climat plus pacifié dans le pays, après vingt ans de batailles entre centre-droit et centre-gauche.
Un gouvernement « européen »
Le président du Conseil a déclaré, dans son discours à la Chambre des députés et au Sénat, que son gouvernement est « au service de l’Europe », défendant le projet européen et la monnaie unique. Enrico Letta a d’ailleurs été ministre des Affaires européennes (1998-1999) et député européen (2004-2006). Il s’est exprimé de manière critique envers les politiques d’austérité en invoquant la nécessité de mesures en faveur de la croissance. La confirmation d’Enzo Moavero Milanesi au ministère des Affaires européennes représente également un signe de continuité.
Après avoir obtenu la confiance du Parlement, Enrico Letta est parti pour une tournée de 36 heures dans trois capitales européennes – Berlin, Paris et Bruxelles. L’objectif de ces rencontres est de faire le bilan de ces dernières semaines mouvementées dans le pays et d’ouvrir un dialogue fructueux, surtout pour l’avenir de l’Union européenne.