Dans le cadre des travaux de l’Observatoire Marques, imaginaires de consommation et politique de la Fondation, Thierry Libaert, conseiller au Comité économique et social européen, analyse le rôle de levier que pourrait jouer la publicité dans la transition écologique et propose des pistes d’action, au-delà de la seule question de l’imaginaire mobilisé par le secteur.
Avant-propos
« L’imaginaire, c’est ce qui tend à devenir réel »,
André Breton1André Breton, Le revolver à cheveux blancs, Paris, Éditions des Cahiers libres, 1932.
La question de la compatibilité du modèle publicitaire avec les enjeux de la transition écologique est relativement récente. Certes, la critique publicitaire est fort ancienne et ne suit que de quelques années l’apparition des premières annonces après le milieu du XIXe siècle, rebaptisées ensuite réclames. Ce n’est que dans les dernières décennies du XXe siècle qu’un questionnement environnemental apparut, principalement axé sur le contenu des messages, accusés d’allégations environnementales trompeuses (éco-blanchiment, greenwashing). Le premier travail reprenant l’ensemble des impacts environnementaux de la publicité n’a été publié qu’en 2017 dans un rapport de la Fondation pour la Nature et l’Homme2Thierry Libaert, La publicité est-elle compatible avec la transition écologique ?, Fondation pour la Nature et l’Homme, 30 mai 2017..
Le débat s’est déplacé dans l’espace public début 2020 avec la Convention citoyenne pour le climat dont les propositions en matière de publicité se sont révélées très radicales : interdiction de publicité pour les produits polluants, obligation d’apposer dans toutes les publicités l’inscription d’une mention du type « En avez-vous vraiment besoin ? », régulation renforcée pour limiter les expositions subies à la publicité, notamment en termes de panneaux et d’imprimés publicitaires. Le GIEC lui-même en 2022, dans son sixième rapport du groupe 3 consacré aux solutions, mentionnait pour la première fois le rôle de la publicité et les possibilités d’une meilleure régulation3IPCC, Climate change 2022, Mitigation of climate change, Working group 3..
Trois critiques principales étaient adressées : la publicité incite au gaspillage, bien loin des impératifs de sobriété requis par l’objectif de transition écologique. La publicité nous plonge dans un imaginaire de bonheur par la consommation, là aussi en décalage avec l’imaginaire d’une sobriété rendue désirable. Enfin, le constat d’un déséquilibre majeur entre la quantité de messages publicitaires reçus quotidiennement par un individu (de 400 à 10 000 selon les méthodologies) et celle des messages de sensibilisation à l’enjeu climatique a été relevé.
Alors qu’il n’était pas central dans les questionnements émis, le sujet de l’imaginaire publicitaire a pourtant été le premier axe d’action des publicitaires. L’objectif était de montrer que la publicité pouvait se dégager des stéréotypes, qu’elle pouvait promouvoir des actions sans y être contrainte et que, surtout, en modifiant ses messages et visuels, elle pouvait se positionner comme un levier de la transition écologique, et non plus comme un obstacle.
Cette présente note a pour but de mieux délimiter l’enjeu de cet imaginaire publicitaire, d’analyser les actions mises en œuvre, de proposer des pistes d’action et de s’interroger sur la focalisation majeure de l’industrie publicitaire sur cette piste d’action.
Contexte
De manière la plus simple, l’imaginaire publicitaire peut être défini comme étant ce que la publicité « donne à voir » et donc à penser et à rêver. Cela peut s’effectuer de manière manifeste par la mise en valeur du produit ou de manière latente par les « éléments du décor », c’est-à-dire l’ensemble de la mise en scène environnant le produit. Cet imaginaire est véhiculé par le visuel dans ses différentes composantes, le message, le son s’agissant de la publicité audiovisuelle ou purement audio. Rappelons que l’essentiel des investissements publicitaires s’effectue désormais sur l’espace numérique, celui-ci représentant, en 2024, 58% des dépenses mondiales de publicité et 53% pour la France4Thierry Wojciak, « Marché publicitaire : +3,4% en 2023, à 17,3 milliards d’euros selon le Bump », CB News, 14 mars 2024..
Comme l’indiquait l’essayiste altermondialiste Naomi Klein, « IBM ne vend pas des ordinateurs, mais des solutions d’affaires. Swatch, ce n’est pas des montres, mais une idée du temps »5Naomi Klein, No Logo. La tyrannie des marques, Arles, Actes Sud, 2001, p. 49.. Le constat peut s’élargir, la publicité ne vend pas des cosmétiques mais de la jeunesse, elle ne vend pas des vêtements mais de l’élégance, elle ne vend pas des outils de bricolage mais des supports d’embellissement pour votre foyer, elle ne vend pas des voitures, elle vend du prestige. L’économiste John Kenneth Galbraith l’observait déjà dans les années 1950, la publicité doit créer le désir, elle doit « faire advenir des désirs qui préalablement n’existaient pas »6John Kenneth Galbraith, L’ère de l’opulence, Paris, Calmann-Levy, 1970, p. 127..
Un des ressorts de l’efficacité publicitaire est de connoter positivement le produit en l’insérant dans un imaginaire de bonheur associé à la possession du produit et de transcender celui-ci en permettant à son acquéreur de vivre une nouvelle expérience.
Le recours à l’imaginaire dans une campagne publicitaire s’explique essentiellement par un enjeu d’efficacité. La publicité qui se contente de présenter les avantages d’un produit recueille de plus faibles taux de mémorisation et d’agrément.
Selon les défenseurs de la liberté de création publicitaire, cette utilisation d’un univers idéalisé ne serait pas en soi un problème, et ce pour deux raisons principales :
- l’imaginaire publicitaire ne serait pas imposé par la publicité, il ne serait que le reflet de son époque. C’est ce que déclarait déjà le spécialiste des styles de vie Bernard Cathelat en 1987 : « La parole publicitaire est le discours de la société sur son propre devenir »7Bernard Cathelat, Publicité et société, Paris, Payot, 2001. ;
- la capacité des récepteurs (consommateurs-citoyens) à décrypter les messages de publicité. « Ce n’est que de la publicité ».
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Abonnez-vousEnjeux
Avant d’approfondir le sujet de la responsabilité de l’imaginaire publicitaire dans la transition écologique, trois observations peuvent être effectuées en préalable.
- Lorsqu’on évoque l’imaginaire publicitaire, il est nécessaire d’observer que la publicité n’est pas l’apanage des organisations marchandes. La publicité est utilisée par les institutions publiques, les collectivités territoriales, les associations, et même par chacun d’entre nous en relayant les messages des marques, ou en arborant dans l’espace public leurs logos. En outre, les entreprises peuvent promouvoir d’autres messages qu’une simple incitation à consommer. La publicité peut véhiculer des messages d’intérêt général, voire se situer autour d’une remise en cause des habitudes de consommation, à l’exemple de la campagne « Dévendeur » de l’Ademe en novembre 20238Campagne de l’Ademe, « Posons-nous les bonnes questions avant d’acheter », Ademe, 24 janvier 2024.. À l’inverse, on ne peut pas parler d’un imaginaire de la publicité sans mentionner la forte concentration du marché publicitaire français, ce qui fait dire à Jacques-Olivier Barthes, ancien directeur de la communication de WWF, que « l’imaginaire publicitaire est d’abord l’imaginaire des grandes marques »9Audition réalisée le 16 janvier 2024 dans le cadre de la préparation de ce travail au sein de la Fondation Jean-Jaurès..
- L’imaginaire de consommation ne peut se réduire à l’imaginaire publicitaire. Il procède également des influences dégagées par les cultures, notamment les séries télévisées, le cinéma hollywoodien, la littérature, les bandes dessinées, les jeux vidéo, mais aussi de l’action des influenceurs qui vendent un mode de vie. Il y a lieu également de considérer que la publicité ne constitue qu’une part réduite de ce qu’il conviendrait mieux d’appeler l’« imaginaire commercial » puisque celui-ci résulte d’un grand nombre de supports de communication, à l’exemple des actions de marketing direct, de promotion, d’espaces de vente, de packaging10Sophie Dubuisson-Quellier, « How does affluent Consumption come to consumers? A research agenda for exploring the foundations and lock-ins of affluent consumption », Consumption and Society, vol. 1, n°1, août 2022, pp. 35-50..
- L’idée même de la relation d’un sentiment de bonheur réalisé par nos pratiques de consommation ne nous semble pas réductible à une question de communication commerciale. Il s’agit sans doute d’un imaginaire de consommation, d’un imaginaire économique, d’un imaginaire politique, plus large qu’un simple imaginaire de publicité. Toutefois, la réduction du discours politique au profit du discours des marques, parfaitement mise en lumière par les travaux de Raphaël LLorca11Raphaël LLorca, Le roman national des marques, La Tour d’Aigues, Fondation Jean-Jaurès/L’Aube, 15 septembre 2023., a entraîné une tendance à l’effacement de la figure du citoyen à celle du consommateur, et celui d’un horizon sociétal à une promesse de consommation.
L’enjeu essentiel réside dans le dépassement de la contradiction entre un modèle publicitaire valorisant l’idée d’un bonheur par la consommation des produits et services et l’impératif de lutte contre le dérèglement climatique qui exige une évolution de nos modes de consommation. Cela n’est en soi pas évident et il s’agit sans doute d’un paramètre de la dynamique publicitaire. C’est ce qu’affirme le sociologue allemand Hartmut Rosa : « Le mode de fonctionnement de la publicité et de la marchandisation capitaliste repose sur le fait qu’elles transposent notre besoin existentiel de résonance, autrement dit notre désir de relation, en un désir d’objet »12Hartmut Rosa, Rendre le monde indisponible, Paris, La Découverte, 2020, p. 50.. Le défi est de passer d’un imaginaire de consommation à un imaginaire de bien-être.
C’est ici le point central d’un débat qui s’est cristallisé autour de la question des nouveaux récits. Il s’agit, pour reprendre les termes de nombreux auteurs, de « décoloniser l’imaginaire »13Serge Latouche, Décoloniser l’imaginaire. La pensée créative contre l’économie de l’absurde, Paris, Parangon, 2004., d’engager un « processus de réimagination »14Valérie Fournier, « Possibilities and Politics in Imagining Degrowth », dans Katharine Legun et al. (dir.), The Cambridge Handbook of Environmental Sociology, Cambridge, Cambridge University Press, 2020, pp. 205–220. et, appliqué à notre propos, « de soutenir un changement de paradigme en faveur de transformation des modes de vie et de rupture avec le consumérisme15Éric Rémy, Dominique Roux, Éric Arnould, Søren Askegaard, Anthony Beudaert, Anthony Galluzzo, Jean-Luc Giannelloni et Gilles Marion, « Look up! Cinq propositions de recherche pour repenser le marketing dans une société post-croissance », Recherche et applications en marketing, 39(1), 2023, pp. 78-100. ».
Cet imaginaire de bonheur par la consommation se poserait en d’autres termes s’il reposait sur une vérité scientifique. Or, toutes les études démontrent l’inverse et toutes les recherches portant sur les indicateurs du bonheur n’établissent aucun lien avec nos modes de consommation.
Les premiers travaux de Tim Jackson en 200916Tim Jackson, Prospérité sans croissance, Louvain-la-Neuve, De Boeck, 2e édition, 2009. démontrent que, passé un seuil de rémunération évalué à 1,5 fois le salaire minimum de croissance (Smic), aucune corrélation ne peut être établie entre la consommation et le sentiment de bonheur, celui-ci étant davantage relié à des critères immatériels comme le sentiment d’intégration sociale, le nombre perçu d’amis… C’est également ce que confirme l’étude réalisée à Harvard sur le développement et le sentiment de bonheur et de la bonne santé17Colby Itkowitz, « Harvard researchers discovered the one thing everyone needs for happier, healthier lives », The Washington Post, 2 mars 2016.. Cette recherche, qui a la particularité de se poursuivre régulièrement depuis 1938, affirme « les personnes qui sont plus connectées socialement à leur famille, leurs amis, leur communauté, sont plus heureuses, physiquement en meilleure santé, et vivent plus longtemps »18Florine Galéron, « Savoir s’entourer rend heureux », Sciences humaines, n°180, avril 2016.. L’économiste Éloi Laurent confirme le diagnostic : « L’enseignement le plus étonnant, le plus robuste et le plus précieux de cette enquête sans équivalent a émergé : ce sont les relations sociales qui expliquent le mieux la santé des participants sur la durée, en termes de longévité comme de félicité déclarée »19Éloi Laurent, Coopérer et se faire confiance, Paris, Rue de l’échiquier, 2024, p. 35.. Nul paramètre relatif aux possessions n’est alors mentionné.
Il est d’ailleurs envisageable que l’effet produit soit inverse à cette idée de bonheur rendu possible par l’acquisition de produits et services, et que le spectacle incessant de personnes heureuses de consommer n’engendre un effet boomerang en générant un sentiment de frustration chez les personnes les plus défavorisées, incapables de s’identifier à celles mises en scène par les messages publicitaires et d’accéder aux produits valorisés en raison de leurs fortes contraintes budgétaires.
En outre, l’idée d’un sentiment de bonheur conséquence des achats promus par la publicité ruine tout effort de sensibilisation pour une société de sobriété. Et cela alors même que les citoyens semblent prendre leurs distances avec les discours d’incitation à la consommation. Même s’il est toujours bon de prendre du recul face aux résultats des différents sondages, le fait que 65% des Français expriment l’opinion que « l’injonction à consommer toujours plus ne me rend pas heureux, c’est plutôt une pression que je ressens »20Destin Commun, Élections européennes : le jeu est ouvert, mars 2024. et que 70% estiment que la sobriété est une solution souhaitable face à la crise climatique doit faire réfléchir de nombreux publicitaires. À défaut, les messages publicitaires traditionnels entrent en collision frontale avec les discours de sensibilisation à la transition écologique, ceux-ci étant alors immédiatement interprétés comme une incitation à la décroissance et l’austérité. Si l’on accepte l’idée qu’une publicité authentiquement responsable doit viser à rendre désirable ce qui est durable, on voit que la question des imaginaires prend tout son sens.
Parmi les contraintes majeures, l’évolution de l’imaginaire doit s’engager sans impacter les fondements même de l’efficacité publicitaire reconnue comme un levier de croissance économique et d’emploi. De même, il est envisageable que cet imaginaire découle également des rapports sociaux. Comme l’affirmait dans nos débats le spécialiste des marques Georges Lewi, « il faut partir de ce qui existe dans l’esprit des hommes et non seulement du discours des marques »21Audition réalisée le 16 janvier 2024 dans le cadre de la préparation de ce travail au sein de la Fondation Jean-Jaurès.. Et en effet, la communication commerciale tente d’abord de saisir les attentes psychologiques individuelles avant de s’efforcer d’y répondre. Dans un monde sans publicité, il est probable que nous continuerions à souhaiter le dernier produit à la mode ou un véhicule plus imposant que celui du voisin. C’est d’ailleurs ce que conceptualisait Thorstein Veblen22Thorstein Veblen, Théorie de la classe des loisirs, Paris, Gallimard, 1899. autour de l’idée de consommation ostentatoire, cela dès 1899. Dans un objectif pleinement opérationnel, il importe de pouvoir objectiver l’apport sociétal d’une modification des récits publicitaires. Deux méthodes ont récemment été publiées, celle de l’Impact score développé par l’agence Havas, qui permet la mesure des représentations générées par une campagne au travers des trois critères de pertinence, d’intensité et de comportement, et l’indice NEC (Net Environmental Contribution) développé par l’Association Entreprises pour l’environnement23Entreprises pour l’environnement, Comment mesurer et piloter l’impact de la publicité sur l’empreinte environnementale des consommateurs ?, juin 2023.. Ces deux méthodes permettent d’identifier les impacts en termes de perception environnementale et sociétale des communications commerciales. Elles doivent toutefois progresser pour être totalement pertinentes. Il nous apparaît en effet que les résultats obtenus par les scores d’impact dépendent essentiellement du produit ou service promu par la publicité, les paramètres latents et implicites n’y figurent que de manière minimale.
Cette responsabilité du consommateur doit également être questionnée sur nos propres ambiguïtés. Les études de l’Ademe indiquent ainsi l’extrême difficulté à percevoir nos propres impacts. Deux exemples peuvent être apportés. D’abord le fait que les Français sous-estiment largement la quantité d’objets présents chez eux. Sur la catégorie des équipements électriques et électroniques, ils pensent en posséder 34, alors qu’en réalité, ils en possèdent 99, dont six ne sont pas utilisés24ADEME, La face cachée des objets : vers une consommation responsable, dossier de presse, septembre 2018.. Par ailleurs, 83% des Français estiment qu’en France, on consomme trop. Seulement 28% estiment qu’eux-mêmes consomment trop25Ademe, Baromètre Sobriété et modes de vie, mars 2024. p. 46.. La consommation excessive, induite ou non par la publicité, c’est d’abord celle des autres.
Analyse de la situation
En dehors des trois composantes de l’imaginaire publicitaire (le message, le produit, le décor), trois paramètres permettent une représentation plus exhaustive des différentes dimensions de la question.
- Le sujet du greenwashing. S’il n’entre pas directement dans le sujet de l’imaginaire publicitaire, il ne peut pourtant en être exclu en raison de ses conséquences sur nos modes de pensée envers le déréglement climatique. Par le spectacle de micro-réalisations industrielles pour l’environnement, le greenwashing, à grands renforts de messages triomphalistes, nous amène dans un univers de fausse espérance, à penser que la transition écologique serait en bonne voie et que l’accumulation de petits efforts et innovations pourraient nous prémunir de nécessaires ruptures. En outre, par la focalisation sur ce sujet, il amplifie la défiance envers le discours environnemental des organisations, interroge même la légitimité de celles-ci à communiquer et porte un risque de dénonciation d’efforts d’entreprises sincèrement engagées.
- Inclusion et diversité. Ce paramètre lié aux enjeux sociaux de la transition écologique pose la question des personnes représentées dans les campagnes publicitaires. Il peut s’agir de diversité ethnique ou de représentations de certaines catégories de la population. À titre d’exemple, l’Association nationale des communicants, première association française de communication, a publié une étude sur les représentations du handicap dans la publicité. Alors même que les personnes porteuses d’un handicap représentent 16% de la population, celles-ci sont totalement absentes des publicités. Commentaire de l’association : les personnes en situation de handicap n’apparaissent dans les publicités qu’à l’occasion de campagnes de sensibilisation, jamais autrement. De même pour illustrer la diversité ethnique, la publicité intègre l’image de beaux jeunes hommes ou femmes noirs. Les personnes de type maghrébin ou asiatique n’apparaissent que très marginalement dans les publicités.
- La question des stéréotypes. Le CSA (aujourd’hui Arcom) avait publié en octobre 2017 une étude sur les représentations des femmes dans les publicités télévisées. Celle-ci montrait la très forte sous-représentation des femmes dans certains secteurs. Par exemple, la représentation d’un expert est occupée à 82% par des hommes. Et dans le secteur de la publicité automobile, seuls 16% des femmes sont présentes au volant, même si cette proportion semble en forte augmentation dans l’objectif de féminiser l’attractivité des SUV26Léo Larivière, La « SUV-ification » du marché automobile. Des stratégies industrielles aux imaginaires de consommation, Fondation Jean-Jaurès, 6 octobre 2023.. Par ailleurs, et comme l’indique Aurélien Breton27Aurélien Breton, « La publicité à l’heure de l’inclusion », L’Hémicycle, n°510, hiver 2022., des campagnes comme celles de Dove mettant en scène des femmes « rondes », de Decathlon montrant des jeunes de quartiers défavorisés, de Benetton affichant des couples mixtes ou de la marque de lingerie Darjeeling présentant des sexagénaires en sous-vêtements indiquent la capacité publicitaire à innover dans ses représentations. Ces exemples illustrent la capacité publicitaire à proposer d’autres référentiels, pièces indispensables des nouveaux récits de la transition. Autre exemple, pour représenter certains comportements, la publicité utilise fréquemment des représentations animales, ce qui contribue à dégrader l’imaginaire de notre relation aux animaux et à effacer leur essence. C’est ainsi que pour symboliser une personne agressive, il sera mis en scène l’image d’un requin ou d’un loup. Alors même que la sauvegarde de la biodiversité imposerait de sensibiliser à l’utilité de chaque espèce, les messages publicitaires peuvent apparaître en contradiction directe. Cette critique est loin d’être anecdotique au moment où l’on découvre que le soutien de l’opinion publique à la cause de la biodiversité ne s’effectue réellement que sur un nombre limité d’espèces emblématiques, l’ours, l’aigle, la cigogne, le dauphin, perçus d’avantages comme des symboles positifs, et que la réalité de la perte éco-systémique des espèces animales et végétales est elle peu présente.
Parmi les études récentes, trois peuvent être signalées.
- Une étude sur les représentations de la viande dans la publicité, réalisée par Greenpeace Danemark en 202128Natasha Delliston, « Ce que cache la publicité pour la viande », Greenpeace Danemark, novembre 2021.. Cette étude a mis en évidence les éléments les plus présents. Manger de la viande est un signe de virilité, c’est patriotique et c’est bon pour la santé. De même, les campagnes mettent en scène l’aspect convivial de « manger de la viande », celle-ci étant d’ailleurs le plus souvent amenée à table par des femmes.
- Greenpeace a également réalisé une étude sur les influenceurs « voyage »29Garance Bazin, Sashia Cousin, « En mode avion ». L’influence d’Instagram et de la publicité sur nos imaginaires du voyage, Greenpeace France, octobre 2023.. Publiée en octobre 2023, celle-ci met en évidence que l’influence voyage s’effectue principalement par une recommandation de trajet aérien et infuse l’idée qu’« un vrai voyage doit nécessairement se faire en avion ».
- La thèse doctorale d’Erica Lippert soutenue en juin 2023 à l’Université libre de Bruxelles sur le sujet des représentations environnementales sur Instagram30Erica Lippert, La mise en récit des éthos écologiques sur Instagram. Une cartographie entre France et Québec, Bruxelles, Presses de l’ULB, août 2023.. Ce travail mettait également en évidence le rôle des influenceurs dans la construction d’un imaginaire de l’environnement esthétisé pouvant fréquemment s’assimiler à des incitations au surtourisme et à l’instrumentalisation de la nature à des fins quasi uniques de loisir31Erica Lippert, Les habits verts des influenceurs. Mise en scène de soi « écolo » au service des imaginaires consuméristes, Fondation Jean-Jaurès, 27 novembre 2023..
Ces travaux demanderaient à être complétés par d’autres recherches académiques.
Les démarches entreprises
Les entreprises, via des associations représentatives, se sont emparées du sujet. Deux initiatives méritent ici d’être signalées.
- D’abord, l’action de l’Union des marques (UDM). Cette association, anciennement Union des annonceurs, fédère l’essentiel des entreprises ayant recours à la publicité parmi leurs outils de communication. L’UDM a été particulièrement active ces dernières années avec notamment trois actions :
- un guide sur les représentations des comportements dans la publicité : Guide de la communication sur les comportements éco-responsables (2023) ;
- un guide sur les imaginaires de communication : La représentation des comportements éco responsables en publicité (2021) ;
- le lancement en 2022 du prix REPRESENTe qui récompense les entreprises ayant le mieux intégré la notion d’imaginaire responsable dans la publicité.
- De son côté, l’association Entreprises pour l’environnement qui s’adresse, quant à elle, plus particulièrement aux directeurs RSE, avait créé un groupe de travail sur le sujet de la publicité. Ce groupe a notamment publié un guide visant à prévenir les dix stéréotypes les moins écoresponsables dans les campagnes de publicité.
- L’Autorité de régulation professionnelle de la publicité a publié le 28 avril 2020 la troisième version de sa recommandation « Développement durable » indiquant que :
- la publicité doit bannir toute évocation ou représentation de comportement contraire à la protection de l’environnement ;
- la publicité ne saurait inciter directement ou indirectement à des modes de consommation excessifs ou contraires aux principes de l’économie circulaire.
En dehors des exemples provenant de fédérations ou d’associations professionnelles, force est de constater que cette question des imaginaires, associée à celle des nouveaux récits, est devenue incontournable dans les débats sur la transition écologique. Elle est portée par l’Ademe qui en fait un élément central de son dispositif de communication responsable. De nombreux agences de communication se sont spécialisées, des formations sont proposées aux professionnels de la communication32Imagine 2050, par exemple., aux scénaristes33L’Assemblée citoyenne des imaginaires, par exemple.. Elle forme un élément central de l’action de la Convention des entreprises pour le climat34Marina Fabre Soundron, « Quand les entreprises s’emparent des nouveaux imaginaires », Novethic, 19 mars 2024.. Celle-ci a lancé en avril 2024 un parcours « Nouveaux imaginaires 2024 » réunissant 120 participants représentant 60 organisations pour un travail collectif de six sessions de deux jours sur dix mois. Elle est parfaitement relayée par les revues des professionnels de la publicité35Pascale Caussat, « Comment changer les imaginaires pour accélérer la transition écologique », Stratégies, 26 avril 2024.. Une fresque des nouveaux récits a été créée. L’action entreprise sur la question des nouveaux récits publicitaires est affirmée par les plus hauts responsables du métier, à l’exemple du président du conseil de surveillance de Publicis : « Si l’on ne fait pas émerger le désir d’un monde différent, aucune transition écologique ne sera jamais effective »36Maurice Lévy, « Préface », dans Irène Grenet (dir.), La Publicité dans le monde nouveau, Paris, Odile Jacob, 2022.. Le propos est porté également par les dirigeants d’Havas Paris : « Nous vendons des idées mais aussi des visions du monde »37Gilles Wybo, « Les projets de Mayada Boulos et Julien Carette pour Havas Paris », Stratégies, 13 mars 2024. ou « Pour changer le monde, il va falloir construire des nouveaux imaginaires. C’est-à-dire qu’il va falloir être capable de raconter que rouler en électrique, investir dans l’ISR ou manger bio, c’est cool. Le sujet de la publicité, c’est de créer du désir, de faire de la projection vers un univers de référence positif »38Ibid..
L’imaginaire de l’arbre et de la forêt
Il n’y aurait aucune interrogation sur la question des nouveaux imaginaires si, comme souvent, la communication n’avait tendance à en faire trop.
L’élément central qui interpelle est celui de cette unanimité qui s’est installée autour des nouveaux récits en général et de leur application commerciale autour de l’imaginaire publicitaire. Comment expliquer ce décalage extrême entre la promotion effectuée par les annonceurs et les publicitaires autour de la question des imaginaires et la quasi totale absence de réponse sur la compatibilité même de la fonction publicitaire aux enjeux de la transition écologique et à la lutte contre le dérèglement climatique ? Force est de constater que sur les 23 propositions du rapport au ministre de la Transition écologique39Thierry Libaert et Géraud Guibert, Publicité et transition écologique, juin 2020., sur les 15 articles de la loi Climat et résilience de 2021, peu de résultats concrets sont apparus. Sur l’engagement même des entreprises à se positionner sur des trajectoires de réduction des émissions de gaz à effet de serre, seuls 18% des entreprises assujetties ont souscrit un contrat climat40Arcom, Contrats climat : premier constats et perspectives d’amélioration, janvier 2023, p. 5., alors même qu’il s’agit d’une obligation légale. Sur les questions de contenu comme la possibilité d’interdiction de publicité pour les produits les plus polluants, d’incitation comme l’apposition de mentions, de contribution financière des dépenses publicitaires à la promotion de produits et services éco-responsables, de régulation pour viser un réel système de name & shame, aucune réponse sauf minime ou dilatoire n’a été apportée.
Et pendant ce temps, l’idée d’un imaginaire publicitaire qui soit positif, constructif, voire régénératif, est devenue incontournable et l’on perçoit rapidement l’intérêt de la démarche pour la profession publicitaire :
- elle contribue à l’acceptabilité publique de la publicité en la positionnant comme un allié de la transition écologique, thème sur lequel elle connaît de fortes attaques ;
- elle contribue à l’attractivité du métier au travers de la marque employeur ;
- elle permet de rester dans un univers de soft law et d’éviter ou de retarder toute mesure contraignante ;
- accessoirement, mais de manière non négligeable, elle crée un marché de conseil en nouveaux récits.
On peut percevoir une illustration de la volonté des professionnels de voir se propager une image des bienfaits de la publicité au travers de la multiplication des prix consacrés à promouvoir le rôle sociétal de la publicité. Chaque catégorie professionnelle possède désormais son événement annuel de célébration d’un récit positif. Il en est ainsi pour l’Union des marques (prix REPRESENTe), pour le « prix de la communication citoyenne » décerné par ACT responsible, pour le prix du même nom décerné par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), pour les « trophées de la communication à impact positif » de la filière Communication, le concours « Futurs désirables » du Club des directeurs artistiques, le prix « Bouger les lignes » de l’Alliance de la presse d’information, et l’on pourrait multiplier les exemples de cette floraison de prix, souvent très récents, célébrant les apports de la publicité à un nouveau récit.
Bien évidemment, il ne peut être reproché aux fédérations professionnelles de vouloir valoriser des approches positives de la publicité à notre société ; cela constitue un excellent effet d’entraînement et j’ai toujours plaisir à participer aux jurys, ce que je fais régulièrement. Mais cette multiplication de prix interroge, surtout au regard de la faible part de messages « vertueux » dans l’ensemble du marché publicitaire.
L’imaginaire publicitaire et les nouveaux récits sont aux professionnels de la communication ce que les écogestes sont aux citoyens : un élément de sensibilisation, une contribution aux efforts, mais ils ne peuvent occulter la nécessité de bifurcation, voire de rupture avec les pratiques actuelles. Les effets de la publicité ne sont pas réductibles aux notions d’imaginaire, de récit, de vision ou d’idéologie. Le rapport de Communication et démocratie et de l’Institut Veblen pour les réformes économiques de 2022 a ainsi démontré que « le niveau de dépenses publicitaires observé en France a conduit à une augmentation cumulée sur trente ans de la consommation des ménages de près de 5,3% »41Communication et démocratie, Institut Veblen pour les réformes économiques, La communication commerciale à l’ère de la sobriété. Taxer la publicité pour consommer autrement, octobre 2022..
L’industrie publicitaire implique des effets en termes d’incidence sur les comportements. Ils ne peuvent se prévaloir de la solution dont ils ne sont qu’un élément, certes nécessaire, mais totalement insuffisant face à l’ampleur des enjeux.
Cela ne réduit en rien l’intérêt même du traitement de la question d’une nouvelle narration publicitaire. Elle participe de la dynamique de compréhension qu’il peut difficilement y avoir de transition écologique sans transition culturelle. Et à cet égard, il faut constater que le travail effectué par les professionnels est rigoureux, profond, adapté.
Notre doute provient, outre de cette survalorisation de l’idée de nouveaux récits publicitaires, de la faiblesse des éléments scientifiques, en dehors de ceux développés par l’Ademe et quelques rares acteurs le plus souvent non académiques, à l’appui de la généralisation de ces nouveaux imaginaires, de l’incertitude relative aux mécanismes de mise en place des nouveaux récits, parfaitement synthétisé par le sociologue Michaël Dandrieux : « Ce n’est pas nous qui allons construire un imaginaire, c’est l’imaginaire qui nous construit »42Cité par Jules Colé, Comment faire évoluer nos imaginaires ?, mémoire de master, Institut catholique de Paris, 2020-2022, p. 110.. Il est d’ailleurs singulier d’observer que les deux arguments de défense du modèle publicitaire traditionnel déjà mentionnés plus haut – à savoir que le consommateur est assez intelligent pour décrypter que « ce n’est que de la publicité » lorsqu’il s’agit de vendre l’image de bonheur par la consommation et que la publicité n’est que le reflet de son époque – apparaissent balayés par le discours publicitaire lorsqu’il s’agit de vendre cette idée de nouveaux imaginaires.
Et en effet :
- Pourquoi le consommateur serait-il assez intelligent pour comprendre l’intention purement commerciale de la promotion publicitaire, mais serait incapable de percevoir l’utilité des nouveaux récits pour les annonceurs dans les campagnes publicitaires et adhèrerait immédiatement à ceux-ci ?
- Pourquoi la publicité ne serait que le reflet de son époque lorsqu’il s’agit de vendre des produits et services, mais deviendrait grâce aux nouveaux imaginaires un des moteurs de l’évolution vers une société plus vertueuse ?
Enfin, il est possible de s’interroger sur la réalité à venir des imaginaires et la capacité de la publicité à façonner de nouveaux récits, alors même que la publicité, désormais majoritairement numérique, réduit fortement la possibilité même d’un discours collectif à l’heure de l’hyper fragmentation des cibles. Le contenu des messages numériques configuré par les algorithmes ressemble pour l’essentiel à des textes ultra courts et purement promotionnels43Conseil de l’éthique publicitaire, Avis « Big Data et publicité », 20 décembre 2016, rapporteur Thierry Libaert..
En somme, ce qui nous interpelle est la question de la manière selon laquelle l’ensemble des acteurs économiques et plus particulièrement ceux de la publicité ont réussi à construire ce récit d’un imaginaire incontournable à un engagement collectif en faveur de la transition écologique. Comment ce sujet, pourtant absent des sept engagements de la filière Communication énoncés en mars 2021, est-il aujourd’hui présenté comme la solution ultime ?
Pour dissiper toute ambiguïté, il est nécessaire d’écarter toute idée complotiste d’une manipulation organisée par l’industrie publicitaire afin de détourner l’attention sur ses responsabilités effectives grâce à une démarche consensuelle, non contraignante, non onéreuse. S’il est vrai que ce nouvel imaginaire promu par le discours publicitaire regroupe l’ensemble de ces critères, nous avons pu constater au cours de ces dernières années un important changement de positionnement de l’industrie publicitaire. La grande majorité de celle-ci est passé d’une posture défensive d’évitement des critiques à celle plus offensive d’une industrie se voulant « à la pointe du combat contre le changement climatique »44Matt Bourn, Sebastian Munden, Sustainable advertising. How advertising can support a better future, Kogan Page, 3 mars 2024..
Toutefois, le plus étonnant dans cette histoire réside dans le fait que les professionnels de la communication, connaissant mieux que quiconque l’intérêt des démarches de dialogue, n’ont, alors même qu’ils y furent invités depuis plusieurs années45Ibid., jamais cherché à échanger avec les mouvements de critique publicitaire, les ONG environnementales et les associations de consommateurs pour délimiter ensemble des pistes d’avancée. Et il faut reconnaître que lorsque les ONG étaient invitées sur le sujet par le ministère de la Transition écologique, les chaises, à de trop rares exceptions près46Résistance à l’agression publicitaire, Les amis de la Terre…, restaient vides.
Un immense chantier autour du rôle de la communication commerciale dans la réussite de la transition écologique reste à construire. D’importants efforts ont déjà été réalisés notamment dans la décarbonation des activités publicitaires. Celui-ci doit affronter la question des interdictions, des trajectoires carbone, des contributions financières, des formations, des recueils et de l’utilisation des données, de la place dans l’espace public, du financement des médias. La question de l’imaginaire publicitaire et, au-delà, l’ensemble de celle des nouveaux récits dans la sphère publique ne peuvent prétendre être la clé de la transformation de nos sociétés. La transition écologique, et plus particulièrement la lutte contre le dérèglement climatique, ne peut se réduire à la question, si importante soit-elle, des nouveaux imaginaires.
Trois préconisations
Développer de nouveaux récits pour un imaginaire sociétal qui ne passerait pas exclusivement par l’appropriation incessante de nouveaux produits et services se manifeste par une meilleure compréhension de l’objectif. En effet, si un consensus semble s’être formé autour de l’exigence de nouveaux récits davantage conformes aux objectifs climatiques et au-delà d’une société désirable, cette unanimité dissimule d’importantes nuances dans ce qui apparaît souhaitable.
Il n’est pas demandé à la fonction publicitaire de devenir l’étendard de la transition écologique et le porte-voix de la lutte contre le dérèglement climatique. Il lui est demandé d’éviter tout message, direct ou indirect, pouvant entrer en contradiction avec les impératifs de la transition écologique. Loin d’être une contrainte, c’est une relégitimation de la fonction qui s’amorce au travers d’une pratique davantage prédictive qu’instrumentale. Une meilleure intégration des enjeux environnementaux et sociétaux apportera un surcroît de sens dans les deux acceptions de raison d’être et de direction pour l’action.
L’imaginaire publicitaire tel que nous l’entendons vise à rendre désirables des modes de vie compatibles avec les limites planétaires et, en ce sens, il ne saurait se réduire à une simple relation aux objets. C’est le sujet même de la relation au monde et aux autres qui est questionné. Cela passe par la mise en avant de nouveaux héros, de comportements vertueux, de styles de vie sobres mais non austères.
Pour être efficace, le nouveau discours publicitaire ne doit pas être distancié, incertain ou moralisateur. Il ne peut être imposé. Le nouveau discours publicitaire n’est pas un nouveau storytelling, il doit pouvoir réconcilier le consommateur et le citoyen présent en chacun de nous.
- Que la filière publicitaire se saisisse pleinement du sujet, notamment en promouvant largement le dispositif des contrats-climat qui offre un cadre de formalisation et de suivi des engagements pour la transition écologique des communications des acteurs du secteur et des marques. Le deuxième axe d’engagement des contrats-climat étant « Encourager, notamment dans les communications commerciales, l’évolution des modes de vie et comportements en cohérence avec l’objectif de moindre impact sur l’environnement ». Le dispositif offre la possibilité pour les entreprises de formaliser des engagements en termes de sensibilisation et formation de leurs collaborateurs aux enjeux de la transition écologique dans les communications commerciales. Il est singulier que seules les associations de directeurs de communication ou de RSE se soient saisies du sujet et que les publicitaires eux-mêmes, tout en énonçant fortement leur interêt, n’aient pris aucune initiative concrète sur le sujet.
- Que le travail soit effectué en relation avec les communautés scientifiques. La contribution publicitaire à un nouvel imaginaire plus en phase avec les limites planétaires ne peut s’improviser. Elle doit résulter de l’apport de la recherche en psychologie sociale, en sociologie, en sémiologie, en sciences de l’information et de la communication. Seule une démarche scientifique transdisciplinaire conjuguée à des échanges réguliers avec les professionnels du marketing et de la publicité permettra d’apporter de la rigueur dans la méthode et de l’efficacité dans les résultats. De ce point de vue, la démarche du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) d’organisation d’une rencontre qui s’est déroulée le 22 avril 2024 avec les représentants des enseignants-chercheurs en communication environnementale est à saluer.
- Sensibiliser l’ensemble des acteurs économiques majeurs, des créatifs en agence de communication et les annonceurs, développer la formation initiale et continue pour l’ensemble des communicants au sujet des impacts directs et indirects de la communication commerciale, et non comme une simple option dans le cursus.
Ces trois préconisations sont majeures et doivent être soutenues. Il est toutefois indispensable qu’elles ne servent pas de paravent à l’absence de réel débat sur le rôle de la publicité sur la transition écologique, ce rôle ne pouvant se réduire, et loin de là, à la question des imaginaires.
Annexes
Remerciements
Ce travail a été réalisé dans le cadre de l’Observatoire Marques, imaginaires de consommation et politique que dirigent Benoît Heilbrunn et Raphaël Llorca. Il a bénéficié du concours de nombreux experts auditionnés en janvier 2023 (liste à retrouver ci-dessous) dans une perspective multidisciplinaire. Il a été enrichi par les observations de personnalités avec qui j’ai pu échanger sur le sujet (Laurent Esposito, Albin Wagener, Erica Lippert, Julien Intartaglia). L’ensemble des membres de l’Observatoire, les experts auditionnés et les spécialistes rencontrés individuellement dans le cadre de ce travail sont ici chaleureusement remerciés. Les opinions exprimées dans cette note restent de la seule responsabilité de leur auteur.
Personnalités auditionnées
- Jacques-Olivier Barthes, consultant, ancien directeur de la communication de WWF
- Nataly Botero, maître de conférences en sciences de la communication Paris II
- Éric Guylardi, climatologue, membre de l’Institut Pierre Simon Laplace
- David Laurent, chargé de mission à l’association Entreprises pour l’environnement
- Erwan Lecœur, sociologue et enseignant en communication, université de Grenoble (UGA)
- Valérie Martin, cheffe de service de mobilisation citoyenne à l’Ademe
- Marie-Hélène Meyling, CFDT, membre du Conseil économique, social et environnemental
- Sophie Roosen, directrice Marque et impact à l’Union des marques
- 1André Breton, Le revolver à cheveux blancs, Paris, Éditions des Cahiers libres, 1932.
- 2Thierry Libaert, La publicité est-elle compatible avec la transition écologique ?, Fondation pour la Nature et l’Homme, 30 mai 2017.
- 3IPCC, Climate change 2022, Mitigation of climate change, Working group 3.
- 4Thierry Wojciak, « Marché publicitaire : +3,4% en 2023, à 17,3 milliards d’euros selon le Bump », CB News, 14 mars 2024.
- 5Naomi Klein, No Logo. La tyrannie des marques, Arles, Actes Sud, 2001, p. 49.
- 6John Kenneth Galbraith, L’ère de l’opulence, Paris, Calmann-Levy, 1970, p. 127.
- 7Bernard Cathelat, Publicité et société, Paris, Payot, 2001.
- 8Campagne de l’Ademe, « Posons-nous les bonnes questions avant d’acheter », Ademe, 24 janvier 2024.
- 9Audition réalisée le 16 janvier 2024 dans le cadre de la préparation de ce travail au sein de la Fondation Jean-Jaurès.
- 10Sophie Dubuisson-Quellier, « How does affluent Consumption come to consumers? A research agenda for exploring the foundations and lock-ins of affluent consumption », Consumption and Society, vol. 1, n°1, août 2022, pp. 35-50.
- 11Raphaël LLorca, Le roman national des marques, La Tour d’Aigues, Fondation Jean-Jaurès/L’Aube, 15 septembre 2023.
- 12Hartmut Rosa, Rendre le monde indisponible, Paris, La Découverte, 2020, p. 50.
- 13Serge Latouche, Décoloniser l’imaginaire. La pensée créative contre l’économie de l’absurde, Paris, Parangon, 2004.
- 14Valérie Fournier, « Possibilities and Politics in Imagining Degrowth », dans Katharine Legun et al. (dir.), The Cambridge Handbook of Environmental Sociology, Cambridge, Cambridge University Press, 2020, pp. 205–220.
- 15Éric Rémy, Dominique Roux, Éric Arnould, Søren Askegaard, Anthony Beudaert, Anthony Galluzzo, Jean-Luc Giannelloni et Gilles Marion, « Look up! Cinq propositions de recherche pour repenser le marketing dans une société post-croissance », Recherche et applications en marketing, 39(1), 2023, pp. 78-100.
- 16Tim Jackson, Prospérité sans croissance, Louvain-la-Neuve, De Boeck, 2e édition, 2009.
- 17Colby Itkowitz, « Harvard researchers discovered the one thing everyone needs for happier, healthier lives », The Washington Post, 2 mars 2016.
- 18Florine Galéron, « Savoir s’entourer rend heureux », Sciences humaines, n°180, avril 2016.
- 19Éloi Laurent, Coopérer et se faire confiance, Paris, Rue de l’échiquier, 2024, p. 35.
- 20Destin Commun, Élections européennes : le jeu est ouvert, mars 2024.
- 21Audition réalisée le 16 janvier 2024 dans le cadre de la préparation de ce travail au sein de la Fondation Jean-Jaurès.
- 22Thorstein Veblen, Théorie de la classe des loisirs, Paris, Gallimard, 1899.
- 23Entreprises pour l’environnement, Comment mesurer et piloter l’impact de la publicité sur l’empreinte environnementale des consommateurs ?, juin 2023.
- 24ADEME, La face cachée des objets : vers une consommation responsable, dossier de presse, septembre 2018.
- 25Ademe, Baromètre Sobriété et modes de vie, mars 2024. p. 46.
- 26Léo Larivière, La « SUV-ification » du marché automobile. Des stratégies industrielles aux imaginaires de consommation, Fondation Jean-Jaurès, 6 octobre 2023.
- 27Aurélien Breton, « La publicité à l’heure de l’inclusion », L’Hémicycle, n°510, hiver 2022.
- 28Natasha Delliston, « Ce que cache la publicité pour la viande », Greenpeace Danemark, novembre 2021.
- 29Garance Bazin, Sashia Cousin, « En mode avion ». L’influence d’Instagram et de la publicité sur nos imaginaires du voyage, Greenpeace France, octobre 2023.
- 30Erica Lippert, La mise en récit des éthos écologiques sur Instagram. Une cartographie entre France et Québec, Bruxelles, Presses de l’ULB, août 2023.
- 31Erica Lippert, Les habits verts des influenceurs. Mise en scène de soi « écolo » au service des imaginaires consuméristes, Fondation Jean-Jaurès, 27 novembre 2023.
- 32Imagine 2050, par exemple.
- 33L’Assemblée citoyenne des imaginaires, par exemple.
- 34Marina Fabre Soundron, « Quand les entreprises s’emparent des nouveaux imaginaires », Novethic, 19 mars 2024.
- 35Pascale Caussat, « Comment changer les imaginaires pour accélérer la transition écologique », Stratégies, 26 avril 2024.
- 36Maurice Lévy, « Préface », dans Irène Grenet (dir.), La Publicité dans le monde nouveau, Paris, Odile Jacob, 2022.
- 37Gilles Wybo, « Les projets de Mayada Boulos et Julien Carette pour Havas Paris », Stratégies, 13 mars 2024.
- 38Ibid.
- 39Thierry Libaert et Géraud Guibert, Publicité et transition écologique, juin 2020.
- 40Arcom, Contrats climat : premier constats et perspectives d’amélioration, janvier 2023, p. 5.
- 41Communication et démocratie, Institut Veblen pour les réformes économiques, La communication commerciale à l’ère de la sobriété. Taxer la publicité pour consommer autrement, octobre 2022.
- 42Cité par Jules Colé, Comment faire évoluer nos imaginaires ?, mémoire de master, Institut catholique de Paris, 2020-2022, p. 110.
- 43Conseil de l’éthique publicitaire, Avis « Big Data et publicité », 20 décembre 2016, rapporteur Thierry Libaert.
- 44Matt Bourn, Sebastian Munden, Sustainable advertising. How advertising can support a better future, Kogan Page, 3 mars 2024.
- 45Ibid.
- 46Résistance à l’agression publicitaire, Les amis de la Terre…