La « SUV-ification » du marché automobile. Des stratégies industrielles aux imaginaires de consommation

La voiture fait aujourd’hui l’objet d’une intense bataille politique : comment tourner la page de la « société de l’automobile », si néfaste pour l’environnement, sans mettre en danger notre mode de vie ? Dans ce contexte, un phénomène reste encore largement dans l’angle mort du débat public : l’explosion des ventes de SUV. Léo Larivière, chargé de plaidoyer Transition automobile à Transport & Environment France, en analyse les causes profondes et livre des propositions pour réguler l’offre et la demande automobiles, mais également encadrer et réinventer les imaginaires qui sous-tendent l’évolution actuelle de ce marché.

Introduction

Le 24 septembre dernier, lors de son interview télévisée face à Anne-Claire Coudray (TF1) et Laurent Delahousse (France 2), le président de la République était interrogé sur la transition de l’automobile. Il en a profité pour rappeler son amour pour « la bagnole » : « en France, on aime la bagnole, et moi je l’adore ». Érigée au rang de mythologie nationale sous la plume de Roland Barthes¹, la voiture fait aujourd’hui l’objet d’une intense bataille politique : comment tourner la page de la « société de l’automobile », si néfaste pour l’environnement, sans mettre en danger le mode de vie des classes moyennes qui y sont tellement attachées ?

La sortie d’Emmanuel Macron vise à se reconnecter à une partie de la société française, en se positionnant dans le camp des « pro-voiture », face à ceux qui en appellent à une politique de mobilité moins centrée sur l’automobile. Pourtant, l’enjeu est ailleurs. La voiture en tant que mode de déplacement majoritaire n’est pas près de disparaître. C’est une réalité issue d’un siècle de choix collectifs passés qui ont inscrit le territoire français dans une logique de « tout-à-l’automobile² ».

En ce sens, il ne s’agit pas tant de se positionner pour ou contre la voiture dans l’absolu, mais de réfléchir de façon pragmatique au modèle de la voiture de demain. Plus précisément, il faut apporter des éléments de réponse aux grandes questions qui sous-tendent la transition automobile : quelle est la place de la voiture ? Lorsqu’elle demeure nécessaire, de quels modèles de voitures avons-nous réellement besoin ? En quoi cette transition peut-elle être désirable, sur le plan individuel et collectif ?

Dans ce contexte, l’objectif de cette note est de mettre le doigt sur un phénomène qui reste encore largement dans l’angle mort du débat public et politique : les causes profondes de la « SUV-ification » du marché automobile, c’est-à-dire de l’explosion des ventes de SUV. Véhicules plus gros que la moyenne, ils sont plus chers à l’achat, plus gourmands en matières premières et plus émetteurs de CO₂ : comment expliquer leur popularité à l’aune des impératifs environnementaux et de la progression de la sensibilité environnementale des Français³ ?

À l’appui de l’analyse de nombreux rapports, de données, et du visionnage d’une cinquantaine de films publicitaires diffusés en France en 2022 et 2023, cette note démontre que le « phénomène » SUV s’explique autant par la stratégie industrielle et commerciale des constructeurs automobiles que par la promotion d’un imaginaire puissant et efficace.

En ce sens, mettre « la bagnole » au service des objectifs de la transition écologique nécessite bien évidemment de réguler l’offre et la demande automobiles, mais également d’encadrer et de réinventer les imaginaires qui sous-tendent l’évolution actuelle du marché automobile. Cette note avance quelques propositions concrètes à destination des décideurs publics pour y parvenir.

Qu’est-ce qu’un SUV ?
À l’instar des Peugeot 3008 ou des Volkswagen T-Roc, les SUV (« Sport Utility Vehicles ») sont des voitures à la carrosserie rehaussée, initialement dérivés des véhicules tout-terrains et des 4×4, même s’ils ne disposent pas tous de quatre roues motrices, ni de capacités de roulage hors-route ou de remorquage.
Au cours des dernières années, un nombre croissant de berlines, de citadines et de monospaces ont été « SUV-ifiés » (on parle alors de « Crossovers »). Les évolutions de la Citroën C4 ou de la Renault Mégane constituent deux exemples de berlines qui prennent des allures de SUV.

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Les ventes de SUV ne cessent de progresser, aux dépens de l’environnement et de la justice sociale

Au cours de la dernière décennie, le marché automobile français a été marqué par la forte progression des SUV. Les parts de marché de ces modèles sont passées de 12 à 44% des ventes de voitures neuves entre 2010 et 2022⁴.

Cette évolution est une faillite climatique. Plus hauts, plus longs, plus larges et plus lourds, les SUV consomment plus de carburant (+ 20%) et émettent donc plus de CO₂que leurs équivalents standards⁵. Au cours des dernières années, les émissions supplémentaires liées à leur poids croissant sur le marché automobile ont annulé les gains climatiques qui auraient dû résulter des progrès techniques sur les véhicules et les moteurs. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la « SUV-ification » des voitures à pétrole a ainsi constitué l’une des principales causes de la croissance des émissions de CO₂ sur la décennie 2010⁶.

L’histoire est en train de bégayer sur le marché des véhicules électriques. Alors qu’en 2017, moins d’une voiture électrique neuve vendue en France sur dix était un SUV (6%), la proportion est aujourd’hui d’environ une voiture électrique sur trois (30%)⁷.

Évolution des parts de marché des SUV et des e-SUV sur le marché français des voitures neuves

Cette « électrification par le SUV », tirée par les ventes du Tesla Model Y, est triplement déplorable.

Sur le plan climatique, elle limite les gains liés de la transition vers l’électrique. L’empreinte carbone totale d’un e-SUV est en effet 70% plus élevée que celle d’une voiture électrique standard⁸. Les SUV électriques aggravent par ailleurs les problématiques sociales et environnementales associées au surplus de consommation de ressources nécessaire à la transition vers le véhicule électrique : qui dit plus grosses voitures dit plus de matières premières pour les produire (+ 75%)⁹. Enfin, l’omniprésence des SUV sur le marché de la voiture électrique est une menace en matière de justice sociale et d’acceptabilité de la transition. Ces modèles sont en effet plus chers à l’achat que leurs homologues de plus petite taille (+ 59%), ce qui limite l’accessibilité de l’électrique¹⁰.

La dernière décennie a également été marquée par le développement des voitures hybrides rechargeables. Compte tenu de leur double motorisation (électrique et thermique), ce sont les modèles automobiles les plus lourds du marché (1,9 tonne en moyenne en 2022 contre 1,6 tonne pour les véhicules électriques et 1,3 tonne pour les véhicules thermiques)¹¹. Par ailleurs, les trois quarts des hybrides rechargeables vendus en 2022 sont des SUV¹². Ces modèles contribuent donc fortement à la SUV-ification et à l’alourdissement du marché automobile, mais sans bénéfice climatique : en conditions réelles de conduite, ces voitures sur-consomment du carburant et s’avèrent donc à la fois polluantes¹³ et coûteuses¹⁴.

Le « phénomène SUV » s’explique par les choix stratégiques des constructeurs

Au cours de la dernière décennie, les constructeurs automobiles européens ont adopté une stratégie privilégiant la valeur au volume. Entre 2016 et 2022, les recettes par voiture des six principaux constructeurs automobiles européens ont ainsi augmenté de 20% à 34% (hors inflation)¹⁵. Pour parvenir à ce résultat, le choix a été fait de prioriser la production et la vente des SUV, qui se vendent plus chers et sont ainsi plus rentables que les autres modèles¹⁶.

Cette stratégie s’est traduite par un rétrécissement sans précédent de l’offre de voitures neuves autour des gros modèles. L’évolution actuelle du marché des voitures électriques l’illustre : en 2019, les six principaux constructeurs européens (BMW, Mercedes, Renault, Stellantis, Volvo et Volkswagen) ne proposaient que deux modèles d’e-SUV contre… 33 en 2023¹⁷. Elle a par ailleurs été appuyée par un véritable « matraquage » marketing : dans un rapport publié en 2021, le WWF-France démontre qu’en 2019, 42% des 4,3 milliards de dépenses publicitaires des constructeurs automobiles ont été alloués aux SUV (soit 1,8 milliard d’euros), contre respectivement 20% et 29% pour les berlines et les citadines¹⁸.

Répartition par modèle des investissements publicitaires automobiles réalisés en France en 2019

Au regard de ces éléments, la progression des ventes des modèles SUV ne saurait être considérée comme un simple reflet des préférences des automobilistes ; la filière automobile répond à un besoin qu’elle s’acharne elle-même à créer.

La popularité des SUV tient aussi à la résonance des imaginaires qui leur sont associés

Pour comprendre la popularité des SUV, il faut également s’attarder sur les imaginaires qui les soutiennent. L’orientation actuelle de la stratégie industrielle de la filière automobile est en effet stimulée par la diffusion de contenus, d’images et de messages qui, en liant ces modèles à une série de valeurs positives, suscitent une attirance et un désir d’achat. L’étude de la publicité automobile est ici éclairante, puisqu’elle vise précisément à créer et mettre en scène des imaginaires attractifs.

Une étude bibliographique approfondie et l’analyse de plus d’une cinquantaine de films publicitaires diffusés en France en 2022 et 2023 permettent de distinguer cinq grandes catégories « d’imaginaires SUV » : la liberté, la distinction, l’aventure, la protection et la famille¹⁹.

En premier lieu, les SUV sont associés à un idéal d’autonomie et d’indépendance, fondé sur la liberté de mouvement. « Plus qu’une sensation de liberté », promet la publicité pour le Lexus UX hybride. « La liberté est électrique », avance la publicité pour la Jeep Avenger 100% électrique. Dans la même tonalité, le clip de promotion du BMW iX1 électrique appelle le consommateur à « vivre la liberté augmentée ». Il s’agit ici d’ériger le SUV en symbole d’une vie libre et sans contraintes : la publicité pour l’Alfa Romeo Tonale hybride illustre cette idée en mettant en scène une jeune femme imprévisible qui demande à son intelligence artificielle de bord : « Alexia, efface mes rendez-vous d’aujourd’hui ».

Extraits de publicités automobiles promouvant des modèles SUV

Dans le même ordre d’idées, les SUV sont largement présentés comme un moyen anticonformiste de suivre sa propre voie, d’exprimer sa préférence, de se distinguer. « N’en faites qu’à votre style », intime la publicité pour le Taigo de Volkswagen. On retrouve également cet imaginaire de distinction dans le clip publicitaire associé au Peugeot 3008 hybride rechargeable, qui fait l’éloge de « l’allure » que procure le véhicule à sa conductrice.

Bien que fortement mobilisés dans les publicités de promotion pour les SUV, ces deux imaginaires de liberté et de distinction constituent des déclinaisons de deux « classiques » de l’imaginaire automobile : la filiation entre la voiture et la liberté, et la voiture comme outil de distinction individuelle²⁰.

À noter que ces imaginaires sont aujourd’hui largement mobilisés pour cibler un public féminin. Une grande partie des publicités récentes mettent ainsi en scène des conductrices audacieuses, affirmées et indépendantes. Au XX^e siècle, l’inventeur des relations publiques Edward Bernays avait réussi à faire des cigarettes le symbole de l’émancipation féminine : telles des « torches de la liberté », elles étaient brandies comme des façons de mettre à bas le patriarcat triomphant²¹. C’est la même rhétorique que l’on retrouve ici : le SUV est littéralement présenté comme le véhicule symbolisant une meilleure place de la femme dans la société. De façon emblématique, la publicité de promotion de la nouvelle Renault Megane E-Tech filme une femme qui s’empare d’une révolution technologique (« des chevaux, nous passons à l’électrique »), le tout sur une bande sonore qui ne cesse de répéter le mot : « power ».

Extraits de publicités automobiles promouvant des modèles SUV

Troisième imaginaire incontournable de la promotion des SUV : l’aventure, conçue comme l’exploration d’une nature sauvage. Le SUV est présenté comme une porte d’entrée vers les espaces naturels les plus spectaculaires, préservés et reculés, en opposition avec la foule et le confort des villes. « Lancez-vous dans l’aventure », enjoint la publicité pour la Mini Countryman hybride rechargeable, tandis que celle promouvant la Jeep Avenger est présentée comme le meilleur moyen de s’extirper de « l’épidémie de flemme »²² qui sévit dans les modes de vie urbains : « Il existe un monde d’aventure et de liberté, mais impossible de l’explorer depuis votre canapé. Sortez de chez vous et vivez-le en vrai ». À l’écran, sont mobilisés des images de sports extrêmes en lien avec une nature qu’il s’agit d’apprivoiser : le surf, le parapente, la randonnée, la spéléologie, etc.

Extraits de publicités automobiles promouvant des modèles SUV

Quatrième imaginaire mobilisé au bénéfice des SUV : le sentiment de sécurité que procure leur carrosserie musclée pour le conducteur et ses proches. Ici, il s’agit de capitaliser sur le volume de la voiture pour offrir une sensation de protection au sein d’un « cocon » rassurant et familier, à l’opposé d’un environnement extérieur (qu’il soit urbain ou naturel) souvent présenté comme hostile, menaçant ou anxiogène. Pour vendre la nouvelle Citroën C5X Hybride rechargeable, le spot publicitaire murmure : « Inspirez, expirez. Ici, le silence vous enveloppe. Ici, vous vous sentez en parfaite harmonie. Avec votre esprit, avec votre corps, avec le monde. Ici, vous vous sentez tout simplement bien ». Dans la même veine, la publicité pour le Citroën ë-C4X signe : « Le pouvoir du calme ».

Extraits de publicités automobiles promouvant des modèles SUV

Enfin, les dernières années ont vu l’émergence d’une dernière tendance : l’association du SUV et des valeurs familiales. Un grand nombre de publicités mettent ainsi en scène des enfants multipliant les activités, sous la conduite bienveillante et protectrice de leurs parents. Le SUV est ainsi présenté comme le véhicule d’une famille épanouie, partenaire idéal des activités extra-scolaires des enfants et des siestes confortables lors des longs trajets. Les publicités pour le Citroën ë-C4, le Mazda CX-5 et le Mini Countryman constituent autant d’exemples de l’utilisation de cet imaginaire familial à des fins de promotion des modèles SUV. Les séquences de ces clips mobilisent généralement une version actualisée de l’idéal du pavillon périurbain, en montrant des parents et leurs enfants sortant d’un SUV garé sur le parking d’une habitation moderne dotée d’un jardin.

Extraits de publicités automobiles promouvant des modèles SUV

À ces cinq catégories d’imaginaires s’ajoute un sixième, transversal, qui s’inscrit dans le contexte actuel de transition énergétique du marché automobile. Les publicités automobiles récentes cherchent à mettre en avant le caractère éco-compatible des SUV électriques ou hybrides rechargeables (voire hybrides), présentés comme des symboles d’un avenir respectueux de l’environnement ou des générations futures. Ainsi de la publicité pour la Hyundai Kona qui dit « agir en faveur d’un avenir plus durable », ou de celle de la Jeep Avenger qui déclare : « Préservons le terrain de jeux des prochaines générations ». Quant au clip publicitaire associé au Renault Captur E-tech hybride, si elle promet jusqu’à 40% d’économie de carburant, elle se réapproprie le discours de sobriété automobile en insistant : « Mais c’est quand même bien de ne pas s’en servir tout le temps ». L’argument consiste finalement à se revendiquer d’une voiture qui irait dans le sens de l’Histoire : « L’avenir se dévoile enfin », signe la publicité pour la Volvo V40 Recharge. « Que voyez-vous ici ? », s’interroge celle promouvant l’Alfa Romeo Tonale Hybride rechargeable : « L’avenir ! ».

Extraits de publicités automobiles promouvant des modèles SUV

En résumé, l’imaginaire du SUV est une promesse d’accomplissement individuel et familial, le symbole d’un bonheur basé sur l’autonomie, la libération des contraintes extérieures et la maîtrise de la nature. Bien que fondamentalement contradictoire avec la transition écologique, la puissance de cet imaginaire provient des liens étroits qu’il entretient avec les normes de vie produites par la société de consommation. En quelque sorte, l’imaginaire SUV véhiculé par les constructeurs automobiles entre en résonance avec les aspirations consuméristes contemporaines.

Dégonfler le « phénomène SUV » nécessite donc une réorientation de l’offre et de la demande de voitures neuves, ainsi qu’une action sur les imaginaires

Pour inverser la tendance actuelle du marché automobile et limiter ses conséquences environnementales et sociales, plusieurs leviers peuvent être activés.

Réformes fiscales

La fiscalité doit être utilisée en priorité, pour encourager la production et l’achat de voitures plus sobres. L’examen de la loi de finances pour 2024 constitue une occasion idéale pour le faire.

Avec la loi Climat et résilience de 2019, la France est devenue le premier pays de l’Union européenne (UE) à se doter d’un malus au poids, qui taxe l’achat des voitures à pétrole neuves sur un critère de masse²³. Entré en vigueur en 2022, ce malus a jusqu’à présent été symbolique : en raison d’un seuil de déclenchement trop élevé (1,8 tonne), une infime partie des voitures à pétrole neuves sont concernées (2% du marché)²⁴. De fait, un gros SUV de type Volkswagen Tiguan (≈ 1,7 tonne) est logé à la même enseigne qu’une citadine de type Citroën C1 (≈ 900 kg).

L’abaissement annoncé du seuil de déclenchement du malus au poids à 1,6 tonne et l’introduction d’un barème progressif sont des mesures positives, mais qui ne permettent pas d’élargir significativement la part des grosses voitures à pétrole effectivement taxées (5,5%)²⁵. Comme le propose le WWF, le seuil de déclenchement doit donc être abaissé jusqu’à 1,3 tonne et associé à un barème « deux poids, deux mesures » : modéré dans les tranches basses, majoré dans les tranches hautes (de 2,5 euros par kilo au démarrage jusqu’à 150 euros par kilo à partir de 1,7 tonne). Une exonération pour les familles nombreuses permet d’assurer la justesse de la mesure²⁶.

Il est également nécessaire d’apporter une réponse au phénomène d’électrification par le SUV. L’application d’un malus au poids aux voitures électriques, avec un seuil de déclenchement adapté (1,9 tonne), constituerait de ce point de vue une réforme utile. À noter qu’un tel seuil éviterait de taxer les voitures électriques assemblées en France (ou qui le seront prochainement, comme la R5, la e-308 ou la e-408), ainsi que l’ensemble des citadines et petites berlines électriques (segments A, B et C)²⁷. De même, la réforme du bonus écologique est une mesure pertinente sur le papier : en conditionnant les subventions à l’achat de voitures électriques à l’empreinte environnementale de leur production (le « score environnemental »), elle invite à la sobriété automobile. Pour autant, cette sobriété est encore timidement assumée : avec des plafonds fixés à environ 9 et 14,75 tonnes de CO₂ (respectivement pour les voitures de quatre et cinq places)²⁸, une e-3008 produite en France sera éligible au même bonus que la future Renault R5 électrique. Pour y remédier, il est nécessaire d’introduire un barème progressif, de façon à subventionner plus fortement les petits véhicules électriques.

Enfin, il sera judicieux d’appliquer ce nouveau score environnemental à la fiscalité des voitures électriques des entreprises (en particulier la taxe sur les voitures de société, payée annuellement pour les voitures professionnelles détenues ou louées). À l’heure actuelle, l’ensemble des véhicules électriques d’entreprises sont exonérés. Une telle réforme serait particulièrement efficace dans la mesure où les entreprises immatriculent davantage de grosses voitures que les ménages, et constituent le débouché principal pour les plus gros SUV du marché²⁹.

Réforme du système de régulation de la publicité

En parallèle des mesures fiscales, une réforme du système de régulation des contenus publicitaires s’impose.

Le législateur pourrait s’inspirer des propositions de la Convention citoyenne pour le climat et de plusieurs ONG pour instituer, en lieu et place de l’actuel organe d’autorégulation, une nouvelle autorité administrative indépendante chargée d’éviter que les contenus publicitaires entrent en contradiction directe avec les objectifs de la transition écologique³⁰. Elle serait habilitée à développer un corpus de règles, sur la base de grandes orientations déterminées par la loi, et à organiser leur mise en œuvre. Ces règles devraient permettre de remettre l’information au centre de la communication publicitaire, d’encadrer les discours commerciaux autour de grands objectifs sociaux et environnementaux et de renforcer les outils juridiques de lutte contre le greenwashing (contrôles, sanctions, etc.). Une telle autorité pourrait, par exemple, interdire les publicités pour les voitures ne bénéficiant pas du bonus écologique.

Réorientation de la stratégie des constructeurs automobiles

Enfin, les constructeurs automobiles européens ne sauraient faire l’impasse sur une remise en question de la stratégie industrielle et marketing poursuivie au cours de la dernière décennie, au risque de se trouver à contre-sens de l’Histoire.

Cette remise en question est d’autant plus urgente que le court-termisme de cette stratégie apparaît de plus en plus clairement : si les constructeurs européens continuent de délaisser le marché des petites voitures électriques, ce sont leurs concurrents non européens (en particulier chinois) qui prendront la place, limitant les bénéfices climatiques de la transition électrique, ainsi que la souveraineté industrielle nationale et européenne³¹.

Une telle réorientation permettrait à la filière automobile d’apporter sa contribution à la nécessaire réinvention des imaginaires automobiles de demain, qui doivent être alignés avec les impératifs de la transition écologique. Ils disposent pour cela d’un exemple inspirant : la célèbre campagne publicitaire de 1959 promouvant la Coccinelle. Avec le « Think Small », elle s’éloignait du modèle des grandes voitures puissantes de l’époque pour proposer une autre vision de l’automobile. Soixante ans plus tard, cette vision n’a jamais été autant d’actualité.

Affiche publicitaire de promotion de la Volkswagen Beetle (1959)

1
Roland Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1957.
2
Aurélien Bigo, Isabelle Brokman, Voitures. Fake or not, Paris, Éditions Tana, 2023.
3
Charlotte Millot, Jörg Müller, Sensibilité à l’environnement, action publique et fiscalité environnementale : l’opinion des Français en 2023, Credoc, Ademe, juillet 2023.
4
Analyse Transport & Environment sur la base des données d’immatriculation de voitures particulières neuves en France, base de données de l’Agence européenne de l’environnement (2010-2021) et de Dataforce (2022).
5
Agence internationale de l’énergie, Global EV Outlook 2023, 2022.
6
Agence internationale de l’énergie, Global SUV sales set another record in 2021, setting back efforts to reduce emissions, 2021.
7
Analyse Transport & Environment sur la base des données d’immatriculation de voitures particulières neuves en France, base de données de l’Agence européenne de l’environnement (2010-2021) et de Dataforce (2022).
8
Agence internationale de l’énergie, Global EV Outlook 2023, 2022.
9
Lorenzo Casullo, Nikolas Hill, Hugo Ong, Marco Raugei, Aleix Pons et Nikos Vasileadis, Environmental challenges through the life cycle of battery electric vehicles, Comité des transports et du tourisme, Parlement européen, 2023 ; Transport & Environment, Smaller cars can reduce demand for critical metals by almost a quarter, communiqué de presse, 17 juillet 2023.
10
Transport & Environment, Small and profitable: Why affordable electric cars in 2025 are feasible, communiqué de presse, 14 septembre 2023.
11
Analyse Transport & Environment sur la base des données d’immatriculation de voitures particulières neuves en France, base de données de l’Agence européenne de l’environnement (2022).
12
Analyse Transport & Environment sur la base des données d’immatriculation de voitures particulières neuves en France (2022), base de données élaborée par DataForce.
13
Transport & Environment, PHEVs pollute more than claimed in cities and on commutes, new tests show, communiqué de presse, 8 février 2023 ; Georg Bieker, Jan Dornoff, Mark Keller, Steffen Link, Peter Mock, Cornelius Moll, Patrick Plötz, Hermann Rigelschwendner, Real-world usage of PHEVs in Europe: A 2022 update on fuel consumption, electric driving, and CO₂ emissions, The International Council on Clean Transportation (ICCT), rapport, juin 2022.
14
BEUC, Calculating the TCO for Consumers, rapport, 25 avril 2021 ; UFC Que Choisir, Coût de détention des véhicules. La voiture électrique, à contre-courant des idées reçues, 10 juin 2021 ; Tex Gunning, Car Cost Index 2022, LeasePlan, étude, 13 décembre 2022 ; ALD Automotive, Mobility Guide 2022, 2022 ; Arval Mobility Observatory, TCO Scope 2023, 6 juin 2023.
15
Transport & Environment, Small and profitable: Why affordable electric cars in 2025 are feasible, communiqué de presse, 14 septembre 2023.
16
Felipe Munoz, « OEMs are selling more SUVs but are they selling more vehicles? », JATO, 19 octobre 2021
17
Transport & Environment, Small and profitable: Why affordable electric cars in 2025 are feasible, communiqué de presse, 14 septembre 2023.
18
WWF France, Le trop plein de SUV dans la publicité, rapport, mars 2021.
19
WWF France, Le trop plein de SUV dans la publicité, rapport, mars 2021 ; Jim Conley et A.T. McLaren, Car Troubles. Critical Studies of Automobility and Auto-Mobility, janvier 2009 ; Frédéric Monneyron et Joël Thomas, L’automobile, un imaginaire contemporain, Paris, Imago, 2006 ; Shane Gunster, « You Belong Outside: Advertising, Nature and the SUV, Ethics and the Environment », Ethics and the Environment, septembre 2004.
20
Yoann Demoli et PierreLannoy, Sociologie de l’automobile, Paris, La Découverte, 2019.
21
Edward Bernays, Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie, Paris, Zones, 2007.
22
Jérôme Fourquet, Jérémie Peltier, Grosse fatigue et épidémie de flemme : quand une partie des Français a mis les pouces, Fondation Jean-Jaurès, 11 novembre 2022.
23
La Norvège a introduit une mesure similaire mais ne fait pas partie de l’UE.
24
Analyse Transport & Environment sur la base des données d’immatriculation de voitures particulières neuves en France, base de données de l’Agence européenne de l’environnement (2022).
25
Ibid.
26
WWF France, Projet de loi Finance 2024 : le WWF France propose 2 milliards d’euros de recettes écologiques supplémentaires, communiqué de presse, 27 septembre 2023.
27
Analyse Transport & Environment et UFC-Que choisir sur la base des données d’immatriculations de voitures neuves en France en 2022 (Agence européenne de l’environnement) et des annonces constructeurs sur les masses à vide des futures voitures électriques assemblées en France.
28
Analyse du projet de réforme par les équipes analytiques de Transport & Environment.
29
Analyse Transport & Environment sur la base des données d’immatriculation de voitures particulières neuves en France (2022), base de données élaborée par DataForce.
30
Résistance à l’agression publicitaire, Les Amis de la Terre, Communication sans frontières, etc., Big Corpo. Encadrer la pub et l’influence des multinationales : un impératif écologique et démocratique, rapport, juin 2020.
31
Transport & Environment, Small and profitable: Why affordable electric cars in 2025 are feasible, communiqué de presse, 14 septembre 2023.

Introduction

Les ventes de SUV ne cessent de progresser, aux dépens de l’environnement et de la justice sociale

Évolution des parts de marché des SUV et des e-SUV sur le marché français des voitures neuves

Le « phénomène SUV » s’explique par les choix stratégiques des constructeurs

Répartition par modèle des investissements publicitaires automobiles réalisés en France en 2019

La popularité des SUV tient aussi à la résonance des imaginaires qui leur sont associés

Extraits de publicités automobiles promouvant des modèles SUV

Extraits de publicités automobiles promouvant des modèles SUV

Extraits de publicités automobiles promouvant des modèles SUV

Extraits de publicités automobiles promouvant des modèles SUV

Extraits de publicités automobiles promouvant des modèles SUV

Extraits de publicités automobiles promouvant des modèles SUV

Dégonfler le « phénomène SUV » nécessite donc une réorientation de l’offre et de la demande de voitures neuves, ainsi qu’une action sur les imaginaires

Réformes fiscales

Réforme du système de régulation de la publicité

Réorientation de la stratégie des constructeurs automobiles

Affiche publicitaire de promotion de la Volkswagen Beetle (1959)

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