Les socialistes et les élections sénatoriales (1875-2015)

Cet essai historique restitue l’attitude et les stratégies des socialistes dans le cadre des élections sénatoriales depuis la fin du XIXe siècle. Il revient sur la progression du PS au Sénat durant les années 2000 et souligne l’articulation profonde entre la seconde Chambre, l’architecture territoriale et l’implantation locale du socialisme.

Le socialisme a toujours entretenu des relations complexes avec le Sénat. Dès la IIIe République, la bourgeoisie que semble incarner la seconde chambre apparaît comme incompatible avec ses idéaux révolutionnaires. Le socialisme s’affiche alors comme un partisan du monocamérisme. Paradoxalement, les socialistes ont montré assez tôt la volonté d’être représentés au sein de la Haute chambre. L’histoire du parti présente une alternance entre des phases très hostiles au Sénat et des phases beaucoup moins radicales où le nombre de sénateurs socialistes augmente. Les élections sénatoriales, le regard que porte le parti sur cette chambre et sa stratégie électorale nous permettent de mieux comprendre les liens qui unissent le socialisme et le Sénat, de 1875 à nos jours.

Sous la IIIe république, le Sénat est une chambre aussi puissante que l’Assemblée nationale : on parle de bicamérisme égalitaire. Peu après 1875, la position des socialistes semble claire : le Sénat doit être supprimé puisqu’il représente des intérêts bourgeois. La seconde chambre est considérée comme un obstacle aux idées progressistes. Malgré cela, le député socialiste Christophe Thivrier se présente aux élections sénatoriales de 1894. Il est l’un des premiers à penser que le prolétariat doit être représenté dans la haute chambre. Lors des élections de 1903, les candidatures socialistes se multiplient, sans succès. C’est à partir de 1906 que les socialistes font véritablement leur entrée au Sénat. La SFIO va alors s’investir de plus en plus dans les élections sénatoriales, ce qui lui vaudra de vives critiques. Peu avant la Première Guerre mondiale, les discours socialistes se veulent plus modérés et cléments envers le Sénat même si la gauche reste largement minoritaire au sein de la chambre.

Durant l’entre-deux-guerres et malgré la scission du congrès de Tours en 1920, la progression des socialistes au Sénat est indéniable. En 1921, ils possèdent seulement deux sièges, en 1927 ils en occupent quatorze et peuvent ainsi constituer un groupe autonome. Cependant, la progression reste toute relative et les terres d’élection peu nombreuses. De surcroît, la SFIO est confrontée à de vives critiques comme celle de Léon Hudelle qui continue de prôner la suppression de la chambre qui, selon lui, ne présentera jamais une majorité socialiste. D’autres appellent à la réforme du mode de scrutin. Cette ligne sera adoptée par le parti qui renoncera à la suppression du Sénat. Les professions de foi des candidats présentent un discours qui allie modération et idées progressistes. La stratégie de la SFIO est caractérisée par la volonté de présenter des listes intégralement constituées de socialistes au premier tour des élections. Certains membres du parti s’en offusquent ; une alliance avec les socialistes radicaux permettrait de gagner plus de sièges. Cette période est également marquée par l’opposition du Sénat au gouvernement de Léon Blum en 1936, ce qui ne manquera pas d’exacerber les tensions entre le parti et la chambre.

Sous la IVe république, le Sénat devient le Conseil de la République, il perd alors beaucoup de son pouvoir. Lors des élections de 1946, la SFIO obtient un cinquième des sièges de la seconde chambre. L’implantation des sénateurs socialistes est avant tout méridionale et rurale. L’argumentation des candidats se basent sur les capacités gestionnaires et moins sur l’idéologie. Les candidats sont pour la plupart « cumulards » et les notables de plus en plus nombreux ; ainsi les agriculteurs et les ouvriers deviennent minoritaires alors que les avocats et les enseignants sont de plus en plus représentés. Quant à l’intérêt du parti pour les élections sénatoriales, il s’affiche clairement et se justifie par « une situation politique nouvelle », comme l’explique Gaston Defferre. La SFIO puis le PS appelleront à plus de représentativité dans le découpage des circonscriptions. Peu avant les années 1980, les candidats socialistes sont présents dans tous les départements.

A partir de 1986, l’attitude du Parti socialiste est assez peu lisible. Durant la cohabitation, on affirme l’importance du Sénat auquel ne peut s’appliquer l’article 49-3. En 1998, Lionel Jospin alors Premier ministre critique vivement le mode de scrutin qui avantage le monde rural et par conséquent la droite. Cependant les socialistes vont réussir à conquérir le Sénat. En 2008, après sa victoire aux municipales, le PS progresse au Sénat grâce à une approche plus méthodique des élections. En 2011, Jean-Pierre Bel devient le premier président socialiste du Sénat. L’implantation des sénateurs PS recouvre alors une grande majorité du territoire. En 2014, le parti perd à nouveau le Sénat qu’il n’aura présidé que trois ans. Cette défaite peut s’expliquer par l’échec aux municipales de 2014 mais aussi la politique de rigueur du gouvernement pesant sur les collectivités locales et la réforme territoriale qui inquiète beaucoup d’élus locaux.

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