Les six leçons d’une campagne présidentielle

À quelques jours du scrutin présidentiel, Thomas Lefebvre analyse les principales questions politiques et idéologiques auxquelles sont et seront confontés – avant mais aussi après le 8 novembre –, les deux principaux partis des États-Unis.

Dernier mois avant le vote, le mois d’octobre réserve régulièrement son lot de surprises dans les campagnes présidentielles américaines. La bien nommée « surprise d’octobre » est d’ailleurs une expression utilisée par les observateurs pour décrire une révélation fabriquée de toutes pièces destinée à affaiblir un candidat. Le dernier soubresaut dans l’interminable affaire des emails d’Hillary Clinton semble être cette distraction malvenue d’une campagne si tendue que tout le pays semble impatient qu’elle s’achève. Alors que c’est désormais la veille du scrutin opposant Donald Trump à Hillary Clinton, c’est l’occasion d’explorer les leçons de cette campagne hors du commun.

Le Parti républicain : un champ de ruines

Qu’elle que soit l’issue du scrutin, le Parti républicain est en lambeaux. Tiraillé entre des membres du Congrès qui se démarquent de Donald Trump, tant la toxicité du candidat met en péril leurs campagnes de réélections, et une nouvelle base idolâtrant le candidat républicain qui ne va pas disparaître, le parti souffre d’un authentique déficit de leadership, que ce soit de la part du Speaker de la Chambre, Paul Ryan, sur le candidat nominé, ou de Reince Priebus, le chef du Parti républicain, sur les permanents. Handicapés par une dynamique démographique favorisant les Démocrates, les Républicains devront choisir entre continuer de se reposer sur les angoisses d’un électorat blanc vieillissant – et continuer à perdre les élections présidentielles – ou s’ouvrir à d’autres groupes comme l’avait préconisé le Parti républicain lui-même suite à la défaite de Mitt Romney en 2012.

Quels défis pour la gauche ?

Malgré quelques angoisses, Clinton a finalement mobilisé les jeunes générations presqu’au même niveau qu’Obama en 2012. Comme elle l’a noté elle-même, il paraît toutefois aberrant que Clinton ne domine pas plus nettement Trump dans les sondages. Une partie de l’Amérique ne semble voir en Clinton que l’incarnation d’une élite corrompue, la gauche « limousine », obnubilée par son propre succès. L’image perçue d’Hillary Clinton pourrait être réduite à quelques termes : globaliste contre le peuple, secrète et népotiste. Parmi les défis à relever par les Démocrates, il semble urgent de tenter de reconnecter le parti avec l’électorat populaire.

Derniers soubresauts ou résurgence de la masculinité « Cro-Magnon » ?

L’avalanche de révélations de harcèlement sexuel par Donald Trump, et bien pire, donne la nausée. Et cela ne concerne pas que Donald Trump. Roger Ailes, ancien patron de FoxNews ? Remercié suite à une série de plaintes pour harcèlement sexuel. Anthony Weiner, ancien mari de Huma Abedin, bras droit d’Hillary Clinton et au cœur du dernier épisode des emails de Clinton ? Détournement de mineur. Qui sont ces femmes que le candidat républicain met en scène avant le dernier débat télévisé ? Celles qui accusent Bill Clinton de viol et de harcèlement sexuel. Le retour sur le devant de la scène d’une misogynie décomplexée devrait être une source de honte pour tout électeur républicain. Il faut toutefois noter le positif et authentique mouvement de femmes soutenant Hillary Clinton, voyant en la candidate démocrate une source d’inspiration. Alors que les femmes avaient majoritairement voté pour le candidat républicain en 2012, il semble improbable que Donald Trump reproduise cette performance. Il s’agit, pour nombres d’entre elles, d’un divorce profond avec le Parti républicain.

Les nouvelles fabriques de l’opinion à droite

Pendant cette campagne, Donald Trump joua le rôle de candidat du complot usant de ressorts médiatiques improbables. Ainsi, cette campagne de 2016 aura vu les franges les plus exécrables de la désinformation décrocher un rôle de premier plan. Au milieu de la galaxie nauséabonde des sites complotistes pro-Trump, Breitbart a gagné une influence considérable. On notera ici que Stephen Bannon, l’ancien directeur du site, est désormais président de la campagne républicaine. Lors de l’éviction de Ted Cruz, The Economist notait que la nomination de Donald Trump sonnait rien de moins que la mort de la raison. Comment ne pas lui donner tort quand on voit l’infernale efficacité d’activistes numériques de l’Alt-Right à établir un monde \ »post-vérité\ » ? Parmi les faits d’armes de ces mercenaires trumpistes, on notera les rumeurs sur la santé de Clinton. Ainsi une simple chute mit en branle un cirque médiatique considérable et fit presque littéralement vaciller la campagne de Clinton. Alors, que veulent Breitbart & Co ? La victoire de Donald Trump semble être un objectif secondaire face à l’ambition à peine cachée de mettre à la retraite FoxNews. L’éviction de Roger Ailes, directeur de la chaîne, marque sans doute la fin du centralisme idéologique au sein de la chaîne de cœur de l’électorat républicain.

La transparence sélective de Wikileaks

Le site de Julian Assange étant devenu la boîte aux lettres du Kremlin, seuls les opposants à Donald Trump bénéficient d’une transparence non-consentie. Alors que l’arrière-cuisine de la Fondation Clinton est passée au crible et que l’on connaît même les recettes du directeur de campagne de Hillary Clinton, John Podesta, grâce aux virus russes, le candidat républicain se garde bien de révéler son avis d’imposition. La tentative de déstabilisation éhontée des Russes dans cette élection devrait être une source majeure d’inquiétude pour toute démocratie non-alignée sur Moscou.

Pas d’Amérique post-raciale

L’élection de Barack Obama, fils d’un père noir et d’une mère blanche en 2008, devait ouvrir une nouvelle ère dans une Amérique moins divisée par les tensions raciales. La campagne de 2016 a montré pourtant que ces questions raciales demeurent au centre des inquiétudes. Ainsi, 85% des Afro-Américains se sentent menacés. Le racisme, parfois codé, souvent frontal, de Donald Trump durant cette campagne présidentielle de 2016 semble illustrer une régression sur ces questions vis-à-vis de l’ère pré-Obama. Une frange de l’opinion publique conservatrice n’ayant jamais accepté l’investiture d’un président noir, les atrocités professées par Donald Trump ont enhardi les racistes au point qu’il est désormais presque socialement acceptable de se dire nativiste, c’est-à-dire de faire la promotion d’une Amérique qui ne doit être que blanche et chrétienne. Le simple fait que Donald Trump ne recueille virtuellement aucun soutien des Afro-Américains devrait interroger nombre de stratèges républicains.  

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