Les progressistes à l’assaut des élections de mi-mandat… et du Parti démocrate

À quelques semaines des élections de mid-term aux États-Unis, décisives quant à la suite du mandat de Donald Trump, Thomas Lefebvre décrypte plus particulièrement les mouvements et changements internes – avec la montée d’une nouvelle génération, plus clairement positionnée à gauche – au sein du Parti démocrate en amont du scrutin, et leur possible signification.

Le 6 novembre prochain, les électeurs américains seront appelés à voter pour les élections de mi-mandat. Ces élections concernent l’ensemble des 435 représentants de la Chambre, un tiers des sénateurs (33), la vaste majorité des gouverneurs ainsi que de nombreux élus des Congrès locaux. Ces élections voient généralement le parti qui n’est pas représenté à la Maison-Blanche gagner des sièges. George W. Bush céda la majorité de la Chambre et du Sénat suite à l’élection de mi-mandat de 2006. Barack Obama perdit la majorité de la Chambre en 2010 et celle du Sénat en 2014.

Les sondages pour les élections de cet automne semblent conforter l’hypothèse de cycles marquant des déconvenues électorales pour le président en place lors des élections de mi-mandat. Ainsi, d’après le site five-thirty-eight, renommé pour ses méta-analyses statistiques, les démocrates ont sept chances sur neuf de regagner la majorité à la Chambre des représentants. Les jeux semblent plus compliqués pour le Sénat où les démocrates ont plus de sièges à défendre qu’à conquérir. Avec une courte minorité de deux sièges (49/51), une vague bleue au Sénat est loin d’être automatique. Ainsi, dix sénateurs démocrates font campagne dans des États où Trump est arrivé en tête en 2016.

Ces élections, les premières d’envergure nationale depuis l’élection de Donald Trump à la présidence en 2016, sont l’occasion pour les démocrates d’afficher la force de leur opposition à l’occupant de la Maison-Blanche. Ces élections sont d’abord et avant tout des élections de mobilisation, aucun camp n’ayant la prétention de convaincre les électeurs de l’autre bord. L’objectif est de mobiliser un maximum de votants de son propre camp. En plus d’un référendum sur Trump, ces élections sont l’occasion pour les démocrates de débattre ouvertement de ce que devrait être la ligne du politique du parti.

Traditionnellement, ces primaires mobilisent peu et favorisent les candidats plutôt centristes, souvent notables locaux. Or, la participation aux primaires démocrates a fortement augmenté par rapport à 2014 (+84%). Cette participation et l’effervescence autour de nombreuses campagnes ont révélé un authentique désir de renouvellement de l’offre politique au sein du parti démocrate. Le succès de ces « insurgents » – « insurgés » vis-à-vis des caciques et de la direction du Parti démocrate – face à des candidats souvent bien établis, parfois élus depuis des décennies, fut une réelle surprise pour de nombreux observateurs.

On retrouve ces candidats victorieux de la Floride au Massachussetts en passant par la Géorgie. Portés par des électeurs outrés par Trump, ces candidats refusent la soupe tiède servie par un Parti démocrate désintéressé des inégalités sociales, complaisant avec le fléau des armes à feu, et pas vraiment radical sur les questions raciales. Affichant fièrement l’étiquette de « progressiste », voire de socialiste – un acte qui semblait inconcevable il y a encore quelques temps –, ces politiques disruptifs refusent les compromis. Ils veulent la création d’un véritable système de soins publics, soutiennent ardemment le mouvement de Black Lives Matter, défendent la protection des droits des femmes qu’ils estiment menacée par Trump et demandent que l’éducation publique supérieure soit gratuite.

Prenons l’exemple Alexandria Ocasio-Cortez, surprenante gagnante de son duel face à Joe Crowley pour le siège de représentant à la Chambre pour une circonscription qui recouvre les quartiers populaires du Bronx et du Queens de New York. Représentant à la chambre depuis 1999 où il est chef de file du caucus (groupe) démocrate, Crowley semblait indéboulonnable. Ocasio-Cortez a réussi à créer une efficace dynamique de campagne, portée par le désir de renouvellement de l’establishment démocrate, en attaquant directement son adversaire sur ses liens avec Wall Street. Le Bronx et le Queens étant des fiefs démocrates, Ocasion-Cortez est en passe de devenir la plus jeune femme élue à la Chambre. Figure de proue des insurgents, Ocasio-Cortez fait partie de cette majorité de femmes élues lors de ces primaires. Notons aussi que les électeurs ont élu un nombre record de candidats issus de minorités ethniques et sexuelles. Pour la première fois, au sein des candidats à la Chambre nominés par ces primaires, les hommes blancs sont minoritaires.

Ce changement « visible » s’accompagne d’une remise en cause du manque de radicalité de l’offre politique proposée par le parti démocrate. Ocasio-Cortez raille les « démocrates de Wall Street », peu intéressés par la mise en place d’un salaire minimum décent, et ceux qui se focalisent trop sur la prétendue collusion de la campagne présidentielle de Trump avec la Russie.

Cette radicalité assumée s’accompagne d’une liberté de ton qui permet à ces candidats de façonner des profils de personnalité qui apparaissent comme plus authentiques auprès des électeurs démocrates. C’est le cas du peu banal Betto O’Rourke, ancien chanteur punk et opposé à la réélection de Ted Cruz, sénateur du Texas, poids lourd de l’aile conservatrice du Parti républicain. O’Rourke a déjà réussi l’exploit de redonner de l’espoir aux électeurs démocrates de ce conservateur État du Sud, en étant au coude-à-coude avec Cruz dans les sondages.

O’Rourke mène une campagne sans concession sur les questions sociales, tout en soutenant Black Lives Matter. Assumant fièrement son positionnement à gauche, O’Rourke affirme ainsi qu’au Texas on ne trouve rien au milieu de la route « mise à part les lignes jaunes et les tatous morts », en référence au mammifère texan régulièrement victime du trafic automobile.

Quelle fut la réaction de l’establishment démocrate face à cet abordage progressiste ? Nancy Pelosi, qui règne depuis fort longtemps sur les démocrates de la Chambre et incarne ce centrisme démocrate, a tenté de minimiser ce débordement à gauche en parlant d’un épiphénomène. Néanmoins, les candidats traditionnels du parti ont compris le message et ont commencé à gauchiser leur discours. Il est désormais la norme, de la part d’un candidat démocrate, d’appeler à un système public de soins, ainsi que de réformer l’accès aux armes à feu, tout en appelant à lutter contre les inégalités sociales. Tous ces sujets étant tabous sous Obama, la progression du discours démocrate vers la gauche en est d’autant plus significative.

Pelosi, attaquée de toutes parts, verra son leadership défié quelle que soit l’issue des élections de novembre 2018. Cet été, elle a ainsi reconnu qu’il était temps de construire un « pont » avec la nouvelle génération. Est-ce pour autant la fin du centrisme de gauche, de la « troisième voie » à la Bill Clinton ? Cette idéologie semble plutôt mal en point dans une Amérique de plus en plus politiquement polarisée. Le socialisme ne fait plus peur. De nombreux Américains semblent désormais convaincus que la défense des droits fondamentaux, qu’une mise en place d’un système de santé public, qu’une politique de taxation plus juste, ainsi que la gratuité des études supérieure doivent être des priorités.

Cette nouvelle génération arrivera un jour ou l’autre au pouvoir. Le Texas, l’Arizona, et dans une moindre mesure la Floride, via leur dynamisme démographique, vont certainement devenir démocrates. Si les insurgents n’arrivent pas à s’imposer en novembre 2018, ce ne sera que partie remise. Ils semblent avoir déjà gagné la bataille des idées. Ce n’est pas une vague bleue simplement poussée par l’opposition à Trump, c’est une lame de fond qui est en train de redéfinir le Parti démocrate.

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