Suite à l’investiture de Donald Trump comme 45e président des États-Unis et aux premières décisions prises – pour le moins controversées – par le nouveau responsable de l’exécutif, Thomas Lefebvre analyse la situation politique et ses différents rapports de force et en dégage quelques perspectives quant à l’avenir démocratique des États-Unis.
Comme il semble loin, le temps où les républicains modérés expliquaient que Donald Trump allait être un président pragmatique. Comme il semble dépassé, le temps où ces mêmes « modérés » balayaient les saillies les plus odieuses du candidat républicain comme étant de simples écarts de langage inévitables à toute campagne. Depuis la cérémonie d’investiture du 20 janvier 2017, c’est un sentiment de malaise qui habite ces mêmes modérés et un calvaire – une honte – pour tous les déçus d’Hillary Clinton. Chaque déclaration outrancière, chaque décision odieuse, chaque nomination provocatrice, chaque tweet impulsif, chaque coup de burin sur la Constitution américaine du nouveau président nous rappellent à la tragique improbable réalité que Trump est bien le 45e président des États-Unis.
Nous l’avons tous vu, Trump gouverne par le chaos : incohérent, colérique, s’attaquant quotidiennement à la liberté de la presse, faisant des minorités des boucs émissaires, refusant de respecter les coutumes, tordant les lois et les institutions, intimidant les fonctionnaires récalcitrants tout en multipliant les crises diplomatiques. Pour les partisans du progrès, une fois les cinq phases de deuil passées – déni, colère, négociation, dépression et acceptation –, comment répondre à un président dont le comportement semble osciller entre l’insensé, le nihilisme et le baroque ? Comment contrer un président présentant tous les symptômes du leader proto-fasciste ? Le défi semble presque insurmontable tant Trump pilonne l’espace médiatique du matin au soir. De plus, en dépit de toute rationalité, il semblerait que Trump continue de conserver sa popularité auprès de sa base. Ainsi, la décision d’interdire le séjour aux États-Unis pour les ressortissants de sept pays majoritairement musulmans semble être favorablement reçue parmi les électeurs de Trump. Le nouveau président apparaît ainsi comme étant fidèle à ses engagements électoraux tout en renforçant peurs et préjugés.
Alors quelles alternatives ? Il semblerait que le manque d’unicité au sein de l’administration Trump présente des opportunités pour tous les opposants à Trump, qu’ils soient libéraux ou conservateurs. Ainsi, les divergences entre la Maison Blanche, le Congrès, et la bureaucratie offrent des angles de contre-attaques intéressants.
Le Congrès et Trump
Au vu du caractère et des actions du président, peut-on espérer que les républicains se décident à s’unir pour un impeachment de Trump ? Les raisons ne manquent pas, notamment sur la question des conflits d’intérêts ou sur l’indépendance de la justice. Faut-il compter sur cette hypothèse ? Pas encore. Que ce soit sur son interdiction de séjourner aux États-Unis pour les citoyens venant de sept pays majoritairement musulmans ainsi que pour les réfugiés – les leaders républicains s’y étaient opposés pendant la campagne –, ou sur la nomination de Steve Bannon, ancien directeur d’un site d’extrême droite, à un siège au Conseil national de sécurité, les élus républicains rechignent avant d’abdiquer. Le fantasme d’un impeachment laisse les démocrates à la case « déni » dans le jeu de l’oie du deuil.
Peut-on néanmoins compter sur les républicains du Congrès pour modérer les traits les plus caricaturaux de Trump ? Pas vraiment sur les politiques, puisqu’en bénéficiant de la majorité dans les deux chambres, les républicains du Congrès tentent de saisir l’occasion de la victoire de Trump pour pousser leurs positions traditionnelles comme la privatisation de l’assurance maladie (Medicare), le démantèlement de l’Obamacare, ainsi que la réduction des dépenses publiques. On notera aussi la volonté d’abolir les mesures visant à la régulation des marchés financiers introduites par Barack Obama, en particulier la loi Dodd-Frank.
De plus, jusqu’à l’élection présidentielle, ni Paul Ryan, le speaker de la Chambre, ni Mitch McConnell, son homologue au Sénat, n’avaient réussi à contrôler les débordements de Trump. En tant que républicain traditionnel focalisé sur la dette de l’État, McConnell a rapidement montré son indépendance en ne soutenant pas le plan du président élu de dépenser un trillion de dollars dans les infrastructures. Il y a aussi fort à parier que nombre de membres du Congrès, républicains et démocrates, vont tenter de freiner les ardeurs isolationnistes de Trump sur l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ou vis-à-vis des Européens et des Chinois.
Alors que Trump semblait suggérer pendant la campagne que la solidarité au sein de l’OTAN n’était pas automatique, le chef des républicains au Sénat a aussi marqué sa différence avec Trump sur l’Alliance atlantique, notant que l’Article 5 du traité de l’OTAN avait « un sens » pour lui. Mais c’est la question de l’ingérence de Moscou dans le processus démocratique qui semble véritablement montrer les limites d’une pleine entente entre les républicains du Congrès et la future administration Trump. Ainsi, McConnell et Ryan ont soutenu une enquête parlementaire dont l’objectif serait de faire la lumière sur le rôle du Kremlin pendant la campagne électorale et sur son résultat. McConnell a rappelé que « les Russes ne sont pas nos amis ». Cette position est en porte-à-faux avec celle du président qui récuse jusqu’à présent les analyses de la CIA démontrant l’interférence russe.
Les démocrates ont aussi trouvé deux alliés de poids parmi les républicains avec l’ancien candidat à la présidentielle John McCain et Lindsey Graham, sénateur de la Caroline du Sud. À eux deux, les deux faucons atlantistes fomentent les attaques les plus féroces contre le président russe Vladimir Poutine et contre les positions de Donald Trump, allant jusqu’à passer la nuit du réveillon du Nouvel An avec les forces ukrainiennes. Graham va par ailleurs conduire une enquête sur le rôle de la Russie, via la Commission Criminalité et justice qu’il co-préside au sein du Sénat.
Le processus de confirmation des membres du cabinet de Trump est aussi l’occasion de tester l’efficacité des démocrates à ralentir, voire de tenter d’écarter, certaines nominations au gouvernement. Ainsi, les démocrates, ayant rallié deux élus républicains, ont mis la nomination de Betsy DeVos promue à l’Éducation en balance ; le vote du vice-président, Mike Pence – une première – a été alors nécessaire pour valider sa nomination. Les élus démocrates se doivent-ils d’être inflexibles, à la manière de Harry Reid, chef sortant du groupe démocrate des sénateurs, en s’engageant dans une obstruction systématique ? La question de l’obstruction est d’autant plus posée au sujet de l’investiture du prochain juge de la Cour suprême. Ainsi, les démocrates vont-ils tenter de faire payer les républicains pour avoir « volé » le siège qui leur était indu en bloquant cette nomination ? Rien n’est moins sûr. Autant passer au « grill » les nominés est un exercice attendu, autant paralyser le Congrès est un jeu dangereux qui pourrait aliéner une partie de l’opinion publique fatiguée d’un parlement inefficace. Au final, le Congrès aura certainement un rôle modérateur vis-à-vis de certaines politiques de Trump mais, au vu de l’enthousiasme des républicains, nombres de politiques progressistes pourraient être abolies via le combat idéologique mené par la droite.
Les institutions et Trump
Que ce soit dans ses critiques de la CIA ou de l’EPA (Agence de la protection de l’environnement), la propension de Donald Trump à défier l’ordre institutionnel semble sans limite. Se pose alors la question de savoir si ces institutions seront en mesure de résister aux coups de butoir de l’administration Trump. Dans un article au lendemain de l’élection, le journaliste du New York Times Nicholas Kristof – phare des progressistes – écrivait : « Nos institutions sont plus fortes qu’un seul homme. Nous ne sommes pas la République de Weimar ». Cet optimisme dans la défaite peut trouver un écho dans le refus de l’EPA de ficher, à la demande des conseillers de Trump, les agents ayant participé aux négociations sur le climat ou dans la révolte des diplomates du Département d’État qui ont largement condamné la politique d’immigration de Trump. On a pu aussi observer cette défiance avec la multiplication de comptes « loup-garou » sur les réseaux sociaux, comptes tenus par des fonctionnaires une fois leur journée terminée, qui diffusent des « non-fausses nouvelles » et refusent ainsi le musellement des administrations.
Il est néanmoins possible que les institutions cèdent face aux attaques répétées de Trump. Comme le notait Adam Gopnik du New Yorker avant l’élection, une fois au pouvoir, les populistes ont tendance à faire plier les règles : « Ils n’arrivent pas au pouvoir en découvrant, comme le font le constitutionnalistes, que leurs pouvoirs sont plus limités qu’il n’y paraît. Ils arrivent et élargissent leur pouvoir autant qu’ils le peuvent ». Le risque que Trump se transforme en « tyran » n’est pas à écarter mais, au contraire, à envisager et alors à affronter frontalement.
Donald Trump a montré qu’il était prêt à abolir certaines libertés garanties par les institutions. Ainsi s’est-il attaqué aux bruleurs de drapeau : « Personne ne devrait être autorisé à brûler le drapeau américain – s’ils le font, il doit y avoir des conséquences – peut-être la perte de citoyenneté ou un an de prison ». Les constitutionnalistes ont beau jeu de démontrer que les arrêts de la Cour suprême garantissent ce droit, la menace plane que Trump trouvera un moyen pour punir ce type de manifestation. Mais c’est surtout la nomination au Conseil de sécurité nationale de Steve Bannon, ardent défenseur du chaos et de l’ordre mondial libéral, qui génère les plus fortes angoisses.
Un des derniers recours institutionnels, face à un chef d’État liberticide et antiscience, semble se trouver du côté des États, comme celui de la Californie. Son gouverneur, Jerry Brown, a promis de « lancer son propre satellite » si Trump maintient sa promesse de couper le programme de recherche sur le climat de la NASA. Les États de l’Ouest ont par ailleurs voté une résolution en forme de défiance notant que « l’autorité de l’État doit être présumée souveraine – face au pouvoir fédéral ». Ce sont d’ailleurs les États de Washington et du Minnesota qui ont réussi à stopper, pour le moment et temporairement, le décret de Trump sur l’immigration en déposant des recours auprès de la justice fédérale. Au final, la solidité des institutions sera un des véritables tests de la mandature de Donald Trump.
La lutte citoyenne
Malgré la défaite, les militants de la campagne d’Hillary Clinton semblent conserver une énergie positive pour contrer les politiques de Donald Trump et préparer la relève. Certains militants progressistes tentent de s’organiser sur le même modèle que les Tea Party, focalisant leurs actions sur les membres du Congrès. Galvanisée par les marches de grande ampleur du 21 janvier 2017, l’opposition anti-Trump relève la tête. Cette marche fut un événement fondateur pour toute une génération d’où, on l’espère, sortiront les prochains leaders démocrates. Car le parti a considérablement besoin d’être renouvelé : les leaders démocrates Chuck Schumer au Sénat et Nancy Pelosi à la Chambre ne sont plus très jeunes… Quant au parti lui-même, la course pour le nouveau chef du parti ne semble pas intéresser grand monde.
Outre mettre la pression sur les membres du Congrès, il va falloir reconquérir ceux qui avaient voté Obama en 2008 et qui ont voté Trump en 2016, et en particulier se focaliser sur les femmes ainsi que sur les minorités qui ne se sont pas déplacées aux bureaux de vote le 8 novembre dernier.
La solidarité progressiste passe aussi par le soutien aux minorités et à ceux qui seront les victimes des retours en arrière : celles et ceux qui ne se conformeront pas à l’idéal de la famille blanche, conservatrice et religieuse. Nicholas Kristof propose ainsi un programme en douze étapes sur comment réagir à Trump qui inclut le soutien aux réfugiés mais aussi le devoir de dialoguer avec les partisans de Donald Trump. Malgré tout, pour nombre de militants progressistes, la réconciliation nationale n’est pas à l’ordre du jour avec des individus qui ont soutenu celui qu’ils considèrent comme un prédateur sexuel, un raciste et un malfrat.
Si la défaite a ébranlé les militants et nombre de celles et ceux qui ont voté pour Clinton, elle a aussi déclenché un mouvement contestataire bouillonnant d’énergie. On le retrouve par exemple sur la populaire page Facebook de Pantsuit Nation1À l’origine, il ne s’agissait que d’un petit groupe de partisans d’Hillary Clinton qui avait décidé de porter sa tenue fétiche (pantsuit, tailleur-pantalon) et appelé à une marée de tailleurs-pantalons aux urnes le 8 novembre en faveur de la démocrate. Pantsuit Nation est désormais un phénomène national qui revendique aujourd’hui deux millions de partisans. où l’on voit bien que nombre de femmes veulent s’investir un peu plus que dans des marches et dans l’écriture de lettres aux députés. Naturellement, la mobilisation pour les élections de mi-mandat de 2018 est dans toutes les têtes mais aussi dans le cadre de luttes quotidiennes, sur les réseaux sociaux ou en se mobilisant en masse dans les aéroports pour soutenir les victimes des politiques de Trump. On peut noter quelques succès, en particulier la démission du patron de Uber, Travis Kalanick, du Conseil numérique du président. Les grands patrons de l’économie numérique (Facebook, Apple, etc.) ont par ailleurs largement dénoncé le gel des visas et de l’accueil des réfugiés.
Le vide laissé par le départ de la scène médiatique de Hillary Clinton met en lumière l’absence de leadership au sein de la gauche américaine. Dans ce paysage de désolation, le président Obama semble tenir le « bureau national des pleurs ». Dans un article remarquablement bien écrit, David Remnick, du New Yorker, relate la fin de la campagne pour Obama et propose des analyses post-défaite. Remnik note ces mots du président: « Je ne crois pas en l’apocalypse – jusqu’à ce que l’apocalypse arrive. Je pense que rien n’est la fin du monde jusqu’à la fin du monde ». On a beaucoup glosé sur l’idée, défendue par Francis Fukuyama, que 2016, avec le vote sur le Brexit et l’élection de Donald Trump, marque potentiellement la fin de l’ordre mondial libéral tel que nous l’avons connu depuis la Deuxième Guerre mondiale avec ses institutions et ses valeurs. Au final, si l’on veut que l’élection de Trump ne soit qu’un hoquet de l’Histoire et non la fin d’une humanité tournée vers des valeurs positives, et pour contrer les logiques électorales infernales (en France et en Allemagne notamment), cela relève in fine de la responsabilité de chacun.
- 1À l’origine, il ne s’agissait que d’un petit groupe de partisans d’Hillary Clinton qui avait décidé de porter sa tenue fétiche (pantsuit, tailleur-pantalon) et appelé à une marée de tailleurs-pantalons aux urnes le 8 novembre en faveur de la démocrate. Pantsuit Nation est désormais un phénomène national qui revendique aujourd’hui deux millions de partisans.