Les Français et l’épargne. Recommandations pour une inclusion financière et une finance inclusive

L’épargne, si elle est marquée par des inégalités criantes, peut aussi devenir un levier puissant pour répondre aux défis de notre temps : la justice sociale, la transition écologique et l’inclusion financière. Aurélie Jean, docteure en sciences et entrepreneure, et Isabelle Le Bot, directrice générale de La France mutualiste, membre du Comex de Malakoff Humanis, tirent des enseignements de l’enquête « Comportement des Français vis-à-vis de l’épargne » et formulent sept recommandations pour repenser notre modèle économique, renforcer la cohésion sociale et préparer la France aux crises à venir.

Introduction : l’épargne des Français, un paysage en pleine mutation

Dans un contexte de bouleversements économiques, sociaux et environnementaux, l’épargne des Français est soumise à de profondes transformations.

La France traverse deux transitions majeures, démographique et écologique, qui influencent directement le comportement des épargnants. D’une part, l’allongement de l’espérance de vie et la baisse de la natalité redéfinissent les besoins des ménages en matière de gestion du patrimoine. D’autre part, les préoccupations environnementales poussent de plus en plus de Français à chercher des produits financiers responsables. En 2023, selon France Assureurs, la collecte en unités de compte (UC) labellisées ISR1La collecte en unités de compte labellisées ISR reflète la part de l’épargne orientée vers des placements responsables via des supports variés en unités de compte, un levier puissant pour allier rendement financier et impact positif. représentait plus de 60 milliards d’euros. Et fin 2022, près de 30% des encours étaient déposés sur des fonds labellisés durables et responsables2La part des encours déposés sur des fonds labellisés durables et responsables représente le pourcentage du montant total des investissements (ou encours) détenus par les épargnants qui est alloué à des fonds bénéficiant de labels certifiant leur caractère responsable et durable, tels que le label ISR (Investissement socialement responsable), le label Greenfin ou encore le label Finansol.. C’est donc une vraie tendance de marché, pas seulement un effet marketing.

À cela s’ajoutent des crises économiques et géopolitiques récurrentes, ainsi que la montée en puissance de technologies de rupture et dans certains cas révolutionnaires, comme l’intelligence artificielle.

Le rapport que nous avons réalisé3Étude « Comportement des Français vis-à-vis de l’épargne », co-réalisée en septembre 2024 par Aurélie Jean pour La France mutualiste, à partir des données collectées entre 2016 et 2023. Cette étude est associée à un manifeste pour l’inclusion financière et une finance plus inclusive. analyse près de huit années de données (de 2016 à 2023) pour décrypter les comportements des épargnants français de La France mutualiste et formuler des recommandations concrètes pour animer le débat public. Avec 220 708 adhérents analysés, cette étude fournit un panorama complet et chiffré des tendances actuelles, tout en adressant les défis de demain : inclusion financière, finance durable et équité intergénérationnelle.

Pour cela, nous analysons des métriques qui dépendent de plusieurs variables que sont la tranche d’âge, le genre, la localisation (villes, territoires, régions, etc.), le statut marital (célibataire, en couple, veuf, divorcé, etc.), le statut familial (avec enfants, sans enfant, petits-enfants, etc.), le statut d’activité (en activité, retraité, étudiant, etc.), la classe socioprofessionnelle et le métier. On distingue les métriques comparables aux données de la littérature de celles nouvelles qui sont donc incomparables strictement aux résultats des études complémentaires à celle conduite par La France mutualiste. Aucun institut de sondage n’avait encore traité ce sujet avec cette envergure.

L’objectif de ce rapport est d’éclairer les décideurs politiques sur les comportements actuels des épargnants et de proposer des recommandations concrètes pour promouvoir une finance plus inclusive et durable, en tenant compte des enjeux sociétaux et environnementaux actuels.

Alors que la réforme des retraites de 2023 continue d’alimenter les discussions, la pression démographique ne fait que s’accentuer, renforçant l’idée que la capitalisation pourrait être une solution complémentaire à la retraite par répartition pour assurer une retraite plus sereine, avec des pensions potentiellement plus élevées. Créé il y a cinq ans par la loi Pacte, le Plan d’épargne retraite (PER) séduit particulièrement les jeunes, soucieux de leur future pension.

En parallèle, le vieillissement de la population nous oblige à repenser le financement de la dépendance, un enjeu majeur aux coûts financiers considérables. Ce sujet, déjà au cœur des préoccupations, reviendra inévitablement dans le débat public, surtout dans un contexte budgétaire contraint.

L’inclusion financière et la finance inclusive sont deux concepts liés, mais distincts dans leurs objectifs et leurs approches.
L’inclusion financière, c’est l’action d’offrir à chacun, sans distinction, un accès aux services financiers de base. C’est la clé qui ouvre la porte à une participation économique plus large, en particulier pour ceux qui en sont exclus – qu’il s’agisse de personnes à faibles revenus, de jeunes ou d’habitants des zones rurales. L’éducation financière est un des principaux leviers de l’inclusion financière.
La finance inclusive, elle, va plus loin. Il ne s’agit pas seulement d’accéder à des produits financiers, mais de créer des solutions sur mesure, éthiques et responsables, qui répondent aux besoins spécifiques de chacun, tout en contribuant à une transformation positive de la société, et en ne discriminant aucunement sur la base du genre, de l’âge ou encore des origines sociales. Cette approche s’inscrit dans une vision plus large : celle d’une finance qui soutient l’égalité des chances, lutte contre les discriminations et permet à chacun de construire son avenir avec sérénité. Il est nécessaire alors de développer des outils d’IA et des modèles algorithmiques en particulier, qui ne discriminent pas4Aurélie Jean et Isabelle Le Bot, « Lutter contre la discrimination des seniors à l’ère de l’IA, un enjeu économique », HBR France, 19 mars 2024..
Si l’inclusion est le point de départ, la finance inclusive est l’ambition, celle d’une finance qui fait la différence, à la fois pour les individus et pour la société.

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Contexte démographique et économique : une France vieillissante face à l’incertitude

Le vieillissement de la population est l’un des principaux défis auxquels la France est confrontée. L’espérance de vie connaît une augmentation de 16 ans depuis 19505Insee, Tableaux de l’économie française, 2019.. Cette longévité accrue modifie le comportement des seniors, qui continuent d’épargner bien après leur retraite. Selon le rapport, 58,4% des adhérents de La France mutualiste possédant un produit de retraite ont plus de 80 ans. Ce chiffre contraste avec l’hypothèse traditionnelle du cycle de vie qui prévoyait une consommation intégrale du capital après la retraite. Les seniors d’aujourd’hui, eux, privilégient la sécurité financière et l’accumulation de patrimoine pour faire face à des incertitudes économiques croissantes. En parallèle, la natalité connaît une chute historique : 9,9 naissances pour 1000 habitants en 2023, soit une baisse de 6,6% par rapport à 20226« La baisse spectaculaire des taux de fécondité mondiaux en voie de transformer les tendances démographiques dans le monde d’ici 2100 », The Lancet, 2024.. Le vieillissement de la population est donc accompagné d’une baisse du renouvellement des générations.

Ce phénomène aura un impact sur les transferts de patrimoine entre générations, et sur la redistribution économique dans les décennies à venir.

La conjoncture économique, marquée par une montée des inégalités, incite les ménages à épargner davantage. En 2021, la France a enregistré un surplus d’épargne de 157 milliards d’euros pendant la crise liée à la pandémie de Covid-197Philippe Crevel et Sarah Le Gouez, « Épargne et retraite, des passions bien françaises », enquête Cercle de l’épargne/Amphitéa, Les Dossiers du Cercle de l’épargne, n°96, avril 2022.. Toutefois, cette épargne est inégalement répartie : en 2022, 30% des Français n’épargnaient pas du tout. Pour rappel, le montant de l’épargne totale des Français est de 6000 milliards d’euros (hors immobilier) alors que le montant de la dette s’élève à 3228,4 milliards d’euros au deuxième trimestre 20248Stéphanie Villers, « L’épargne des Français : un potentiel non exploité », PWC, février 2023..

Ce constat alarmant souligne l’urgence de mettre en place des politiques publiques pour encourager l’inclusion financière, en particulier pour les ménages à faibles revenus9David Bach, John David Mann, The latte factor, Atria Books, 2019..

Un intérêt croissant pour l’épargne responsable et verte

Face à l’urgence climatique, les Français se tournent de plus en plus vers des produits financiers responsables. En 2023, 24% des Français déclaraient choisir leur épargne en fonction des critères environnementaux, un chiffre qui pourrait grimper à 41% dans les années à venir. Les jeunes générations (18-24 ans) sont particulièrement sensibles à ces enjeux : 74% d’entre eux considèrent le réchauffement climatique comme une priorité majeure10« Et si les vieux aussi sauvaient la planète ? », interview exclusive de Serge Guérin par Philippe Tarot, senioractu.com, janvier 2024..

Cette prise de conscience écologique s’accompagne d’un intérêt croissant pour des produits financiers verts, tels que les fonds durables ou les obligations vertes. Cependant, 58% des Français peinent encore à comprendre les avantages de ces produits financiers responsables, tandis que 62% sont incapables d’en identifier les inconvénients11Sondage OpinionWay pour l’Autorité des marchés financiers, 2021.. Cette confusion souligne la nécessité de mieux informer le public et de simplifier l’accès à ces produits. Il est essentiel de prouver que sens et performance peuvent et doivent aller de pair. L’objectif est d’offrir aux clients-adhérents des solutions d’investissement qui non seulement répondent à leurs attentes en termes de performance, mais qui contribuent aussi à agir pour une société plus durable.

Le défi de l’inclusion financière en France

L’un des constats majeurs de cette étude est l’existence de fortes inégalités d’accès à l’épargne. En 2022, 30% des Français n’épargnaient pas du tout, une situation particulièrement préoccupante chez les jeunes et les femmes. En effet, seuls 22% des jeunes âgés de 25 à 34 ans épargnent pour leur retraite, un chiffre qui tombe à 10% pour les 18-24 ans. Cette situation est exacerbée par un manque criant d’éducation financière en France : selon une enquête de 2022, 75% des jeunes de 15 à 20 ans souhaiteraient mieux comprendre la finance, et 73% soutiennent l’idée d’introduire des sessions d’éducation financière à l’école12La Finance pour tous, « Étude sur l’argent et les problématiques financières auprès des jeunes 15-20 ans », enquête réalisée par l’institut CSA pour l’Institut pour l’éducation financière du public (IEFP), avec le soutien du Groupe Caisses d’épargne et de la Caisse des dépôts, 2006..

Les femmes sont également désavantagées en matière d’épargne. Selon l’étude de La France mutualiste, les femmes souscrivent à une assurance-vie en moyenne à l’âge de 49,8 ans, contre 37,8 ans pour les hommes. De plus, 61% des femmes épargnantes ne le font pas en vue de la retraite, contre 51% des hommes. Ce décalage s’explique en partie par des inégalités salariales et une précarité plus marquée chez les femmes, mais aussi par une moindre sensibilisation aux produits financiers complexes. Il est bien établi que les femmes ont tendance à investir dans des produits moins risqués que les hommes, ce qui, à long terme, peut entraîner des rendements plus faibles. Mais la question sous-jacente est plus complexe : comment les conseillers financiers sont-ils formés à aborder l’investissement avec les femmes ? Existe-t-il un biais ou stéréotype de genre dans ces échanges ? Trop souvent, les femmes sont perçues sous le prisme de la gestion des dépenses plutôt que comme des stratèges de l’investissement. Cette vision réductrice risque de freiner leur potentiel financier et appelle à une refonte des pratiques dans le conseil en investissement.

Les inégalités patrimoniales en France, notamment entre hommes et femmes, sont frappantes et continuent de se creuser. Les femmes possèdent un patrimoine largement inférieur à celui des hommes, et ce phénomène s’accentue avec le temps. Ce constat s’inscrit dans un contexte où les femmes investissent davantage dans des produits moins risqués, souvent avec des rendements plus faibles à long terme, amplifiant ainsi l’écart patrimonial.

Cette disparité s’ajoute à la problématique plus large de la fiscalité du patrimoine, notamment l’impôt sur les successions, souvent perçu comme impopulaire en France. Bien que l’imposition sur les successions y soit plus élevée qu’ailleurs, elle n’a pas suffi à enrayer l’aggravation des inégalités patrimoniales, qui atteignent des niveaux sans précédent. Dans ce contexte, la question se pose : faut-il ajuster cette fiscalité pour mieux répondre à ces inégalités ou revoir complètement notre approche de la transmission du patrimoine ? La réponse aura un impact direct sur l’équilibre financier des générations à venir.

Sept recommandations concrètes destinées à rendre la finance plus inclusive et plus accessible à tous

Faire de l’inclusion financière une grande cause nationale

En 2022, 30% des Français n’épargnent pas du tout, ce qui expose ces ménages à une plus grande précarité financière face aux crises économiques. L’inclusion financière, qui vise à donner à chacun les moyens d’accéder à des produits financiers de base, doit devenir une priorité politique. Il est essentiel que les lois sur l’épargne tiennent compte des disparités socioéconomiques et des défis géographiques, notamment pour les populations des zones rurales ou des quartiers urbains en difficulté. Les pouvoirs publics peuvent jouer un rôle central en instituant une stratégie nationale pour l’inclusion financière, impliquant à la fois les banques, les assureurs et les collectivités locales. Cela pourrait inclure des initiatives comme des programmes d’épargne automatiques pour les travailleurs à faibles revenus, un accès simplifié à des comptes bancaires de base sans frais, ou des dispositifs d’incitation fiscale pour encourager l’épargne des ménages modestes.

Enjeu politique

Faire de l’inclusion financière une grande cause nationale permettrait de rétablir la justice sociale et de réduire les inégalités économiques. C’est aussi une opportunité pour les décideurs politiques de montrer un engagement concret envers la lutte contre la précarité, tout en renforçant la résilience des ménages face aux crises. L’adoption d’une telle mesure pourrait devenir un des piliers de la politique économique, en consolidant la cohésion sociale.

Introduire l’éducation financière obligatoire dès le primaire

L’éducation financière est un outil puissant pour donner à chaque citoyen les clés de la gestion de son patrimoine. En France, 75% des jeunes de 15 à 20 ans estiment qu’ils manquent de connaissances pour gérer leur épargne, et 73% sont favorables à des cours de finance à l’école. Pourtant, l’éducation financière reste absente des programmes scolaires. À l’heure où la finance devient de plus en plus complexe et où de nouveaux produits, comme les cryptomonnaies et les NFT (de l’anglais non fungible token, jeton non fongible), émergent, cette lacune contribue à l’inégalité d’accès à l’information et aux opportunités d’investissement.

Le gouvernement doit introduire, dès le primaire, un programme d’éducation financière pour sensibiliser les élèves aux concepts de base : gestion de budget, épargne, risques financiers. Ce programme pourrait également s’étendre aux adultes, via des campagnes d’information publique et des partenariats avec des associations spécialisées. La formation des enseignants et l’intégration de ces cours dans le parcours scolaire devront faire l’objet d’une attention législative particulière. La Banque de France avait d’ailleurs déjà évoqué ce sujet13Stéphanie Lange-Gaumand, directrice de l’éducation financière à la Banque de France, La France mutualiste & vous, mars 2024, p. 10-11..

Enjeu politique

L’introduction d’une éducation financière obligatoire s’inscrit dans une logique de long terme. Les décideurs politiques ont ici une occasion unique de renforcer les compétences des citoyens, et donc leur autonomie financière. C’est une mesure populaire qui renforcerait la crédibilité du décideur politique dans sa capacité à préparer les jeunes générations à faire face aux défis économiques de demain. En anticipant les crises, cela contribuerait aussi à diminuer la dépendance des citoyens aux aides sociales.

Encourager la transparence et le partage des analyses financières

La France souffre d’un manque de transparence et de partage public des analyses et des tendances financières, notamment sur les comportements d’épargne des différentes classes d’âge et catégories sociales. Par exemple, il est difficile d’obtenir des tendances précises sur les comportements des plus de 65 ans, ce qui complique l’élaboration de politiques adaptées à cette population croissante. Un effort de transparence permettrait d’identifier les inégalités d’accès à l’épargne et d’adapter les dispositifs en fonction des besoins spécifiques des populations.

Les acteurs financiers, en collaboration avec l’État, doivent être tenus de partager des analyses précises et anonymisées sur les comportements d’épargne. Ces analyses permettraient une meilleure compréhension des inégalités structurelles et constitueraient une base solide pour orienter les politiques publiques.

Enjeu politique

Les décideurs politiques ont ici une opportunité de légiférer sur une obligation de partage des analyses et des tendances financières, ce qui renforcerait la légitimité des décisions publiques en matière économique. C’est aussi une réponse directe aux attentes de transparence des citoyens, dans un contexte de défiance accrue envers les institutions financières.

Mener des études nationales sur les comportements financiers des Français

Les Français épargnent davantage en période de crise, mais cette épargne est souvent mal orientée ou « dormante »14Banque de France, Épargne et patrimoine financiers des ménages – France et étranger – T1, 2024., faute d’une connaissance précise des comportements financiers. En 2024, 58% des Français pensent que l’économie va se dégrader dans l’année à venir. Pourtant, peu d’études nationales permettent de comprendre en détail comment ces incertitudes influencent les décisions financières à court et long terme.

Le gouvernement pourrait instaurer un observatoire permanent des comportements financiers des Français, en lien avec les régions et les institutions financières. Cet observatoire, indépendant et transparent, permettrait de mieux orienter les politiques d’épargne et d’adapter les dispositifs fiscaux en fonction des réalités observées. En recueillant régulièrement ces données, il serait possible d’adapter les politiques de soutien à l’épargne, notamment en périodes de crise.

Enjeu politique

La création d’un tel observatoire représenterait un signal fort en faveur d’une gouvernance éclairée et basée sur des faits. Pour les décideurs politiques, cela constitue un levier pour légiférer sur des bases solides, en renforçant la pertinence et l’efficacité des lois économiques. De plus, cela placerait la France en leader en matière de compréhension et de gestion des comportements financiers, un enjeu stratégique à l’échelle européenne.

Créer des bases de données ouvertes sur l’épargne des Français

L’une des recommandations majeures de ce rapport est la création de bases de données ouvertes et anonymisées sur les choix d’épargne des Français. Actuellement, les données sur les comportements financiers sont soit incomplètes, soit réservées aux grandes institutions financières. Ces bases de données, gérées par des organismes publics ou semi-publics, permettraient d’améliorer la transparence et de garantir une meilleure accessibilité aux données financières pour les chercheurs, les décideurs politiques et le grand public.

À l’image du Health Data Hub pour les données de santé, cette initiative permettrait d’alimenter les travaux sur l’inclusion financière et d’élaborer des politiques basées sur des données précises et anonymisées. Elle serait également un outil précieux pour développer des modèles algorithmiques inclusifs, garantissant l’accès à l’épargne pour tous.

Enjeu politique

La création de bases de données ouvertes s’inscrit pleinement dans les objectifs de l’open data, un mouvement mondial que la France se doit de soutenir activement. Pour les décideurs politiques, cela représente une opportunité de démontrer leur engagement en faveur de la transparence et de l’innovation, tout en fournissant des outils concrets pour renforcer la recherche économique et améliorer les politiques publiques. Cela pourrait également constituer un modèle à suivre pour d’autres secteurs.

Renforcer les directives sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la finance

L’intelligence artificielle (IA) joue un rôle de plus en plus important dans la gestion des produits financiers. En 2025, l’AI Act européen entrera en vigueur, imposant des règles strictes sur le développement et l’usage des algorithmes dans différents secteurs. Dans le domaine de la finance, les outils algorithmiques peuvent reproduire ou amplifier des biais existants, notamment en matière de genre, de classe sociale ou de localisation géographique.

Les décideurs politiques doivent anticiper ces risques et renforcer les directives nationales pour s’assurer que l’usage des algorithmes dans la finance soit éthique et inclusif. Des contrôles rigoureux, notamment sur les biais discriminatoires, devront être effectués pour garantir que les outils financiers ne pénalisent pas les populations vulnérables.

Enjeu politique

Les décideurs politiques ont un rôle décisif à jouer pour adapter l’AI Act aux spécificités nationales et garantir que la France soit à la pointe d’une finance éthique et inclusive. C’est également l’opportunité pour eux de défendre une régulation forte face aux grandes institutions financières, en montrant que les technologies innovantes peuvent être mises au service de l’intérêt général. La question de l’éthique algorithmique dans la finance doit devenir un sujet prioritaire à l’agenda législatif.

Proposer des produits financiers responsables, écologiques et intergénérationnels

Enfin, la demande pour des produits financiers responsables, en particulier ceux qui favorisent la transition écologique, est en pleine croissance. En 2023, 24% des Français choisissaient leur épargne en fonction de critères environnementaux, et 41% déclaraient vouloir le faire à l’avenir. Ce chiffre est encore plus élevé chez les jeunes (18-24 ans), qui voient dans l’épargne verte un moyen de concilier intérêt personnel et bien commun.

Le gouvernement doit encourager la création de produits financiers respectueux de l’environnement, dans le but de faire respecter la législation et de renforcer la lutte contre le greenwashing, tout en incitant les institutions financières à proposer des solutions adaptées à tous les âges. Ces produits pourraient inclure des incitations fiscales pour orienter l’épargne vers des fonds durables, ainsi que des dispositifs favorisant la transmission intergénérationnelle du patrimoine tout en investissant dans des secteurs à fort impact écologique.

Enjeu politique

La finance durable est un vecteur de cohésion sociale et intergénérationnelle. Les décideurs politiques ont ici une chance de positionner la France en leader de la finance verte en Europe, en adoptant des mesures incitatives pour les produits responsables. En intégrant des dimensions écologiques et sociales à la finance, cette initiative peut également répondre à la demande croissante des citoyens pour des produits d’épargne éthiques, tout en participant à la lutte contre le réchauffement climatique.

Pour une inclusion financière et une finance inclusive

Le rapport sur le comportement des Français vis-à-vis de l’épargne révèle des inégalités criantes, mais il dessine aussi un avenir où l’épargne peut devenir un levier puissant pour répondre aux grands défis de notre temps : la justice sociale, la transition écologique et l’inclusion financière.

L’heure n’est plus aux ajustements marginaux. Il est temps de faire preuve de volontarisme et de placer la finance au service de tous les Français, sans distinction de classe, d’âge ou de genre. Chaque réforme, chaque politique publique en matière d’épargne doit désormais avoir pour boussole l’inclusion et la durabilité. Les décideurs politiques ont le pouvoir, et surtout la responsabilité, de transformer le système financier en profondeur, pour le rendre plus juste, plus accessible et plus responsable face aux enjeux climatiques.

Les sept recommandations proposées ici ne sont pas seulement des mesures techniques : elles constituent une véritable feuille de route pour repenser notre modèle économique, renforcer la cohésion sociale et préparer la France aux crises à venir, et un changement de paradigme tant pour l’État que pour les institutions financières.

Nous avons l’opportunité, aujourd’hui, de faire bouger les lignes et d’éclairer le débat public. Les décideurs politiques ont le pouvoir de transformer ces recommandations en actions législatives concrètes. L’enjeu est grand, mais il est à la hauteur des défis auxquels nous faisons face. Le temps est venu d’agir, de légiférer et de mettre en place un système financier qui ne laisse personne de côté. Le monde change, la finance doit suivre – et c’est aux décideurs politiques de lui en donner la direction.

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    La collecte en unités de compte labellisées ISR reflète la part de l’épargne orientée vers des placements responsables via des supports variés en unités de compte, un levier puissant pour allier rendement financier et impact positif.
  • 2
    La part des encours déposés sur des fonds labellisés durables et responsables représente le pourcentage du montant total des investissements (ou encours) détenus par les épargnants qui est alloué à des fonds bénéficiant de labels certifiant leur caractère responsable et durable, tels que le label ISR (Investissement socialement responsable), le label Greenfin ou encore le label Finansol.
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    Étude « Comportement des Français vis-à-vis de l’épargne », co-réalisée en septembre 2024 par Aurélie Jean pour La France mutualiste, à partir des données collectées entre 2016 et 2023. Cette étude est associée à un manifeste pour l’inclusion financière et une finance plus inclusive.
  • 4
    Aurélie Jean et Isabelle Le Bot, « Lutter contre la discrimination des seniors à l’ère de l’IA, un enjeu économique », HBR France, 19 mars 2024.
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    Insee, Tableaux de l’économie française, 2019.
  • 6
    « La baisse spectaculaire des taux de fécondité mondiaux en voie de transformer les tendances démographiques dans le monde d’ici 2100 », The Lancet, 2024.
  • 7
    Philippe Crevel et Sarah Le Gouez, « Épargne et retraite, des passions bien françaises », enquête Cercle de l’épargne/Amphitéa, Les Dossiers du Cercle de l’épargne, n°96, avril 2022.
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    Stéphanie Villers, « L’épargne des Français : un potentiel non exploité », PWC, février 2023.
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    David Bach, John David Mann, The latte factor, Atria Books, 2019.
  • 10
    « Et si les vieux aussi sauvaient la planète ? », interview exclusive de Serge Guérin par Philippe Tarot, senioractu.com, janvier 2024.
  • 11
    Sondage OpinionWay pour l’Autorité des marchés financiers, 2021.
  • 12
    La Finance pour tous, « Étude sur l’argent et les problématiques financières auprès des jeunes 15-20 ans », enquête réalisée par l’institut CSA pour l’Institut pour l’éducation financière du public (IEFP), avec le soutien du Groupe Caisses d’épargne et de la Caisse des dépôts, 2006.
  • 13
    Stéphanie Lange-Gaumand, directrice de l’éducation financière à la Banque de France, La France mutualiste & vous, mars 2024, p. 10-11.
  • 14
    Banque de France, Épargne et patrimoine financiers des ménages – France et étranger – T1, 2024.

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