Les élections locales britanniques de mai 2013 : une entrée dans la campagne de 2015

Les élections locales du 2 mai 2013 en Grande-Bretagne ont marqué un tournant dans le contexte politique du pays car elles avaient valeur de test sur l’état des forces politiques ; elles s’inscrivent ainsi déjà dans la préparation de l’élection générale de 2015 qui décidera du nouveau Premier ministre.

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Les élections locales du 2 mai 2013 ont marqué un tournant dans le contexte politique britannique. Les 35 county councils, pratiquement tous en zones rurales, étaient appelés à élire leurs représentants. Les responsabilités des shire counties sont relativement limitées au Royaume-Uni. Elles comprennent la gestion des écoles primaires et des bibliothèques, la gestion de certaines aides sociales, les décisions de planification urbaine (délivrance de permis de construire), l’entretien des routes et la collecte des déchets. Chaque membre du county council représente une circonscription locale, où le mode d’élection est celui du scrutin majoritaire à un tour. Le parti qui parvient à rassembler une majorité de conseillers obtient ainsi le contrôle du county counil. Par ailleurs, deux metropolitan boroughs étaient appelés à élire leur maire et un siège de la Chambre des Communes était en jeu à South Shields, suite au départ de David Miliband. En dépit de leur faible impact sur les choix de politique nationale, les élections avaient valeur de test sur l’état des forces politiques et s’inscrivent ainsi déjà dans la préparation de l’élection générale de 2015 qui décidera du nouveau Premier ministre.
UKIP, le grand vainqueur
Le grand vainqueur de la journée du 2 mai dernier est le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, UKIP, et son leader Nigel Farrage. Pratiquement absent à la fois des urnes et des sondages jusqu’en 2010, UKIP a vu sa popularité exploser au cours des trois dernières années et s’est établi comme le parti contestataire, loin devant les Verts et le British National Party (extrême-droite) qui avait un temps joué ce rôle. A partir d’une base quasiment nulle, le parti est parvenu à obtenir près de 170 élus et comptabilise 23 % des voix au niveau national. Le Parti conservateur est celui qui a le plus souffert du phénomène UKIP. Parti d’une base très haute acquise lors du raz-de-marée conservateur des élections précédentes en 2009 et usé par trois ans de pouvoir dans un contexte économique difficile, le parti du Premier ministre David Cameron recueille 25 % des voix – un recul de huit points – et perd le plus grand nombre de sièges (335, soit 20 % de moins qu’en 2009) ainsi que le contrôle de dix des 28 councils dans lesquels il avait la majorité absolue. Le Parti travailliste, mené par Ed Miliband, a terminé premier au niveau national avec 29 % des voix, gagnant 291 sièges, un nombre important mais moins haut qu’espéré. Enfin, le parti libéral-démocrate de Nick Clegg a perdu plus du quart de ses sièges, ce qui traduit dans les urnes la difficulté pour les libéraux-démocrates de se présenter comme une alternative après s’être confronté à l’exercice du pouvoir en tant que partenaire minoritaire de la coalition.
UKIP est un parti eurosceptique et populiste de droite. Formé en 1993 pour défendre la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, UKIP se présente aujourd’hui comme un parti « démocratique et libertarien », c’est-à-dire en faveur du libre-marché, et cherche à justifier la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne par des arguments économiques. En 1992, le Parti conservateur est divisé sur la question de la ratification du traité de Maastricht. La création de UKIP l’année suivante attire les conservateurs déçus par l’attitude pro-européenne de leur parti. Marginal jusqu’en 1999, UKIP réalise ses premiers gains aux élections européennes : trois candidats UKIP sont élus députés européens, parmi lesquels Nigel Farrage, le leader actuel. Les élections suivantes sont une succession de déconvenues, jusqu’à l’élection européenne de 2004 où, sur son thème phare, UKIP multiplie par quatre son nombre de députés européens – désormais au nombre de douze. Jusqu’aux élections du 2 mai dernier, UKIP ne décrochait de bons résultats qu’aux élections européennes. En 2009, le parti gagne un siège de député européen de plus (portant le total à treize, le même nombre que le Labour) mais l’année suivante, UKIP réalise une contre-performance aux élections législatives, n’obtenant que 3 % des voix au niveau national.
Perçu comme un parti à thème unique, UKIP, sous l’impulsion de son leader Nigel Farrage, a tenté de faire valoir des propositions politiques sur d’autres domaines. UKIP s’est notamment emparé du thème de l’immigration, proposant un certain nombre de mesures visant à réduire l’immigration au Royaume-Uni. En matière fiscale, le parti plaide pour la fin de l’imposition sur les sociétés et pour un taux d’imposition unique qui favoriserait effectivement les plus riches.
L’analyse du profil sociologique des électeurs de UKIP à la dernière élection révèle qu’ils sont beaucoup plus âgés que la moyenne, sont majoritairement des hommes, sont majoritairement blancs et, en grande majorité, n’ont pas fait d’études supérieures et ont un niveau de revenu plus faible que la moyenne. De nombreux commentateurs considèrent ainsi que UKIP exprime le malaise d’une partie de la société britannique, laissée pour compte dans l’évolution libérale de la société et de l’économie du pays, particulièrement touchée par les mauvaises conditions économiques – croissance faible, augmentation du coût de la vie – et par les politiques d’austérité qui ont réduit drastiquement l’emploi public et les aides de l’Etat. Ces électeurs partagent les valeurs eurosceptiques de UKIP et perçoivent l’avènement d’un Royaume-Uni moralement plus libéral et plus ouvert à l’immigration comme une menace. Contrairement aux idées reçues, les analyses des résultats semblent aussi montrer que UKIP a pris des voix à tous les partis et pas uniquement au Parti conservateur. Une récente étude a révélé que la part des électeurs UKIP qui se disent « originairement de gauche » est plus importante que ceux qui sont proches du Parti conservateur.
Encadré : Qui est Nigel Farrage ?
Le leader actuel du parti, Nigel Farrage, en a pris les commandes en 2006. Après s’être fait élire au Parlement européen en 1999, Nigel Farrage devient leader du groupe politique de la droite populiste au Parlement européen en 2004, ce qui lui donne plus de temps de parole en séance plénière et lui permet de se faire remarquer par des interventions virulentes contre notamment les représentants de la Commission européenne qui incarneraient selon lui l’Europe technocratique, donc illégitime. En 2006, Nigel Farrage devient chef du parti UKIP. Contrairement aux anciens cadres du parti, vieux militaires traditionnels, Nigel Farrage apparaît comme un homme politique moderne, ancien trader à la City. Marié à une Allemande, souvent à Bruxelles, Nigel Farrage semble parfois mener une vie en contradiction avec les propos qu’il tient devant les caméras.
Les conséquences du vote
D’un point de vue d’arithmétique électorale, le nombre potentiel de sièges à la Chambre des Communes pour UKIP est assez faible. Le système électoral britannique du « first past the post », scrutin majoritaire à un tour, favorise les grands partis. De plus, cette élection a certainement surévalué le poids de UKIP : les grandes villes cosmopolites, moins sensibles au discours du parti, n’ont pas voté le 2 mai dernier, et le taux de participation, habituellement faible aux élections locales, devrait être plus important pour l’élection générale. Ainsi, une entrée de UKIP à la Chambre des Communes est loin d’être acquise. Il n’en demeure pas moins que trois raisons donnent une importance au résultat du 2 mai 2013 :
Quand bien même UKIP ne peut pas gagner, le vote en sa faveur peut départager une circonscription au détriment d’un grand parti, en particulier du Parti conservateur. Pour cette raison, regagner la confiance des électeurs mécontents est un enjeu stratégique majeur. Le spectre d’une défaite causée par UKIP hante le Parti conservateur ;
Les prochaines élections seront les élections européennes, traditionnellement favorables à UKIP. La perspective d’une victoire à ce scrutin, qui renforcerait la dynamique à l’œuvre, inquiète les partis de gouvernement ;
La situation économique devrait demeurer morose d’ici la moitié de l’année 2014. UKIP a capitalisé le mécontentement provoqué par la dégradation économique, en particulier dans les régions du Nord, les plus touchées par l’austérité budgétaire qui s’est traduite au Royaume-Uni par des coupes drastiques dans les dépenses publiques.
Ainsi, les débats à l’approche de l’élection générale vont être influencés par les résultats du 2 mai dernier, tant il est désormais stratégiquement et symboliquement difficile pour les partis de gouvernement de fermer les yeux sur UKIP.
Le parti le plus directement concerné par ce résultat est le Parti conservateur. Après avoir qualifié avant l’élection les cadres de UKIP de « clowns », David Cameron a fait marche arrière et a reconnu qu’il faut considérer avec respect un parti qui recueille un quart des voix. Le vote du 2 mai 2013 s’est traduit par une recrudescence des revendications de l’aile droite du Parti conservateur. L’un de ses représentants, l’ancien Chancelier de l’échiquier Lord Lawson, a défendu publiquement l’idée d’une sortie de l’Union européenne, qui serait selon lui profitable au Royaume-Uni d’un point de vue économique. D’autres observateurs ont appelé David Cameron à inscrire dans une loi la tenue d’un référendum sur la place du Royaume-Uni dans l’Union européenne, promise en 2017. En réponse, David Cameron a fait le choix de placer l’immigration au cœur du discours de la Reine, moment traditionnel de la vie politique britannique qui ouvre une nouvelle session du Parlement en détaillant les propositions législatives avancées par le gouvernement. Cela ne suffira certainement pas à calmer les ardeurs de la droite conservatrice, et il doit se préparer à des relations difficiles avec son propre parti dans les mois à venir.
Les conséquences pour la gauche anglaise : la route est longue jusqu’en 2015
Dans son intervention suivant le discours de la Reine, Ed Miliband a attaqué David Cameron sur la réaction du Parti conservateur à la suite des élections. « Après les avoir traités de clowns, vous voulez maintenant rejoindre le cirque », en référence aux propos de certains conservateurs qui suggèrent une alliance avec UKIP. Le leader du Parti travailliste a reproché au Premier ministre d’avoir perdu le contrôle de son propre parti et de ne pas s’occuper des problèmes du pays à force de tenter, en vain, de contenir la frange eurosceptique de son parti. Le leader du Parti travailliste a rappelé les concessions du Premier ministre faites en janvier sur le sujet du référendum européen, censées avoir calmé les revendications eurosceptiques. Le calcul stratégique d’Ed Miliband est clair : il s’agit de présenter David Cameron comme un leader incapable de maîtriser ses troupes et sourd aux difficultés réelles du pays. Par contraste, il a axé son discours sur l’économie et le niveau de vie, qui stagne au Royaume-Uni depuis la crise. Il n’en demeure pas moins que la victoire n’est pas acquise pour le Parti travailliste en 2015. Les résultats des élections ont révélé une poussée moins forte que prévu et mis en lumière que près d’un tiers des électeurs de UKIP venaient des bastions travaillistes. Les électeurs doutent de la compétence du Parti travailliste, en particulier sur les sujets économiques, au cœur de leurs préoccupations.
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L’élection générale de 2015 sera certainement l’une des plus incertaines que le Royaume-Uni ait connues depuis la Seconde Guerre mondiale. Le prochain test électoral aura lieu l’année prochaine avec les élections européennes. Entretemps, les débats au Parlement et les manœuvres politiques seront marqués par la poussée du parti eurosceptique, UKIP, aux dernières élections. David Cameron sera en situation difficile, confronté aux divisions au sein de son propre parti qu’il ne semble pas capable de juguler. Au Parti travailliste et à Ed Miliband d’exploiter cette opportunité pour œuvrer au retour de la gauche au pouvoir en 2015.

Le nom d’usage donné au non-metropolitan county councils, les conseils généraux des régions rurales.
Les metropolitan boroughs sont l’équivalent britannique des cantons dans les zones urbaines.
United Kingdom Independence Party.
http://yougov.co.uk/news/2013/03/05/analysis-ukip-voters/

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