La première quinzaine de juin 2013 a marqué une séquence politique importante pour les travaillistes britanniques, qui ont cherché à rétablir leur crédibilité sur les sujets économiques à travers deux discours importants.
Dans la course aux élections de 2015, le parti travailliste britannique est dans une situation paradoxale. Dans les sondages d’intention de vote, une avance confortable de dix points en moyenne sur les conservateurs assurerait une victoire à Ed Miliband si l’élection devait avoir lieu aujourd’hui. Au-delà des chiffres, le contexte semble propice à un retour des travaillistes au pouvoir : les électeurs de centre-gauche, déçus par les libéraux démocrates, peuvent être reconquis tandis qu’à droite, la montée du parti populiste anti-européen UKIP cannibalise majoritairement le vote conservateur. Le système électoral pourrait également jouer à l’avantage des travaillistes : selon le magazine New Statesman, Ed Miliband pourrait être élu en n’obtenant qu’un tiers des voix au niveau national.
Pour autant, ces éléments ne suffisent pas à rassurer les stratèges travaillistes, qui s’inquiètent particulièrement du manque de crédibilité sur les questions économiques, angle d’attaque privilégié des conservateurs et qui pourrait poser problème au cas où l’économie britannique venait à rebondir avant les élections.
La première quinzaine de juin 2013 a marqué une séquence politique importante sur ce sujet, avec pour objectif de rétablir la crédibilité économique du parti travailliste, à travers deux discours importants.
Cette séquence de discours pendant laquelle le parti travailliste occuperait l’agenda médiatique et délivrerait un message fort sur ses choix économiques était en préparation depuis quelques mois. Elle intervient en vue des élections générales de 2015 pour lesquelles l’économie sera au centre de la campagne, mais s’inscrit également dans une dynamique de plus court terme. Le 26 juin 2013, le Chancelier de l’échiquier George Osborne présentera le détail des économies budgétaires pour l’année 2015-16. Alors que les chiffres de la croissance britannique s’améliorent et donnent de minces raisons d’être optimiste, l’occasion était idéale pour le Chancelier de l’échiquier de faire passer une nouvelle fois le parti travailliste pour responsable des crises économique et budgétaire, et de présenter le gouvernement conservateur comme un modèle de rigueur, fidèle a ses engagements budgétaires.
Il était par conséquent essentiel pour le leader du parti travailliste, Ed Miliband, et son bras droit, le ministre des Finances de l’opposition Ed Balls, de prendre des positions claires sur les sujets économiques. Le premier discours, prononcé le lundi 3 juin dernier, faisait office de manifeste économique du parti travailliste. Dans un effet d’annonce réussi, Ed Balls a annoncé qu’il respecterait les objectifs de réduction de la dépense publique si le parti travailliste arrive au pouvoir en 2015 et a détaillé certaines mesures qu’il mettrait en place pour y parvenir. L’objectif d’Ed Balls était de montrer que le Labour peut faire des choix économiques rigoureux et gérer les finances publiques sagement, tout en se différenciant du gouvernement conservateur en privilégiant les réductions de dépenses dont bénéficient actuellement les ménages aisés (1) et en insistant davantage sur la nécessité d’investir dans des projets d’infrastructure porteurs de croissance.
Le deuxième épisode, le jeudi 6 juin dernier, était un discours d’Ed Miliband sur les allocations sociales. Ce sujet a régulièrement attiré l’attention médiatique en raison de la réforme radicale mise en place par les conservateurs et qui est entrée dans sa phase d’application début mai. Le gouvernement conservateur dépeint régulièrement le parti travailliste comme le parti du « welfare », un terme à la connotation désormais négative outre-Manche, qui désigne un système d’Etat-providence trop généreux qui inciterait à l’inactivité. Le leader de l’opposition a souhaité battre en brèche ces critiques en affirmant son soutien au principe des réformes pour inciter davantage à l’activité. Il a ainsi annoncé qu’il ne reviendrait pas sur la mise sous condition de ressources des allocations familiales, une mesure phare du gouvernement conservateur visant à maîtriser les dépenses d’aides sociales. Il a également annoncé que, tout comme le gouvernement actuel, il imposerait une limite sur le montant d’allocation qu’une personne est autorisée à percevoir, tout en annonçant que le calcul de cette limite se ferait au niveau régional pour prendre en compte les disparités du coût de la vie. Enfin, il a proposé d’instaurer une limite au budget des aides sociales structurelles, c’est-à-dire dont le niveau ne dépend pas de la performance économique du pays.
Ces annonces sont surtout médiatiques. En effet, depuis janvier dernier les cadres du parti ont régulièrement fait savoir leur position sur ces sujets en plus petit comité. Néanmoins, elles ne sont pas sans risques pour le parti travailliste.
Le premier risque est d’apparaître comme un parti incertain, qui fait soudainement volteface sur des sujets importants. C’est l’angle d’attaque qu’ont choisi les conservateurs en ironisant sur les critiques avec lesquelles les travaillistes avaient accueilli les politiques auxquelles ils se rallient désormais.
Le second risque est de susciter le mécontentement de la gauche du parti travailliste, qui regrette ce qu’ils perçoivent comme une capitulation à l’idéologie conservatrice, et l’inquiétude au sein de cette frange du parti n’est pas seulement idéologique, elle est aussi stratégique. En effet, le risque est de finir par trop ressembler à la coalition actuellement au pouvoir. Ce choix semble d’autant plus difficile à justifier que la montée du parti populiste UKIP aux dernières élections pourrait laisser penser que l’heure n’est pas aux déclarations d’austérité. Néanmoins, c’est une autre lecture stratégique qui a guidé ces prises de position du parti travailliste. D’une part, le vote UKIP porte essentiellement sur l’Europe et l’immigration et n’est pas forcément antagoniste avec des positions économiques rigoureuses et encore moins avec un discours ferme sur les allocations sociales. D’autre part, l’attitude des électeurs du parti travailliste sur ces sujets – la pauvreté et les allocations sociales – a changé. Un rapport de la fondation Joseph Rowtree (2) a récemment montré que la part des électeurs du parti travailliste qui estiment que les allocations sociales incitent à l’inactivité est passée de 17 % en 1987 à 47 % en 2011.
Les bénéfices de cette opération médiatique sont importants, au premier rang desquels un regard nouveau des électeurs sur les prises de position économiques du Labour. Les cadres du parti comptent sur ces discours pour se présenter comme un parti capable de prendre des décisions courageuses et de nouveau en mesure d’offrir un discours crédible et suffisamment précis sur ces questions, tout en parvenant à différencier les propositions politiques de celles des conservateurs. Les stratèges travaillistes espèrent voir les effets de ces discours dans les sondages des mois prochains, avec de meilleurs scores sur les questions de politique économique et des aides sociales, qui pourraient augmenter la confiance sur les chances électorales du parti travailliste en 2015.
Alors que les politiques d’austérité sont de plus en plus débattues en Europe et au sein d’institutions internationales comme le Fonds monétaire international, les discours du parti travailliste laissent penser que la Grande-Bretagne n’envisage pas d’alternative aux politiques fiscales rigoureuses dans un horizon de moyen terme. Les orientations des partis politiques reflètent au moins en partie une attitude de la population britannique plus modérée à l’égard de l’austérité que dans d’autres pays. A l’issue des discours travaillistes qui ont marqué une acceptation des politiques d’ajustement budgétaire, le think tank IFS (Institute for Fiscal Studies) a publié un rapport selon lequel les vainqueurs des deux prochaines élections britanniques, 2015 et 2020, devront continuer à mettre en place des programmes de réduction de la dépense publique pour enfin parvenir à consolider les finances publiques.
Ed Balls a notamment annoncé qu’il mettrait sous condition de ressources le Winter fuel payment, une allocation de près de 400 euros par an qui est aujourd’hui distribuée à tous les ménages nés avant 1952 (plus de 60 ans), sans condition de ressources.