L’entrepreneuriat social : une réponse aux problématiques sociales et environnementales ?

La 11e édition du baromètre OpinionWay de l’entrepreneuriat social pour Convergences montre que l’entrepreneuriat social bénéficie d’une perception positive de l’opinion publique qui le lie à la lutte contre les inégalités sociales et environnementales, et plus globalement à des valeurs éthiques. Analysant les résultats de cette enquête, Timothée Duverger, co-directeur de l’Observatoire de l’expérimentation et l’innovation locales de la Fondation, relève les freins que les entrepreneurs interrogés pointent pourtant et les innovations qui restent à mener, en termes de partenariats, dans ce secteur en transition.

Depuis le 1er janvier 2024, la nouvelle directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) commence sa mise en application progressive jusqu’en 2028. Ella va placer le principe de double matérialité au cœur des entreprises, c’est-à-dire évaluer non seulement les impacts des enjeux de durabilité sur leur performance, mais aussi les impacts de leurs activités sur la société et l’environnement. Elle aboutit à une standardisation des obligations de reporting extra-financier autour de leurs trois piliers – environnement, social, gouvernance (ESG) – et prévoit une vérification du rapport de durabilité qui en est issu par les commissaires aux comptes ou des organismes tiers indépendants. 

C’est dans ce contexte, alors que le monde de l’entreprise s’apprête à vivre une petite révolution, qu’a été réalisée la 11e édition du baromètre OpinionWay de l’entrepreneuriat social1L’étude emploie indistinctement les termes d’économie sociale et solidaire, d’entreprise sociale, d’entrepreneuriat social, etc. Si ces notions reposent sur des définitions et des références théoriques différentes, nous les considérons dans la présente note comme synonymes par souci de simplicité. pour Convergences, une plateforme associative de réflexion, de mobilisation et de plaidoyer autour de la réduction de la pauvreté et de la lutte contre l’exclusion et le changement climatique. Il comporte deux volets : l’un concerne le grand public, l’autre les entrepreneurs sociaux (seulement 80, très majoritairement concentrés en Île-de-France, ce qui le rend peu représentatif).

Si la précédente édition était consacrée aux territoires, celle-ci s’intéresse aux complémentarités avec l’économie à impact dans un climat marqué par les controverses entourant le changement de gouvernance du Mouvement Impact France, qui s’est ouvert au-delà de l’économie sociale et solidaire à de nouvelles entreprises comme la SCNF ou Doctolib2Anne Rodier, « Le directeur général de la Maif veut faire du Mouvement Impact France le Medef de l’économie sociale et solidaire », Le Monde, 26 avril 2023..

Une perception positive de l’entrepreneuriat social 

Le résultat du baromètre permet d’abord de souligner que la notoriété du concept d’entrepreneuriat social progresse (+7 points en deux ans pour atteindre 38%), tandis que celle d’entrepreneuriat à impact reste stable (11%). Cela s’explique sans doute par sa proximité avec le concept d’économie sociale et solidaire (ESS) qui est bien plus connu du grand public (66%). Il est toutefois inquiétant de constater que l’âge constitue un paramètre important du niveau de notoriété, puisque si 73% des personnes de 65 ans et plus le connaissent, ils ne sont que 52% des jeunes de 25-34 ans, ce qui traduit probablement la conséquence de l’absence de l’ESS dans les programmes scolaires3Camille Dorival, Timothée Duverger et Hugues Sibille, Regards d’économistes sur l’économie sociale et solidaire, Lormont, Le Bord de l’eau, 2023..

Témoins des convergences en cours entre l’ESS et la responsabilité sociale des entreprises (RSE), les Français lient plus facilement l’entreprise sociale à des valeurs d’éthique (+5 points) plutôt qu’à des services d’intérêt général (-4 points). Si l’entrepreneuriat social reste étroitement associé au recrutement de personnes faiblement qualifiées et de jeunes (respectivement 47 et 46%), il est ainsi également de plus en plus perçu comme favorable à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes (45%), ainsi qu’à la représentation des femmes dans les instances dirigeantes (40%). Une perception à nuancer car, si la situation est légèrement meilleure dans l’ESS, les inégalités salariales et le plafond de verre y restent très présents, malgré un emploi à 68% féminin4Observatoire de l’égalité femmes-hommes dans l’économie sociale et solidaire, « État des lieux de l’égalité femmes-hommes dans l’économie sociale et solidaire », mars 2019.

Du point de vue de ses objectifs, l’entrepreneuriat social est principalement associé à la lutte contre les inégalités sociales et l’exclusion (83%) et à la lutte contre la pauvreté (76%), ainsi que dans une moindre mesure à la transition écologique (66%). Il est également perçu, aux côtés des pouvoirs publics (35%), comme l’un des acteurs les plus innovants pour résoudre les problèmes sociaux et environnementaux (26%), tandis que la société civile et les entreprises conventionnelles décrochent. Sans doute est-ce là un effet des crises et du besoin de protection qui en découle. La pauvreté (47%) et la santé (39%) sont ainsi des sujets de préoccupation en hausse pour lesquelles il peut fournir des réponses. L’ESS pèse en effet pour 58,3% des emplois dans le secteur de l’action sociale et pour 11,4% dans celui de la santé (contre 24,1% pour le privé hors ESS)5Observatoire national de l’ESS, Atlas de l’économie sociale et solidaire, Paris, Lefebvre Dalloz, 2023.. Si le changement climatique recule (-3 points) en termes de préoccupation, il reste toutefois élevé à 42% des réponses. Ce positionnement global de l’ESS joue en sa faveur quand on considère, quant à son attractivité, que l’envie de consommer autrement se dégage nettement avec 66% de réponses positives.

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Les freins à son développement

L’économie sociale et solidaire connaît une reconnaissance de plus en plus forte, notamment à l’échelle internationale où les Nations unies la promeuvent pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD)6Timothée Duverger, « Économie sociale et solidaire : une reconnaissance internationale », Fondation Jean-Jaurès, 30 mai 2023.. Il est toutefois surprenant de constater que ces orientations ne se traduisent pas encore dans les actes, les textes officiels ne s’accompagnant pas de moyens significatifs. 

En effet, les entrepreneurs interrogés au cours de cette étude considèrent que le manque de moyens financiers est le principal frein à leur développement (44%). Ils estiment par ailleurs que les structures d’accompagnement de l’ESS sont peu visibles et accessibles (69%) et que les rémunérations sont insuffisantes (71%). S’ils continuent à anticiper un développement de l’entrepreneuriat social (74%), cet optimisme est en baisse (-7%). 

Ainsi, les collaborations avec les entreprises conventionnelles et les pouvoirs publics sont plébiscitées dans ce contexte. Elles sont perçues comme positives pour le développement de leur activité respectivement à 89 et 84%. Les entrepreneurs sociaux en attendent surtout des ressources financières (50%), des débouchés (48%) et la conception de nouveaux produits ou services (46%). 

Les perspectives des collaborations privé-ESS

Alors qu’une recommandation du Conseil de l’Union européenne demande aux États membres d’élaborer sous deux ans des stratégies nationales d’économie sociale7Conseil de l’Union européenne, Recommandation du Conseil relative à la mise en place des conditions-cadres de l’économie sociale, 29 septembre 2024., le gouvernement français a présenté en novembre dernier sa feuille de route, au sein de laquelle on retrouve la volonté d’« ouvrir les fenêtres et de créer des ponts » avec l’économie conventionnelle8Timothée Duverger, « ESS : premières annonces encourageantes de la ministre Olivia Grégoire », Alternatives économiques, 8 novembre 2023.. Cela pourrait prendre la forme de partenariats, d’hybridations ou de transformations. 

Les partenariats sont de différents types, pouvant aller des pratiques responsables (commande privée responsable, inclusion, etc.) à l’innovation sociale (expérimentation de solutions nouvelles), en passant par le mécénat (financier, en nature, de compétences) et les coopérations économiques (offre commune)9Le Rameau et CIDES, Référentiel : les partenariats associations & entreprises. Initier ou renforcer une politique de partenariats avec les entreprises, novembre 2011.. Ils permettent le plus souvent de renforcer la responsabilité territoriale des entreprises qui s’ancrent localement tout en agissant pour le bien commun, comme l’illustrent par exemple les expérimentations de clusters écologiques et sociaux (pôles territoriaux de coopération économique), de garantie d’emploi territorialisée (territoires zéro chômeur de longue durée) ou de sécurité sociale de l’alimentation.

Les hybridations vont également se développer sous l’impulsion des pouvoirs publics. Bercy veut ainsi soutenir le déploiement des joint-ventures sociales (création d’une filiale commune à une entreprise conventionnelle et une organisation de l’ESS) ou des contrats à impact social (financement privé d’une expérimentation sociale de l’ESS).

Enfin, les entreprises peuvent aller jusqu’à se transformer, comme le démontrent les sociétés commerciales de l’ESS ou les transmissions d’entreprises aux salariés sous forme de société coopérative de production (Scop). Des innovations, inspirées de l’étranger, émergent dans ce domaine à l’instar des fondations actionnaires (dans les pays scandinaves, en Allemagne) dans lesquelles les actionnaires font don de leur titre de propriété à une fondation, ou des Employee Stock Ownership Plans, les ESOP (aux États-Unis, au Royaume-Uni) où les entreprises sont transmises aux salariés (rachat de titres par prélèvement sur les bénéfices et endettement)10Timothée Duverger et Christophe Sente, « Pour une démocratisation du travail : transformer l’entreprise par le dividende salarié », Fondation Jean-Jaurès, 30 janvier 2023.. Autant d’éléments qui montrent que l’entrepreneuriat social est loin d’avoir fini sa mue pour faire face aux transitions en cours et à venir.

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