Législatives de 2024 : de la sidération à l’effarement

Quels sont les grands enseignements des élections législatives du 30 juin et du 7 juillet derniers ? À quelle(s) force(s) politique(s) le front républicain a-t-il bénéficié ? Émeric Bréhier et Sébastien Roy, respectivement directeur et membre de l’Observatoire de la vie politique de la Fondation, passent au crible les résultats circonscription par circonscription, révélant ainsi la photographie d’un paysage politique quasi-tripartite, qui devrait nous pousser à changer de culture politique.

La dissolution constitue une arme dans les seules mains du président de la République par la grâce de l’article 12 et de l’article 19 puisqu’il peut la mettre en œuvre sans contreseing ministériel. C’est de ce droit constitutionnel qu’a usé Emmanuel Macron le 9 juin au soir dernier. 

Elle fut utilisée un nombre de fois significatif dans l’histoire de la Ve République. En 1962, à la suite de la motion de censure visant le nouveau gouvernement de Georges Pompidou. Six ans plus tard, et seulement une année après le renouvellement général de 1967 qui avait failli conduire la majorité gaulliste à sa perte, le Général De Gaulle aux lendemains des événements de mai 1968 provoquait un sursaut légitimiste en usant de cet article 12. En 1981 et en 1988 aux lendemains de la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle : dans les deux cas, cette dissolution interrompit le mandat des députés, élus en 1978 et en 1986, afin de conférer à la nouvelle majorité présidentielle un continuum parlementaire. Puis en 1997, lorsque Jacques Chirac fut confronté à des difficultés avec une majorité ayant pour une grande part soutenue la candidature d’Édouard Balladur deux ans auparavant, et a dû qui plus est faire face à une situation économique délicate dans le cadre de la mise en place de l’euro. Il s’agissait bien alors de prendre de vitesse une gauche de gouvernement qui se reconstruisait sous la houlette de Lionel Jospin. C’est pour cette raison d’ailleurs que l’on parla alors à l’époque d’une dissolution de « confort ». Seule cette dernière aboutit à un résultat inverse des espoirs de celui qui l’avait initiée puisqu’elle provoqua la victoire d’une gauche plurielle construite au travers d’accords bilatéraux. 

Depuis lors, l’instauration du quinquennat et le rétablissement du calendrier électoral visaient à éviter cette disjonction temporelle de l’élection présidentielle et de l’échéance parlementaire qui pouvait conduire à cette période de cohabitation tant, alors, décriée1Émeric Bréhier, « Du quinquennat et des institutions », Fondation Jean-Jaurès, 20 avril 2023.

Toutefois, si cette décision est évidemment constitutionnelle, elle a suscité nombre de critiques, portant notamment sur le risque ainsi encouru de voir le Rassemblement national (RN) accéder au pouvoir tant le délai entre sa victoire aux élections européennes et la date du premier tour était court. S’il ne s’agissait plus alors de dénoncer une dissolution de « confort », il s’agissait bien de décrier un choix fait pour briser « l’inconfort » parlementaire dans lequel le président de la République se trouvait depuis des élections législatives de juin 2022 incapables de faire émerger une majorité parlementaire absolue2Émeric Bréhier, Sébastien Roy, Une proportionnelle en trompe-l’œil : enseignements des élections législatives de juin 2022, Lormont, Le Bord de l’eau, 2022.. Certes, cette réalité parlementaire n’empêcha pas le gouvernement de légiférer mais assurément moins aisément que le président de la République aurait pu le souhaiter. Et toujours sous la menace d’une motion de censure, comme celle sur les retraites l’avait démontré, c’est bien pour éviter cet « inconfort » que le président de la République dit avoir fait ce choix de consulter le peuple. Souhaitant que de la dissolution émerge une « clarification politique », il espérait tout autant prendre de vitesse l’ensemble du spectre politique. Or, loin d’avoir pris de court ses oppositions, ce sont bien ses « troupes » qui furent prises de vertige.

Renverser la table ! 

Le Rassemblement national a indéniablement réagi promptement à l’annonce de la dissolution. Fort de son score aux européennes, il sait en comptant sur ses seules forces être en mesure de se qualifier dans la majeure partie des circonscriptions. Et si, d’ordinaire, s’inspirer des résultats aux européennes pour des législatives est singulièrement hasardeux, le très faible délai entre ces deux scrutins aux enjeux nationaux clairs pouvait laisser à penser que les équilibres politiques ayant prévalu le 9 juin avaient de grandes chances d’être ceux émergeant des urnes le 30 juin. L’enjeu pour la formation de Marine Le Pen fut donc de trouver des alliés permettant de mettre en scène un élargissement politique. En ce sens, la prise de position personnelle du président des Républicains, Éric Ciotti, joua son rôle. Et le refus d’un accord avec Reconquête ! participa évidemment de cette volonté de « respectabilité ». Avec des scores nationaux oscillant entre 30 et 35%, la dynamique politique était clairement de ce côté avec une réelle perspective de majorité absolue grâce aux renforts des « ciottistes ». Avec ce risque, au fil des sondages, qui émerge : une capacité d’attraction sur leurs candidats dès le premier tour extrêmement importante, ne laissant au final que peu de réserves de voix. Cela pourrait avoir des effets au second tour. 

Quel avenir pour Les Républicains ?

Les Républicains (LR), secoués par des désaccords sur l’attitude à adopter vis-à-vis du président de la République depuis sa réélection, ont certes réagi promptement suite au ralliement de leur président au Rassemblement national. Cette réaction unanime des cadres dirigeants pouvait leur permettre d’espérer sauver une partie de leur soixantaine de rescapés des dernières législatives. La poutre a véritablement bougé, même si ce ne fut pas dans le sens souhaité par le président de la République. Pour autant, la base électorale des LR semble quant à elle moins anti-ciottiste que les principaux responsables du parti. Il faut ajouter à cela que le bon score de François Fillon en 2017 et les victoires engrangées par les LR aux municipales furent longtemps l’arbre cachant la forêt d’un dénuement presque comparable à celui du PS, flagrant quant à lui dès l’été 2017. Entre la mise au ban d’Éric Ciotti et le départ annoncé d’Aurélien Pradié, la similitude entre les LR de 2024 et le PS de 2017 commence à être assez étonnante.

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La chute de la maison Macron ? 

La majorité présidentielle fut saisie d’une sidération équivalente, sinon supérieure, à l’ensemble de la classe politique. Si le secret de cette décision fut bien gardé, l’on aurait néanmoins pu s’attendre à ce que, passée l’annonce, les responsables de la majorité présidentielle décident immédiatement que ne seraient pas présentés de candidats face aux sortants des Républicains, des socialistes, des communistes voire des Verts, afin de mettre les actes en conformité avec les paroles présidentielles. Pourtant, rien de tout cela. Bien au contraire : fut de nouveau affirmée la possibilité d’un élargissement de la « majorité » dès lors que les impétrants s’accordaient sur quelques mesures avancées par le président de la République. Dès lors, du temps était donné aux forces politiques issues de la Nupes de 2022. Pis, les discussions entre les trois parties prenantes du bloc central laissèrent apparaître plus une impréparation et une division qu’une quelconque dynamique politique. Et si finalement le nombre de sortants ayant décidé de ne pas y retourner (on pourra citer entre autres Jean-Louis Bourlanges, Joël Giraud ou Vincent Bru) fut bien moindre que pronostiqué par certains, le moins que l’on puisse dire est que l’enthousiasme ne semble pas avoir étreint l’ensemble des députés sortants. Et si on y rajoute la décision d’Édouard Philippe d’envoyer au combat ses candidats sous ses propres couleurs (et l’association de financement qui va avec), le tableau pour le camp présidentiel est bien sombre. Les circonscriptions où la majorité présidentielle a in fine décidé de ne pas présenter de candidatures issues de ses rangs relèvent plus de la réaction que de l’anticipation. On ne manquera à cet égard pas de s’étonner que le bloc présidentiel ait décidé de soutenir le sortant LR contre l’ancien président de la République dans son ancienne circonscription corrézienne mais aussi de la disparition soudaine, certes au bout de quelques jours, du président de la République des radars de la campagne législative à la demande de jusque ses plus fidèles soutiens. 

La force d’action rapide du Nouveau Front populaire

Du côté de la gauche, il convient de noter tout d’abord la rapidité de la réaction des forces politiques constitutives. 

Comme convenu dans ce type d’accord, les circonscriptions avec un député sortant de gauche conservent la même étiquette politique. Il revient ensuite aux commissions d’investiture de chaque parti concerné de faire ses choix3C’est cette règle qui explique l’éviction de Julien Bayou à Paris par les Écologistes, mais également la possibilité pour LFI d’essayer d’éradiquer les députés sortants ayant fait part de leur opposition à Jean-Luc Mélenchon, Alexis Corbière et Raquel Garrido.. On se souvient que l’un des reproches qui avait porté à l’encontre de la direction nationale du PS lors de l’accord de la Nupes était le faible nombre de circonscriptions réservées à des candidatures uniques issues des rangs socialistes. Cela avait d’ailleurs donné lieu à des candidatures dissidentes relativement nombreuses. Cette fois-ci, nul ne peut nier, même si ce n’est pas proportionnel aux résultats des européennes, qu’un véritable rééquilibrage a eu lieu même si bien sûr cela n’empêche évidemment ni les grognes, ni les désaccords locaux, notamment en Bretagne ou en Auvergne-Rhône-Alpes.  

Répartition des circonscriptions entre les forces de gauche
Partis20222024
LFI330229
PS70175
Écologistes10092
PC5050

À celles-ci viennent s’ajouter les circonscriptions ultramarines où les spécificités de chacun des territoires furent prises en compte et, comme d’habitude, laissées en dehors de l’accord national4On relèvera que cet accord global fit l’objet de quelques amodiations locales, comme dans les Pyrénées Atlantiques.

Il convient ici de relever que les circonscriptions au sein desquelles des dissidents PS ou DVG avaient été élus en 2022 et par la suite ont été attribuées dans l’accord au PS. Mais également que, dans la centaine de circonscriptions supplémentaires obtenues par le PS, figurent nombre de territoires ayant élu des députés appartenant à la majorité de François Hollande. Le rééquilibrage, aussi critiquable soit-il, n’est pas que quantitatif. Il est également qualitatif. 

Un scrutin à deux tours 

Rappelons ici quelques chiffres : plus de 87% des circonscriptions remportées par les candidats de la Nupes en 2022 avaient un député membre de la coalition présidentielle de 2012 (65 des élus LFI, 10 élus communistes, 28 élus socialistes, 18 députés Écologistes, quatre députés de Génération·s et un député DVG).  

Par ailleurs, lors des dernières législatives, quand le candidat de la Nupes opposé au RN au second tour était issu de LFI, il ne gagna que dans un peu plus d’un cas sur trois (12 contre 20), proportion qui monte à un plus de la moitié pour les communistes (7 contre 5) et aux deux tiers pour les socialistes (8 victoires contre 4 défaites). Quant aux Écologistes, ils ne remportèrent aucun de leurs quatre duels face au RN. L’essentiel des victoires de LFI se construisirent ainsi à l’occasion de seconds tours face à des députés de la majorité présidentielle et dans des circonscriptions remportées à gauche en 2012. 

Quant aux candidats issus des Républicains, en 2022, leur plus grand défi fut bel et bien de passer le couperet du premier tour. Ainsi, 13 sur 18 remportèrent leurs duels face à Ensemble, 24 sur 27 gagnèrent leurs duels face aux candidats de la Nupes et 24 sur 26 furent élus contre des candidats du RN. Au final, sur 71 candidats qualifiés au second tour, 61 d’entre eux en sortirent victorieux. Bien que très affaiblis en 2022, les élus républicains firent preuve d’une réelle résilience. Le miracle allait-il se répéter en juillet 2024 ?

Pour mémoire, enfin, le Rassemblement national affronta les autres forces politiques dans 192 duels, qu’ils remportèrent dans plus de 46% des cas : 52 victoires dans 104 confrontations face à Ensemble, 34 victoires dans 62 duels face à la Nupes et 2 victoires pour 26 duels face aux Républicains5L’ensemble de ces données sont issues de notre ouvrage Une proportionnelle en trompe-l’œil : enseignements des élections législatives de juin 2022op. cit..

Passé l’effet de sidération, les logiques imposées par un mode de scrutin uninominal à deux tours avec un seuil d’élimination se sont mises en place. Rappelons que sont automatiquement qualifiés pour le second tour les deux candidats ayant obtenu le plus de suffrages exprimés. Peuvent également se maintenir l’ensemble de ceux ayant obtenu 12,5% des suffrages des inscrits (et non pas des exprimés). Et qu’un candidat, pour être élu au soir du premier tour, doit non seulement rassembler plus de 50% des suffrages exprimés mais également 25% des inscrits. 

Les premières enquêtes d’opinion laissaient penser que le taux de participation pourrait dépasser les 65%. Bien évidemment, chacun s’enthousiasmait de ces chiffres prometteurs tant les dernières élections législatives de 2017 comme de 2022 avaient laissé à cet égard de mauvais souvenirs. Dès lors, le nombre de triangulaires risquait d’être très important. Ainsi, avec 70% de participation, un candidat approchant les 18% des suffrages exprimés peut se maintenir au second tour, même s’il n’est que le troisième (ou le quatrième). À 65%, la barre est au-dessus des 19,25% et à un peu moins de 21% pour un taux de participation à 60%. Automatiquement, s’il y a à l’évidence le défi majeur de qualification pour le second tour, un enjeu apparaît immédiatement, et il fit l’objet de débats, d’échanges, voire de prises de position : que feront les partis politiques refusant de voir émerger une majorité en faveur du Rassemblement national et de ses alliés si, dans une circonscription, le maintien d’un de leurs candidats renforce les chances du candidat du RN d’accéder à la députation et au final d’obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale ? 

Taux de participation en % aux élections législatives sous la Ve République
Dates1er tour2nd tour
195877,176,3
1962 (dissolution)68,772
196780,979,7
1968 (dissolution)8077,8
197381,281,9
197882,884,7
1981 (dissolution post présidentielle)70,774,5
1986 (proportionnelle 1 tour)78,5 
1988 (dissolution post-présidentielle)65,770
199368,967,4
1997 (dissolution)67,971,1
200264,460,3
200760,460
201257,255,4
201748,742,6
202247,546,2

Il n’était pas inutile alors de se remémorer le précédent de 1997, compte tenu des similarités entre les deux situations : des élections législatives ne se déroulant pas dans la foulée d’une élection présidentielle et l’incompréhension soulevée par la décision du président de la République. Le taux de participation y fut de 67,92% au premier tour, puis de 71,08% au second tour – c’est-à-dire près de vingt points de plus que lors des dernières européennes, et quelques points de moins que lors de la dernière élection présidentielle. Et si on ajoute le fait que les triangulaires (76 candidates et candidats du FN se maintiennent au second tour sur les 79 triangulaires) d’alors, si elles ne rendirent pas possible la victoire de la gauche plurielle, la confortèrent, on perçoit bien quelques éléments de comparaison. 

Résultats des 79 triangulaires de 1997 
ConfigurationCirconscriptionPCMDCPSDVGPRGÉcoloDVDUDFRPRFN
PS – UDF – FN30  18    12  
PS – RPR – FN30  16     14 
PS – DVD – FN1  1       
PRG – UDF – FN2    1  1  
MDC – UDF – FN2 2        
DVG – RPR – FN3   2    1 
Écolo – RPR – FN3     2  1 
PC – UDF – FN44         
PC – RPR – FN11         
PS – UDF – RPR1       1  
Écolo – UDF – RPR11         
PC – DVD – RPR1        1 
Total79623521201417 

Source : Site Politiquemania.fr.

Si les élections législatives des 30 juin et 7 juillet découlèrent d’une élection européenne cataclysmique pour la majorité présidentielle, les règles électorales bien différentes entre ces deux élections pouvaient conduire à la plus grande circonspection quant à la transcription des résultats du 9 juin dernier dans chacune des circonscriptions. Bien sûr, comme relevé plus haut, le faible laps de temps entre le 9 et le 30 juin pouvait assurément conduire à des résultats similaires. Toutefois, c’était mettre de côté les éventuelles conséquences, sur le comportement électoral de nos concitoyens, des évolutions de l’offre politique. C’était également faire fi des souhaits de victoire de tel ou tel regroupement politique et de l’émergence de votes utiles voire stratégiques – bien évidemment pour le second tour, mais certainement également dès le premier tour. C’était enfin ne pas tenir compte de l’existence de… deux tours. 

Quelques ultimes remarques permettent de planter le décor d’avant le premier tour : le faible laps de temps – constitutionnel – entre l’annonce de la dissolution et le 30 juin a conduit à une diminution importante du nombre de candidats : à peine plus de 4000 contre près de 6300 en 2022 pour l’ensemble des circonscriptions. Ceci est bien évidemment d’abord le résultat de la structuration de l’offre électorale. Ainsi, la majorité présidentielle n’investit pas des candidats dans toutes les circonscriptions. L’union des partis de gauche au sein du Nouveau Front populaire (NFP) a par ailleurs, cette fois-ci et compte tenu de la nouvelle répartition territoriale des investitures, réduit le nombre de dissidences, d’autant plus délicates à préparer compte tenu des délais impartis. Mais ce recul s’explique tout autant, sinon plus, par l’impossibilité pour nombre de petits partis de se mettre en ordre de bataille. Cette incapacité aura d’ailleurs à l’évidence des incidences sur le nombre de partis politiques en mesure d’être éligibles à la première partie du financement public6Pour y avoir droit, une organisation politique doit présenter au moins 50 candidats dépassant 1% des suffrages exprimés. À cet égard, voir Olivier Lê Van Truoc, dans decideurs-magazine.com.

On relèvera enfin qu’en dépit de la loi sur le financement de la vie politique, le nombre de candidates présentées par les organisations politiques a singulièrement baissé en 2024. Alors que, depuis plusieurs mandatures, la représentation féminine avait crû, sans préjuger des résultats, on constate que seuls un peu plus de 41% des candidats sont des femmes. Si les partis de la coalition du NFP s’en sortent correctement (LFI est paritaire, plus que le PCF, plus encore que les Écologistes et que le PS), ainsi que le Rassemblement national, c’est bien moins le cas pour la majorité présidentielle (266 hommes et 206 femmes) et Les Républicains (205 hommes et 100 femmes). La palme revient aux candidats présentés par Éric Ciotti et soutenus par le RN : 52 hommes et 11 femmes ! Les organisations politiques ne respectant cette règle de la parité dans leurs candidatures aux législatives seront pénalisées par une diminution de leur enveloppe financière.

Au final, cette dissolution censée prendre de vitesse les oppositions aura surtout pris de court les parties prenantes de la majorité présidentielle. Alors que chacun fourbissait ses armes pour 2027, voilà les impétrants confrontés à une véritable impasse stratégique trois ans avant l’échéance prévue. Comment affronter une organisation politique en dynamique, dépassant largement dès le premier tour les 30% des suffrages exprimés, sans être en mesure de constituer un cartel électoral suffisamment puissant pour faire jeu égal au premier tour, tout en étant capable de rassembler au-delà de ses seules frontières au second ? À l’occasion de ces législatives anticipées, et au lendemain d’une élection européenne marquée par la dispersion, allions-nous assister à l’émergence d’une nouvelle bipolarité politique ou, au contraire, voire s’ancrer une forme de tripartition de la vie politique, aussi improductive et provisoire soit-elle ?

Le premier tour d’une élection historique

Au soir du premier tour, le premier élément à relever est bel et bien le taux de participation. Non seulement, comme nous l’avions indiqué lors d’une note précédente7Émeric Bréhier, Sébastien Roy, Du choc à la sidération : des européennes aux législatives, Fondation Jean-Jaurès, 21 juin 2024., celui-ci fut sans commune mesure bien plus important que lors des dernières législatives mais également de ceux des ultimes européennes. Plus, il se rapprocha bel et bien de celui ayant eu cours lors des dernières élections législatives déconnectées d’une élection présidentielle, celles de 1997, en frôlant les 67% de suffrages exprimés, soit 1,2 point de moins qu’il y a vingt-sept ans. Si chacun a pu, à raison, se féliciter de cette hausse de la participation, il convient toutefois de relever que celle-ci fut bien moindre que lors des élections présidentielles de ces dernières années au premier tour : 78,6% en 1995, 71,6% en 2002, 83,77% en 2007, 79,48% en 2012, 77,77% en 2017 et 73,69% en 2022. Alors même qu’à l’évidence ces élections législatives allaient donner une nouvelle coloration politique au gouvernement, la participation au premier tour n’atteint pas les scores d’un premier tour d’une élection présidentielle. Cette participation « exceptionnelle » couplée avec la diminution déjà relevée du nombre de candidatures conduisit immanquablement à une concentration des votes et à la multiplication de possibles triangulaires, voire de quadrangulaires. Le 30 juin au soir, ce sont plus de 300 triangulaires qui étaient possibles, et une poignée de quadrangulaires. Les candidats ayant réuni sur leur nom 12,5% des exprimés, ou plus, avaient jusqu’au 2 juillet après-midi pour soumettre, ou non, leur candidature à leurs concitoyens.  

Relevons que le Rassemblement national et ses alliés recueillent plus de 10,6 millions de voix (contre 4,2 millions au premier tour des législatives en 2022, et 8,1 millions à celui de la présidentielle), contre près de 9 millions pour le Nouveau Front populaire (contre moins de 6 millions aux législatives de 2022). Quant à Ensemble, il passe de 5,8 millions de voix en 2022 à plus de 6,4 deux ans plus tard (contre 9,7 millions pour Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle), lorsque les candidats LR eux ne perdent « que » 400 000 voix avec 2,1 millions de voix en 2024. Si la hausse de la participation a permis aux Républicains de limiter la casse, aux candidats Ensemble de progresser en voix, elle a surtout profité sans commune mesure aux candidats du Nouveau Front populaire et à ceux présentés par le Rassemblement national et son allié. 

Les résultats du premier tour, s’ils ne constituèrent pas véritablement une surprise, n’en furent pas moins un choc dans nombre de circonscriptions. 

Il convient tout d’abord de noter que le Rassemblement national et ses alliés parviennent à faire élire dès le 30 juin de très nombreux candidats. Ce sont ainsi 39 députés RN et alliés qui sont élus dès le premier tour, dont 34 sortants. Preuve s’il en était besoin à la fois de leur capacité à s’ancrer dans des territoires et de la dynamique politique certaine au profit du parti de Jordan Bardella. En outre, 5 candidats sont donc élus dès le 30 juin dans des circonscriptions en conquête : dans la 3e de l’Aisne, la 5e des Alpes-Maritimes (Christelle d’Intorni, seule ex-députée LR à avoir suivi son président), la 3e et la 20e du Nord et la 3e du Pas-de-Calais. Un ancien député du groupe parlementaire Libertés indépendants outre-mer et territoires (Liot), deux anciens du PS et un ancien du PC8Il s’agit ici notamment de la circonscription de Fabien Roussel, leader du Parti communiste (PC), circonscription demeurée à gauche sans discontinuer depuis 1958. sont ainsi tombés dès le premier tour. On relèvera ensuite que 20 députés LFI sont également élus, tous étant des sortants, et 15 sur les 20, élus franciliens. 5 socialistes sont réélus – ou élus – députés dont bien évidemment le premier secrétaire Olivier Faure en Seine-et-Marne, mais également Isabelle Santiago dans le Val-de-Marne, et une ancienne dissidente, Martine Froger, dans la 1re de l’Ariège et un Parisien, Emmanuel Grégoire, qui reprend une circonscription à la majorité présidentielle en battant Clément Beaune. Les Écologistes parviennent à faire réélire 4 députés dès le premier tour, tous en métropole : 1 à Lyon et 3 à Paris. Les communistes parviennent à conserver 2 de leurs sièges : dans la 1re des Hauts-de-Seine et dans la 2e de la Seine-Saint-Denis. Les Républicains eux l’emportent dans la 3e des Hauts-de-Seine. La majorité présidentielle l’emporte dans la 7e des Hauts-de-Seine, dans la 1re de Polynésie, et espère pouvoir compter sur un soutien de la part de deux députés de Mayotte et Wallis-et-Futuna. 

Le désistement ou les derniers sacs de sable

Au-delà de ces députés élus ou réélus dès le premier tour, les deux jours suivants ont été consacrés aux stratégies de désistement. En dehors de quelques très rares cas, le Rassemblement national et ses alliés, comme Les Républicains, ont maintenu la quasi-totalité de leurs candidats au second tour. Ainsi, seuls 3 Républicains se désistent. Bien différente est l’attitude des candidats du NFP et de la coalition présidentielle : plus de 130 des premiers et un peu plus de 80 des seconds décident de se désister en faveur d’un autre candidat de « l’arc républicain ». 

Les triangulaires : fautes morales et quelques astuces

Il y avait à cet égard une certaine hypocrisie dans l’ensemble des états-majors. Si les mots d’ordre de désistement étaient frappés avec autorité dans le cas où le maintien permettait l’élection d’un député RN, il n’en demeure pas moins que, dans certains cas de figure, le maintien d’un candidat pouvait au contraire permettre l’élection d’un candidat issu du cartel électoral du NFP ou à l’inverse de la majorité présidentielle. 

Ainsi, si la règle avait le mérite d’être établie, en dépit d’entorses dans quelques territoires, des exceptions étaient en réalité les bienvenues. Ainsi, dans la 1re de Corrèze, le maintien du candidat LR face à l’ancien président de la République, François Hollande, n’était pas forcément une mauvaise nouvelle pour l’ancien maire de Tulle compte tenu des résultats du premier tour.  

Ce mot d’ordre n’a donc pas empêché des candidats du Nouveau Front populaire de se maintenir pour un second tour alors même que, arrivés deuxièmes derrière des candidats Ensemble, on pouvait légitimement s’interroger sur le risque encouru pour l’élection d’un parlementaire RN. Ainsi 11 LFI, 8 Écologistes, 3 PS et 1 PC se sont maintenus dans ces circonstances. Par exemple dans les 1re et 5e des Côtes-d’Armor, dans la 1re de la Gironde, dans les 1re, 2e et 4e du Maine-et-Loire, dans la 2e de la Vienne, et dans de nombreuses circonscriptions dans les Yvelines. 

Pas plus, voire beaucoup moins, n’a-t-il empêché certains candidats de la coalition Ensemble de se maintenir au second tour. Avec bien souvent les mêmes arguments : il n’y a pas de risque de basculement de la circonscription au profit du RN ou bien seule leur candidature permettrait de faire élire un candidat de l’arc républicain. Ou bien, motif rarement avoué mais réel dès lors que l’on s’intéressait aux résultats du premier tour, le candidat Ensemble pouvait estimer disposer de réserves de voix, en raison soit de candidats LR éliminés, soit de la présence de dissidences ou de candidats « centristes ». Ce fut particulièrement le cas dans 3 circonscriptions finistériennes, 3 des Ille-et-Vilaine, 4 de la Loire-Atlantique, ou bien encore 4 dans le Rhône. On relèvera que ce fut également le cas d’Olivier Véran qui décida de se maintenir dans la 1re de l’Isère (c’est d’ailleurs le seul de la majorité présidentielle dans ce cas dans ce département). 

Quelques jours après le premier tour, le panorama à disposition des électeurs est somme toute assez clair : une force politique qui confirme sa poussée des européennes, le Rassemblement national qui, avec ses alliés, voit une majorité absolue à portée de main, même si les rédacteurs de la note ne leur donnaient « que » 200 sièges dans leurs projections ; un cartel des gauches habilement renommé « Nouveau Front populaire » à l’origine purement défensif qui semble alors pouvoir largement limiter la casse et conserver, au pire, leur nombre de députés de 2022 ; une majorité présidentielle au bord de l’implosion, mise à mal par une dissolution subie et des mots d’ordre de désistement diversement appréciés par celles et ceux s’imaginant un destin politique dans le cadre de la prochaine élection présidentielle, qui donne le sentiment d’effectuer une retraite en ordre dispersé ; des Républicains essayant de sauver ce qui peut l’être grâce à l’ancrage territorial de leurs députés sortants, ne se désistant que très rarement et souvent confrontés à des seconds tours bien dangereux. 

Et pourtant, magie du comportement électoral des Françaises et des Français, ces quatre assertions vont exploser en plein vol au soir du 7 juillet. 

Un second tour sous forme d’arc républicain

Le premier élément à retenir à l’issue de ce second tour est, contrairement aux craintes qui avaient pu faire jour, en raison des très nombreux désistements, le maintien d’une participation importante puisque plus de 66% des électeurs inscrits se sont déplacés pour mettre un bulletin dans une urne. Si le taux est à l’évidence inférieur à ceux de l’ensemble des élections présidentielles s’étant tenues depuis deux décennies, il n’en demeure pas moins conséquent. Tout juste retiendra-t-on qu’il demeura inférieur à celui ayant prévalu lors du second tour des élections législatives de 1997 qui avait alors dépassé les 70% de suffrages exprimés. Bien évidemment, cette relative stabilité de la participation cache, dans un certain nombre de circonscriptions, des évolutions : un même taux de participation n’implique pas que ce sont les mêmes électeurs qui se sont à chaque fois déplacés. Ainsi, des électeurs ayant voté au premier tour pour un candidat ne s’étant pas maintenu au second tour – soit qu’il n’ait pas obtenu suffisamment de suffrages, soit qu’il se soit désisté –, peuvent ne pas se rendre aux urnes au second, alors que d’autres n’ayant pas souhaité voter au premier peuvent décider de le faire au second. 

Le deuxième élément à retenir à l’issue du second tour des élections législatives est la confirmation du vieil adage que beaucoup semblaient avoir oublié : « au premier tour, on choisit, au second, on élimine ». Or c’est bien cette réalité électorale, favorisée par la multiplication des désistements, qui s’est imposée à l’ensemble du spectre politique. Que ce soit au Rassemblement national qui en a payé le prix fort ou bien aux trois autres cartels électoraux qui, chacun, en ont profité – ce qui devrait d’ailleurs les conduire à admettre qu’en réalité, ce ne sont pas leurs programmes respectifs qui ont été validés par les électeurs. Nombreuses, très nombreuses, sont les circonscriptions où le candidat élu – de quelque parti politique qu’il soit – ne l’a été que par une espèce de discipline républicaine. Loin d’être le fruit d’une vague politique, ces résultats sont d’abord et avant tout ceux d’un vote de refus. 

Si les résultats le soir du 7 juillet constituèrent une « divine surprise » pour beaucoup, ils furent une amère déception pour les thurifères du Rassemblement national. Bien évidemment, entre les sondages à l’issue du premier tour et les résultats des urnes du second, la différence est majeure. D’une possibilité d’obtenir la majorité absolue à l’obtention de près de 150 députés, la chute est rude. Toutefois, au-delà de ce qui peut sembler être un échec politique pour le parti de Marine Le Pen et de Jordan Bardella, convenons qu’avec une soixantaine de députés supplémentaires, le Rassemblement national, avec ses alliés, n’a pas été véritablement défait. Ainsi, seules six circonscriptions sont reprises au RN : la 5e de Gironde (PS avec 50,63%), la 3e du Loiret (DVD avec 51,11%), la 2e de la Marne (ENS avec 58,08%), les 5e (ENS avec 56,65%) et 15e du Nord (ENS avec 50,20%) et la 1re du Tarn (ENS avec 56,23%). 

Au sortir du second tour, il renforce sa position dans nombre de départements : 2 députés sur 5 dans l’Ain, 4 sur 5 dans l’Aisne, 2 sur 3 dans l’Aube, 3 sur 4 en Dordogne, 12 sur 16 dans les Bouches-du-Rhône, 7 sur 9 dans l’Hérault, 7 sur 21 dans le Nord, 10 sur 12 dans le Pas-de-Calais, 3 sur 5 dans la Somme comme dans la Saône-et-Loire, 7 sur 8 dans le Var, etc. Et carton plein dans l’Aude, les Alpes-de-Haute-Provence, le Gard, la Haute-Marne, la Meuse, les Pyrénées-Orientales, la Haute-Saône ou l’Yonne. On notera enfin que le Rassemblement national et ses alliés l’emportent dans le cadre de deux triangulaires provoquées par le maintien de candidat de la majorité présidentielle arrivé en troisième position : la 1re des Alpes-Maritimes et la 1re du Val-d’Oise. Alors certes, si beaucoup ont pu exhaler un « lâche soulagement » le 7 juillet au soir, le péril d’une arrivée au pouvoir du Rassemblement national est bien loin d’être contrecarré. 

Enfin, on relèvera que si la proportionnelle nationale, avec un seuil de 5%, avait été utilisée, le Rassemblement national, toutes choses étant égales par ailleurs, aurait obtenu de l’ordre de 218 sièges, contre 185 au Nouveau Front populaire, 131 à Ensemble et 43 aux Républicains. On peut dès lors comprendre l’effet de sidération qui a dû saisir les responsables du RN à l’annonce des résultats dans chacune des circonscriptions encore à pourvoir le 7 juillet. Et ce d’autant plus que plus de 75 de leurs candidats perdent au second tour avec plus de 45% des suffrages exprimés. 

Si le soir du premier tour, le RN pouvait légitimement penser que la force propulsive qui était la sienne pouvait lui permettre d’atteindre les 50% dans plus de 289 circonscriptions, ou presque, la preuve a été une nouvelle fois apportée que, dans le cadre d’un scrutin uninominal à deux tours, il vaut mieux pour l’emporter disposer d’alliés au second tour – ce qui n’était pas son cas. C’est bien, aussi, cette difficulté stratégique que paient les responsables du Rassemblement national.

La gauche : élève sérieux mais peut mieux faire

De son côté, la gauche rassemblée dans cette alliance de défense constituée dans l’urgence à l’annonce de la dissolution parvient non pas seulement à conserver globalement les circonscriptions remportées en 2022, mais même à en remporter des supplémentaires. 

Le PS : 50 nuances de rose moins pale

À cet égard, le grand gagnant, à gauche, de ces élections législatives est bien le Parti socialiste qui parvient à concrétiser le rééquilibrage obtenu à l’occasion des négociations des circonscriptions. On relèvera ainsi, parmi d’autres, trois victoires en Haute-Garonne (6e, 8e et 10e) et en Gironde (5e, 6e et 7e), deux victoires dans les Hautes-Alpes, la Côte-d’Or (et l’élection du tenace Pierre Pribretich), la Loire-Atlantique (1re et 5e), la Meurthe-et-Moselle (1re et 2e), Paris (7e et 11e), les Yvelines (7e et 9e), le Val-d’Oise (2e et 7e), ou bien encore celles dans la Drôme (1re), la Loire (1re), le Lot (2e), le Nord (13e), la Seine-Maritime (1re) ou la Seine-et-Marne (9e). On relèvera également qu’il parvient même à conquérir une circonscription en Martinique avec sa première fédérale Béatrice Bellay, même si le député défait, proche de Serge Lechtimy, était lui-même membre du Groupe socialiste lors de la mandature sortante… À côté de ces victoires, on relèvera toutefois quelques défaites : dans la 3e de l’Aisne (Jean-Louis Bricout), la 3e du Nord (Benjamin Saint-Huile), la 8e du Pas-de-Calais (Bertrand Petit), la 4e de Saône-et-Loire (Cécile Untermaier) et la 2e du Tarn-et-Garonne (Valérie Rabault). Au total, sans même attendre la fin de la constitution des groupes parlementaires, le Parti socialiste pouvait se féliciter d’avoir au moins doublé ses effectifs. Enfin, notons que près de 15 circonscriptions conservées ou prises par le Parti socialiste le 7 juillet dernier n’avaient pas un député de gauche en 2012. Parmi elles, la 2e des Bouches-du-Rhône, la 1re de la Drôme, la 4e des Pyrénées-Atlantiques, la 9e de Seine-et-Marne, les 7e et 9e des Yvelines, ou bien les 2e et 7e du Val-d’Oise – ce qui veut dire que près de 80% des députés socialistes de 2024 le sont dans des circonscriptions détenues par la majorité issue de l’élection de François Hollande à la présidence de la République. 

Les Écologistes : après l’impasse des européennes, un retour gagnant

Les Écologistes, qui ont été à la manœuvre dès l’annonce de la dissolution, assommés par les résultats des européennes dans les métropoles et en particulier au sein de leurs circonscriptions remportées en 2022, s’en sortent également formidablement bien avec leurs alliés de Génération·s. Ainsi l’ensemble de leurs députés sont-ils réélus (sauf dans la 2e des Hauts-de-Seine où Francesca Pasquini est battue au second tour par le candidat LR Thomas Lam). Non contents, ils conquièrent également plus de dix circonscriptions. Par exemple, la 2e du Doubs (avec le retour de Dominique Voynet), la 2e d’Ille-et-Vilaine (avec Génération·s), la 2e du Loiret (là aussi avec Génération·s), la 5e du Morbihan, la 3e du Puy-de-Dôme, la 3e de Paris (contre Stanislas Guérini), la 8e de Seine-et-Marne ou bien encore la 9e des Français de l’étranger (avec Génération·s). Toutes les circonscriptions conquises par les Écologistes étaient occupées en 2012 par des parlementaires de la majorité présidentielle d’alors, sauf la 2e du Loiret qui était alors aux mains des LR. Ainsi, au soir du 7 juillet, les Écologistes pouvaient affirmer avoir augmenté leur nombre de députés de 50%, ce qui est à n’en pas douter un bon résultat compte tenu du nombre de circonscriptions qui leur avait été attribué dans le cadre des accords du Nouveau Front populaire.

Le PC : le salut vient de l’extérieur

Les communistes quant à eux sont, comme souvent, au lendemain des élections législatives, dans une situation bien plus complexe. Cela fait maintenant de nombreuses années en effet que l’existence de leur groupe dépend de l’appartenance de parlementaires ultra-marins. Cette élection ne devait pas déroger à cette règle. D’autant moins que cette cuvée 2024 est bien délicate : la 13e des Bouches-du-Rhône, la 3e du Pas-de-Calais, la 20e du Nord (celle de Fabien Roussel) et la 6e de Seine-Maritime (celle de Sébastien Jumel) sont perdues contre le Rassemblement national. Enfin, 2 circonscriptions polynésiennes sur 3 sont également perdues. A contrario, la 3e de l’Allier, la 2e du Cher, la 5e du Puy-de-Dôme, la 8e de Seine-Maritime, la 1re des Hauts-de-Seine, les 2e et 4e de la Seine-Saint-Denis sont conservées. À celles-ci pourraient s’ajouter celles des outre-mer dont les députés lors de la mandature précédente siégeaient au GDR : 2 en Martinique, 2 en Guyane, 3 à la Réunion et les 3 de Polynésie. Soit 10 sur 22 ! Enfin, dans le Val-d’Oise, Emmanuel Maurel (ancien député européen et 3e sur la liste du PC aux élections européennes du 9 juin dernier) remporte la 3e circonscription. Peut-être le groupe communiste pouvait-il, alors, espérer bénéficier de l’apport des quelques dissidents de LFI autour de Clémentine Autain, François Ruffin et Alexis Corbière. Et ainsi s’assurer sereinement le maintien de leur groupe, en dépassant le seuil fatidique des 15 députés. 

LFI : sauvegarder la garde prétorienne 

Pour le conglomérat de Jean-Luc Mélenchon, le temps de ces élections législatives, y compris au second tour, fut rude. Non pas tant sur les résultats d’ailleurs que sur l’ambiance régnant à son endroit, suite notamment à son absence de dénonciation claire des attentats terroristes du Hamas du 7 octobre dernier. Après avoir dû accepter un rééquilibrage du partage des circonscriptions en raison du bon score de la liste portée par Raphaël Glucksmann, il n’a pu qu’assister à la remontée du groupe socialiste. 

Bien sûr, les résultats du premier tour lui ont été favorables puisque 20 de ses députés sortants ont été réélus dès le 30 juin. Bien sûr, LFI remporte également plus d’une dizaine de nouvelles circonscriptions, principalement contre Ensemble : la 1re de Charente, la 2e du Finistère, la 12e de Gironde, la 1re de Seine-et-Marne, la 1re de l’Isère (contre Olivier Véran) ou bien encore la 2e de la Somme. LFI parvient à en prendre une au RN (la 1re du Vaucluse), met fin au mandat de Nicolas Dupont-Aignan (8e de l’Essonne) et en prend même une aux Républicains (la 1re du Rhône). 

Mais à ces gains, substantiels, il convient de retirer 15 circonscriptions dont la moitié contre le RN : la 1re de la Creuse, la 1re de la Dordogne, la 5e du Gard, la 7e de la Haute-Garonne, la 2e du Territoire-de-Belfort, etc. La 7e du Val-de-Marne est cédée aux Républicains, lorsque la 5e des Bouches-du-Rhône et la 5e de Seine-Saint-Denis sont perdues au profit de DVG. À l’instar des autres formations politiques, demeure également une incertitude au soir du second tour : que feront les députés ultra-marins qui lors de la dernière mandature avaient rejoint le groupe LFI à l’Assemblée nationale ? Et bien évidemment demeure entière quelques jours après le second tour la question de l’avenir des députés « frondeurs » et de leur nombre. La grogne débordera-t-elle les trois députés sortants et sanctionnés, rejoints par Clémentine Autain et François Ruffin ? 

La droite : cette fois dans le dur !

Au soir du premier tour, les Républicains n’étaient pas si mal placés. Bien mieux que l’on aurait pu le penser à l’issue des élections européennes. Présents dans 400 circonscriptions, les LR « maintenus » vont recueillir 2,1 millions de suffrages exprimés, c’est-à-dire à peine moins que deux ans plus tôt alors même que, dans nombre de circonscriptions, ils ne sont pas en mesure de présenter des candidats ou ils décident de ne pas le faire. Toutefois, dans le même temps, la majorité présidentielle avait décidé de ne pas présenter de candidats contre nombre de députés LR sortants, ce qui a sans doute permis à un certain nombre d’entre eux de tirer leur épingle du jeu. 

Il n’en demeure pas moins qu’à l’issue des deux tours, 20 mandats de députés sont perdus par les LR ou les DVD, dont 15 face au RN, 2 au PS, 2 à Ensemble et 1 à LFI. Parmi eux sont comptabilisés les deux circonscriptions des Alpes-Maritimes où les deux sortants LR ont rejoint l’alliance avec le RN : Éric Ciotti et Christelle d’Intorni. Les députés sortants sont ainsi, par exemple, battus dans la 1re de Corrèze, la 4e de la Drôme, la 1re de la Lozère, la 5e de la Meuse, les 18e et 21e du Nord, les 1re, 5e et 7e de l’Oise, la 7e du Pas-de-Calais ou bien encore la 4e de la Seine-et-Marne (l’ancienne circonscription de Christian Jacob). 

A contrario, les candidats LR ou DVD conquièrent près d’une dizaine de circonscriptions : la 1re du Calvados, la 3e du Loiret, la 3e de Moselle, les 2e et 12e des Hauts-de-Seine, les 1re et 7e du Val-de-Marne entre autres. On relèvera qu’ils en emportent 3 contre un sortant Ensemble, 2 contre LFI, 2 contre le RN, 1 contre les Écologistes et 1 contre les autonomistes corses.

Toutefois, nombreux, bien plus nombreux qu’escomptés le soir du premier tour, sont les députés sortants, qu’ils soient LR ou DVD, qui parviennent à l’emporter. C’est bien sûr le cas de Laurent Wauquiez (qui reprend sa circonscription dans la Haute-Loire), mais aussi d’Olivier Marleix pourtant distancé le 30 juin au soir (2e d’Eure-et-Loir), de Patrick Hetzel (7e du Bas-Rhin), d’Annie Genevard (5e du Doubs), d’Aurélien Pradié (1re du Lot, qui avait annoncé quelques jours auparavant quitter sa formation) ou bien de Julien Dive (2e de l’Aisne) réélu sur le fil du rasoir comme Charles de Courson (5e de la Marne). Au final, une cinquantaine de députés LR et DVD sont réélus à l’issue de ces législatives. Si peu de doutes existaient le 7 juillet au soir pour beaucoup d’entre eux sur leur futur groupe d’appartenance, on pouvait toutefois s’interroger pour certains : soit qu’ils aient fait partie lors de la mandature précédente du petit groupe Liot, soit qu’ils aient montré ces dernières années une proximité avec la majorité présidentielle.

La majorité sortante : une retraite en ordre dispersé

À l’issue du premier tour, les plus optimistes estimaient que le bloc présidentiel – qui n’a de bloc que le nom – ne pouvait guère dépasser les 140 députés. Or, au soir du 7 juillet, toutes sensibilités confondues, ils sont plus de 170. Alors, bien sûr, au sein de ce chiffre, on retrouve des députés d’Ensemble, d’Horizons et du MoDem, mais également des parlementaires Divers centre qui lors de la mandature précédente appartenaient au petit groupe Liot. 

Si les chiffres sont bien moins pires que craints le 30 juin, il n’en demeure pas moins que plus de 80 députés du bloc présidentiel chutent à l’occasion de ces législatives. 30 cèdent leur circonscription au Rassemblement national, 30 également au Parti socialiste, 11 aux Écologistes, 9 à LFI et 1 à la Gauche républicaine et socialiste (soit un total de 51 en faveur du NFP) et 3 aux Républicains et Divers droite. On relèvera que si les pertes sont homogènes, 6 sont perdues dans les Bouches-du-Rhône, 5 dans le Val-d’Oise, 4 en Isère, 3 dans le Rhône, 3 en Seine-et-Marne et 3 dans la capitale. 

À l’inverse, les gains sont presque anecdotiques : 4 contre le RN, dans la 2e de la Marne, les 5e et 15e du Nord et la 1re de la Somme, et 2 contre LFI en Polynésie.  

Ce résultat moins désastreux que prévu ne constitue-t-il pas pour autant une cinglante défaite ? « Nous partîmes à 250, nous revînmes à peine 170 », pourraient logiquement plaider les « survivants » des groupes constitués à partir du bloc présidentiel. 

Désistements républicains ? Bons et mauvais joueurs !

Il faut à ce stade se pencher sur quelques éléments qui avaient pu interroger lors des élections législatives de 2022 et en comparer les résultats avec celles qui viennent de s’achever. Il convient également de s’arrêter quelques instants sur les triangulaires qui, en dépit des très nombreux désistements de la part du NFP et du « bloc » présidentiel, se sont tenues. 

On relèvera ainsi que dans les circonscriptions où le candidat d’Ensemble arrivé deuxième ou troisième s’est maintenu, cela n’a guère de conséquences sur le résultat final de l’élection. Sauf dans 5 circonscriptions, ce qui n’est somme toute pas rien : dans la 1re du Val-d’Oise, où elle confirme l’avance prise par le candidat RN, et dans la 1re des Alpes-Maritimes, où elle facilite la réélection d’Éric Ciotti. Par contre, dans trois circonscriptions, le candidat Ensemble arrivé en deuxième position, devant le RN, en se maintenant parvient à coiffer sur le poteau le candidat du Nouveau Front populaire : dans les 4e et 7e du Finistère ainsi que dans la 3e de la Haute-Garonne. A contrario, dans aucune de la vingtaine de circonscriptions où le candidat du NFP arrivé deuxième ou troisième a fait le choix de se maintenir, cela n’empêche pas le candidat de la coalition d’Ensemble de remporter l’élection. Quant aux dix au sein desquelles le candidat des Républicains s’est maintenu (les circonscriptions où les LR pouvaient le faire étaient bien moindres), cela n’a en rien inversé l’ordre d’arrivée du premier tour, à l’exception de la 3e de l’Ardèche.

Si le résultat général laisserait penser à un déséquilibre entre l’ensemble du NFP et la majorité sortante, on se rend compte que la majorité aura bénéficié de 91 désistements alors que le NFP que de 54 et LR 29. Est-ce à dire que la gauche aura plus joué le jeu ? Ce qui est sûr, c’est que LFI n’a bénéficié que 16 désistements alors qu’elle s’est retirée 46 fois. On notera au passage que, par deux fois, le RN et ses alliés se sont désistés pour empêcher l’élection de députés LFI (dans le Calvados et dans le Val-d’Oise). On notera également que LR, avec 29 désistements à son profit contre 2 dont un au profit du RN, est quand même le grand bénéficiaire de ce front de l’entre-deux tours. Force est toutefois de constater qu’ils furent plus souvent éliminés au premier tour par les électeurs. Il faut aussi noter d’étranges compensations : ainsi le PS se sera retiré 22 fois au profit d’Ensemble et Ensemble 24 fois au profit du PS. Le PC aussi devra sans doute sa moindre performance au fait qu’il s’est retiré 15 fois alors qu’il ne fut soutenu que 2 fois.

Il faut aussi regarder les performances d’élus au premier et au second tour : à ce jeu, LFI avec 27,5% d’élus dès le premier tour montre que les négociateurs s’étaient tout de même servi la part du lion, laissant à leurs alliés des circonscriptions plus difficiles. De ce point de vue, le PS montre une efficacité redoutable au second tour en faisant 94,5% de ses élus au second tour, comme LR qui, on l’a vu, a pu bénéficier des désistements républicains.

On notera aussi que le PS démontre, lors de ces législatives et après des européennes qui auraient pu laisser croire que sa base électorale n’était réduite qu’aux seuls habitants du cœur des métropoles, qu’il conserve une implantation au-delà, comme en témoignent les victoires de son premier secrétaire Olivier Faure, du président du groupe Boris Vallaud, de Dominique Potier, Guillaume Garot, Arthur Delaporte, Joël Aviragnet ou encore celles de Romain Eskenazi ou Ayda Hadizadeh. De cet ancrage local, la seule grande perdante aura été Valérie Rabault qui, face à l’alliance RN-Ciotti cette fois, ne pouvait pas vraiment lutter !

Tableaux des désistements au profit des forces politiques
 LFIPCEE-LVPSENSLRRNTotal
Nombre de désistements au profit de LFI0000160016
 LFIPCEE-LVPSENSLRRNTotal
Nombre de désistements au profit du PC 00002002
 LFIPCEE-LVPSENSLRRNTotal
Nombre de désistements au profit de EE-LV000091010
 LFIPCEE-LVPSENSLRRNTotal
Nombre de désistements au profit du PS 2000241027
 LFIPCEE-LVPSENSLRRNTotal
Nombre de désistements au profit de ENS3413172210191
 LFIPCEE-LVPSENSLRRNTotal
Nombre de désistements au profit de LR924121 129
 LFIPCEE-LVPSENSLRRNTotal
Nombre de désistements au profit du RN00000202
Tableaux des désistements des forces politiques
 LFIPCEE-LVPSENSLRRNTotal
Nombre de désistements de LFI au profit de 0102349046
 LFIPCEE-LVPSENSLRRNTotal
Nombre de désistements du PC au profit de 0000132015
 LFIPCEE-LVPSENSLRRNTotal
Nombre de désistements de EELV au profit de 0000174021
 LFIPCEE-LVPSENSLRRNTotal
Nombre de désistements du PS au profit de 00002212034
 LFIPCEE-LVPSENSLRRNTotal
Nombre de désistements de ENS au profit de 16292401052
 LFIPCEE-LVPSENSLRRNTotal
Nombre de désistements de LR au profit de 00001012
 LFIPCEE-LVPSENSLRRNTotal
Nombre de désistements du RN au profit de 00001102
Tableau du nombre d’élus des forces politiques au premier puis au second tour
 Total ÉlusÉlus 1er tourÉlus 2nd tour
NFP-LFI732053
27,40%72,60%
NFP-PC16214
12,5%87,5%
NFP-EE-LV32527
15,6%84,4%
NFP-PS72568
6,9%94,4%
ENS/MDM/HOR/DVC1734169
2,3%97,7%
LR/UDI/DVD60159
1,7%98,3%
RN14739108
26,5%73,5%

Focus sur les départements et régions d’outre-mer

Concernant les départements et régions d’outre-mer, il convient de relever tout d’abord que si la participation, à l’instar de l’Hexagone, a crû par rapport aux dernières élections législatives, elle est demeurée sensiblement inférieure à celle observée dans les circonscriptions métropolitaines. Deuxième remarque, plus encore qu’ailleurs, le résultat le 7 juillet constitua une indéniable prime aux sortants puisque seules les 3es de Martinique et de l’île de la Réunion changèrent de député. À celles-ci, il convient bien sûr de rajouter la 2e de Mayotte, les deux circonscriptions de Nouvelle-Calédonie, ainsi que les 1re et 2e de Polynésie. Reste qu’au soir du 7 juillet, nul ne savait véritablement à quels groupes parlementaires les députés ultra-marins allaient adhérer. Ceux qui étaient lors de la dernière mandature chez LFI ou au groupe GDR (Gauche démocrate et républicaine, groupe du PC) allaient-ils y demeurer ou en choisir un autre ? Qu’allaient faire les députés membres auparavant du petit groupe charnière Liot ?  

Il convient enfin de relever que si le Rassemblement national ne progresse pas en Guyane, il double ses voix en Guadeloupe, les triple en Martinique ainsi que dans l’île de la Réunion. Ainsi dans la 3e de Guadeloupe, comme en 2022, le candidat du Rassemblement national a affronté Max Mathiasin. Toutefois, alors qu’aux dernières législatives, le candidat Divers centre ne gagna qu’avec un peu plus de 1000 voix d’écart, cette fois-ci, il devança le candidat frontiste de près de 12 000 voix. À l’opposé, dans la 3e de la Réunion, le candidat du Rassemblement national non seulement multiplia par plus de trois son nombre de voix au premier tour mais a recueilli 8500 voix de plus au second tour. On relèvera d’ailleurs, signe de la progression de cette organisation politique, que pour la première fois les candidats du RN étaient présents au second tour dans les sept circonscriptions réunionnaises. Plus, dans chacune, ils progressèrent de manière significative en gagnant 3400 voix dans la 1re, 5200 dans la 2e, 9000 dans la 3e, 6000 dans la 4e, 7000 dans la 5e, 5800 dans la 6e et 8900 dans la 9e

Nombre de voix obtenues par formation politique aux élections législatives en 2022 et en 2024 dans les départements d’outre-mer 
DépartementGaucheCentreDroiteExtrême droite
 2022 1er tour2024 1er tour2022 1er tour2024 1er tour2022 1er tour2024 1er tour2022 1er tour2024 1er tour
Martinique40550555869037550175621766927058568
Guadeloupe*41443458551756830701689911207946718096
Guyane1354721735644733083031737813911916
La Réunion86185135961391543906441938338872580584954

* Olivier Serva en 2022 est DVG et en 2024 DVC.

Réalités politiques versus réalités parlementaires 

Cette dispersion de la représentation parlementaire, fruit d’un front de refus à l’issue du premier tour, rendit pour le moins complexe la recherche d’un gouvernement. Tour à tour, les forces politiques essayèrent de s’accorder. 

Pendant plusieurs jours, les quatre parties prenantes du Nouveau Front populaire cherchèrent à se mettre d’accord sur le nom d’un Premier ou d’une Première ministre. Ces discussions qui traînèrent en longueur permirent aux Républicains d’imaginer un accord de gouvernement avec la majorité présidentielle, ce qu’ils s’étaient refusés à envisager durant les deux ans de la mandature passée. Du côté du Nouveau Front populaire, la nouveauté fut qu’à la différence de 2022 où l’aimant attirant la limaille s’appelait Jean-Luc Mélenchon et LFI, en 2024 nous sommes en présence de deux aimants : LFI toujours et un PS revigoré par le score de Raphaël Glucksmann lors des européennes du 9 juin. Autant en 2022 nul n’avait trouvé à redire, ou n’était en situation de le faire, à ce que le slogan de la Nupes soit bien « Jean-Luc Mélenchon Premier ministre », en 2024 ce n’est qu’après plus de dix jours de tractations que le cartel électoral du NFP parvenait à se mettre d’accord sur le nom d’une Première ministre putative. Sans omettre que durant ce laps de temps, la survie du groupe GDR était en jeu, que la question de savoir qui de LFI ou du PS serait le premier groupe du NFP n’était pas réglée, que la capacité du cartel électoral de la gauche de prendre le perchoir était incertaine…

La majorité présidentielle ne fut pas en reste : le groupe Horizons récupérait deux députés anciennement Ensemble, lorsque les survivants de ce groupe hésitaient à demeurer unis, certains étant tentés de créer une groupe passerelle avec la gauche, d’autres prônant une fusion avec le MoDem afin de constituer à l’avenir un Parti démocrate…

Quant aux 60 députés LR et DVD, ils s’interrogeaient sur leur affiliation : au groupe La Droite républicaine autour de Laurent Wauquiez, ou au sein du petit groupe Liot, ou encore au sein d’un nouveau groupe parlementaire, voire à Horizons. 

C’est dans la soirée du 18 juillet dernier que les groupes ont été officiellement déclarés. Si peu de surprises émanent de ces déclarations, relevons toutefois que :

  • LFI parvient bien à demeurer le premier groupe de la coalition électorale du NFP à l’Assemblée nationale, devançant celui des socialistes de 6 unités. On relèvera à cet égard que quelques députés socialistes ou DVG ont fait le choix de ne pas siéger dans le groupe présidé par Boris Vallaud : Laurent Panifous (2e de l’Ariège), Martine Froger (1re de l’Ariège), David Habib (3e des Pyrénées-Atlantiques) qui siègent tous trois au sein du groupe Liot, ainsi que David Taupiac (2e du Gers) qui, à ce jour, figure au sein des non-inscrits. Toujours à gauche, les Écologistes confirment leur progression électorale, accrue par leur capacité à accueillir en leur sein les Insoumis en rupture de ban : Clémentine Autain (11e de Seine-Saint-Denis), Alexis Corbière (7e de Seine-Saint-Denis), Hendrik Davi (5e des Bouches-du-Rhône), François Ruffin (1re de la Somme) et Danielle Simonnet (15e de Paris). Enfin, le groupe GDR sauve son existence avec l’apport, comme d’ordinaire, de 8 députés ultra-marins : 3 de la Réunion, 2 de Guyane, 1 de Polynésie, 1 de Martinique et 1 de Nouvelle-Calédonie, auxquels il convient d’ajouter le député de la 3e du Val-d’Oise, Emmanuel Maurel ; 
  • au sein de feu le bloc central, les chiffres ne sauraient mentir et mettent en exergue la défaite électorale, même moins sanglante que crainte : Horizons parvient à conserver son étiage grâce au ralliement de députés Ensemble, mais aussi de celui de Thomas Lam, nouvel élu des Hauts-de-Seine (2e) ; le MoDem perd plus du quart de son groupe avec 36 députés ; quant au groupe Ensemble pour la République, il en perd 70, et n’atteint pas les 100 députés. Encore faudra-t-il voir si, dans les prochaines semaines ou les prochains mois, la tentative de créer un groupe social-démocrate ne surgit pas de nouveau à l’instigation de Sacha Houllié qui siège chez les non-inscrits. À cet égard, il n’est pas anodin de retrouver parmi les 12 apparentés de ce groupe des parlementaires comme Stéphane Travert (3e de la Manche) ou Stella Dupont (2e du Maine-et-Loire) qui avaient fait part de leur souhait de voir se créer un groupe « passerelle ». Si l’on peut s’interroger sur le gagnant des élections législatives des 30 juin et 7 juillet, la réalité parlementaire rappelle qui les a indéniablement perdues ; 
  • Liot, de son côté, parvient tout d’abord à conserver un groupe, ce qui n’était pas forcément gagné, en rassemblant des députés ultra-marins comme Max Mathiasin (3e de Guadeloupe), Olivier Serva (1re de Guadeloupe), Estelle Youssoufa (1re de Mayotte), Nicole Sanquer (2e de Polynésie) ou son président Stéphane Lenormand (1re de Saint-Pierre-et-Miquelon), auxquels s’ajoutent 2 députés de Corse, Paul Molac (4e du Morbihan), quelques députés socialistes en rupture de ban ainsi que quelques élus issus de la droite, qu’ils soient LR ou DVD ; 
  • on notera que le groupe La Droite républicaine limite les départs puisque la quasi-totalité des députés élus sous l’étiquette LR s’y retrouve, à l’exception de quelques individualités qui avaient espéré pouvoir créer un nouveau groupe parlementaire comme Aurélien Pradié qui siège chez les non-inscrits. En sont absents également quelques députés comme Christophe Naegelen (3e des Vosges), Joël Bruneau (1re du Calvados) ou bien Jean-Luc Warsmann (3e des Ardennes). Là aussi, il conviendra de suivre avec attention dans les prochaines semaines si le périmètre du groupe La Droite républicaine ne sera pas soumis à des évolutions, notamment du côté de ses 7 apparentés (dont Julien Dive ou Virginie Dubuy-Muller) ; 
  • quant au Rassemblement national, et son allié À droite (AD), ils parviennent évidemment à créer leur groupe respectif. 

Pour mémoire, enfin, à l’issue des élections législatives, il y a toujours des recours devant le Conseil constitutionnel. Celles-ci ne dérogèrent pas à la règle puisque plus de 80 recours ont d’ores et déjà été déposés, certains concernant la même circonscription. On relèvera que 12 concernent l’élection de députés RN, 12 également des membres d’Ensemble pour la République, 8 LFI, 7 le PS, 6 le groupe Écologiste et social, 5 La Droite Républicaine, 4 À Droite, 4 le groupe GDR, 4 celui des Démocrates et 1 Horizons et indépendants. Il conviendra de suivre avec attention les décisions du Conseil Constitutionnel qui pourraient donner lieu à de futures élections législatives partielles. Or, compte tenu de la configuration de la chambre basse, celles-ci pourraient bien avoir des conséquences sur les rapports de force parlementaires. 

Composition des groupes parlementaires à l’Assemblée nationale
Nom du groupeMembres 2022*Membres 2024Évolution 2022-2024
Rassemblement national (M. Le Pen)88126+ 38
Ensemble pour la République (Renaissance) (G. Attal)16999-70
La France insoumise (M. Panot)7572-3
Socialistes et apparentés (B. Vallaud)3166+ 35
La Droite républicaine (Les Républicains) (L. Wauquiez)6147-14
MoDem (M. Fesneau)5036-14
Horizons (L. Marcangeli)31310
Écologiste et social (C. Chatelain)2138+ 17
À Droite (É. Ciotti) 16+ 16
Liot (S. Lenormand)2221 -1
GDR (A. Chassaigne)2217-5
Non-inscrits78+1
Total577577 

* Au 9 juin 2024.

C’est dans ce cadre de la composition des groupes parlementaires à l’Assemblée nationale qu’il convient de replacer l’élection du perchoir. Celle-ci a donné lieu à des psychodrames dont nous nous exonérerons. Relevons juste à cet égard qu’il fut somme toute étonnant que des forces politiques ayant dans leur ADN un discours très parlementariste se soient montrées incapables de faire émerger en faveur de leur candidat unique, André Chassaigne, une majorité parlementaire – toute relative soit-elle – plus large que le seul décompte des voix de leurs groupes respectifs. Plus étonnant encore, sans doute, est le fait de décrier la capacité des camps adverses de parvenir à obtenir ce qu’eux-mêmes n’avaient pas été capables de faire. Somme toute, dans le cadre d’un régime parlementaire, être en capacité de dépasser ses propres frontières est une qualité première. À cette aune, les forces constitutives du bloc central et de La Droite républicaine ont fait montre d’une plus grande dextérité, et ainsi démontré, ce qu’attendait placidement le président de la République, une capacité plus conséquente que leurs adversaires du Nouveau Front populaire à dégager une majorité parlementaire relative plus importante numériquement. 

A contrario, les ultimes soubresauts ayant présidé à la désignation des membres du Bureau de l’Assemblée nationale à l’issue de laquelle le NFP est majoritaire, et de celle des présidents des commissions permanentes et des rapporteurs des budgets démontrent tout à la fois une absence de maîtrise des troupes du groupe Ensemble pour la République et une instabilité parlementaire, faute d’un pacte majoritaire stabilisé. 

Il n’est pas certain que l’accord, tardif, trouvé entre les partenaires du Nouveau Front populaire sur le nom d’une postulante au poste de Première ministre, Lucie Castets, suffise à inverser la réalité du jeu parlementaire. 

Une clarification bien opaque

Au final, ces législatives qui devaient clarifier le paysage politique n’ont fait en réalité qu’en accentuer la confusion, ce qui somme toute n’est pas totalement illogique dès lors que l’on continue à penser que l’élection reine de notre système politique demeure l’élection du président de la République au suffrage universel direct. On relèvera à cet égard que même si chacun ne peut que se féliciter des taux de participation lors des deux tours de ces dernières législatives, celles-ci ne furent pas jugées suffisamment importantes par un tiers du corps électoral (même si, bien sûr, certains électeurs se déplacèrent au premier tour mais pas au second, et vice versa, et que ces taux, aussi conséquents soient-ils, sont bien inférieurs à ceux des élections présidentielles tenues depuis 1965).

Deuxième élément qui s’impose, la progression confirmée du Rassemblement national et de ses alliés, tant au premier que lors du second tour des élections législatives. Et si, bien sûr, beaucoup furent saisis d’un « lâche soulagement » le soir du 7 juillet dernier, ce serait pure folie que d’oublier que le RN, avec ses alliés, passe de 89 à 142 députés répartis dans deux groupes parlementaires distincts. Si un coup d’arrêt – un de plus – a été donné au parti de Marine Le Pen, cela n’implique pas que la dynamique politique ne soit pas de son côté. 

Parallèlement, si les forces de gauche ont su réagir promptement et ainsi obtenir de nombreux députés supplémentaires (+ 44 députés) grâce à un cartel électoral intitulé Le Nouveau Front populaire, les lendemains du 7 juillet, perdus dans les affres d’une négociation interminable, ne renforcèrent guère la crédibilité de cette coalition. Et son incapacité à s’ouvrir véritablement à d’autres forces politiques à l’occasion de l’élection de la présidence de l’Assemblée nationale en constitua un cruel épilogue. Et les aléas de l’été n’ont pas éteint cette impression…

Quant au camp présidentiel, le moins que l’on puisse dire est que la défaite, même d’une ampleur moindre que crainte, fut au rendez-vous, avec près de 84 sièges perdus pour les trois groupes censés constituer un bloc central, qui n’a de bloc que le nom et dont on peut s’interroger sur l’aspect central. Certes, si l’objectif de clarification poursuivi par la dissolution présidentielle consistait à imposer une coalition aux Républicains, il serait tentant d’estimer cet objectif en voie de réussite au lendemain de la réélection au perchoir de Yaël Braun-Pivet. Pour autant, partir d’une majorité relative de 250 députés sans l’appui des LR pour aboutir, éventuellement, à une coalition de 213 députés avec les LR n’apparaît pas comme une victoire stratégique majeure…

La quasi-tripartition de la vie parlementaire française n’est que le résultat de la configuration du second tour, dans le cadre d’une élection uninominal à deux tours. Nombreux furent les candidates et les candidats de la coalition NFP, d’Ensemble et des Républicains à avoir été élus grâce à un arc républicain qui n’a de valeur qu’électorale et non pas politique. C’est bien le refus, partagé, de l’ensemble des forces politiques – pour des raisons différentes les unes des autres – d’imaginer que cet arc républicain puisse constituer une nouvelle synthèse et offre politique face à une force politique rassemblant à elle seule 35% des suffrages exprimés qui conduit à cette improbable situation politique. Celle-ci peut-elle perdurer ? Si l’on cédait à la tentation de tirer le fil jusqu’au bout, on pourrait rappeler que les 142 députés siégeant dans les groupes RN et À Droite ont été élus sur les programmes de leur coalition comme les députés des autres formations élus au premier tour, mais que les 400 autres, élus au second tour et n’appartenant pas à la coalition autour du RN, ne l’ont pas été pour leur programme mais grâce à l’arc républicain. 

En réalité, soit nous conservons le même mode de scrutin et alors l’enjeu pour le Rassemblement national sera bel et bien de trouver des alliés pour le second tour, lorsque les forces concurrentes devront imaginer des plateformes programmatiques communes ou minimales afin de ne pas sombrer dans des affres similaires à celles d’aujourd’hui ; soit nous décidons collectivement de passer à l’une des nombreuses formes de proportionnelle et alors les parties prenantes des cartels électoraux aujourd’hui constitués regagneront en autonomie, voire en indépendance, les unes des autres et alors des possibilités de coalition, comme dans n’importe quel pays européen, émergeront. Il faudra alors accepter que celles-ci s’établissent sur des plateformes programmatiques gouvernementales à l’issue des élections. 

Sacré changement de culture politique en perspective. 

  • 1
    Émeric Bréhier, « Du quinquennat et des institutions », Fondation Jean-Jaurès, 20 avril 2023.
  • 2
    Émeric Bréhier, Sébastien Roy, Une proportionnelle en trompe-l’œil : enseignements des élections législatives de juin 2022, Lormont, Le Bord de l’eau, 2022.
  • 3
    C’est cette règle qui explique l’éviction de Julien Bayou à Paris par les Écologistes, mais également la possibilité pour LFI d’essayer d’éradiquer les députés sortants ayant fait part de leur opposition à Jean-Luc Mélenchon, Alexis Corbière et Raquel Garrido.
  • 4
    On relèvera que cet accord global fit l’objet de quelques amodiations locales, comme dans les Pyrénées Atlantiques.
  • 5
    L’ensemble de ces données sont issues de notre ouvrage Une proportionnelle en trompe-l’œil : enseignements des élections législatives de juin 2022op. cit.
  • 6
    Pour y avoir droit, une organisation politique doit présenter au moins 50 candidats dépassant 1% des suffrages exprimés. À cet égard, voir Olivier Lê Van Truoc, dans decideurs-magazine.com.
  • 7
    Émeric Bréhier, Sébastien Roy, Du choc à la sidération : des européennes aux législatives, Fondation Jean-Jaurès, 21 juin 2024.
  • 8
    Il s’agit ici notamment de la circonscription de Fabien Roussel, leader du Parti communiste (PC), circonscription demeurée à gauche sans discontinuer depuis 1958.

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