L’économie iranienne face aux sanctions et au Covid-19

Confrontée à la crise sanitaire et aux sanctions imposées notamment par les États-Unis, la République islamique d’Iran subit également une crise économique aiguë. Farid Vahid analyse les stratégies mises en place par le régime pour tenter d’y répondre et les possibles évolutions économiques, sociales et politiques.

La République islamique d’Iran doit faire face aux conséquences économiques de la crise sanitaire du Covid-19 alors que son économie a connu une récession de 9,5% depuis la sortie des États-Unis de l’accord nucléaire, le 8 mai 2018. L’Iran avait alors une exportation pétrolière d’environ 2,8 millions de barils par jour. Il n’en exporte plus que quelques centaines de milliers actuellement, causant ainsi une baisse drastique des revenus de l’État iranien. La crise du Covid-19 est venue aggraver cette situation en touchant le pays au moment de Norouz (célébrations du Nouvel An iranien), une période importante pour les commerçants.

Alors qu’il est économiquement isolé du monde, comment le gouvernement iranien, qui a déjà connu des révoltes importantes au mois d’octobre dernier, peut-il soutenir les plus faibles et mettre en œuvre un plan de relance économique ? Est-il possible de faire un choix entre l’économie et la santé ? Le Covid-19 peut-il être le début de l’écroulement de l’économie iranienne ?

La crise économique touche de plein fouet les classes les plus défavorisées. Alors que la révolution de 1979 était supposée être le début d’un monde meilleur pour les ouvriers et les plus démunis, après quarante ans de République islamique, force est de constater que le régime a échoué dans ce domaine. Les fondations et les bonyads créées après la Révolution, comme Bonyad-e Mostazafan ou Comité Emdad, dans le but de venir en aide aux plus faibles sont devenues aujourd’hui de puissantes entités économiques qui ne rendent des comptes qu’au Guide de la révolution. Leur fonctionnement opaque est aujourd’hui une des sources importantes de corruption dans le pays. Au nom d’une « économie de résistance » contre les sanctions des États-Unis et avec le soutien du Guide et des Gardiens de la révolution, ils mènent aujourd’hui des activités dans tous les secteurs économiques, s’éloignant de plus en plus de leur mission initiale.

La corruption, l’incompétence et le manque de vision de certains responsables auxquels se rajoutent les sanctions ont fait de l’économie iranienne une économie malade qui a besoin de réformes structurelles (des systèmes bancaires et fiscaux entre autres). Selon les chiffres de la Banque centrale iranienne, l’inflation a été de 41,2% l’année dernière. Le pays a connu des révoltes en octobre dernier suite à une forte augmentation du prix du carburant annoncée soudainement par le gouvernement. Les manifestations ont été durement réprimées par les forces de l’ordre faisant de nombreux morts. À la différence du mouvement vert de 2009 suite à la réélection du président ultra-conservateur, Mahmoud Ahmadinejad, les mouvements contestataires de ces deux dernières années sont principalement issus des petites villes et des classes défavorisées. Il ne s’agit plus des bourgeois pro-occidentaux de Téhéran. Cette fois-ci, ce sont les ouvriers qui protestent parce qu’ils n’ont pas reçu leur salaire depuis plusieurs mois. Une situation réellement préoccupante pour le gouvernement d’Hassan Rohani.

C’est dans ce contexte économique et social que depuis le mois de février dernier l’Iran fait face au Covid-19. La plupart des États annoncent des plans massifs de soutien aux entreprises et mettent en place des mesures afin de protéger les salariés tel que le chômage partiel en France. Le gouvernement iranien qui fait face à une baisse importante de ses revenus essaie lui aussi de trouver des solutions.

La Bourse de Téhéran prospère à l’ombre des sanctions

Alors que les principales places financières du monde font face à de fortes baisses, la bourse de Téhéran bat des records historiques. Avec une augmentation de 93% depuis le début de la nouvelle année iranienne (20 mars), l’indice général de la bourse de Téhéran a atteint le chiffre record d’un million d’unités, une première dans son histoire. La valeur de la monnaie iranienne (le rial) étant très instable, les Iraniens ont recours aux devises étrangères comme le dollar et l’euro, mais aussi à l’or, afin de préserver leurs capitaux. Il semble qu’aujourd’hui l’achat d’actions de différentes entreprises et de groupes économiques s’inscrive dans la même démarche. Le gouvernement, dans une logique de privatisation, vend également les actions de certaines banques et compagnies d’assurances (avec des réductions parfois jusqu’à 20%). Cela représente une source de revenus immédiats pour celui-ci mais aussi un moyen d’absorber l’excès de liquidités en Iran. Le rôle des fondations et de certaines institutions liées à des centres de pouvoir dans l’achat de ces actions est également préoccupant.

Il s’agit d’une situation inquiétante pour de nombreux économistes. Une éventuelle explosion de cette bulle financière pourrait avoir de lourdes conséquences.

Le rial laisse sa place au toman

Le 4 mai 2020, le Parlement iranien a adopté un projet de loi selon lequel la devise officielle de la monnaie iranienne passerait du rial au toman. Avec une suppression de quatre décimales, 1 toman sera équivalent à 10 000 rials. La mise en place de cette réforme prendra entre deux et cinq ans selon le président de la Banque centrale iranienne. Cette nouvelle loi est plus une tactique psychologique qu’une véritable réforme économique et monétaire. Il est nécessaire de souligner que le Conseil des gardiens doit approuver ce projet de loi. Le cas échéant, ce sera le prochain parlement (à majorité conservatrice) qui devra trancher.

Le Covid-19 creuse le déficit budgétaire

Au début de la crise sanitaire en Chine, et alors que les scientifiques et les médecins iraniens soulignaient le danger que représentait ce nouveau coronavirus, les responsables iraniens ne sont pas favorables à une réduction des échanges avec la Chine ou à une éventuelle interdiction des voyages entre les deux pays. Environ 23% des exportations non pétrolières de l’Iran (plus de 8 milliards de dollars) durant les onze mois précèdant la crise ont pour destination la Chine. Les exportations pétrolières de l’Iran étant au plus bas niveau depuis plus de quarante ans, il était nécessaire pour le gouvernement de continuer à commercer avec la Chine (premier partenaire économique de l’Iran) mais aussi avec les pays voisins. Selon les chiffres du ministère des Affaires étrangères iranien, les cinq premières destinations des exportations iraniennes sont la Chine, l’Irak, la Turquie, les Émirats arabes unis et l’Afghanistan. La fermeture des frontières avec les pays voisins entraîne donc de lourdes conséquences sur l’économie iranienne. La compagnie aérienne Mahan Air est d’ailleurs sous le feu des critiques pour avoir poursuivi ses vols vers la Chine plusieurs semaines après que les premiers cas aient été détectés en Iran.

La chute de la consommation mondiale du pétrole et la guerre de prix entre Riyad et Moscou ont fait plonger le prix du baril de pétrole. Le budget 2020 du gouvernement iranien a été fixé selon un prix de 50 dollars en moyenne pour le baril mais les experts envisagent un prix moyen d’environ 25 dollars. C’est pour toutes ces raisons que le gouvernement iranien a fait une demande de prêt de 5 milliards de dollars au Fonds monétaire international (FMI), une première depuis la Révolution. À ce jour, le FMI n’a toujours pas répondu à la demande iranienne.

Un écroulement économique ?

Le 6 avril dernier, le Guide de la révolution, l’ayatollah Khamenei, accepte la demande exceptionnelle du président Rohani de prélever 1 milliard d’euros sur le Fonds national de développement d’Iran afin de lutter contre les conséquences économiques du Covid-19. En vertu de l’article 84 du cinquième plan quinquennal de développement socio-économique (2010-2015), le Fonds national de développement a été institué dans le but de transformer les revenus du pétrole et du gaz en investissements productifs pour les générations futures.

Le 8 avril, lors du conseil des ministres, le président Rohani annonce que demander aux gens de rester chez eux serait la solution la plus « simple » pour le gouvernement mais « contrairement aux fonctionnaires, si un ouvrier ne travaille pas un jour, il n’a pas d’argent pour la nuit […] il faut faire quelque chose pour eux ». Cette prise de parole illustre également la gravité de la situation.

Il est possible d’envisager deux scénarios concernant l’avenir de la situation économique en Iran. Dans un premier scénario, la République islamique d’Iran pourra surmonter cette crise comme les autres crises économiques depuis 1979. Contrairement aux autres pays de la région, comme l’Arabie saoudite ou les Émirats, l’Iran a dû faire face à des sanctions économiques internationales et l’État et la nation iranienne ne sont pas confrontés à une situation inédite. Dans un deuxième scénario moins optimiste, de nouvelles crises économiques et sociales pourraient voir le jour en Iran et des manifestations et des révoltes sont envisageables avec une fracture sociale de plus en plus importante, une augmentation des prix, une baisse du pouvoir d’achat et un taux de chômage qui ne cesse d’augmenter. La prochaine crise peut être la goutte d’eau qui fera déborder le vase. Dans ce cas-là, Téhéran peut être amené à se mettre à la table des négociations avec Washington, ce qui est très peu probable, au moins avant l’élection présidentielle de novembre prochain aux États-Unis.

L’ancien président réformateur, Mohammad Khatami, a déclaré hier lors d’un discours : « les gens sont mécontents et sans espoir, je m’inquiète de l’arrivée d’un cycle de violences dans le pays ». Depuis plusieurs années, un phénomène inquiétant s’observe en Iran : la classe moyenne est en voie de disparition et les pauvres sont de plus en plus pauvres. La Révolution a échoué dans sa promesse de justice sociale.

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