Le Rassemblement national, un parti toujours davantage dédiabolisé

À partir des résultats de la dixième vague de l’enquête « Fractures françaises », que la Fondation Jean-Jaurès mène tous les ans en partenariat avec Ipsos, Sopra Steria, Le Monde et le Cevipof, Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation, analyse les effets dans l’opinion publique de la stratégie de dédiabolisation du Rassemblement national décidée par Marine Le Pen.

Le 21 avril 2021, dans une note intitulée « 2022, évaluation du risque Le Pen », nous alertions sur le risque électoral que représentait Marine Le Pen pour la présidentielle de 2022. Certes, Marine Le Pen ne fut pas élue présidente de la République en mai dernier, mais il est néanmoins nécessaire d’insister sur la percée électorale du Rassemblement national (RN) lors de la séquence électorale du printemps. Tout d’abord, lors du second tour de la présidentielle, l’écart de voix entre la candidate du Rassemblement national et Emmanuel Macron, qui était de huit millions en 2017, s’est réduit à cinq millions en 2022. Mais c’est peut-être les élections législatives qui ont constitué l’événement politique le plus symbolique : le Rassemblement national a réalisé une véritable percée à l’Assemblée nationale, en faisant élire 89 députés.

Comme nous l’écrivions déjà en 2021, cette dynamique électorale du Rassemblement national se construit en tout premier lieu sur la stratégie de « dédiabolisation » et de « normalisation » enclenchée par Marine Le Pen au milieu des années 2010. Or, les données de notre dernière enquête Fractures françaises viennent encore renforcer l’inquiétude à ce niveau : jamais le Rassemblement national n’a été aussi dédiabolisé dans l’opinion publique.

La baisse du stigmate porté au Rassemblement national

Théorisé notamment par Jacques Chirac, le barrage républicain consistait à faire du Rassemblement national un parti pas comme les autres : en tant que parti d’extrême droite, le FN/RN n’était pas considéré comme un parti traditionnel, un cordon républicain devait donc le distinguer des autres partis politiques. À bien des égards, ce cordon sanitaire est en train de tomber lorsque l’on regarde l’opinion des Français.

Graphique 1. Évolution des traits d’image négatifs associés au Rassemblement national

Le graphique ci-dessus le montre clairement : en 2016, 77% des Français qualifiaient le FN/RN de parti d’extrême droite, ils ne sont plus que 70% aujourd’hui. De la même manière, en 2016 toujours, 60% des Français qualifiaient le FN/RN de parti xénophobe ; ce chiffre a chuté de huit points pour atteindre 52% aujourd’hui. Même dynamique concernant le fait que le FN/RN soit un parti « dangereux pour la démocratie » : 61% des Français étaient d’accord avec cette idée en 2016, ils ne sont plus que 54% aujourd’hui.

Arrêtons-nous d’ailleurs quelques instants sur ce dernier point, le danger que représenterait le Rassemblement national pour la démocratie. Tout d’abord, lorsque l’on regarde la distribution des avis négatifs concernant le RN selon la proximité partisane des répondants, on se rend compte que ce parti est toujours considéré comme dangereux pour la démocratie chez les proches des partis centristes et de gauche. C’est cependant beaucoup moins vrai chez les proches des Républicains, le parti de droite classique. Seulement 46% des proches LR considèrent le RN comme un parti dangereux pour la démocratie, c’est une baisse de 15 points en l’espace d’un an.

Graphique 2. Jugements négatifs concernant le RN (« le parti est dangereux pour la démocratie »), en fonction de la proximité partisane des répondants

Mais plus encore, comparons maintenant le Rassemblement national avec les autres partis français sur cette question du « danger pour la démocratie ». On le voit, le Rassemblement national n’est plus le parti considéré comme étant le plus dangereux par l’ensemble des Français, il est supplanté à ce niveau par La France insoumise (LFI). Et c’est bien la première fois dans l’histoire de cette enquête que le Rassemblement national n’est pas considéré comme le parti politique le plus dangereux !

Graphique 3. Partis considérés comme « dangereux pour la démocratie » selon les Français

Un des partis perçus comme l’un des plus compétents du pays

Si la dédiabolisation du Rassemblement national passe par la baisse indéniable des stigmates qui lui étaient accolés, elle passe encore davantage par une remontée assez spectaculaire des jugements positifs. À la question, « la société que prône ce parti est globalement celle dans laquelle je souhaite vivre », 32% des Français répondent favorablement lorsque le RN est évoqué, soit une augmentation de cinq points en l’espace d’un an.

Graphique 4. Évolution des traits d’image positifs associés au Rassemblement national

Plus frappant encore, aucun parti ne fait vraiment mieux que le Rassemblement national à ce niveau : La République en Marche (LREM) n’est en avance que de deux points par rapport au RN sur cette question. Un autre item est particulièrement évocateur, la capacité du parti à gouverner le pays : 39% des Français jugent que le RN est capable de gouverner le pays, soit une augmentation de cinq points en l’espace d’un an. Par ailleurs, les autres partis et en particulier les partis de gauche souffrent largement de la comparaison avec le parti d’extrême droite : le RN dépasse très largement LFI et EE-LV (de respectivement 13 points et 18 points) et vient même supplanter d’un point le Parti socialiste, qui était pourtant aux responsabilités il y a encore sept ans.

Graphique 5. Comparaison des traits d’image positifs associés aux principaux partis politiques français

Conclusion

La dynamique électorale du Rassemblement national que l’on constate maintenant depuis plus de dix ans se base en grande partie sur la stratégie de dédiabolisation opérée par Marine le Pen. Bien sûr, d’autres éléments en termes de « valeurs politiques » ont pu jouer, comme la capacité du Rassemblement national à surfer sur le sentiment d’insécurité culturelle ou économique d’une partie substantielle de la population. Pour autant, c’est bien sur l’image globale du parti que le Rassemblement national a largement évolué. À ce niveau les données de notre dernière enquête sont particulièrement préoccupantes : d’un côté les différents stigmates associés au Rassemblement national ont considérablement baissé, et d’un autre côté, les jugements positifs ont largement augmenté. Prenons le temps de bien prendre conscience des implications de cette nouvelle réalité : le Rassemblement national est considéré davantage capable de gouverner le pays, que nombre de ses concurrents.

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