À un an de l’élection présidentielle, les messages d’alerte se multiplient quant à l’érosion du front républicain et face au risque de voir Marine Le Pen remporter le second tour. Pour l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean-Jaurès, Antoine Bristielle, Tristan Guerra et Max-Valentin Robert évaluent à l’aide de plusieurs indicateurs la tentation des Français pour le Rassemblement national.
Le 17 mars dernier, un sondage Ifop pour l’hebdomadaire Marianne a fait l’effet d’une bombe. Alors que le scénario d’un nouveau duel entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron au second tour semble à l’heure actuelle l’hypothèse la plus probable, le premier ne l’emporterait que d’une très courte tête (53%) quand, quatre ans plus tôt, les deux tiers des électeurs s’étaient exprimés en sa faveur.
Ainsi, le plafond de verre que les commentateurs évoquent régulièrement semble reculer de plus en plus, au point que la victoire de Marine Le Pen en 2022 devient un sujet d’inquiétude. Le Premier ministre est même monté au créneau, estimant être très « inquiet » face à cette possibilité, et fustigeant tous ceux qui au second tour refuseraient de faire barrage au Rassemblement national.
Si l’on en croit ces intentions de vote, au premier tour, Marine Le Pen posséderait indéniablement l’électorat le plus stable : 89% des électeurs ayant voté pour elle au premier tour de la présidentielle de 2017 déclarent qu’ils feront de même en 2022. À titre d’exemple, ce n’est le cas que de 71% des électeurs d’Emmanuel Macron. Plus encore, lorsque l’on regarde l’évolution des scores du Rassemblement national lors des différentes élections, la dynamique est implacable depuis le début des années 2010. Comme on le constate sur le graphique 1, lors de la dernière décennie le nombre de personnes votant FN/RN a considérablement augmenté, quel que soit le type de scrutin pris en compte.
Graphique 1. Évolution du vote pour le Front national / Rassemblement national lors de différentes élections
Néanmoins, voir Marine Le Pen gagner au second tour d’une élection présidentielle nécessiterait que le front républicain, consistant à « faire barrage » au Rassemblement national, ne fonctionne plus.
Il est vrai qu’à ce niveau un véritable infléchissement a été constaté au cours des deux dernières décennies. Face à l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour le 21 avril 2002, le président sortant Jacques Chirac mobilisa une rhétorique inscrite dans la stratégie du « cordon sanitaire ». Le candidat du RPR associa alors explicitement le parti lepéniste à une menace pour la pérennité de la démocratie française, comme en témoignent ses déclarations prononcées après l’annonce des résultats : « Aujourd’hui, ce qui est en cause, c’est notre cohésion nationale, ce sont les valeurs de la République auxquelles tous les Français sont profondément attachés. Aujourd’hui, ce qui est en cause, c’est l’idée même que nous nous faisons de l’homme, de ses droits, de sa dignité. […] Si, dans le cadre d’une élection, le rejet et le mécontentement peuvent s’exprimer, ils ne sauraient fonder une véritable politique pour la France […]. J’appelle toutes les Françaises et tous les Français à se rassembler, pour défendre les droits de l’homme, pour garantir la cohésion de la nation, pour affirmer l’unité de la République, pour restaurer l’autorité de l’État. Ce rassemblement est possible, et il est nécessaire. » En plus d’appeler à un « sursaut démocratique » et de déclarer que l’élection présidentielle ne devait pas être « confisquée par l’obscurantisme, la haine, le mépris », Jacques Chirac alla jusqu’à refuser de débattre avec Jean-Marie Le Pen dans l’entre-deux-tours : « Face à l’intolérance et à la haine, il n’y a pas de transaction possible, pas de compromission possible, pas de débat possible. » Cette élection inédite se conclut d’ailleurs par une écrasante victoire du président sortant (82,2%).
Or, depuis la présidence Sarkozy, nous pouvons constater une érosion de la logique du « cordon sanitaire » dans le discours porté par la droite parlementaire. Ainsi, durant la campagne pour l’entre-deux-tours de la présidentielle de 2012, le président sortant jugea Marine Le Pen « compatible avec la République ». Puis, le 3 février 2015, le bureau politique de l’UMP acta définitivement la stratégie du « ni-ni » (« ni front républicain ni Front national ») à l’occasion d’une législative partielle dans le Doubs qui opposait au second tour un candidat Parti socialiste à un candidat Front national. Si les forces de gauche ont maintenu plus longtemps une logique oppositionnelle stricte par rapport au Front national, ce n’est pas le cas de Jean-Luc Mélenchon et de La France insoumise. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon ne se prononça pas directement pour un vote contre Marine Le Pen pour le second tour de l’élection présidentielle de 2017, mais organisa une consultation interne à La France insoumise, qui donna elle-même des résultats contrastés (36,1% prônant un vote blanc ou nul, 34,8% se prononçant pour un vote en faveur d’Emmanuel Macron et 29% défendant l’abstention).
Il est donc indéniable que le Front républicain se morcelle depuis plusieurs années maintenant et que le vote « contre » Marine Le Pen ne soit plus aussi automatique qu’il le fut autrefois. Néanmoins, si la dirigeante du Rassemblement national est présentée à l’heure actuelle comme favorite pour arriver en tête au premier tour en 2022, la voir gagner le second tour nécessiterait soit qu’elle augmente sensiblement son nombre de voix entre le premier et le second tour en disposant ainsi de réserves de voix dans d’autres parties de l’électorat, soit que son adversaire ne soit pas en position d’accroître sensiblement son score du premier tour. C’est exactement ce qui ne s’était pas produit en 2017, Marine Le Pen ayant augmenté de seulement trois millions son nombre de voix entre le premier et le second tour, quand Emmanuel Macron l’augmentait, lui, de plus de douze millions.
Marine Le Pen dispose-t-elle de réserves de voix supplémentaires au second tour ? Emmanuel Macron, président sortant, est-il encore en mesure de générer un front républicain contre la candidate du Rassemblement national comme ce fut le cas en 2017 ?
Plus explicitement, il faudrait qu’au moins une de ces conditions se réalise pour que Marine Le Pen soit élue présidente de la République en 2022 :
- que l’électorat de droite modérée se reporte massivement sur elle ;
- qu’elle soit suffisamment « dédiabolisée » pour pousser les électeurs des candidats éliminés du premier tour vers l’abstention ;
- qu’Emmanuel Macron soit devenu un repoussoir similaire à Marine Le Pen hors de son propre camp.
Ces conditions sont-elles envisageables ? Le risque Le Pen est-il bien réel ?
Un rapprochement significatif entre le Rassemblement national et la droite modérée
Récemment, beaucoup a été dit et écrit sur la supposée tentation d’une partie substantielle de l’électorat de gauche de se reporter sur Marine Le Pen au second tour. Or, force est de constater que cette crainte ne résiste pas à l’examen des données : seuls 10% de l’électorat d’Anne Hidalgo et 15% de l’électorat de Yannick Jadot déclarent à l’heure actuelle envisager de se reporter sur la candidate Rassemblement national au second tour. Si la situation est quelque peu différente au sein de l’électorat « insoumis » où 28% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon déclarent vouloir voter pour Marine Le Pen au second tour en cas de duel contre Emmanuel Macron, le risque d’une « grande convergence des extrêmes » est assez restreint, tant les positions de ces deux formations sont profondément différentes, notamment sur les questions culturelles.
Si des réserves de voix existent au second tour pour Marine Le Pen, il faut au contraire les rechercher du côté des électeurs des formations politiques spatialement les plus proches du Rassemblement national sur le spectre partisan, soit en l’occurrence ceux des Républicains. Le comportement des électeurs Les Républicains au second tour sera déterminant, tant leur positionnement entre La République en marche et le Rassemblement national en fait une clé de la prochaine élection. Les voir basculer au second tour plutôt vers le Rassemblement national nécessiterait qu’une forte convergence se soit créée entre le positionnement de leur parti et celui de Marine le Pen. Cela est-il le cas ?
Une convergence programmatique indéniable
Le but est ici de saisir l’évolution de la proximité idéologique entre ces deux plateformes partisanes : les deux partis principaux de la droite sont-ils de plus en plus similaires – comme on l’entend souvent parmi les commentateurs – ou bien se distinguent-ils de plus en plus l’un de l’autre ?
Afin de décrire l’évolution idéologique des partis au cours de ces dernières années, nous utilisons les données longitudinales du Chapell Hill Expert Survey qui compare le positionnement des partis politiques français de 1999 à 2019 sur les principales dimensions de compétition politique (positions sur les enjeux économiques, positions d’ouverture/fermeture liées au libéralisme culturel et à l’immigration, positions sur l’intégration européenne, etc.).
Graphique 2. Distance entre UMP/LR et FN/RN sur les positions économiques et culturelles
Lorsque l’on analyse simultanément les positions sur les enjeux économiques et culturels (position dite GAL-TAN), l’écart idéologique entre droite de gouvernement et droite radicale n’a jamais été aussi ténu qu’il ne l’est aujourd’hui. Au fil de la dernière décennie, on a donc bien eu affaire à un rapprochement entre ces deux familles de la droite.
Un léger rapprochement des électorats
Pour autant, cette convergence qui s’observe indéniablement au niveau du positionnement partisan se retrouve-t-elle également au niveau de l’électorat ? L’idée d’une porosité de plus en plus importante entre les électorats de la droite modérée et de la droite radicale – maintes fois reprise chez les commentateurs et les analystes politiques français – se constate-t-elle réellement ?
Un moyen simple pour répondre à cette question est d’observer la distance qui existe entre les sympathisants de Les Républicains et du Rassemblement national sur un nombre important d’enjeux politiques qui sont à même d’expliquer les différences de valeurs fondamentales entre ces deux groupes. Une des manières de le faire consiste à agréger les sous-totaux des réponses à différentes questions relatives aux attitudes politiques et d’observer le nombre de points de pourcentage qu’il subsiste entre les électeurs proches de Les Républicains et ceux proches du Rassemblement national. Il devient alors possible de comparer dans le temps l’évolution de cette distance idéologique. Dans la suite de cette section, nous utilisons les données de la précieuse enquête « Fractures françaises » conduite par la Fondation Jean-Jaurès. Cette enquête interroge annuellement depuis presque dix ans les Français sur un ensemble de questions politiques récurrentes.
Lorsque l’on entreprend de visualiser l’évolution de la distance entre les électorats de droite modérée et de droite radicale suivant les dimensions économiques ou culturelles, on peut observer qu’elles ne suivent pas la même trajectoire (voir graphique 3).
Graphique 3. Distance entre électorats Les Républicains et Rassemblement national sur une série d’enjeux et de valeurs politiques
La distance entre électorats Les Républicains et Rassemblement national varie largement selon que l’on s’intéresse aux enjeux culturels ou aux enjeux économiques. Sur la première dimension, on observe, en effet, un vrai rapprochement, traduisant désormais une proximité réelle entre les deux groupes. La distance entre les sympathisants des Républicains et ceux du Rassemblement national s’est largement réduite sur toutes les questions liées à l’islam, mais également sur celles liées à l’autoritarisme. Il n’y a ainsi quasiment aucun écart sur les problématiques liées à l’autorité, notamment sur l’aspiration à un pouvoir vertical, 97% des proches des Républicains et du Rassemblement national étant d’accord pour dire « qu’on a besoin d’un vrai chef en France pour remettre de l’ordre ». On peut observer une tendance inquiétante sur la position quant au rétablissement de la peine de mort, qui séparait manifestement davantage les électorats Les Républicains et Rassemblement national jusqu’à une date récente. Désormais, 71% des sympathisants des Républicains et 85% de ceux du Rassemblement national sont en faveur du rétablissement de la peine capitale.
Si l’on se concentre sur la dimension économique, la situation est bien plus complexe. Sur les questions liées au libéralisme économique, l’électorat Les Républicains se révèle bien plus libéral que l’électorat Rassemblement national : les enjeux de flexibilisation du marché du travail, de libre échange ou de niveaux de redistribution font ainsi état de différences majeures entre les sympathisants de ces deux partis. Dorénavant, 73% des proches des Républicains défendent plus de flexibilité sur le marché du travail, soit près de 30 points de plus que ce que l’on observe chez ceux du Rassemblement national (39%). On peut néanmoins assister à une convergence assez forte sur le thème de l’assistanat entre les deux électorats : les sympathisants de Les Républicains (82%) et du Rassemblement national (73%) s’accordent tous deux à penser qu’il existe trop d’assistanat en France. Ce rapprochement est largement dû à l’évolution « produceuriste » du discours du Rassemblement national, représentant le peuple vertueux des travailleurs sous le coup d’une double menace venant « par le haut », où des élites corrompues s’approprient les richesses créées, mais également « par le bas », par des « parasites » et des « profiteurs » venant rogner les aides sociales. Une conclusion similaire se donne à voir lorsque l’on regroupe les différents enjeux économiques, d’une part, et les différents enjeux culturels, d’autre part (graphique 4).
Graphique 4. Évolution de la distance entre les électorats UMP/LR et FN/RN par domaine de valeurs
Sur les enjeux culturels et l’immigration, on aboutit à une courbe en U inversée. La distance entre les électorats Les Républicains et Rassemblement national semble s’être accrue après 2015. Après les attentats (et le recours du pouvoir socialiste à un discours non stigmatisant envers les musulmans) et avec la présidentielle de 2017 où les candidats de droite ont mobilisé les enjeux économiques contre François Hollande, il n’y a pas eu de radicalisation de l’électorat Les Républicains sur les enjeux culturels. Au contraire, avec le siphonage d’une partie de l’électorat Les Républicains par Emmanuel Macron, l’électorat Les Républicains restant est moins centriste, ce qui se traduit par une plus forte porosité avec les positions de l’électorat Rassemblement national. Cette plus grande convergence entre les électorats de droite radicale et de droite modérée se constate également lorsque l’on étudie les données fournies par le sondage « Jour du vote » réalisé par l’Ifop après les élections européennes de mai 2019 : la « lutte contre le terrorisme » et « la lutte contre l’immigration clandestine » sont mentionnées dans des proportions similaires par les électorats des Républicains et du Rassemblement national en tant qu’élément « déterminant » dans leur choix électoral (respectivement 80% et 81% dans le premier cas, 77% et 88% dans le second). A contrario, sur les enjeux économiques, réputés plus composites, aucune tendance claire ne se dégage. On n’observe donc pas de convergence de ces deux électorats sur ces questions.
Première conclusion partielle : au niveau programmatique, le rapprochement entre le Rassemblement national et Les Républicains est indéniable, laissant envisager des passerelles importantes entre les deux formations lors d’un second tour. Néanmoins, à l’heure actuelle, cette convergence programmatique ne se traduit qu’imparfaitement au niveau des électorats. Si un rapprochement s’est opéré sur les questions culturelles, cela est encore loin d’être le cas sur les enjeux économiques qui restent au cœur du vote de droite.
Un parti qui se « dédiabolise » de manière significative
La tentation mariniste de « dédiabolisation »
Centrale dans la gestion de la question frontiste et dans la logique de « cordon sanitaire », la « diabolisation » consistait à placer sur le Front national un stigmate moral en rappelant ce parti à son histoire et notamment à la problématique du fascisme. Non, les partis d’extrême droite ne sont pas des partis « comme les autres » et, dans ces conditions, il était considéré comme normal de faire bloc contre ce courant idéologique et contre le parti qui en était l’émanation. Comme le montrent différentes recherches en science politique, lorsqu’un parti d’extrême droite n’est pas encore bien implanté au sein du champ politique, le « diaboliser » fonctionne extrêmement bien et s’avère apparemment efficace pour le maintenir à un faible niveau dans les urnes. Dans une optique de conquête du pouvoir, le Front national se devait donc de se débarrasser de ce stigmate qui lui était attaché, et aspirait donc à se « dédiaboliser ».
Bien avant le déploiement de la stratégie mariniste de « dédiabolisation », la problématique de la respectabilisation et de la dissimulation de sa radicalité s’est constamment manifestée au sein du Front national, et ce dès sa création en 1972. Fondé avec le soutien de l’organisation Ordre nouveau, le choix de se doter de l’ancien député poujadiste Jean-Marie Le Pen comme figure de proue illustre la volonté du Front national naissant de se départir d’un néo-fascisme trop « visible ». Cette option stratégique visait à conquérir un électorat plus large que les seules ornières de l’extrême droite anti-parlementaire, centrées notamment autour du ressentiment anti-gaulliste des rapatriés d’Algérie et de l’activisme anti-communiste. Bien plus tard, la campagne de Jean-Marie Le Pen pour l’élection présidentielle de 2007 put être interprétée comme une sorte d’amorce de la stratégie de « dédiabolisation », que portera sa fille ultérieurement. En comparaison de ses précédentes campagnes présidentielles, celle de 2007 fut marquée par un plus grand recours au référentiel républicain de la part du leader frontiste. La campagne lepéniste de 2007 fut aussi caractérisée par des tentatives ambivalentes de séduction de l’électorat d’origine immigrée. Suscitant à cette occasion une vive polémique en interne, le Front national présenta en décembre 2006 une affiche sur laquelle était représentée une jeune femme métisse pointant le pouce vers le bas, à côté du slogan : « Nationalité, assimilation, ascenseur social, laïcité : droite/gauche, ils ont tout cassé ! ». En outre, le 6 avril 2007, Jean-Marie Le Pen se rendit à la dalle d’Argenteuil et se livra à une rude charge contre le candidat de l’UMP et ex-ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy : « Si certains veulent vous karchériser ou vous exclure, nous voulons, nous, vous aider à sortir de ces ghettos de banlieues où les politiciens français vous ont parqués, pour vous traiter de racaille par la suite. Vous êtes les branches de l’arbre France, vous êtes des Français à part entière. Il n’y a pas de beuritude, pour moi vous n’êtes ni des potes, ni des Blacks, ni des Beurs, vous êtes des citoyens français, des enfants légitimes de la France faisant partie de notre République. Vous pouvez parfaitement comprendre pourquoi il est urgent d’appliquer la préférence nationale… Vous devez contribuer au redressement de la République par le travail, seul facteur de réussite sociale et économique. »
Les 15 et 16 janvier 2011 eurent lieu à Tours le XIVe congrès du Front national, qui consacra l’accession de Marine Le Pen à la tête du parti. Celle-ci fut élue, suite à un vote interne (17 127 adhérents du Front national prirent part au vote, sur un total de 22 403 membres), par 67,65% des militants face à son rival Bruno Gollnisch (32,35%). Ce résultat consacrait la défaite des tenants d’une ligne plus radicale, les principaux journaux d’extrême droite (Rivarol, Minute et Présent) ayant fait campagne pour Bruno Gollnisch. Suite à son élection, Marine Le Pen mena donc une entreprise de déradicalisation discursive au sein du Front national – une stratégie qui sera popularisée dans le champ médiatique sous le nom de « dédiabolisation ». Cette dernière visait à adoucir la rhétorique du parti dans une optique de respectabilisation auprès d’un électorat plus modéré, ce qui impliquait le renvoi des éléments internes les plus prompts aux « dérapages » racistes, les plus enclins aux propos extrémistes. Parmi les figures émergentes du Front national mariniste, l’un des cadres du parti exerça un rôle central dans la mise en place de cette stratégie : Louis Aliot. Ainsi, en avril 2011, dix-sept militants furent convoqués par les instances disciplinaires du Front national, et treize d’entre eux furent sanctionnés par une exclusion définitive du parti mariniste. De même, le 3 décembre 2013, Anne-Sophie Leclere – ex-candidate à la mairie de Rethel (Ardennes) – fut exclue après avoir assimilé Christiane Taubira (alors ministre de la Justice) à un singe. Parmi les figures les plus radicales du parti ayant été expurgées par la nouvelle direction, les cas d’Yvan Benedetti et d’Alexandre Gabriac furent les plus médiatisés : le premier (ex-bras droit de Bruno Gollnisch) fut exclu en juillet 2011 après s’être auto-défini dans une interview comme « antisémite, antisioniste et anti-juifs », tandis que le second le fut en avril après la divulgation d’une photo qui le montrait effectuant le salut nazi.
En effet, la pomme de discorde ayant suscité le plus de remous au sein du Front national – et ayant le plus mis en difficulté l’entreprise mariniste de « dédiabolisation » – fut la problématique de l’antisémitisme et du négationnisme. Cette distanciation des nouveaux cadres du parti avec l’ancien logiciel antisémite se manifesta notamment en 2014, en réaction au désir exprimé par Jean-Marie Le Pen de réaliser « une fournée » d’artistes opposants au Front national : Louis Aliot déplora « une mauvaise phrase de plus » et évoqua un acte « stupide politiquement et consternant », tandis que Gilbert Collard dénonça une déclaration « inacceptable, intolérable » faisant « du mal au Rassemblement bleu Marine, […] du mal au Front national ».
Une autre figure du Front national joua un rôle central dans la poursuite de la stratégie de « dédiabolisation » menée par la direction mariniste : Florian Philippot. Membre du parti depuis octobre 2011, la rhétorique portée (et prônée) par l’ex-énarque se singularisait par l’expression d’une ligne moins droitière sur les enjeux culturels. Si Florian Philippot fut l’un des artisans de cette entreprise de déradicalisation programmatique sur les thématiques morales et identitaires, l’on constate à l’inverse (sous son impulsion) un certain raidissement de l’approche frontiste des enjeux européens. Dans cette perspective générale, l’accession de Marine Le Pen à la tête du Front national et l’affirmation interne du courant philippotiste consacrèrent un surcroît de radicalité sur les enjeux européens, Florian Philippot n’hésitant pas à soutenir explicitement « une fin concertée de l’euro » dès 2012. La nouvelle présidente du Front national ira même jusqu’à affirmer en 2011 « c’est ou l’euro ou la politique sociale ». Or, si l’« adoucissement » relatif du discours frontiste sur les thématiques identitaires a pu contribuer à rassurer une partie de l’électorat issu de la droite modérée, l’accentuation de sa ligne anti-euro sous Florian Philippot a certainement alimenté l’image d’amateurisme économique du Front national auprès de cette fraction de l’opinion publique.
Pour autant, le Rassemblement national fait-il face à un plafond de verre nécessairement imbrisable ? La récente adoption par Matteo Salvini d’une approche plus modérée sur l’euro et l’Union européenne pourrait inspirer ses homologues transalpins. En effet, suite à son entrevue avec Mario Draghi le 6 février dernier (en vue de la constitution d’une coalition gouvernementale incluant la Ligue), le leader populiste déclara : « Nous avons les mains, les pieds, le cœur et le cerveau en Europe, mais naturellement je veux une Europe qui défende les entreprises et l’agriculture italiennes ». Soutenant que l’ex-président de la BCE peut permettre à l’Italie de « rester en Europe la tête haute », Matteo Salvini alla même jusqu’à se présenter comme un gestionnaire en revendiquant une approche désidéologisée et consensuelle : « Je laisse aux autres les étiquettes : fasciste, communiste, européiste. Moi je suis quelqu’un de pragmatique et concret. Si, avec le professeur Draghi, on peut parler de baisse des taxes pour les personnes et les entreprises, j’en suis ». Une évolution spectaculaire pour le dirigeant de la Ligue qui, il y a encore un an, flétrissait la gestion de la crise sanitaire par l’UE en qualifiant cette dernière de « nid de serpents et de chacals ». Rappelons qu’en 2014, Matteo Salvini lança un « Basta euro (L’euro, ça suffit) tour » à l’occasion de la campagne pour les élections européennes et municipales. De même, après la victoire du Brexit, le leader nationaliste s’était prononcé pour un référendum sur l’appartenance de l’Italie à l’eurozone. Cette hostilité à l’euro rejaillit en 2019, suite à l’annonce par le gouvernement de coalition Ligue/M5S de l’émission de « minibots » en vue de constituer une monnaie parallèle à l’euro.
Une distanciation aussi radicale d’avec son ancien logiciel souverainiste s’explique par la stratégie d’union des droites poursuivie par le chef de la Ligue : face à un Silvio Berlusconi vieillissant et discrédité, Matteo Salvini entend certainement se présenter comme le « nouveau visage » de la droite. L’atténuation de son discours eurosceptique peut donc être interprétée comme une entreprise de séduction vis-à-vis des électeurs traditionnels de Forza Italia. D’ailleurs, le Rassemblement national semble vouloir désormais s’orienter vers une ligne de ce type, notamment depuis le départ de Florian Philippot : par exemple, durant la campagne pour les européennes de 2019, Jordan Bardella (tête de liste Rassemblement national) déclara qu’« il n’est plus question de sortir de l’euro ». Si le Rassemblement national persiste dans l’atténuation de son discours sur les questions européennes tout en ne reradicalisant pas sa rhétorique sur le plan identitaire, le parti lepéniste pourrait donc connaître une nouvelle progression dans les urnes.
Une stratégie qui porte ses fruits au sein de l’opinion publique
Comme nous l’avons constaté précédemment, le FN/RN a largement tenté de se dédiaboliser, en particulier depuis l’arrivée de Marine Le Pen à sa tête. Pour autant, est-ce que cette stratégie s’est avérée payante ? Est-ce que le stigmate « Rassemblement national » a disparu au sein de la société française ?
Pour répondre à cette question nous nous concentrons tout d’abord sur l’opinion des Français concernant Marine Le Pen.
Graphique 5. Évolution de l’opinion des Français concernant Marine Le Pen
Comme nous pouvons le constater sur le graphique 5, une tendance inquiétante s’opère depuis 2018. En effet, le pourcentage de Français ayant une mauvaise opinion de Marine Le Pen a assez largement baissé, quand dans le même temps beaucoup plus de nos compatriotes déclarent avoir une bonne opinion de la candidate d’extrême droite. Mais l’aspect le plus inquiétant de ce phénomène s’observe au niveau des personnes déclarant avoir une « très mauvaise opinion » de Marine Le Pen, celles finalement qui continuent d’appliquer un stigmate à sa personne. En mars 2019, 50% des Français déclaraient avoir une très mauvaise opinion de Marine Le Pen. Ils ne sont plus que 34% aujourd’hui, soit le plus faible niveau atteint par la candidate. À titre de comparaison, en avril 2016, soit un an avant la présidentielle de 2017, les Français étaient 11 points de plus qu’aujourd’hui à avoir une très mauvaise opinion de Marine Le Pen, preuve que la dédiabolisation de son image est bien quelque chose de réel.
Mais l’image associée à la candidate du Rassemblement d’extrême droite n’est pas le seul aspect de la problématique. Pour étudier la question de manière plus globale, nous créons un « indice de diabolisation » du FN/RN depuis 2015 grâce aux données de l’institut Ipsos. Celui-ci permet de mesurer dans le temps long le rejet de l’opinion publique envers le Front national/Rassemblement national, ses leaders et ses idées. L’indice est constitué à partir de six composantes qui permettent ainsi d’agréger différentes dimensions de perception du RN dans l’opinion : la proximité (le fait que le RN apparaisse proche de ses préoccupations), la gouvernabilité (être capable de gouverner le pays), la radicalité (être considéré d’extrême droite), le danger (être considéré comme dangereux pour la démocratie), le stigmate raciste (être considéré un parti xénophobe) et la figure repoussoir du leader (la popularité de Marine Le Pen).
La lecture de l’indice est simple : plus l’indice est fort, plus le FN/RN et ses représentants sont rejetés dans l’électorat. Plus l’indice est faible, plus le parti, son leader et son message sont acceptés dans la population.
Graphique 6. Indice de « diabolisation » du FN/RN et différentes composantes de l’indice
La « dédiabolisation » du FN/RN depuis 2016 au sein de l’opinion publique est un fait incontestable : notre indice de diabolisation a baissé de 9 points en l’espace de cinq ans. Il faut sans doute attribuer cette dédiabolisation à toute la stratégie de normalisation initiée par Marine Le Pen, laquelle a eu des conséquences manifestes dans l’électorat, comme en témoigne d’ailleurs l’élargissement considérable de sa base électorale depuis le FN moribond de la fin des années 2000. Si Le Rassemblement national demeure largement rejeté au sein de l’électorat, il faut néanmoins bel et bien considérer que jamais ce parti n’a été aussi dédiabolisé et la situation à ce niveau à un an de la présidentielle de 2022 n’a rien à voir avec ce qu’elle était en 2016, à un an de la précédente échéance présidentielle.
Seconde conclusion partielle : si le Rassemblement national pâtit aujourd’hui encore d’une image très négative, la dynamique n’incite pourtant pas à l’optimisme, tant la stratégie de dédiabolisation suivie par Marine Le Pen semble porter ses fruits. D’une part, l’indice de dédiabolisation a fortement baissé depuis le milieu des années 2010. D’autre part, l’image de Marine Le Pen auprès des Français s’est fortement lissée et le stigmate qui collait à la peau de la candidate du RN il y a encore quelques années n’est plus aussi présent aujourd’hui.
Le rejet d’Emmanuel Macron : la vraie force de Marine Le Pen ?
Et si la principale force de Marine Le Pen résidait avant tout dans la faiblesse de son opposant de second tour ? Comme nous l’avons souligné précédemment, malgré les efforts de la présidente du Rassemblement national pour se « dédiaboliser », il existe toujours un stigmate profond associé à ce parti, laissant penser qu’un report de voix massif vers Marine Le Pen au second tour est, à l’heure actuelle, assez improbable. Néanmoins, voir Marine Le Pen échouer au second tour nécessiterait en retour que son adversaire puisse rassembler en dehors de sa base électorale du premier tour.
C’est là où réside tout le paradoxe : si Emmanuel Macron est à l’heure actuelle en bonne position pour accéder au second tour, ne suscite-il pas un rejet trop important au sein de la population pour l’emporter face à Marine Le Pen ?
Le 4 mai 2017, dans une tribune au Monde, François Ruffin, futur député apparenté à La France insoumise, écrivait en ces termes au président Macron « Vous êtes haï par “les sans-droits, les oubliés, les sans-grade” que vous citez dans votre discours, singeant un peu Jean-Luc Mélenchon. Vous êtes haï, tant ils ressentent en vous, et à raison, l’élite arrogante. Vous êtes haï, vous êtes haï, vous êtes haï. Je vous le martèle parce que, avec votre cour, avec votre campagne, avec la bourgeoisie qui vous entoure, vous êtes frappé de surdité sociale. » Quelques mois plus tard, la crise des « gilets jaunes » marqua à son tour un fort rejet du président Macron au sein d’une partie substantielle de la population française.
Pour étudier plus en détail cette question, nous nous intéressons aux types d’émotions associées à Emmanuel Macron et à Marine Le Pen au sein de différentes franges de l’électorat. Longtemps délaissées dans l’étude des phénomènes politiques, les émotions jouent pourtant un rôle considérable dans les comportements électoraux (comme en témoignent les travaux du Cevipof depuis quelques années). Plusieurs études menées sur les mobilisations collectives sont ainsi venues montrer à quel point les émotions étaient de puissants catalyseurs d’actions politiques collectives. L’évaluation d’un représentant politique est ainsi en premier lieu une évaluation affective, au sens premier du terme, et étudier les réactions émotionnelles associées à un responsable politique est donc de premier intérêt.
Or, lorsque l’on demande à la population française ce qu’elle ressent en voyant ou en entendant Emmanuel Macron, les quatre émotions qui ressortent le plus sont toutes profondément négatives. C’est avant tout avec un sentiment de « colère » (28%), de « désespoir » (21%), de « dégoût » (21%) et de « honte » (21%) que les Français considèrent le plus Emmanuel Macron. Si le président en exercice bénéficie d’une cote de popularité assez importante à ce moment du quinquennat, surtout au regard de ces deux derniers prédecesseurs, il ne faut pas perdre de vue qu’il est également particulièrement détesté par une partie substantielle de l’électorat.
Graphique 7. Principales émotions ressenties par les Français à la vue ou à l’écoute d’Emmanuel Macron
Mais ce rejet que les Français expriment envers Emmanuel Macron est-il plus ou moins important que celui manifesté envers Marine Le Pen, figure constituant habituellement un repoussoir ultime ? Pour répondre à cette question, nous construisons un indice de réactions émotionnelles face aux deux responsables politiques, en comptabilisant les pourcentages d’émotions positives et d’émotions négatives associées à Marine Le Pen et à Emmanuel Macron au sein des différentes franges de l’électorat.
Graphique 8. Émotions positives et négatives associées à Emmanuel Macron et à Marine Le Pen
Comme nous le voyons sur le graphique 8, en dehors de leur base partisane, les jugements associés à Emmanuel Macron et à Marine Le Pen sont très majoritairement négatifs. Il est, par ailleurs, frappant de constater que si les émotions négatives sont davantage associées à Marine Le Pen qu’à Emmanuel Macron au sein de l’électorat de gauche, c’est une situation inverse à laquelle on assiste au sein de l’électorat de droite. Les sympathisants des Républicains expriment plus d’émotions négatives envers Emmanuel Macron que vis-à-vis de Marine Le Pen. À coup sûr, ce rejet d’Emmanuel Macron, constaté au sein d’une large part de la population, handicaperait le président sortant en vue d’un second tour. En effet, cela ne manquera pas d’être exploité par ses adversaires du premier tour, qui, s’ils ne possèdent pas la même assise électorale, ne sont également pas aussi détestés par le reste de la société.
Troisième conclusion partielle : c’est donc principalement là que le « risque Le Pen » se situe : si la candidate du Rassemblement national atteint un niveau de détestation particulièrement élevé au sein de la population française, c’est une situation similaire à laquelle est confronté l’actuel président de la République. Dans la perspective d’un match retour opposant à nouveau ces deux candidats au second tour de la présidentielle, il existe ainsi un risque non négligeable qu’une part importante des électeurs de candidats battus au premier tour s’abstiennent, tant leur détestation de la candidate Rassemblement national n’a d’égal que leur rejet de l’actuel président.
Conclusion générale
Au début de cette note, nous écrivions que Marine Le Pen avait une chance non négligeable de devenir présidente de la République en 2022 à condition qu’au moins une des trois conditions suivantes se réalise : qu’elle soit suffisamment « dédiabolisée » au sein de l’opinion publique, qu’une plus grande porosité avec les électeurs Les Républicains se manifeste, qu’Emmanuel Macron apparaisse comme un repoussoir au moins équivalent.
Or sur chacun de ces trois éléments, des motifs d’inquiétude se donnent à voir. D’une part, la stratégie de dédiabolisation suivie par Marine Le Pen est en train de porter ses fruits : l’opinion des Français concernant la candidate RN s’est largement améliorée depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron. D’autre part, le programme du Rassemblement national s’est rapproché de celui des Républicains. Si, à l’heure actuelle, les électorats demeurent toujours assez distincts, le rapprochement qui s’est opéré sur les enjeux culturels laisse entrevoir des possibilités de transferts de voix au second tour. Enfin, Emmanuel Macron, qui bénéficie malgré tout d’une base solide pour le premier tour, suscite un rejet important dans le reste de la population, laissant craindre une abstention importante en cas de duel face à Marine Le Pen.
En 2002, l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle fut considérée comme un véritable cataclysme. En 2017, Marine Le Pen récolta un tiers des suffrages exprimés au second tour, malgré une campagne d’entre-deux-tours calamiteuse. À un peu plus d’un an de la prochaine présidentielle, nous en sommes à considérer la victoire finale de Marine Le Pen comme une possibilité non négligeable.
Enrayer cette dynamique est indispensable, et pour cela une réflexion doit s’amorcer autour des trois axes suivants.
Ne pas arrêter le combat politique contre les idées d’extrême droite
Comme nous l’expliquions précédemment, l’opposition morale contre les partis d’extrême droite peut-être un bon moyen de freiner leur éclosion. Néanmoins, cette stratégie se révèle assez inefficace à partir du moment où ces formations politiques sont déjà fortement implantées. Dans ces conditions, la simple opposition morale, la simple stigmatisation de ce parti se révèle être assez inefficace. C’est donc le terrain politique, le terrain des idées qu’il est nécessaire de réinvestir, afin de freiner durablement le développement de ce parti. Cependant, les partis dits « républicains » doivent toujours maintenir une forme de « cordon sanitaire », d’autant que ce rejet/cette réticence vis-à-vis de l’extrême droite est largement partagé/e dans l’opinion publique.
Parler à cette partie de la France qui se sent délaissée et qui vote Rassemblement national
Au fil des années, le vote pour le Rassemblement national est clairement devenu le vote des classes populaires, en particulier de celles habitant dans la France rurale. Au premier tour de l’élection présidentielle de 2017, Marine Le Pen dépassait ainsi les 30% de suffrages exprimés chez les ouvriers, les employés et les chômeurs. Dans le dernier sondage Ifop pour l’hebdomadaire Marianne, des résultats similaires pouvaient être constatés. Ainsi, Marine Le Pen obtiendrait au premier tour 47% des suffrages exprimés au sein des catégories populaires, 43% chez les chômeurs, 37% chez les électeurs ayant un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat… Renouer avec ces catégories populaires autrefois acquises à la gauche constitue bel et bien un impératif.
Réformer le système électoral
Il est tout à fait singulier de constater que les deux candidats que toutes les enquêtes d’opinion donnent à l’heure actuelle comme favoris de la prochaine présidentielle sont ceux qui suscitent le plus de rejet hors de leur socle électoral. C’est là toute la problématique du scrutin uninominal majoritaire à deux tours, en particulier en cas d’éclatement des familles politiques comme c’est le cas en France depuis 2017. Des candidats tels qu’Emmanuel Macron ou Marine Le Pen, possédant une base électorale solide mais incapables de susciter un vote d’adhésion au second tour, peuvent néanmoins se retrouver en position de l’emporter. Une majorité de la population française se trouve dans l’obligation de faire un choix par défaut au second tour de l’élection et de voter pour le candidat qu’elle préfère, ou plutôt, qu’elle déteste le moins. L’appétence pour le modèle de société souhaité par le Rassemblement national est, en effet, assez faible en dehors de la base électorale de premier tour de Marine Le Pen (graphique 9). De même, outre la société prônée par le Rassemblement national est la plus repoussoir au sein de l’électorat français, après celle prônée par la France insoumise.
Graphique 9. Volonté de vivre dans le type de société prônée par le RN, en fonction du vote à la présidentielle de 2017 et comparaison avec les autres partis
La logique du vote par rejet pourrait ainsi se retourner contre les partis traditionnels : le vote de second tour pour Marine Le Pen ne marquerait alors pas une adhésion à son programme, mais un simple rejet du candidat qui lui fait face.
En 2002, l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle avait constitué une surprise générale. Prendre en compte dès à présent le risque Marine Le Pen – risque limité mais bien réel – est indispensable, afin que le vingtième anniversaire du 21 avril 2002 ne soit pas marqué par l’arrivée surprise de la candidate d’extrême droite à la tête de la France.