Le quatrième tour des municipales : retour sur le vote des exécutifs communautaires

L’ultime tour des élections municipales a donc eu lieu avec la désignation des exécutifs communautaires. Désormais, ces fameuses agglomérations, métropoles, communautés urbaines, communautés d’agglomération et communautés de communes aux pouvoirs conséquents sont en place et prêtes à prendre leur part aux plans de relance souhaités par les autorités gouvernementales et présidentielles. L’Observatoire de la vie politique de la Fondation y revient par la voix d’Émeric Bréhier et Sébastien Roy. 

Si ces instances ont pris toutes ces dernières années une place de plus en plus importante, c’est, au fil des textes de lois, en raison notamment de leurs compétences élargies dans de nombreux secteurs touchant au plus près la vie de nos concitoyens : développement économique, nouvelles technologies, aménagement urbain, politiques de l’habitat et du logement, mobilités, équipements sportifs, pratiques culturelles… Excusez du peu !

Pourtant, ces lieux de pouvoirs sont encore méconnus. Bien évidemment, ceci n’est guère surprenant compte tenu de l’ancrage dans notre histoire républicaine des élections communales. Après tout, ces structures, prescriptrices de politiques publiques, ont à peine une trentaine d’années d’existence. Lieux de pouvoirs assurément. Pour s’en convaincre, il suffit d’ailleurs de suivre avec attention les batailles politiques qui s’y sont déroulées ces dernières années, et plus encore ces derniers mois. Nul élu ne s’y trompe plus. À cet égard, l’attitude des nouveaux maires Europe Écologie-Les Verts (EELV), ou même ancien comme Éric Piolle à Grenoble, fut éclairante. Lieux de pouvoirs donc mais, en dépit des progrès réalisés lors de la dernière mandature législative, loin d’être des lieux de démocratie. Cet état de fait est, bien entendu, en partie le fruit du mode de scrutin qui ne favorise guère encore l’appropriation par nos concitoyens de cet espace de mises en place de politiques publiques. Mais les organisations politiques doivent également y prendre leur part de responsabilité tant globalement cet échelon intercommunal est par trop souvent absent, totalement ou presque, des controverses, programmes et enjeux municipaux.

Pourtant, des désignations de ces derniers jours, plusieurs constats peuvent être établis.

Au-delà des sensations : stabilité et co-gestion restent les règles

D’abord, la grande stabilité des présidences. Dans notre échantillon, composé à la fois des vingt métropoles, auxquels s’ajoutent celles de Paris et de Lyon, mais aussi des communautés urbaines et des communautés d’agglomération, force est de constater que c’est bien la stabilité qui l’emporte. Bien évidemment, des bougés, 55 pour être précis, qui ne sont pas que symboliques suite aux dernières élections municipales, doivent être relevés. Comme nous l’avons vu, si le renouvellement a été très faible dans les communes de plus de 10 000 habitants le 15 mars dernier (89,97% des maires élus au soir du premier tour étaient des maires sortants), il fut très conséquent le 28 juin 2020 puisque 50% des listes ayant obtenu la majorité des suffrages exprimés étaient conduites par des têtes de listes appelées à devenir un nouveau maire. Il est donc logique que, dans certains territoires, les choses évoluent également au niveau intercommunal. C’est ainsi le cas dans les communautés d’agglomération en faveur du Parti socialiste et de ses alliés à Bourges avec Irène Félix, Saint-Brieuc avec Ronan Kerdraon, Morlaix avec Jean-Paul Vermot, Quimper avec Isabelle Assih, Val de Garonne Agglomération avec Jacques Bilirit, Laval avec Florian Bercault, Concarneau avec Olivier Bellec, Chambéry avec Thierry Repentin, ou en faveur de la droite avec Serge Grosdidier à Metz, Patrick de Carolis à Arles Crau Camargue, Fabrice Loher à Lorient, Jean-Claude Hehn à Forbach-Porte de France, Xavier Bonnefont au Grand Angoulême, François Arsac à Privas Centre Ardèche. Dans les communautés urbaines, la droite s’empare de Limoges Métropole, EELV de Besançon et Arras passe aux mains de Frédéric Leturque du centre lorsque Joaquim Pueyo récupère l’agglomération d’Alençon. Dans les métropoles, la droite perd, logiquement compte tenu des résultats des municipales, Tours, Orléans, Bordeaux, Nancy, lorsque le Parti socialiste perd au profit d’une candidate sans étiquette mais soutenue par EELV la métropole de Strasbourg.

Ensuite, doit être relevée la capacité des nouveaux élus EELV, ou proches, à bâtir des pactes métropolitains leur permettant de mettre en place les politiques publiques qui ont conduit à leurs succès électoraux. Tel est donc le cas à Strasbourg où, si la nouvelle présidente Pia Imbs est sans étiquette, elle n’en demeure pas moins soutenue par la nouvelle maire de Strasbourg qui devient sa première vice-présidente. Tel est également le cas à Poitiers où la candidate ayant défait le socialiste Alain Claeys est parvenue à un accord global avec les autres communes du Grand Poitiers en laissant la présidence à Florence Jardin (DVG). Dans d’autres, l’accord originel qui avait permis la mise en place d’une liste d’union avec les autres forces de gauche dès le premier tour s’est conclu par l’accession à la présidence intercommunale de partenaires socialistes, comme à Bordeaux. Même si, ici, le pacte entre le nouveau maire de Bordeaux et Alain Anziani, maire de Mérignac, constitue une véritable rupture avec la tradition d’un pacte de co-gestion entre gauche et droite de la métropole bordelaise. Ce type de pacte majoritaire, en lieu et place d’un système de co-gestion, est d’autant plus à relever qu’il est non pas seulement en rupture avec l’histoire politique bordelaise mais parce qu’il porte en lui-même une césure avec les habitudes politiques dans le domaine intercommunal. À certains égards, le cas bordelais, aussi efficace que le cas lyonnais sans le dispositif légal bien spécifique pour la capitale des Gaules, pourrait appeler à servir de modèle pour les années à venir. Le Printemps marseillais n’est pas parvenu à remporter la métropole, mais, compte tenu des résultats des municipales des 15 mars et 28 juin derniers, personne ne s’attendait à ce que la dynamique marseillaise parvienne à faire tomber la métropole. C’est ainsi pour la candidate défaite de la droite marseillaise qui a été confirmée à la tête de cette structure aussi importante en matière d’urbanisme et de logement, deux sujets cruciaux pour la nouvelle majorité marseillaise. Échec similaire pour la majorité grenobloise d’Éric Piolle. À l’issue d’une journée longue en discussions, suspensions de séances et tours de scrutin, Christophe Ferrari (Parti socialiste), devancé d’une voix par le candidat du maire de Grenoble au premier tour, est parvenu, en s’alliant avec les représentants de LREM et de la droite locale, à conserver sa présidence. Ici se sont mêlés assurément plusieurs années de batailles entre les responsables socialistes locaux et le maire de Grenoble (il prit la ville aux socialistes en 2014 à la tête d’une alliance EELV-FG) et le traditionnel affrontement entre ville-centre et périphérie. La situation grenobloise méritera d’être suivie tant elle peut constituer un caillou dans la chaussure de la recherche d’une unité programmatique et politique des différentes forces de gauche comme souhaitée à maintes reprises par le premier secrétaire du Parti socialiste.

Le royaume des vieux barons

Troisième élément méritant d’être relevé : la très faible féminisation des présidences d’agglomération. C’était déjà le cas bien évidemment en 2014, mais le cru 2020 n’a pas permis de véritablement renverser les choses. Ainsi, seules quatre femmes (sur vingt-deux), contre une seule à l’issue des élections de 2014, président aux destinées d’une métropole : Johanna Rolland à Nantes, Nathalie Appéré à Rennes (elle en a pris la présidence profitant de la fin de la carrière politique de son prédécesseur), Martine Vassal donc à Marseille et Pia Imbs à Strasbourg. Quant aux communautés urbaines, seules trois femmes (sur treize), contre une seule lors de la précédente mandature, ont été élues présidentes : Anne Vignot à Besançon, Florence Jardin au Grand Poitiers et Catherine Vautrin au Grand Reims (poste qu’elle occupait déjà précédemment). Un constat similaire ne peut qu’être dressé en ce qui concerne les communautés d’agglomération, mais de manière encore plus forte. Ainsi sommes-nous passés, en France métropolitaine, de douze à treize femmes présidentes : les agglomérations de Dax, Albigeois, Clisson-Sèvres et Privas Centre Ardèche sont désormais présidées par des hommes ; celles de Bourges, Vitré, Quimper, Saint-Quentin et Terre de Provence par des présidentes. Et encore nous ne nous sommes pas intéressés à la composition des exécutifs. Ceux-ci comprenant souvent en leur sein des maires, et compte tenu de la faible féminisation des fonctions de premier magistrat, il n’y a là nulle surprise à retrouver des vice-présidents bien plus nombreux que les vice-présidentes. Ce constat étant d’ailleurs partagé sur l’ensemble des territoires de l’Hexagone et au sein de l’ensemble des forces politiques.

Quatrième élément : le quasi-monopole au sein des structures intercommunales des formations politiques fortement bousculées à l’occasion de la dernière élection présidentielle. Évidemment, compte tenu des résultats des dernières municipales, il ne pouvait en être autrement. LREM, LFI et le RN disparaissent quasiment du paysage, laissant la place aux seuls Républicains et Parti socialiste. Seul EELV, dans la suite logique de leur succès dans les villes-centres des métropoles, pointent le bout de leur nez. À relever également l’échec là aussi du Rassemblement national. Même si à la différence – cette fois-ci ? – de Louis Aliot qui a échoué dans sa conquête de la communauté urbaine de Perpignan, Robert Ménard est parvenu – et très largement – à conquérir la communauté d’agglomération de Béziers.

Tout le monde dit qu’il a gagné ? Tout le monde bluffe !

Intéressons-nous au nouveau rapport de force politique né de ces élections des exécutifs dans les métropoles et les communautés urbaines ou d’agglomération. Comme cela a été dit, sur les 241 entités examinées dans cette analyse, 55 ont vu la présidence changer de main, soit 22,82%. Dans le détail, 43 communautés d’agglomération, soit 17,84%, 4 communautés urbaines, soit 30,76%, et 8 métropoles, ce qui représente 36,37%. On remarquera que les plus gros mouvements ont donc concerné les zones les plus urbanisées : plus les villes sont grandes plus l’instabilité a été forte.

Note : il y a 207 communautés d’agglomération en France métropolitaine, cependant, au moment où cette note est rédigée, l’élection de la présidente ou du président n’a pas eu lieu dans la communauté d’agglomération Durance Lubéron Verdon, en effet, l’élection a lieu le 21 juillet.

Une fois ce constat général fait, regardons de près les rapports de force entre les différentes forces politiques.

Passons rapidement sur les cas de Génération.s et de LFI. Génération.s n’ayant conservé que Trappes comme mairie était hors course lors de ses scrutins d’agglomérations. LFI, nous l’avions pointé lors des notes précédentes, ayant fait l’impasse sur les municipales, n’existe pas à cette échelle politico-administrative.

LR, comme aux municipales, s’effrite mais limite la casse

En 2014, LR détenait la présidence de 82 communautés d’agglomération, 4 communautés urbaines et 8 métropoles, soit 94 entités en 2020, avec une perte de sèche de 5 entités. LR a vu 89 présidences revenir à un de ses membres. Dans les détails, Les Républicains perdent 5 agglomérations passant de 82 à 77 présidences, gagnent une communauté urbaine et passe de 4 à 5 ; pour les métropoles, les choses sont plus complexes, ils perdent Bordeaux, Tours, mais ravissent Metz à l’UDI, ce qui à pour effet de faire passer pour les métropoles leur nombre de présidence de 8 à 7. Au final, LR en 2014 contrôlait 36,36% des entités observées et n’en contrôle plus que 31,82%. Il en va donc pour LR des présidences comme des mairies. Les Républicains restent le plus gros parti mais enregistre un effritement notable.   

Un Parti socialiste en voie de métropolisation ? Est-ce que résister, c’est gagner ?

Le Parti socialiste progresse indubitablement dans les métropoles, passant de 8 à 11 présidences. Il achève le cycle de 2020 en contrôlant 50% des métropoles à lui seul. Pour autant, il perd deux présidences de communauté urbaine, Poitiers et Arras, et 7 présidences d’agglomération, comme à Lorient au profit de la droite et à Dax au profit de LREM ou de Longwy au profit du PC. Certes, là encore, quelques divers gauche sont en fait des socialistes mais il n’en reste pas moins qu’au global le Parti socialiste résiste bien sauf dans les métropoles où il progresse nettement.

Des Verts définitivement très urbains et qui ne transforment pas tous leur succès

Pour EELV, ce quatrième tour ne fait que mettre en lumière leur fragile succès des municipales, alors qu’ils sont isolés au cœur des très grandes villes. Ils n’arrivent à prendre que 3 présidences – 2 métropoles, Strasbourg et Lyon, et une communauté urbaine, celle de Besançon. Partout ailleurs, ils ne transforment pas l’essai des municipales, ni à Poitiers ni à Grenoble, ni à Tours, où le Parti socialiste mieux implanté conserve le siège. EELV finit donc ce cycle électoral en passant de 0% à 1,24% des présidences de métropoles ou d’agglomérations, ce qui n’est pas ce que nous ne pouvons considérer comme une entrée fracassante.

Le PC après des municipales en demi-teinte redresse un peu la tête

Le PC qui sortait du seul scrutin municipal un peu affaibli résiste et même progresse. En Île-de-France, il perd Saint-Denis au profit du Parti socialiste mais récupère sur le même Parti socialiste la présidence de Est ensemble, un jeu à somme nulle. Sur le reste du territoire, il passe de 2 à 3 présidences en prenant la présidence à Longwy.

MoDem : Bayrou, le Highlander béarnais

Pour le MoDem, les choses sont assez simples : il détenait 3 présidences d’agglomérations, il n’en conserve qu’une, celle de Pau Béarn Pyrénées, cédant celle de Saint-Brieuc au Parti socialiste et celle de Chaumont à Stéphane Martelli, divers droite.

Agir et LREM existent si peu que pas

Agir partait et reste à 2 présidences en conservant l’agglomération de Vesoul et la communauté urbaine d’Angers.

Pour LREM, les choses sont plus cruelles à la suite de différents départs du Parti socialiste principalement. LREM revendiquait 7 présidences. Elle n’en conserve que 3 et uniquement des agglomérations car elle perd la métropole de Lyon et la communauté urbaine de Besançon. On notera qu’elle arrive à conserver le Grand Annecy en ayant perdu la ville-centre prise par Les Verts.

Au passage, on notera que ce qui forme l’arc de la majorité présidentielle ne pèse au final que 2,49% des présidences des métropoles ou des agglomérations, alors qu’il pouvait en revendiquer 4,96% avant le début du cycle électoral de 2020. 

Le RN : une nouvelle fissure dans le plafond de verre

Après la conquête d’une ville de plus de 10 000 habitants avec l’élection de Louis Aliot à Perpignan, la prise de la présidence de l’agglomération biterroise par Robert Menard est aussi un signe de fissuration du plafond de verre.

Divers droite et divers gauche progressent

Comme aux municipales, aussi bien les divers droite que les divers gauche progressent passant respectivement en 2014 et 2020 de 9,50% à 13,28% et de 4,96% à 6,64%.

Percée des sans étiquettes

Cela est plus significatif encore pour les sans étiquettes qui entre 2014 et 2020 seront passés de 4,96% à 7,05%. Est-ce que la cogestion contribue à attribuer la présidence au plus petit dénominateur commun et expliquerait cette progression ?

Conclusion

Au final, cet ultime tour électoral de ce début du mois de juillet 2020 confirme les éléments saillants des dernières municipales : une relative stabilité des exécutifs, leur (très) faible féminisation, la prégnance des « grands brûlés » de la dernière présentielle, l’échec du Rassemblement national à s’inscrire dans le paysage local. Mais, au-delà, ces élections des exécutifs intercommunaux ont également permis aux nouveaux maires EELV d’asseoir leurs victoires dans les villes-centres, à l’exception notable d’Éric Piolle à Grenoble. Il a également montré la prégnance de la vision d’une intercommunalité comme syndicats des intérêts communaux plutôt que comme puissance publique disposant de sa propre légitimité électorale. Si les dernières modifications des dispositions électorales ont permis l’identification sur le bulletin de vote des élus municipaux appelés à siéger dans l’enceinte intercommunale, elles se sont avérées insuffisantes pour favoriser l’émergence de l’agglomération dans le champ électoral au-devant de nos concitoyens. Seule la métropole lyonnaise fait ici exception. Le coup de boutoir asséné par le nouveau maire de Bordeaux, avec succès, a toutefois montré qu’une autre vision de l’agglomération pouvait commencer à prendre corps. Compte tenu, en effet, des compétences essentielles que celles-ci se sont vues attribuer par le législateur, le temps est sans doute venu de mettre à nouveau sur l’établi une modification profonde des règles électorales permettant tout à la fois aux électrices et électeurs de désigner leurs mandants municipaux mais aussi de participer pleinement, et de bon droit, à l’élection des responsables intercommunaux. Après tout, la base de la démocratie libérale n’est-elle pas de lier la capacité de lever l’impôt, de mettre en place des politiques publiques porteuses de transformations de la vie quotidienne de la population, avec le droit de vote ?

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