Comment le Parti socialiste s’est-il emparé de la question écologique, devenue un enjeu politique de premier ordre ? Relatant les conditions de son émergence et ses moments de recul, Timothée Duverger retrace l’histoire de la réception de l’écologie dans le discours du Parti socialiste.
Synthèse
La crise écologique globale actuelle fait de l’écologie un enjeu politique de premier ordre et une thématique incontournable pour tout candidat à l’élection présidentielle. Timothée Duverger revient ici sur l’histoire du traitement de la question écologique par le Parti socialiste et l’intégration progressive, mais non linéaire, de l’enjeu environnemental dans son discours.
Le Parti socialiste n’est pas un parti figé. Le fonds productiviste, justifié par sa critique sociale, qui constitue sa matrice semble aujourd’hui en cours de transformation. Quatre motivations apparaissent à ce changement. D’abord, la loi du champ politique : les résultats électoraux des écologistes venus mordre sur l’électorat socialiste tout en élargissant potentiellement sa base ont aiguillonné le Parti socialiste. Ainsi, par à-coups, la récupération de la question écologique s’est accentuée, notamment lors des élections, comme en 1980-1981, lorsque François Mitterrand adopte le verbe écologiste et multiplie les propositions à destination de l’électorat vert.
Malgré un léger vacillement lors du débat sur le zégisme (mouvement favorable à la croissance zéro, « zero economic growth »), la conversion du Parti socialiste à l’écologie n’est pas immédiatement au rendez-vous. Il faut attendre l’émergence d’un nouveau paradigme suffisamment proche pour favoriser le glissement. Le « développement durable » joue ce rôle en 1989-1992. Ce modèle, sans remettre en question la croissance économique, implique la promotion conjointe de l’équité sociale et du respect des systèmes naturels. Après le premier mandat mitterrandien, le Parti socialiste entame sa mutation à l’aide de ce concept de développement durable, qui intègre les textes officiels du Parti socialiste dès 1991. Peu à peu, un renversement s’opère et la croissance devient même la condition de la protection de l’environnement considérée uniquement comme un coût.
Les crises sont également des catalyseurs : Tchernobyl influe sur l’imaginaire collectif et oblige à s’interroger, même si les réponses apportées ne changent guère. La crise systémique, dès 2007, exige, elle, de penser une nouvelle voie. C’est tout le sens de la convention nationale « Pour un nouveau modèle de développement » qui, tout en se conformant à la ligne du développement durable, glisse vers la notion de développement humain. L’accident de Fukushima, en 2011, conduit à revoir la position socialiste sur le nucléaire et à promettre l’organisation d’un grand débat national sur l’énergie.
Enfin, dernier aiguillon : le jeu des courants. Le courant fabiusien a, depuis 1989, un rôle déterminant dans l’évolution du discours écologique du Parti socialiste. Depuis 1990, il a occupé le secrétariat national à l’Environnement pendant quatorze ans (de 1990 à 1993, de 1997 à 2005, de 2008 à 2011) et a fourni un important effort de théorisation du développement durable à travers des concepts comme l’écodéveloppement en 1990 ou la social-écologie en 2003. C’est d’ailleurs un proche de Laurent Fabius, Géraud Guibert – qui est aussi le plus long titulaire du secrétariat national à l’Environnement (1997-2005) –, qui est, avec d’autres, à l’origine de la création du Pôle écologique, courant venu renforcer l’action d’Utopia pour penser l’alternative et donner des outils conceptuels au Parti socialiste.
Il apparaît que le Parti socialiste répond partiellement aux cinq paradigmes de l’écologie politique identifiés par Pierre Alphandéry, Pierre Bitoun et Yves Dupont dans L’Equivoque écologique : le paradigme du développement durable est une culture globale ; le renouveau microsocial est marqué par l’attention croissante portée à l’économie sociale et solidaire et aux PME, tandis que la revitalisation de la démocratie représentative a été engagée dès 1982 par la décentralisation ; avec le principe de précaution, la démesure prométhéenne du progrès est abandonnée, celui-ci n’est plus considéré aveuglément ; enfin, la notion de croissance sélective vient modérer le culte du développement illimité des forces productives. L’idée socialiste continue donc de faire son chemin, articulant toujours davantage la critique écologique à sa critique sociale originelle.