Au-delà de la polémique liée à l’élection du premier secrétaire du Parti socialiste, quelles valeurs rassemblent ses sympathisants ? Afin d’objectiver le positionnement de l’électorat potentiel du Parti socialiste, Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation, se livre à une analyse fine de ce qui est consensuel, et de ce qui l’est moins, au sein de cette famille politique.
L’élection du premier secrétaire du Parti socialiste s’est vue entachée d’un certain nombre de polémiques. Pourtant, cette élection est, à bien des titres, profondément décisive pour l’avenir du parti à court et à moyen terme. L’année 2022 a en effet été marquée par deux événements essentiels pour ce parti : un score catastrophique de 1,75% lors de la présidentielle et une union, longtemps considérée comme chimérique, avec d’autres partenaires de gauche au moment des législatives.
Si la présidentielle a clairement établi le leadership de Jean-Luc Mélenchon, lui qui a obtenu 21,95% des suffrages au premier tour, elle ne doit pas occulter à quel point les considérations personnelles et stratégiques sont déterminantes dans une élection à deux tours et fortement personnalisée. Pour autant, lorsque l’on demande désormais aux Français de quel parti politique ils se sentent les plus proches, 6,8% citent le Parti socialiste et 8,8% La France insoumise1Comme toutes les données présentes dans cette note, celles-ci sont issues de l’enquête Fractures françaises d’octobre 2022, réalisée par Ipsos Sopra-Steria pour le Cevipof, Le Monde et la Fondation Jean-Jaurès., soit un écart largement moins important que celui constaté lors de la présidentielle.
L’objectif de cette note est de prendre de la hauteur par rapport aux problématiques qui traversent le Parti socialiste et d’objectiver le positionnement des personnes se déclarant proches du PS. Notre étude montre à quel point l’électorat potentiel du Parti socialiste est profondément ancré à gauche (I), mais qu’une partie substantielle de celui-ci est également marquée par un profond malaise vis-à-vis d’un des partenaires principaux de la Nupes : La France insoumise (II). À bien des égards, cette seconde partie explique largement les résultats serrés de l’élection pour le premier secrétaire.
Cap à gauche : les valeurs des proches du Parti socialiste
Depuis une quarantaine d’années, le Parti socialiste a été marqué par des débats intestins sur la ligne politique à adopter. À de nombreuses reprises en effet, deux lignes se sont affrontées, l’une fortement marquée à gauche, l’autre beaucoup plus sociale-libérale. Sans revenir sur l’épisode du « tournant de la rigueur » en 1983, rappelons-nous par exemple à quel point le quinquennat de François Hollande avait montré au grand jour les dissensions internes entre une frange légitimiste du parti, soutenant une politique de centre gauche, et une frange de « frondeurs » critiquant la ligne du président accusé de mener une politique trop libérale. Mais qu’en est-il aujourd’hui du positionnement des Français se déclarant proches du Parti socialiste ?
Il faut le dire clairement, ces derniers se caractérisent par un positionnement profondément ancré à gauche. Cela se matérialise autant sur les questions économiques et sociales (1) que culturelles (2). Ce positionnement se couple par ailleurs à des valeurs très largement pro-européennes (3).
À gauche sur les questions économiques et sociales
Regardons tout d’abord comment les proches du Parti socialiste se positionnent sur les questions économiques et sociales (graphique 1).
Graphique 1. Positions des proches du Parti socialiste sur les enjeux économiques et sociaux, comparées à l’ensemble de la population française
Les chiffres sont sans appel, les proches du Parti socialiste assument un positionnement fortement marqué à gauche sur ces enjeux. 77% considèrent ainsi que pour établir la justice sociale, il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres, 68% pensent qu’il faut renforcer le rôle de l’État dans l’économie et 63% qu’il faut renforcer la protection des salariés. Ce positionnement se couple par ailleurs à des valeurs profondément écologistes (graphique 2).
Graphique 2. Positions des proches du Parti socialiste sur les questions environnementales, comparées à l’ensemble de la population française
Trois quarts des proches du Parti socialiste considèrent ainsi qu’il est nécessaire que le gouvernement prenne des mesures rapides et énergiques pour faire face à l’urgence environnementale, même si cela signifie de demander aux Français de modifier en profondeur leurs modes de vie.
À gauche sur les questions culturelles
Depuis les années 1980, de nombreux articles en science politique ont montré que le positionnement des citoyens se complexifiait. L’axe gauche-droite ne résumerait plus parfaitement les valeurs des citoyens et il est donc nécessaire de distinguer leur positionnement sur les enjeux économiques et sociaux de leur positionnement sur les enjeux culturels2Vincent Tiberj, « La politique des deux axes. Variables sociologiques, valeurs et votes en France (1988-2007) », Revue française de science politique, vol. 62, no. 1, 2012, pp. 71-106.. Certains Français pourraient ainsi très bien être « de gauche » sur les questions économiques mais « de droite » sur les questions culturelles, et inversement. Pour autant, ce n’est pas le cas des proches du Parti socialiste : leur positionnement clairement marqué à gauche sur les enjeux économiques et sociaux est parfaitement aligné à un positionnement également profondément de gauche sur les enjeux culturels (graphique 3).
Graphique 3. Positions des proches du Parti socialiste sur les questions culturelles, comparées à l’ensemble de la population française3Les questions liées à la PMA et à la GPA, non posées dans les enquêtes de 2022 et 2021, proviennent de l’enquête de 2020.
Sur les questions liées à l’immigration, les proches du Parti socialiste montrent ainsi une ouverture plus importante que le reste de la population française : 78% considèrent par exemple que réduire le nombre d’immigrés n’aurait aucune conséquence sur le nombre de chômeurs en France. Cette ouverture se constate également concernant les questions de procréation médicalement assistée ou de gestation pour autrui. 80% des proches du Parti socialiste sont ainsi favorables à la PMA pour les femmes célibataires et 63% sont favorables à la GPA pour les couples homosexuels, des chiffres à chaque fois supérieurs à ce que l’on constate pour la population française dans son ensemble.
Des valeurs pro-européennes
Si le positionnement des proches du Parti socialiste est profondément ancré à gauche sur les enjeux économiques et culturels, il se caractérise également par un ancrage profondément européen (graphique 4).
Graphique 4. Positions des proches du Parti socialiste sur les questions européennes et internationales, comparées à l’ensemble de la population française
Les proches du Parti socialiste continuent d’afficher un attachement profond à l’Union européenne : 68% de ces derniers ont ainsi confiance dans l’Union européenne et 81% pensent que l’appartenance de la France à l’Union européenne est une bonne chose, des chiffres encore une fois bien supérieurs à ce que l’on constate dans l’ensemble de la population française. Une courte majorité (51%) considère même que la mondialisation est une opportunité pour la France.
Une stratégie d’alliance qui pose question
Le positionnement des proches du Parti socialiste, fortement marqué à gauche tant sur les questions économiques que culturelles, semble à première vue être largement compatible avec une alliance avec les autres forces politiques de gauche. Si, comme nous le montrions déjà dans une précédente note, les questions européennes et internationales constituent une pomme de discorde avec La France insoumise, elles ne doivent pas cacher une convergence globale sur les autres thématiques. Néanmoins, lorsque l’on se focalise sur des aspects plus stratégiques et sur les rapports intra-partisans, la donne est largement différente. Les proches du Parti socialiste sont, d’une part, profondément hostiles à La France insoumise (1), d’autre part, leur rapport au fonctionnement de l’Assemblée nationale diffère également largement de leur allié de gauche radicale (2).
Une hostilité structurelle à La France insoumise
Lorsqu’on demande aux proches du Parti socialiste d’évaluer leur alliés insoumis au sein de la Nupes, les résultats sont édifiants (graphique 5).
Graphique 5. Rapport des proches du Parti socialiste à La France insoumise
Les proches du Parti socialiste ont ainsi une vision particulièrement négative de La France insoumise (LFI). Seulement 40% considèrent que LFI est un parti proche de leurs préoccupations, 28% que LFI est capable de gouverner le pays et 30% que la société prônée par LFI est globalement celle dans laquelle ils souhaitent vivre. Plus encore, pour une courte majorité de socialistes, c’est un véritable rejet de LFI que l’on constate : 56% des proches du Parti socialiste considèrent ainsi que LFI est un parti qui attise la violence et 51% que ce parti est dangereux pour la démocratie !
Graphique 6. Évaluation par les proches du Parti socialiste du rôle de LFI à l’Assemblée nationale
Si le rejet « structurel » du parti de Jean-Luc Mélenchon est donc assez net chez une partie conséquente des proches du Parti socialiste, il recoupe par ailleurs une vision assez négative de la façon dont LFI agit à l’Assemblée nationale. 55% des proches du PS désapprouvent la façon dont LFI se comporte à l’Assemblée nationale, 61% trouvent que l’opposition exercée par LFI à l’Assemblée nationale est trop radicale.
Coopérer plutôt que s’opposer
Comment le Parti socialiste doit-il se comporter à l’Assemblée ? Doit-il s’opposer systématiquement au gouvernement ou doit-il au contraire coopérer avec celui-ci lorsque les circonstances le permettent ? Le graphique 7 nous montre à ce niveau une vraie fracture entre les partenaires de la Nupes.
Graphique 7. Attitudes des proches de LFI, du PS et d’EE-LV concernant le rôle de l’opposition à l’Assemblée nationale
Les proches du PS et d’EE-LV considèrent ainsi que des compromis peuvent être possiblement trouvés avec le gouvernement et que le rôle de leur groupe parlementaire n’est pas de s’opposer systématiquement à ce que propose le gouvernement. Au contraire, cette question fracture les proches de La France insoumise en deux groupes pratiquement égaux.
Conclusion : à gauche mais avec qui ?
Nous avons montré dans cette note à quel point les proches du Parti socialiste étaient profondément ancrés à gauche, tant sur les questions économiques que culturelles. À ce niveau, le positionnement de la famille socialiste est en adéquation avec celui de l’actuelle direction du parti. On peut néanmoins percevoir que les considérations stratégiques sont celles qui posent réellement problème. Si le positionnement particulièrement ancré à gauche des proches du PS peut les pousser assez naturellement à s’allier avec LFI et EE-LV, il n’en demeure pas moins que le rejet du parti de Jean-Luc Mélenchon est également profondément marqué. Ce n’est donc pas une surprise si ces considérations stratégiques ont finalement été beaucoup plus présentes dans les débats entre les trois candidats au poste de premier secrétaire que celles portant sur les enjeux. S’allier à un parti avec lequel on partage beaucoup sur le fond mais que l’on rejette largement sur la forme, ou bien partir seul, au risque de renouveler l’expérience catastrophique de la précédente présidentielle, voici la véritable question qui divise actuellement le Parti socialiste.
- 1Comme toutes les données présentes dans cette note, celles-ci sont issues de l’enquête Fractures françaises d’octobre 2022, réalisée par Ipsos Sopra-Steria pour le Cevipof, Le Monde et la Fondation Jean-Jaurès.
- 2Vincent Tiberj, « La politique des deux axes. Variables sociologiques, valeurs et votes en France (1988-2007) », Revue française de science politique, vol. 62, no. 1, 2012, pp. 71-106.
- 3Les questions liées à la PMA et à la GPA, non posées dans les enquêtes de 2022 et 2021, proviennent de l’enquête de 2020.