Le Parti démocrate (PD) reprend la ville de Turin lors des élections municipales d’octobre 2021. À partir de l’exemple de cette grande ville européenne, de 2016 à 2021, Alexandre Chabert analyse les rapports de force, l’électorat, les dynamiques du Parti démocrate et de ses alliés de gauche et de centre-gauche dans cette ville qui fut un bastion du Parti communiste italien (PCI) et que le Mouvement 5 étoiles avait gagnée en 2016.
Évoquant les grands moments de l’histoire du Parti communiste italien (PCI), l’un de ses plus emblématiques dirigeants, le Turinois Giancarlo Pajetta affirmait que « chaque tournant (svolta) comprend un versant (risvolto) turinois qui mérite d’être étudié et compris dans sa signification et qui va au-delà des limites de la seule histoire de la ville ».
L’histoire politique de la capitale du Piémont prend en effet la forme d’un récit singulier, à l’intersection de grandes dynamiques structurelles au sein du paysage politique italien et des spécificités de la ville : première capitale de l’Italie unifiée en 1861, cité industrielle et notamment automobile à travers l’entreprise Fiat tout au long ou presque du XXe siècle, métropole de services aujourd’hui, mais aussi foyer de l’antifascisme à l’époque du Ventennio.
Turin était sans conteste un « bastion » communiste. L’apogée du PCI au niveau national, au tournant des années 1970 et 1980, correspond également au maximum de l’hégémonie communiste dans la ville et sa région. Lorsqu’il réalise son record historique aux élections générales de juin 1976 (34,4% des voix à la Chambre des députés), le PCI contrôle depuis un an l’ensemble des principales instances piémontaises (Turin, sa province et la région Piémont), qu’il gouverne à travers des alliances avec les socialistes jusqu’en 1985.
Trois jours après la chute du mur de Berlin, le dernier secrétaire du PCI, Achille Occhetto, prend acte de l’effondrement du communisme et lance une profonde transformation du parti (tournant de la Bolognina, 12 novembre 1989) qui débouche sur la naissance en 1991 d’un Parti démocrate de la gauche (Partito democratico della sinistra, PDS) qui adhère à l’Internationale socialiste. Après la disparition du PCI, la gauche, sous ses différentes appellations (PDS, DS, PD), est toujours restée forte dans le Piémont et son chef-lieu1Fondé en 1991 pour succéder au PCI, le Parti démocrate de la gauche (PDS) devient les Démocrates de gauche (Democratici di sinistra, DS) en 1998 avant que la fusion de cette formation avec La Marguerite (regroupant une partie de l’aile gauche de l’ancienne Démocratie chrétienne) ne donne naissance au Parti démocrate (PD) en 2007.. Preuve de cette implantation, après 1993, elle contrôle sans interruption la mairie de Turin et dirige également, par intermittence, la région. Mais un basculement s’opère dans la seconde moitié des années 2010. Après avoir perdu la mairie trois ans plus tôt, le Parti démocrate (PD) passe dans l’opposition au conseil régional en 2019.
À l’approche des élections municipales d’octobre 2021, le PD, dépourvu de leader local et donné perdant dans les sondages, connaît à Turin un début de campagne difficile et les résultats du vote s’annoncent incertains jusqu’à la veille du premier tour. Pourtant, le scrutin voit la formation de centre-gauche reprendre le contrôle de sa place forte piémontaise à travers la victoire de Stefano Lo Russo avec 59% des voix au second tour. En même temps, elle reconquiert toutes les grandes villes italiennes mises en jeu à cette occasion2Voir notamment Luca Argenta, « Manita » du PD et droites en embuscade : ce qu’il faut retenir des élections municipales en Italie, Fondation Jean-Jaurès, 25 octobre 2021.. En dépit de la forte abstention qui marque le scrutin, le PD et notamment Enrico Letta, son secrétaire depuis mars 2021, voient dans les succès engrangés le témoin de la relative embellie dont semble bénéficier le parti après plusieurs années de recul électoral et de crise d’identité, consécutifs à la fin de l’ère Renzi3Matteo Renzi est secrétaire du Parti démocrate de décembre 2013 à février 2017, puis de mai 2017 à mars 2018. Il occupe aussi et surtout la fonction de président du Conseil de février 2014 à décembre 2016. En septembre 2019, de plus en plus marginalisé, il quitte le PD pour fonder son propre parti, « Italia Viva », d’inspiration sociale-libérale. et dont témoignent les scrutins piémontais précédemment évoqués. À Turin, où plus de la majorité des électeurs ont boudé les urnes au premier comme au second tour, l’électorat démocrate se montre néanmoins plus mobilisé et plus fidèle (au regard des votes précédents) que celui de ses adversaires. Une raison de plus de dresser un bilan satisfait et optimiste du scrutin turinois pour le Parti démocrate ?
Rien n’est moins sûr. Une étude fine des résultats, qui distingue entre elles les différentes circonscriptions qui découpent la ville, et surtout qui n’examine pas seulement les pourcentages mais aussi les voix en valeur absolue, incite à nuancer les proclamations enthousiastes d’une partie de la presse italienne4Selon le titre de l’article de Giovanna Vitale, « Comunali, segnali di disgelo tra Pd e periferie: rispuntano i voti nelle zone popolari », La Repubblica, 10 octobre 2021. et celles aux accents triomphalistes du Parti démocrate et de son nouveau leader5Enrico Letta parle en effet de « victoire triomphale » au soir des résultats, voir « Letta : “Vittoria trionfale, Pd federatore del centrosinistra”. Conte : “L’astensionismo è il vero protagonista. Subito riorganizzazione interna” », La Repubblica, 18 octobre 2021.. En clair, les « signes de dégel6Giovanna Vitale, « Comunali, segnali di disgelo tra Pd e periferie: rispuntano i voti nelle zone popolari », art. cit. » entre la formation de centre-gauche et les quartiers périphériques doivent être envisagés de façon beaucoup plus prudente tandis que le recul, en proportions non négligeables, du PD dans ce qui est devenu son poumon électoral, c’est-à-dire les quartiers centraux, ne peut être éludé.
L’hégémonie et le choc : du bastion de gauche au hold-up du Mouvement 5 étoiles
Turin et le Piémont ont toujours été une terre d’origine privilégiée pour des personnages d’envergure nationale au sein de la gauche italienne. Le temps du PCI fourmille d’exemples, à l’instar de Luigi Longo, Giancarlo Pajetta, Ugo Pecchioli, Livia Turco ou encore Achille Occhetto. À l’heure du passage au PDS, puis aux Démocrates de gauche (DS), la gauche turinoise a trouvé son incarnation à travers deux grandes figures qui déjà apparaissaient comme des hommes de première importance dans les dernières années du PCI : Piero Fassino et Sergio Chiamparino. Entre 2001 et 2019, ceux que Matteo Renzi, alors secrétaire du PD et président du Conseil, aurait eu l’habitude d’appeler en privé « quei due di Torino7Roberto Tricarico, « Chiamparino e Fassino, i ragazzi di via Chiesa della Salute », Il Corriere della Sera, 28 mai 2019. » (« ces deux-là de Turin »), occupent à eux deux un total de quatre mandats de premier ordre. Mais l’un et l’autre en sont successivement dépossédés à la fin des années 2010. Plus que la personnalité ou même le bilan local d’hommes qui au moment de leur défaite apparaissent comme des « routiers » de la politique, c’est aussi la crise traversée par le PD à la fin de l’ère Renzi qui est à l’origine de la sanction populaire dont ils font les frais. Mais pour plagier encore Giancarlo Pajetta, cette dynamique ne peut se comprendre pleinement qu’à la lumière du versant piémontais dont elle est indissociable. La crise turinoise du centre-gauche naît ainsi d’un « jeu d’échelles8La formule est bien sûr empruntée à Jacques Revel (dir.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard et Le Seuil, 1996. » qui fait s’articuler les difficultés nationales du PD, et notamment la contestation de son leader Matteo Renzi, et le recul de l’influence du parti dans les quartiers périphériques de la ville et ses difficultés à faire émerger de nouveaux leaders locaux.
« Quei due di Torino » : la puissance de la gauche turinoise incarnée par ses deux leaders emblématiques (2001-2016)
Piero Fassino et Sergio Chiamparino font leurs armes politiques au temps de l’apogée du PCI. Ils adhèrent au parti au début des années 1970 et deviennent rapidement des personnages de premier plan au sein de la Fédération turinoise et même, dans le cas de Fassino, du secrétariat national. Parlementaires sous les couleurs du PDS, c’est néanmoins après la création des DS, en 1998, que l’un et l’autre occupent leurs fonctions les plus importantes, dans le Piémont pour Chiamparino, surtout à Rome pour Fassino.
« Il Lungo » (« le Grand », en référence à la haute taille de Fassino) et « Il Chiampa » (la contraction de son nom de famille, Chiamparino), comme les surnomme la presse piémontaise, apparaissent comme les deux principaux dirigeants de gauche dans la région depuis vingt ans. Ils suscitent l’adhésion populaire, comme en témoignent leurs élections et réélections triomphantes. Si Chiamparino a besoin d’un second tour pour battre la coalition de centre-droit et devenir maire de Turin en 2001, il est réélu dès le premier tour cinq ans plus tard, avec 66% des suffrages. L’organisation d’un événement de rayonnement planétaire tel que les Jeux olympiques d’hiver de 2006, mais aussi le pilotage de chantiers de grande ampleur comme le métro de Turin, inauguré la même année, nourrissent la forte popularité dont jouit Chiamparino lorsqu’il occupe la charge de primo cittadino de la ville (un sondage fait même de lui le maire le plus aimé d’Italie en 2006, avec 73% d’opinions favorables9Sondage IPR Marketing de novembre 2006. Déambuler en sa compagnie dans les rues de Turin quinze ans plus tard démontre en outre que celle-ci est encore intacte…). En 2011, il cède sa place à Piero Fassino, qui l’emporte dès le premier tour. Mais la carrière politique de Chiamparino ne s’arrête pas là : candidat du centre-gauche pour les élections régionales de 2014, il recueille plus de 47% des suffrages exprimés et devient président du Piémont, faisant repasser dans le giron de la gauche une région dirigée par la Ligue du Nord (LN, extrême droite autonomiste à séparatiste) depuis deux mandatures. Son successeur à la mairie, Piero Fassino, compte parmi les principales figures nationales de la gauche italienne. Malgré son fort enracinement turinois, l’envergure de Fassino prend une dimension nationale dès la fin des années 1980. Trentenaire, l’homme est déjà l’une des principales figures du dernier secrétariat du PCI, constitué autour d’Achille Occhetto. Ministre sous les gouvernements D’Alema et Amato, Fassino devient ensuite secrétaire national des DS (2001-2007) et compte parmi les fondateurs du Parti démocrate en 2007. Il est également député du Piémont de 1996 à 2011, année où il démissionne pour se consacrer pleinement à son nouveau mandat de maire.
À partir de 2014, et non sans rappeler les grandes heures piémontaises du PCI, Chiamparino et Fassino occupent simultanément les deux principales fonctions électives dans la région. À l’image du PD partout en Italie (le parti recueille 40% des voix aux élections européennes de 2014), les deux anciens camarades de la via Chiesa della Salute (lieu du siège historique de la Fédération turinoise du PCI) règnent alors en maîtres sur le Piémont. Mais deux ans plus tard, l’hégémonie des deux hommes – mais surtout de la gauche – dans le Piémont reçoit un premier coup, dévastateur autant qu’inattendu.
La gauche (piémontaise) en crise (2016-2021)
Depuis 1993 et l’instauration du suffrage universel direct pour l’élection des maires italiens10Depuis l’après-guerre, en Italie, le maire était désigné par le conseil municipal, lui-même élu sur la base résultats du vote populaire. La loi du 25 mars 1993 fixe également à quatre ans la durée du mandat exercé par le maire, avant que la loi du 30 avril 1999 ne remonte à celle-ci à cinq ans., Turin n’avait connu que des édiles de gauche. Aux deux mandats exercés par Valentino Castellani (indépendant de centre-gauche) avaient succédé les deux mandats de Chiamparino (DS puis PD), lui-même remplacé en 2011 par Piero Fassino (PD). En 2016, le maire sortant, fort de sondages favorables, semble pouvoir s’engager confiant dans la course électorale. Un sondage révèle que 59% des Turinois se disent satisfaits de l’action menée par Fassino et son équipe au cours de la législature qui s’achève11Diego Longhin, « Torino, il sondaggio: Fassino vince al ballottaggio contro Appendino, lavoro e buche i problemi più urgenti », La Repubblica, 20 mai 2016.. La confiance populaire semble logiquement se traduire dans les urnes : le centre-gauche est donné largement en tête au premier tour (42,5%) devant le Mouvement 5 étoiles (Movimento 5 Stelle, M5S, antisystème, 23,1%). La droite, de son côté, paierait sa division en trois coalitions rivales et se retrouverait reléguée sur la troisième marche du podium. Mais Fassino semblerait avoir besoin d’un second tour pour l’emporter : la liste de centre-gauche est en effet donnée gagnante au ballottage, avec 56,8% des voix, contre 43,2% à la liste 5 étoiles menée par Chiara Appendino.
La jeune candidate (elle a trente-deux ans en 2016) mène une campagne efficace, tournée vers les quartiers périphériques, accusant l’équipe municipale sortante de les avoir délaissés au profit de l’aménagement du centre-ville. Elle annonce ses intentions à travers un slogan choc : « Con Chiara, l’alternativa è chiara », que l’on pourrait adapter ainsi en français : « Avec Claire, l’alternative est claire ». Cheffe d’entreprise, diplômée de la prestigieuse université Bocconi de Milan, elle présente un profil capable de séduire également un électorat d’ordinaire sensible au centre-droit. Enfin, Appendino peut également se prévaloir d’une expérience politique vieille de cinq années passées en tant que conseillère municipale de Turin, où elle se distingue par ses attaques au vitriol contre Piero Fassino. En mai 2015, à l’occasion d’une séance particulièrement houleuse, celui-ci avait d’ailleurs répondu à son opposante : « Essayez de prendre ma place, et on verra si vous êtes capable de faire tout ce que vous prétendez aujourd’hui12Claudio Paudice, « Le profezie di Piero Fassino: “Chiara Appendino? Provi a prendere il mio posto. E Grillo faccia un partito, vediamo quanti voti prende” », Huffington post, 19 juin 2016. ». Une déclaration qui apparaît après coup quelque peu malheureuse dans la mesure où Chiara Appendino a non seulement essayé de prendre sa place, mais où elle y est également parvenue.
Si la coalition de centre-gauche arrive en tête au premier tour (41,84%, 160 023 voix) devant le M5S (30,92%, 118 273 voix), c’est néanmoins Chiara Appendino qui est élue maire de Turin au second tour avec 54,56% des suffrages exprimés (202 764 voix). Déjouant tous les pronostics, la candidate du M5S, distancée de onze points au premier tour, ravit à la gauche italienne l’un de ses plus anciens bastions. Les sondages avaient largement sous-estimé les capacités du M5S, dès le premier tour, puisque Appendino obtient 8 points de plus que le score que lui prêtaient les enquêtes d’opinion un mois avant le scrutin. Surtout, ils avaient surestimé le report de voix, au centre comme sur sa gauche, au bénéfice de Piero Fassino au second tour. Entre le premier tour et le ballottage, il n’augmente son capital que de 8000 voix supplémentaires tandis que la candidate 5 étoiles voit le nombre de suffrages en sa faveur s’accroître de plus de 80 000 unités.
Trois ans plus tard, Sergio Chiamparino est à son tour défait au terme d’un scrutin régional dont l’issue ne laissait guère de doute. Celui qui, déjà en 2014, reconnaît avoir accepté de mauvais gré de porter les couleurs du centre-gauche dans la course à l’investiture régionale (« En 2014, je me suis laissé convaincre d’être candidat aux régionales13Entretien avec Sergio Chiamparino, 17 février 2020. »), accède à la demande de son parti et accepte de se lancer dans une nouvelle campagne électorale. Mais le poids de la droite, et notamment de la Ligue (nouveau nom de la LN, extrême droite souverainiste et populiste), dans le reste du Piémont est trop fort et, bien que Chiamparino arrive en tête à Turin, le verdict des urnes est sans appel. Il consacre le triomphe du centre-droit, qui flirte avec la majorité absolue (49,86%) et devance de près de quinze points la liste du président sortant (35,80%). Si le président élu, Alberto Cirio, appartient au parti de Silvio Berlusconi, la coalition doit moins son succès aux suffrages recueillis par Forza Italia (FI, centre-droit) qu’à ceux engrangés par la Ligue. La Ligue arrive en tête dans presque toutes les villes du Piémont et Turin constitue l’un des seuls îlots de résistance démocrate au milieu de ce raz-de-marée.
Le soir du résultat, le président sortant reconnaît immédiatement sa défaite et annonce son intention de laisser le siège qui lui revient au Conseil régional à une « énergie nouvelle », autrement dit de mettre un terme à sa carrière politique. Il explique au micro des journalistes : « J’ai soixante et onze ans. J’aurais aussi pu le faire avant. Mais je me sentais capable de mener cette dernière bataille. Je l’ai perdue, je pense que je n’ai plus grand-chose à dire14Andrea Giambartolomei, « Elezioni Regionali Piemonte, l’addio di Sergio Chiamparino: “Ho combattuto l’ultima battaglia e l’ho persa” », Il Fatto quotidiano, 27 mai 2019.. » Pourtant, interrogé moins d’un an plus tard, l’homme semble, précisément, avoir encore des choses à dire. Cependant que ses responsabilités se réduisent, il n’a rien perdu d’un regard politique résolument dirigé vers l’échelle nationale. Interrogé sur l’état actuel du PD, Chiamparino détaille le projet que, selon lui, la gauche italienne devrait essayer de mettre en œuvre :
« SC : Je crois que si l’on veut essayer de reconstruire, que le Parti démocrate redevienne la référence comme l’alternative de gauche, il faudrait reconstruire un champ de forces qui […] ratisse large, qui repose sur des valeurs de fond, sur les bases de la Constitution, de la République, d’une éthique universelle, les Droits de l’homme. Un peu celles mises en avant par les “Sardines”, si vous voulez. Et, là-dedans, faire se confronter des idées politiques et des programmes différents, mais que chacun accepte de faire bloc. Ça sous-entend aussi d’être prêt à se remettre en question et d’attendre des autres qu’ils en fassent autant. […] Et d’accepter que c’est quelqu’un d’autre qui pourrait gagner. Voilà le défi à lancer aux 5 étoiles. Mais aussi à nous-mêmes et aux autres forces de gauche. Y compris Renzi et [Carlo] Calenda, même si ce sont plus des phénomènes individuels que politiques… Mais je les inclurais complètement dans ce périmètre qui… (Il sourit) qui irait de ceux qui aujourd’hui sont macronistes jusqu’à la gauche de… Comment il s’appelle ?
AC : Mélenchon ?
SC : Mélenchon15Entretien de l’auteur avec Sergio Chiamparino, 17 février 2020. ! »
Néanmoins, celui qui a finalement décidé, après quelques jours de réflexion, de rester conseiller régional du Piémont semble particulièrement heureux à l’idée que plus aucune fonction dirigeante n’incombe à sa responsabilité au sein du PD. Il conclut son propos par ces mots, qui closent aussi l’entretien : « J’essaierais de faire quelque chose de ce genre, si ça dépendait de moi. Mais ça ne dépend pas de moi… et heureusement16Ibid. ! » Or, les élections municipales d’octobre 2021 à Turin montrent que le poids et l’influence de Sergio Chiamparino demeurent déterminants au sein de la gauche, en tout cas à l’échelle piémontaise.
Aux origines de la crise, un « jeu d’échelles » de Turin à Rome
Les élections municipales de 2016 à Turin17En Italie, les élections municipales ne sont pas organisées partout dans le pays à la même date. En juin 2016, outre Turin, Rome, Milan ou encore Bologne renouvelaient leur Conseil municipal. interviennent dans un contexte de forte contestation du leader du PD, et non moins président du Conseil de l’époque, Matteo Renzi. La campagne référendaire lancée par Renzi quelques semaines avant les élections municipales de juin coalise contre lui les oppositions18À partir du mois d’avril 2016, Matteo Renzi et – malgré les réticences de certains parlementaires – l’ensemble du PD avec lui, promeuvent une réforme de la Constitution destinée à compléter la nouvelle loi électorale, adoptée en 2015. Les nouvelles dispositions doivent notamment mettre fin au bicaméralisme parfait qui structure le système parlementaire italien et modifier en profondeur les prérogatives du Sénat. N’attendant pas d’y être poussé par l’opposition, Renzi se prononce d’emblée en faveur de l’organisation d’un référendum, prévu pour décembre 2016. Le président du Conseil voit dans la manœuvre l’occasion de recevoir la consécration populaire de l’action de son gouvernement et ainsi mettre un terme au procès en légitimité que lui intente l’opposition depuis 2014 (en raison des modalités selon lesquelles Renzi est arrivé au pouvoir). Le PD est pratiquement isolé dans la campagne pour le « oui » tandis que toute l’opposition, de la gauche radicale à la Ligue en passant par le M5S, s’arc-boute en faveur du « non ».. Sa propre formation est également secouée par de fortes tensions internes liées à la critique par l’aile gauche du PD des mesures de forte inspiration libérale promues par le président du Conseil, au premier rang desquelles le « Jobs Act » de 2016 (une réforme libéralisant le marché du travail). Ainsi, durant l’entre-deux-tours, la candidate 5 étoiles, Chiara Appendino, reçoit non seulement le soutien de l’ensemble de la droite battue au premier tour, mais aussi, à travers leurs déclarations sibyllines, celui de représentants de gauche opposés à la ligne réformiste adoptée par Matteo Renzi19Éric Jozsef, « En Italie, l’addition électorale est salée pour Matteo Renzi », Libération, 20 juin 2016..
Mais les vicissitudes nationales du PD ne sauraient à elles seules justifier les résultats du scrutin. L’échelle turinoise renferme également son lot de facteurs explicatifs. Ainsi, le vote massif de certains quartiers en faveur du M5S, et ce parfois dès le premier tour, rend de plus en plus manifeste le divorce entre le centre-gauche et les périphéries, qui se sentent oubliées par le pouvoir municipal. L’expression des « NO TAV », les opposants à la ligne à grande vitesse (TAV, treno ad alta velocità) Lyon-Turin, a également contribué à façonner les résultats de l’élection. Le PD est un soutien actif du projet quand le M5S, au contraire, s’érige en porte-voix des opposants à sa réalisation. D’une certaine manière, Chiara Appendino a moins polarisé les votes « pour » que Piero Fassino n’a cristallisé les votes « contre ». Contre lui et son action municipale, certes. Mais aussi et surtout contre la politique nationale de Matteo Renzi.
Dans le cas des élections régionales de 2019 encore, dynamiques nationales et locales s’enchevêtrent pour éclairer le verdict des urnes. De fortes différences sociologiques et politiques opposent Turin (centre politique, démographique, économique et culturel de la région) et les autres provinces du Piémont, marquées par le déclin de l’activité industrielle et parfois aussi de l’activité agricole. Surtout, le vote à droite y est traditionnellement puissant, et à la domination de la DC a succédé celle de la coalition de centre-droit et notamment de la Ligue. En 2019, cette dernière est d’autant plus puissante qu’elle connaît, portée par son leader Matteo Salvini, son apogée partout dans la péninsule. D’ailleurs, les élections européennes, organisées le même jour que le scrutin piémontais, voient la Ligue arriver nettement en tête avec 34% des voix. À l’inverse, passé à l’opposition et affaibli après les élections générales de 2018, le PD cherche à se reconstruire autour d’un nouveau secrétaire, Nicola Zingaretti, mais enchaîne les déconvenues électorales en 2019.
Last but not least, les défaites de Fassino (qui, dès lors, s’éloigne de la vie politique piémontaise, se faisant élire député en Émilie-Romagne en 2018 et démissionnant du conseil municipal de Turin en 2019) et de Chiamparino ouvrent également une crise de leadership à l’échelle turinoise. Les circonstances dans lesquelles l’un et l’autre doivent quitter leur mandat, chacun sur une défaite suivie d’une forme de désengagement de la vie politique locale, expliquent en partie que les deux hommes n’aient pas véritablement préparé leur succession. Ainsi naissent les difficultés du centre-gauche à choisir un candidat en vue des élections municipales d’octobre 2021.
Une nécessaire lecture prudente de la victoire du centre-gauche à Turin en 2021
Fort différent de son homologue français, le système italien de vote aux élections municipales en Italie (elezioni amministrative) présente une certaine complexité.
Ainsi, au premier tour du scrutin, les électeurs élisent le conseil municipal (consiglio comunale) et votent également pour l’un des candidats au poste de maire (candidato sindaco). Pour élire le premier, ils votent pour un parti, membre de l’une des coalitions en présence ; pour élire le second, ils votent pour la tête de liste de l’une de ces coalitions. Par choix ou méconnaissance des mécanismes électoraux, une part non négligeable des électeurs ne s’exprime que sur le nom du maire, sans favoriser un parti de sa coalition. Ceci explique les écarts qui s’observent entre le nombre de voix recueillies par les candidats et celui obtenu par les partis.
En cas de second tour (ballottaggio), les électeurs ne votent cette fois-ci que pour désigner le maire. L’étendue de sa majorité et le reste de la composition du conseil municipal sont calculés sur la base des votes du premier tour, avec une prime majoritaire (premio di maggioranza) pour le vainqueur.
Au premier tour seulement, à travers un autre bulletin de vote, les électeurs sont également invités à élire les conseils de quartier (l’équivalent des conseils d’arrondissement ou de secteur de Paris, Lyon et Marseille), dont l’analyse, par souci de clarté, n’est pas prise en compte dans cette étude.
Heurs et malheurs d’une campagne
Le PD et le centre-gauche connaissent un début de campagne pour le moins laborieux. En l’absence de candidat « naturel », deux challengers se déclarent : Stefano Lo Russo et Mauro Salizzoni. Les deux hommes présentent des profils très différents. Le premier, âgé de quarante-six ans, est trop jeune pour avoir adhéré à l’un des partis de la « Première République20En Italie, l’expression désigne la période qui s’étend de 1948 à 1994, dominée par la Démocratie chrétienne (DC), au pouvoir sans interruption, et le PCI, premier parti d’opposition. Bien que la Constitution en vigueur soit toujours la même depuis 1947, il s’agit par cet abus de langage de sanctionner le bouleversement du système politique italien après l’opération « Mains propres » et le scandale politico-financier Tangentopoli. ». Membre du PD depuis sa fondation, Lo Russo est issu d’un parti post-démocrate-chrétien (La Marguerite), qui conflue en 2007 avec les post-communistes des DS pour donner naissance à la formation démocrate. Sa fonction de capogruppo du PD au conseil municipal depuis 2011, où il est élu pour la première fois cinq ans plus tôt, pourrait faire de lui un candidat naturel. Mais il souffre d’un réel déficit de notoriété auprès de la majorité des Turinois. Né en 1948, Mauro Salizzoni a quant à lui été membre du PCI puis du Parti de la refondation communiste (PRC, né en 1991 d’une scission refusant la transformation du PCI en PDS). Il est conseiller régional depuis 2019, où il est élu en tant qu’« indépendant » sur la liste du candidat malheureux, Sergio Chiamparino. Mais sa faible expérience d’administrateur politique est compensée par l’aura que lui confère son parcours professionnel. Salizzoni est en effet un chirurgien de renom, membre de l’Académie de médecine de Turin.
Aucun des deux candidats déclarés ne tirant son épingle du jeu à quelques mois du scrutin, l’ancien maire Sergio Chiamparino endosse le rôle d’arbitre – montrant ainsi qu’il est resté un « deus ex machina » pour le PD de Turin. Celui-ci commence par démentir l’hypothèse de son retour dans l’arène pour un troisième mandat, un temps suggérée dans la presse21Diego Longhin, « Chiamparino: “Il mio tris da sindaco? Non esiste la possibilità che io mi candidi” », La Repubblica, 31 décembre 2020.. Chiamparino craint la division que le blocage de la situation porte en germe. Fin décembre 2020, il propose la constitution d’un « tandem » qui unirait les deux hommes, mais dans lequel la place de candidat serait dévolue à Lo Russo, réservant de fait un rôle secondaire à Salizzoni. Les tensions n’en sont guère apaisées. Le 12 janvier 2021, lors d’une réunion en visioconférence de la Commission santé du Conseil régional, où siègent les deux hommes, ayant – malencontreusement, semble-t-il – laissé son micro ouvert, Salizzoni déclare : « Chiamparino è uno stronzo22« Gaffe di Salizzoni: “Chiamparino è uno stronzo” », La Voce Torino, 12 janvier 2021. », soit « Chiamparino est un con »…
Finalement, « faute d’un ample consensus sur [s]on nom », Salizzoni renonce à sa candidature en mars 202123Bernardo Basilici Menini, « Mauro Salizzoni lascia: non è più candidato sindaco a Torino », La Stampa, 11 mars 2021.. Mais la voie n’en est pas pour autant grande ouverte pour son concurrent, qui doit passer par une primaire du centre-gauche organisée début juin 2021 à Turin. Celle-ci oppose Stefano Lo Russo à Francesco Tresso, un homme novice en politique, mais fort d’un long engagement au sein d’actions humanitaires. Ce dernier reçoit en outre le soutien de Sinistra Ecologista (« Gauche écologiste », une petite formation située à gauche du PD) et d’une partie de la société civile. La primaire, qui ne mobilise que 11 000 votants, est un échec en termes de participation. Surtout, s’il est désigné candidat du centre-gauche, Lo Russo ne remporte qu’une victoire à l’arraché, avec seulement 300 voix d’avance sur son concurrent24Bernardo Basilici Menini, « Primarie centrosinistra a Torino: Lo Russo vince di neanche 300 voti, Tresso sfiora l’impresa. Affluenza flop: solo 11 mila votanti », La Stampa, 13 juin 2021.. Dès lors, les sondages d’opinion qui commencent à être réalisés annoncent la nette victoire du candidat investi par le centre-droit, Paolo Damilano, un entrepreneur turinois soutenu par Forza Italia, la Ligue et Frères d’Italie (Fratelli d’Italia, FdI, extrême droite nationale-conservatrice).
Stefano Lo Russo mène néanmoins une campagne originale dont un objet devient rapidement le symbole : une chaise. Le candidat démocrate arpente la ville de place en place, où il installe deux chaises, l’une pour lui et l’autre pour n’importe quel Turinois qui souhaiterait s’entretenir avec lui quelques minutes. Il emprunte également plusieurs fois différentes lignes de tram pour échanger directement avec ses concitoyens. En jean et sans cravate, Lo Russo cherche ainsi à se forger l’image d’un futur maire proche de ses concitoyens et à l’écoute. Surtout, à travers cette itinérance qui souvent conduit le candidat dans les quartiers périphériques de la ville, le Parti démocrate entend marquer son intérêt et sa volonté de dialogue (au sens propre comme au figuré) avec des ensembles qui l’ont lourdement désavoué lors des élections municipales de 2016.
Mais la campagne est également marquée par le fort investissement de Sergio Chiamparino, qui accompagne régulièrement Stefano Lo Russo sur le terrain, à l’occasion par exemple de distributions de tracts sur les marchés ou de prises de parole publiques. Il s’agit ainsi de donner à voir aux Turinois, auprès desquels il demeure extrêmement populaire, que leur ancien édile adoube sans ambiguïté son potentiel successeur. Mieux, c’est Chiamparino lui-même qui distille les principales attaques et autres phrases « choc » qui marquent la campagne, en déclarant par exemple que Paolo Damilano n’est autre qu’un « piacione da aperitivo » (un amateur d’apéritif)25« Elezioni, Chiamparino punzecchia Damilano: “A Torino serve un leader urbano, non un piacione da aperitivo” », La Repubblica, 18 septembre 2021..
Bien que plus équilibrés qu’au début de la campagne, les derniers sondages semblent encore cependant confirmer l’avantage du centre-droit. Selon une enquête parue à quinze jours du scrutin, Paolo Damilano devancerait d’une courte tête son adversaire au premier tour (44,2% des voix contre 41,4%) mais Stefano Lo Russo l’emporterait au second avec 53% des suffrages, grâce notamment au report des voix des électeurs du M5S26Diego Longhin et Sara Strippoli, « Torino in bilico, Damilano primo ma al ballottaggio rischia la sconfitta », La Repubblica, 17 septembre 2021..
Le premier tour des élections municipales se déroule les 4 et 5 octobre 2021. Stefano Lo Russo déjoue les pronostics et devance de près de cinq points son adversaire de centre-droit. Il a cependant besoin d’un second tour, qui a lieu les 17 et 18 octobre, pour confirmer sa victoire, avec plus de 59% des voix (voir tableaux 1 et 2). Ainsi, dès le premier tour, l’ancien conseiller municipal fait mieux que Piero Fassino en 2016 (voir tableaux 3 et 4). Cinq ans après la perte inattendue de la ville, le PD reconquiert ainsi l’un de ses principaux bastions. Mais cette victoire, pour incontestable qu’elle soit, n’est pas sans soulever plusieurs questions.
Tableau n°1. Résultats simplifiés de l’élection du conseil municipal de Turin en 2021 (1er tour seulement, 3 et 4 octobre)
Circonscription | PD | Liste civique Lo Russo | Autre centre-gauche | Torino bellissima (liste civique Damilano) | FDI | Lega | FI | Autre centre-droit | Coalition M5S (M5S+EV) | Coalition de gauche radicale | Autres listes |
1 | 27,31 % | 6,10 % | 13,79 % | 20,34 % | 8,39 % | 5,22 % | 5,60 % | 2,31 % | 4,44 % | 2,19 % | 4,31 % |
2 | 30,50 % | 5,33 % | 8,46 % | 11,26 % | 10,59 % | 9,94 % | 4,86 % | 1,30 % | 10,19 % | 1,85 % | 5,72 % |
3 | 31,16 % | 4,80 % | 10,29 % | 11,96 % | 10,23 % | 8,76 % | 5,07 % | 1,68 % | 8,73 % | 2,06 % | 5,26 % |
4 | 29,89 % | 5,11 % | 10,47 % | 10,42 % | 10,38 % | 8,92 % | 5,77 % | 1,55 % | 8,69 % | 2,69 % | 6,11 % |
5 | 25,76 % | 3,18 % | 7,12 % | 7,97 % | 13,73 % | 14,18 % | 4,80 % | 1,46 % | 12,91 % | 2,20 % | 6,69 % |
6 | 24,33 % | 3,94 % | 8,28 % | 8,38 % | 12,55 % | 16,16 % | 6,67 % | 1,17 % | 10,28 % | 2,34 % | 5,90 % |
7 | 28,61 % | 4,67 % | 14,02 % | 10,43 % | 8,69 % | 9,33 % | 5,09 % | 1,53 % | 7,71 % | 3,54 % | 6,38 % |
8 | 28,57 % | 6,19 % | 11,86 % | 13,49 % | 9,40 % | 7,84 % | 5,13 % | 1,89 % | 7,76 % | 2,28 % | 5,59 % |
Moyenne Turin | 28,56 % | 4,99 % | 10,42 % | 11,86 % | 10,47 % | 9,84 % | 5,30 % | 1,61 % | 8,90 % | 2,33 % | 5,72 % |
Nombre de voix | 85 890 | 15 013 | 31 351 | 35 658 | 31 490 | 29 593 | 15 951 | 4 861 | 26 769 | 7 006 | 17 201 |
Participation (1er tour) : 48,08 % | Participation (2nd tour) : 42,14 % |
Blanc ou nul (1er tour) : 11 923 voix (3,60 %) | Blanc ou nul (2nd tour) : 5 313 voix (1,83 %) |
Tableau n°2. Résultats simplifiés de l’élection du maire de Turin en 2021 (1er tour, 3 et 4 octobre ; ballottage, 17 et 18 octobre)
Stefano Lo Russo (PD) | Stefano Lo Russo (PD) | Paolo Damilano (centre-droit) | Paolo Damilano (centre-droit) | Valentina Sganga (M5S) | Angelo D’Orsi (gauche radicale) | Autres candidats (somme) | |
1er tour | 2nd tour | 1er tour | 2nd tour | 1er tour | 1er tour | 1er tour | |
1ère circonscription (Centro, Crocetta) | 47,06 % | 57,95 % | 41,74 % | 42,05 % | 4,51 % | 2,45 % | 4,24 % |
2e circonscription (S. Rita, Mirafiori Nord, Mirafiori Sud) | 44,40 % | 60,33 % | 37,67 % | 39,67 % | 10,33 % | 1,97 % | 5,63 % |
3e circonscription (S. Paolo, Cenisia, P. Strada, Cit Turin, B. Lesna) | 46,14 % | 61,07 % | 37,54 % | 38,93 % | 8,77 % | 2,26 % | 5,29 % |
4e circonscription (S. Donato, Campidoglio, Parella) | 45,23 % | 61,48 % | 36,90 % | 38,52 % | 8,83 % | 2,89 % | 6,15 % |
5e circonscription (B. Vittoria, M. Campagna, Lucento, Vallette) | 36,10 % | 54,54 % | 41,90 % | 45,46 % | 13,03 % | 2,32 % | 6,65 % |
6e circonscription (B. Milano, R. Parco, Barca, Bertolla, Falchera, Rebaudengo, Villaretto) | 36,37 % | 51,44 % | 44,72 % | 48,56 % | 10,56 % | 2,42 % | 5,93 % |
7e circonscription (Aurora, Vanchiglia, Sassi, M. Pilone) | 46,89 % | 63,16 % | 35,04 % | 36,84 % | 7,82 % | 3,96 % | 6,29 % |
8e circonscription (S. Salvario, Cavoretto, B. Po, Nizza, Lingotto, B. Filadelfia) | 46,45 % | 60,96 % | 37,58 % | 39,04 % | 7,82 % | 2,55 % | 5,60 % |
Moyenne municipale | 43,86 % 140 200 voix | 59,23 % 168 997 voix | 38,90 % 124 347 voix | 40,77 % 116 322 voix | 9,01 % 28 785 voix | 2,53 % 8 095 voix | 5,70 % 18 216 voix |
Tableau n°3. Résultats simplifiés de l’élection du conseil municipal de Turin en 2016 (1er tour seulement, 5 juin)
Circonscription | PD | Autre centre-gauche | M5S | Coalition d’extrême-droite (LN+FdI) | Coalition de droite (FI) | Coalition de centre | Coalition de gauche radicale | Autres listes |
1 | 34,43 % | 16,10 % | 21,90 % | 9,11 % | 5,83 % | 4,05 % | 5,05 % | 3,53 % |
2 | 30,51 % | 11,53 % | 31,25 % | 7,66 % | 5,19 % | 5,47 % | 2,98 % | 5,41 % |
3 | 31,28 % | 11,99 % | 29,94 % | 8,70 % | 5,07 % | 4,83 % | 3,42 % | 4,77 % |
4 | 29,59 % | 12,47 % | 30,00 % | 8,75 % | 4,93 % | 5,15 % | 4,01 % | 5,10 % |
5 | 26,14 % | 8,49 % | 35,67 % | 9,04 % | 5,76 % | 6,38 % | 2,56 % | 5,96 % |
6 | 25,94 % | 9,49 % | 31,93 % | 10,16 % | 6,67 % | 7,23 % | 3,24 % | 5,34 % |
7 | 29,86 % | 13,78 % | 28,26 % | 8,59 % | 4,99 % | 4,56 % | 5,41 % | 4,55 % |
8 | 30,71 % | 14,33 % | 28,10 % | 7,97 % | 5,68 % | 4,09 % | 4,35 % | 4,77 % |
Moyenne Turin | 29,77 % | 12,11 % | 30,01 % | 8,64 % | 5,49 % | 5,23 % | 3,74 % | 5,01 % |
Nombre de voix | 106 818 | 43 458 | 107 680 | 31 011 | 19 686 | 18 751 | 13 436 | 17 965 |
Participation (1er tour) : 57,18 % | Participation (2nd tour) : 54,41 % |
Blanc ou nul (1er tour) : 15 308 voix (3,85 %) | Blanc ou nul (2nd tour) : 6 942 voix (1,82 %) |
Tableau n°4. Résultats simplifiés de l’élection du maire de Turin en 2016 (1er tour, 5 juin ; Ballottage, 19 juin)
Piero Fassino (PD) | Piero Fassino (PD) | Chiara Appendino (M5S) | Chiara Appendino (M5S) | Alberto Morano (LN-FdI) | Osvaldo Napoli (FI) | Roberto Rosso (centre) | Giorgio Airaudo (gauche radicale) | Autres candidats (somme) | |
1er tour | 2nd tour | 1er tour | 2nd tour | 1er tour | 1er tour | 1er tour | 1er tour | 1er tour | |
1ère circonscription (Centro, Crocetta) | 50,18 % | 59,46 % | 23,68 % | 40,54 % | 8,71 % | 5,58 % | 3,84 % | 4,72 % | 3,29 % |
2e circonscription (S. Rita, Mirafiori Nord, Mirafiori Sud) | 42,21 % | 44,06 % | 31,98 % | 55,94 % | 7,40 % | 5,07 % | 5,26 % | 2,98 % | 5,10 % |
3e circonscription (S. Paolo, Cenisia, P. Strada, Cit Turin, B. Lesna) | 43,06 % | 47,05 % | 30,88 % | 52,95 % | 8,48 % | 4,93 % | 4,64 % | 3,47 % | 4,54 % |
4e circonscription (S. Donato, Campidoglio, Parella) | 41,93 % | 46,73 % | 31,06 % | 53,27 % | 8,44 % | 4,79 % | 4,98 % | 4,01 % | 4,79 % |
5e circonscription (B. Vittoria, M. Campagna, Lucento, Vallette) | 34,54 % | 35,24 % | 36,16 % | 64,76 % | 8,98 % | 5,58 % | 6,26 % | 2,66 % | 5,85 % |
6e circonscription (B. Milano, R. Parco, Barca, Bertolla, Falchera, Rebaudengo, Villaretto) | 35,49 % | 37,17 % | 32,62 % | 62,83 % | 9,90 % | 6,44 % | 7,04 % | 3,33 % | 5,18 % |
7e circonscription (Aurora, Vanchiglia, Sassi, M. Pilone) | 43,18 % | 47,28 % | 29,45 % | 52,72 % | 8,35 % | 4,91 % | 4,39 % | 5,31 % | 4,41 % |
8e circonscription (S. Salvario, Cavoretto, B. Po, Nizza, Lingotto, B. Filadelfia) | 45,07 % | 49,67 % | 29,15 % | 50,33 % | 7,67 % | 5,49 % | 4,02 % | 4,10 % | 4,50 % |
Moyenne municipale | 41,84 % 160 023 voix | 45,44 % 168 880 voix | 30,92 % 118 273 voix | 54,56 % 202 764 voix | 8,39 % 32 103 voix | 5,32 % 20 349 voix | 5,05 % 19 334 voix | 3,70 % 14 166 voix | 4,78 % 18 255 voix |
Les absolues certitudes à l’épreuve des valeurs absolues
Une première lecture des résultats fait apparaître plusieurs motifs de satisfaction pour le Parti démocrate et le centre-gauche, au-delà du succès qu’à elle seule représente l’élection de Stefano Lo Russo.
D’une part, le PD est le premier parti dans toutes les circonscriptions de Turin et sa coalition vire en tête dans six des huit circonscriptions. De ce point de vue, le centre-gauche fait mieux qu’en 2016, où certes la coalition menée par Piero Fassino arrivait en tête dans sept circonscriptions, mais où le PD seul ne l’emportait que dans quatre circonscriptions. Surtout, sur l’ensemble de la ville, le PD était dépassé par le M5S, fût-ce de moins de 1 000 voix.
De l’autre, le centre-gauche recueille des résultats plus homogènes au regard du précédent scrutin municipal. Un peu plus de dix points séparent le meilleur score de Stefano Lo Russo, dans la première circonscription, de son résultat le plus faible, dans la cinquième. C’était plus de 15% pour Piero Fassino en 2016, avec les mêmes circonscriptions pour maximum et minimum. En pourcentage, Lo Russo progresse partout sauf dans le centre (soit la 1re circonscription, composée de quartiers résidentiels dont les classes moyennes supérieures constituent l’habitat privilégié), où Fassino avait recueilli la majorité absolue dès le premier tour en 2016.
La répartition géographique des suffrages démocrates apparaît conforme au type d’électorat sur lequel repose aujourd’hui le succès du parti : les classes moyennes plutôt favorisées, les « radical chic » selon la jolie formule italienne (l’équivalent des « bobos »), qui se recrutent dans les 1re, 3e et 7e circonscriptions ainsi que dans une partie de la 8e, lesquelles abritent des quartiers marqués par une dynamique de gentrification tout en renfermant toujours une composante plus populaire. Le PD est également très puissant dans le vaste quartier résidentiel de Borgo Pô (8e circonscription), dont les habitants se distinguent par leur profil socio-économique élevé.
Corollaire de cette tendance, le PD est dépassé dans les anciens quartiers industriels du nord (5e et 6e circonscriptions), qui concentrent aujourd’hui les populations les plus pauvres et où ont afflué de nombreux migrants étrangers. Dans certains de ces quartiers emblématiques, comme Borgo Vittoria ou Madonna di Campagna, le PCI au temps de son apogée recueillait parfois plus de la moitié des suffrages exprimés. Ce sont désormais ceux où le PD est le plus faible. Néanmoins, dans d’autres ensembles restés majoritairement populaires, comme celui de Mirafiori (dont la partie sud abrite la dernière usine turinoise de Fiat), le PD réalise un bon score, au niveau de sa moyenne municipale. L’électorat démocrate prend ainsi l’aspect d’un Janus bifrons : il recrute essentiellement au sein d’un public situé plus haut sur l’échelle sociale et professionnelle, mais il continue à bénéficier du suffrage d’une partie des classes populaires, souvent restée fidèle à la gauche selon une logique d’héritage qui remonte à l’époque du PCI. Sur le terrain du vote populaire cependant, le PD laisse de plus en plus le champ libre à ses adversaires populistes, désormais ceux de droite bien plus que le M5S. Loin de son triomphe de 2016, le mouvement fondé par Beppe Grillo semble aujourd’hui à la dérive. Il obtient ses meilleurs résultats dans les 5e et 6e circonscriptions mais il y réalise tout de même un score trois fois inférieur à celui de 2016, où il flirtait avec les 40% dans certains quartiers.
Il s’agirait donc d’une victoire a priori sans appel pour le PD, d’autant plus qu’au second tour Lo Russo arrive en tête dans toutes les circonscriptions, y compris celles où il était devancé au premier tour. Or, une analyse plus détaillée du scrutin incite à davantage de prudence.
Tableau n°5. Comparaison des résultats du PD (élection du conseil municipal) et de son candidat (élection du maire) aux scrutins de 2016 et 2021
Circonscription | Fassino 2016 (maire, 1er tour) | Lo Russo 2021 (maire, 1er tour) | PD 2016 (conseil municipal) | PD 2021 (conseil municipal) |
1 | 50,18 % 17 270 voix | 47,06 % 16 262 voix | 34,43 % 10 857 voix | 27,31 % 8 861 voix |
2 | 42,21 % 27 181 voix | 44,40 % 22 833 voix | 30,51 % 18 506 voix | 30,50 % 14 741 voix |
3 | 43,06 % 24 654 voix | 46,14 % 22 178 voix | 31,28 % 16 667 voix | 31,16 % 14 088 voix |
4 | 41,93 % 17 801 voix | 45,23 % 16 817 voix | 29,59 % 11 746 voix | 29,89 % 10 455 voix |
5 | 34,54 % 17 635 voix | 36,10 % 13 777 voix | 26,14 % 12 709 voix | 25,76 % 9 350 voix |
6 | 35,49 % 13 914 voix | 36,37 % 10 833 voix | 25,94 % 9 668 voix | 24,33 % 6 824 voix |
7 | 43,18 % 15 236 voix | 46,89 % 14 059 voix | 29,86 % 9 936 voix | 28,61 % 8 060 voix |
8 | 45,07 % 26 332 voix | 46,45 % 23 441 voix | 30,71 % 16 719 voix | 28,57 % 13 511 voix |
TOTAL | 41,84 % 160 023 voix | 43,86 % 140 200 voix | 29,77 % 106 818 voix | 28,56 % 85 890 voix |
Source : Comune di Torino.
Dans un scrutin marqué par une forte abstention (plus de 50% au premier tour, près de 60% au second), il ne suffit pas d’observer les résultats en pourcentage. Il faut également prendre en considération le nombre de voix recueillies par les différentes forces en présence. Or, cette seconde donnée nuance considérablement l’idée d’une progression du PD.
La comparaison des scrutins de 2016 et 2021 montre que le PD recule partout en nombre de voix (voir tableau n°5). À l’échelle de la ville, ce sont plus de 20 000 voix qui manquent à l’appel. Même en pourcentage (hormis dans la 4e circonscription, où le parti « progresse » de 0,3%), le PD stagne voire recule légèrement au regard des élections de 2016. Loin de certaines proclamations enthousiastes, dans les quartiers périphériques (5e et 6e circonscriptions), le PD perd plusieurs milliers d’électeurs entre 2016 et 2021. Dans le centre, là où la participation a été la plus élevée, il recule de plus de 7%. Les autres forces de la coalition, loin de n’être que des forces « d’appoint », ont donc apporté un complément déterminant à la victoire du centre-gauche. Combiné à l’abstention, ce phénomène permet à la coalition de centre-gauche (43,97%) et à Stefano Lo Russo (43,86%) de dépasser les scores de 2016 (41,88% pour la coalition, 41,84% pour le candidat Piero Fassino).
Les résultats des élections régionales de 2019 pour la seule ville de Turin offrent un point de comparaison plus récent encore. Près de 198 000 voix se portent sur le nom de l’ancien maire Sergio Chiamparino, tandis que le PD recueille 100 000 voix et les autres partis de la coalition environ 56 000 voix (42 000 personnes ont donc voté pour Chiamparino sans en même temps voter pour une force de sa coalition, le système électoral étant le même que pour les élections municipales). Au niveau municipal, le PD perd ainsi 15 000 voix en deux ans et Stefano Lo Russo capitalise au premier tour 50 000 voix de moins que Chiamparino en 2019 et 20 000 voix de moins que Fassino au premier tour en 2016, tout en égalant le score réalisé par ce dernier au ballottage (mais, en 2021, du fait de l’abstention, 168 000 voix suffisent pour l’emporter).
Le centre-gauche reprend donc le contrôle de Turin en 2021, mais il le fait paradoxalement en régressant, du moins en valeur absolue, au regard du précédent scrutin. Concomitamment se font jour deux dynamiques qui ne peuvent que susciter son inquiétude : une poussée de la droite – qui, de son côté, progresse à tous les points de vue par rapport aux élections de 2016 – et une abstention record.
Défaite de la droite ou de la participation ?
Une étude réalisée par Youtrend pour la mairie de Turin au lendemain du premier tour met en lumière les flux qui recomposent l’électorat turinois à l’occasion du scrutin municipal de 202127Sara Strippoli, « I voti ad Appendino diventati astensioni o passati alle destre », La Repubblica, 7 octobre 2021, pp. 2-3.. La comparaison de ce premier tour avec celui des élections municipales de 2016 permet de définir l’électorat de Stefano Lo Russo comme :
- le plus mobilisé : seulement 3% des électeurs de Fassino en 2016 se sont abstenus en 2021, quand cela concerne un quart des électeurs de droite et près de deux tiers des électeurs du M5S de 2016 ;
- le plus mobilisateur, fût-ce de façon relative : sur les 14% d’électeurs qui s’étaient abstenus en 2016, mais qui ont voté en 2021, la moitié a apporté son vote au candidat de centre-gauche. En revanche, il peine à convaincre ceux qui s’étaient déjà déplacés en 2016 et qui n’avaient pas voté pour Fassino : seuls 2% des électeurs de Chiara Appendino et 2% des électeurs de droite de 2016 ont voté Lo Russo en 2021 ;
- le plus fidèle : 70% de ceux qui ont voté Fassino en 2016 ont voté Lo Russo en 2021. De ce point de vue, le centre-droit fait cependant jeu égal avec le centre-gauche puisque 69% des électeurs des trois coalitions de droite de 2016 votent Damilano en 2021. En revanche, moins de 20% des électeurs d’Appendino en 2016 – qui ne se représentait pas – se prononcent en faveur de la candidate 5 étoiles Valentina Sganga en 2021.
À l’inverse, fort inquiétant pour le Parti démocrate est le fait que 25% des électeurs de Piero Fassino ont apporté leur suffrage au candidat du centre-droit cinq ans plus tard – des transferts qui s’opèrent majoritairement dans les quartiers centraux. Surtout, selon la même étude, seul un électeur sur deux du PD aux élections européennes de 2019 lui a de nouveau apporté son suffrage en 2021. Certes, 15% de ces mêmes électeurs ont voté pour un autre parti de la coalition ou pour la liste de gauche radicale. Mais 17% d’entre eux se sont déplacés à droite et 18% se sont abstenus. Le recul du PD en nombre de voix n’est donc pas uniquement à mettre sur le compte de l’abstention qui, tout en le concernant moins que ses adversaires, ne l’épargne pas non plus.
Comment, pour leur part, les formations de droite évoluent-elles d’un scrutin à l’autre ? D’ordinaire unies au sein d’une seule coalition de « centre-droit », elles partaient divisées en trois listes rivales en 2016 : une coalition d’extrême droite (essentiellement menée par la Ligue et FdI), une coalition de droite à centre-droit (constituée autour de FI) et une coalition de centre, composée de formations politiques qui sont traditionnellement des « forces d’appoint » de la coalition de centre-droit. En 2021, la droite est à nouveau unie autour de Paolo Damilano, qui n’appartient à aucun parti. La comparaison des deux élections nécessite donc quelques calculs : d’une part l’addition des résultats obtenus par les trois listes dans le cadre de l’élection du conseil municipal ; d’autre part la somme des votes capitalisés par leur candidat au poste de maire.
Tableau n°6. Comparaison des résultats du centre-droit (élection du conseil municipal) et de ses candidats (élection du maire) aux scrutins de 2016 et 2021
Circonscription | Morano + Napoli + Rosso (maire, 1er tour 2016) | Damilano (maire, 1er tour 2021) | Total des trois coalitions de 2016 (conseil municipal) | Total coalition de centre-droit en 2021 (conseil municipal) |
1 | 18,13 % 6 238 voix | 41,74 % 14 425 voix | 18,99 % 5 992 voix | 41,86 % 13 584 voix |
2 | 17,73 % 11 418 voix | 37,67 % 19 371 voix | 18,32 % 11 111 voix | 37,95 % 18 341 voix |
3 | 18,05 % 10 337 voix | 37,54 % 18 045 voix | 18,60 % 9 915 voix | 37,70 % 17 045 voix |
4 | 18,21 % 7 736 voix | 36,90 % 13 722 voix | 18,83 % 7 474 voix | 37,04 % 12 959 voix |
5 | 20,82 % 10 627 voix | 41,90 % 15 991 voix | 21,18 % 10 298 voix | 42,14 % 15 294 voix |
6 | 23,38 % 9 167 voix | 44,72 % 13 321 voix | 24,06 % 8 962 voix | 44,93 % 12 599 voix |
7 | 17,65 % 6 229 voix | 35,04 % 10 506 voix | 18,14 % 6 035 voix | 35,07 % 9 878 voix |
8 | 17,18 % 10 034 voix | 37,58 % 18 966 voix | 17,74 % 9 661 voix | 37,75 % 17 853 voix |
TOTAL | 18,76 % 71 786 voix | 38,90 % 124 347 voix | 19,36 % 69 448 voix | 39,08 % 117 553 voix |
Source : Comune di Torino.
Force est de constater que, malgré sa défaite et malgré l’abstention, le centre-droit progresse en pourcentage comme en nombre de voix (voir tableau n°6). Dans la quasi-totalité des circonscriptions, il double son score en pourcentage et il n’est pas loin de le faire également en nombre de voix, performance qu’il réalise dans la 1re circonscription. De ce point de vue, en dépit de la victoire du premier sur le second, centre-gauche et centre-droit connaissent des dynamiques opposées ces cinq dernières années.
La coalition de centre-droit tire sa force de son caractère protéiforme. Menée par un indépendant de centre-droit, qui plus est entrepreneur turinois d’importance, elle réalise de bons scores dans les quartiers aisés du centre et les ensembles résidentiels aux abords du Pô, séduits par le profil du candidat Damilano. La liste civique « Torino bellissima » est alors la locomotive de la coalition. À l’inverse, dans les quartiers plus populaires, elle recueille la majorité du « vote protestataire », par l’intermédiaire de la Ligue et plus encore désormais de Frères d’Italie. La formation menée par Giorgia Meloni, à l’inverse de celle de Matteo Salvini – en perte de vitesse depuis août 2019 et l’échec de son leader à provoquer la tenue d’élections générales anticipées –, ne participe pas au gouvernement Draghi, qui depuis février 2021 regroupe tous les partis représentés au Parlement. Bien souvent, les deux partis récupèrent une grande partie du vote qui, cinq ans auparavant, avait permis au M5S de triompher dans ces quartiers. À condition que ces électeurs se soient de nouveau déplacés. Car, outre la dynamique de la droite, c’est bien l’abstention – celle des électeurs passés de ses adversaires – qui invite à lire différemment les résultats du PD et du centre-gauche. C’est ce phénomène qui gonfle les résultats du centre-gauche, qui le fait progresser de manière relative alors qu’il stagne sinon recule en valeur absolue.
Conclusion : une victoire et des défis pour le centre-gauche italien (et européen ?)
Par-delà les nuances et les limites mises au jour, les élections d’octobre 2021 sont toutefois bel et bien un succès pour le Parti démocrate et le centre-gauche. La formation démocrate se hisse à la première place dans toutes les circonscriptions de la ville, grâce à son pouvoir fédérateur à gauche (sa « vocation majoritaire » pour reprendre l’expression de Walter Veltroni lors de la fondation du PD en 2007) et de la concurrence exercée entre eux par les partis de droite populiste. De fait, même là où la coalition de centre-droit devance celle de centre-gauche, le PD demeure le premier parti car les voix à droite se répartissent entre la Ligue et Fratelli d’Italia. Les scores (en pourcentage) du parti sont en hausse dans tous les quartiers de Turin au regard du scrutin de 2016, à l’exception de l’hyper-centre. La fidélité de son électorat, quand celui du M5S et de la droite populiste ont connu de considérables mutations ces cinq dernières années, fait également sa force.
Sur le terrain de l’électorat encore, le PD peut surtout compter sur les quartiers centraux « radical-chic » (malgré le recul de 2021) et les ensembles résidentiels situés à l’est du Pô, non moins aisés que les premiers. S’il se maintient dans certains quartiers historiquement de gauche, il y est talonné par la droite populiste (et dans une moindre mesure par un M5S qui ne réédite pas ses scores de 2016) qui grignote et parfois même phagocyte le réservoir électoral de la gauche sur le terrain du vote populaire. En revanche, malgré une reprise en termes de pourcentages et donc en trompe-l’œil, le PD perd encore des voix dans les quartiers qui concentrent les populations en situation de grande insécurité économique, là où jadis le PCI triomphait et où, après le M5S en 2016, la Ligue et Frères d’Italie polarisent aujourd’hui les votes.
En 2021, son candidat est élu maire parce qu’il conserve une avance déjà large au premier tour mais surtout parce qu’il bénéficie d’un bien meilleur report de voix que Piero Fassino en 2016. Contexte local et contexte national s’interpénètrent à nouveau : avec le rapprochement du PD et du M5S depuis septembre 2019, c’est cette fois le candidat de centre-droit qui fait figure de repoussoir, de candidat à battre. Et non celui du PD, et avec lui Matteo Renzi, comme en 2016.
Ancien bastion communiste, Turin apparaît toujours comme une ville de gauche mais de façon bien différente au regard de l’époque du PCI. L’échelle micro-analytique conforte ainsi la tendance qui se dessine au niveau du macrocosme italien et même européen : l’électorat de la gauche (sociale-démocrate, mais aussi en partie radicale) a changé et ses formations recrutent désormais bien plus auprès des classes moyennes supérieures que des populations les plus démunies, desquelles pourtant elles continuent de se revendiquer comme le porte-parole28Cette mutation est par exemple évoquée par Mathieu Fulla et Marc Lazar, Les socialistes européens et l’État (XXe-XXIe siècle). Une histoire transnationale et comparée, La Tour-d’Aigues, L’Aube/Fondation Jean-Jaurès, 2021, p. 87. Les auteurs parlent de « “partis de travailleurs” devenus “partis de diplômés” ».. En cela, le tableau turinois, qui se décline de manière semblable dans un nombre croissant de villes du Vieux Continent, apparaît exemplaire des nouveaux défis de la gauche européenne.
Le succès de Stefano Lo Russo et du Parti démocrate à Turin est net et, par plusieurs aspects, encourageant pour le centre-gauche italien. Il convient néanmoins de se garder de tout accent triomphaliste. Il remporte à Turin une victoire prudente, qui doit l’inciter et inciter ses homologues européens à continuer de travailler pour rétablir le lien de confiance avec les électeurs et, surtout, avec ceux qui ne se sont pas déplacés. Une exigence d’autant plus grande à l’heure où, des deux côtés des Alpes, la politique traverse une saison de défiance et où l’abstentionnisme galopant ébranle nos démocraties.
- 1Fondé en 1991 pour succéder au PCI, le Parti démocrate de la gauche (PDS) devient les Démocrates de gauche (Democratici di sinistra, DS) en 1998 avant que la fusion de cette formation avec La Marguerite (regroupant une partie de l’aile gauche de l’ancienne Démocratie chrétienne) ne donne naissance au Parti démocrate (PD) en 2007.
- 2Voir notamment Luca Argenta, « Manita » du PD et droites en embuscade : ce qu’il faut retenir des élections municipales en Italie, Fondation Jean-Jaurès, 25 octobre 2021.
- 3Matteo Renzi est secrétaire du Parti démocrate de décembre 2013 à février 2017, puis de mai 2017 à mars 2018. Il occupe aussi et surtout la fonction de président du Conseil de février 2014 à décembre 2016. En septembre 2019, de plus en plus marginalisé, il quitte le PD pour fonder son propre parti, « Italia Viva », d’inspiration sociale-libérale.
- 4Selon le titre de l’article de Giovanna Vitale, « Comunali, segnali di disgelo tra Pd e periferie: rispuntano i voti nelle zone popolari », La Repubblica, 10 octobre 2021.
- 5Enrico Letta parle en effet de « victoire triomphale » au soir des résultats, voir « Letta : “Vittoria trionfale, Pd federatore del centrosinistra”. Conte : “L’astensionismo è il vero protagonista. Subito riorganizzazione interna” », La Repubblica, 18 octobre 2021.
- 6Giovanna Vitale, « Comunali, segnali di disgelo tra Pd e periferie: rispuntano i voti nelle zone popolari », art. cit.
- 7Roberto Tricarico, « Chiamparino e Fassino, i ragazzi di via Chiesa della Salute », Il Corriere della Sera, 28 mai 2019.
- 8La formule est bien sûr empruntée à Jacques Revel (dir.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard et Le Seuil, 1996.
- 9Sondage IPR Marketing de novembre 2006. Déambuler en sa compagnie dans les rues de Turin quinze ans plus tard démontre en outre que celle-ci est encore intacte…
- 10Depuis l’après-guerre, en Italie, le maire était désigné par le conseil municipal, lui-même élu sur la base résultats du vote populaire. La loi du 25 mars 1993 fixe également à quatre ans la durée du mandat exercé par le maire, avant que la loi du 30 avril 1999 ne remonte à celle-ci à cinq ans.
- 11Diego Longhin, « Torino, il sondaggio: Fassino vince al ballottaggio contro Appendino, lavoro e buche i problemi più urgenti », La Repubblica, 20 mai 2016.
- 12Claudio Paudice, « Le profezie di Piero Fassino: “Chiara Appendino? Provi a prendere il mio posto. E Grillo faccia un partito, vediamo quanti voti prende” », Huffington post, 19 juin 2016.
- 13Entretien avec Sergio Chiamparino, 17 février 2020.
- 14Andrea Giambartolomei, « Elezioni Regionali Piemonte, l’addio di Sergio Chiamparino: “Ho combattuto l’ultima battaglia e l’ho persa” », Il Fatto quotidiano, 27 mai 2019.
- 15Entretien de l’auteur avec Sergio Chiamparino, 17 février 2020.
- 16Ibid.
- 17En Italie, les élections municipales ne sont pas organisées partout dans le pays à la même date. En juin 2016, outre Turin, Rome, Milan ou encore Bologne renouvelaient leur Conseil municipal.
- 18À partir du mois d’avril 2016, Matteo Renzi et – malgré les réticences de certains parlementaires – l’ensemble du PD avec lui, promeuvent une réforme de la Constitution destinée à compléter la nouvelle loi électorale, adoptée en 2015. Les nouvelles dispositions doivent notamment mettre fin au bicaméralisme parfait qui structure le système parlementaire italien et modifier en profondeur les prérogatives du Sénat. N’attendant pas d’y être poussé par l’opposition, Renzi se prononce d’emblée en faveur de l’organisation d’un référendum, prévu pour décembre 2016. Le président du Conseil voit dans la manœuvre l’occasion de recevoir la consécration populaire de l’action de son gouvernement et ainsi mettre un terme au procès en légitimité que lui intente l’opposition depuis 2014 (en raison des modalités selon lesquelles Renzi est arrivé au pouvoir). Le PD est pratiquement isolé dans la campagne pour le « oui » tandis que toute l’opposition, de la gauche radicale à la Ligue en passant par le M5S, s’arc-boute en faveur du « non ».
- 19Éric Jozsef, « En Italie, l’addition électorale est salée pour Matteo Renzi », Libération, 20 juin 2016.
- 20En Italie, l’expression désigne la période qui s’étend de 1948 à 1994, dominée par la Démocratie chrétienne (DC), au pouvoir sans interruption, et le PCI, premier parti d’opposition. Bien que la Constitution en vigueur soit toujours la même depuis 1947, il s’agit par cet abus de langage de sanctionner le bouleversement du système politique italien après l’opération « Mains propres » et le scandale politico-financier Tangentopoli.
- 21Diego Longhin, « Chiamparino: “Il mio tris da sindaco? Non esiste la possibilità che io mi candidi” », La Repubblica, 31 décembre 2020.
- 22« Gaffe di Salizzoni: “Chiamparino è uno stronzo” », La Voce Torino, 12 janvier 2021.
- 23Bernardo Basilici Menini, « Mauro Salizzoni lascia: non è più candidato sindaco a Torino », La Stampa, 11 mars 2021.
- 24Bernardo Basilici Menini, « Primarie centrosinistra a Torino: Lo Russo vince di neanche 300 voti, Tresso sfiora l’impresa. Affluenza flop: solo 11 mila votanti », La Stampa, 13 juin 2021.
- 25« Elezioni, Chiamparino punzecchia Damilano: “A Torino serve un leader urbano, non un piacione da aperitivo” », La Repubblica, 18 septembre 2021.
- 26Diego Longhin et Sara Strippoli, « Torino in bilico, Damilano primo ma al ballottaggio rischia la sconfitta », La Repubblica, 17 septembre 2021.
- 27Sara Strippoli, « I voti ad Appendino diventati astensioni o passati alle destre », La Repubblica, 7 octobre 2021, pp. 2-3.
- 28Cette mutation est par exemple évoquée par Mathieu Fulla et Marc Lazar, Les socialistes européens et l’État (XXe-XXIe siècle). Une histoire transnationale et comparée, La Tour-d’Aigues, L’Aube/Fondation Jean-Jaurès, 2021, p. 87. Les auteurs parlent de « “partis de travailleurs” devenus “partis de diplômés” ».