La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen a prononcé cette semaine son discours sur l’état de l’Union. Pour Théo Verdier, co-directeur de l’Observatoire Europe de la Fondation, les questions écologiques, et notamment la mise en œuvre du Pacte vert, seront au cœur des clivages au sein des différents partis politiques, lors des prochaines élections européennes en juin 2024.
La concrétisation du Pacte vert européen et son impact sur le coût de la vie des Français, et plus largement des Européens, constituent le ciment sur lequel le débat des élections européennes de juin 2024 s’apprête à prendre.
L’adoption de justesse par le Parlement européen de sa position concernant le règlement sur la restauration de la nature a offert un cas d’école des débats qui nous attendent lors de la campagne à venir. Le texte constitue un élément essentiel à la mise en œuvre du Pacte vert, porté par l’actuelle Commission et sa présidente de centre-droit Ursula von der Leyen.
Le règlement – qui prévoit de fixer un objectif contraignant au sein de l’UE, obligeant les États membres à mettre en place des mesures de restauration efficaces – a vu une partie de la droite européenne lui retirer son soutien face aux réticences du monde agricole. Cet épisode s’inscrit dans la dynamique de résistances aux contraintes environnementales qui émaille tout le continent. Et bénéficie d’une dynamique électorale séduisante pour les forces politiques qui préparent actuellement leurs programmes. On l’a vu récemment aux Pays-Bas avec l’émergence du Mouvement agriculteur-citoyen en réaction à un projet de transformation du modèle agricole intensif du pays, ou encore en Allemagne avec la poussée dans l’opinion du parti d’extrême droite AfD dans le sillage du débat sur l’interdiction du chauffage domestique au gaz et au fioul.
Des tensions similaires traversent désormais l’ensemble du débat écologique communautaire. On a pu le constater à l’occasion du discours sur l’état de l’Union prononcé cette semaine par la présidente de la Commission au Parlement européen. Le Pacte vert constitue un pilier central du bilan de l’exécutif européen pour le mandat 2019-2024, et une réponse à la mobilisation de la jeunesse européenne pour le climat dès 2018. Ce qui n’empêche pas l’extrême droite de s’y opposer frontalement, et une part du centre et de la droite européenne d’appeler à une temporisation. On peut citer à ce titre les propos du ministre des Finances allemand, le libéral Christian Lindner, appelant à une « pause » sur la révision de la directive portant sur la performance énergétique des bâtiments.
Un incontournable dans l’esprit des Français et des Européens
Le climat compte parmi le trio de tête des sujets que les Européens souhaitent voir traités par le Parlement européen. C’est même la première priorité des Français, 43% d’entre eux y voyant un enjeu majeur pour l’assemblée européenne1Eurobaromètre spécial n°99.1 du Parlement européen, juin 2023.. D’ailleurs, les forces partisanes hexagonales qui étaient les plus en retard sur le sujet ne s’y trompent plus. Se bornant jusqu’ici à prôner une forme de localisme en guise de politique écologique, le Rassemblement national renforce sa doctrine et investit la question. Le parti de Marine Le Pen prépare une prise de position sous l’angle de « l’agrarisme » et d’une écologie « du bon sens », à en croire la récente enquête du journal Le Monde. Du côté des Républicains, plusieurs élus importants ont appelé leur parti à placer le sujet au cœur de son projet politique.
Or, le sujet a par nature une dimension européenne. 56% des Européens estiment que l’Union européenne (UE) doit mener la lutte contre le changement climatique au même titre que les gouvernements nationaux2Eurobaromètre spécial n°538 – Changement climatique, juillet 2023.. Ce que les institutions européennes ont bien compris. Du fait de leur force normative, elles ont conquis un tout nouveau champ de compétences en ce domaine.
Ainsi, la politique climatique européenne entre dans un nouveau paradigme. Elle se situe à la croisée d’une puissance politique, le pouvoir d’action de l’Union sur ce thème, d’un mouvement d’intérêt dans l’opinion et d’une opportunité politique pour les forces en présence. Ainsi, le climat sera au cœur du débat lors de la campagne des européennes. Et ce, dans une proportion sans commune mesure avec la campagne de 2014 ou celle de 2019.
Dans la mise en œuvre du Pacte vert : faire une « pause » vs. amortir socialement pour une transition juste
Le Pacte vert vise à réduire de 55% nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Ceci se traduit par des changements concrets dans nos vies quotidiennes. À titre d’exemple, 58 millions de pompes à chaleur3Neil Makaroff, Un contrat social, écologique et européen : l’horizon possible du Pacte vert, Fondation Jean-Jaurès, juin 2023. devront avoir été installées d’ici à 2030 pour tenir nos objectifs, contre 20 millions aujourd’hui en fonctionnement dans l’UE. Les ménages paieront également à partir de 2027 une taxe carbone sur les carburants et le chauffage domestique.
Les mesures du Pacte vert participent de la réduction de notre consommation d’énergies fossiles tout comme de l’adaptation à un nouveau monde résultant des effets du dérèglement climatique. Toutefois, leur radicalité se conjuguent à la hausse généralisée du coût de la vie et au phénomène de « démoyennisation », un décrochage d’une partie de la classe moyenne européenne dans un contexte de forte inflation. En ce sens, la nature du débat des prochaines élections européennes est tout trouvé : avons-nous les moyens de mettre en œuvre les objectifs ambitieux fixés par le Pacte vert ?
Nous pouvons lire à cette aune les récentes déclarations d’Emmanuel Macron sur la nécessité d’une « pause » dans la marche réglementaire européenne. Son propos visait la soutenabilité des obligations portant sur l’industrie dans l’Union. Il peut toutefois aisément s’étendre aux ménages en général ou à plusieurs secteurs en particulier : l’agriculture, le bâtiment, le transport aérien, etc. Une position maximaliste qui sera campée à des degrés divers par la droite et l’extrême droite.
Les tenants d’un renforcement du Pacte vert, à gauche et dans certaines familles du centre, lui opposeront les amortisseurs sociaux nécessaires à une transition juste. Mais jusqu’ici l’Union n’est pas parvenue à mettre en face des transformations économiques des dispositifs en rendant plus supportable le coût pour les Européens. Le fonds social associé au Pacte vert bénéficie d’un budget restreint. Et aucune politique d’envergure n’est aujourd’hui annoncée sur ce plan. Rendre crédible un programme de réduction des inégalités par la poursuite de nos objectifs climatiques constitue ainsi l’un des leviers clés d’une campagne réussie pour les tenants de l’écologie politique.
- 1
- 2Eurobaromètre spécial n°538 – Changement climatique, juillet 2023.
- 3Neil Makaroff, Un contrat social, écologique et européen : l’horizon possible du Pacte vert, Fondation Jean-Jaurès, juin 2023.