Pour Esprit critique, Ziad Gebran se penche sur le dernier ouvrage de Myriam Revault d’Allones, paru au Seuil (coll. La couleur des idées, 195 pages, 19 euros), véritable réflexion sur la crise de la représentation dans nos démocraties instables.
Pour comprendre l’intérêt du livre de Myriam Revault d’Allones, une fois n’est pas coutume, il faut commencer par la conclusion. La philosophe y pose sa problématique en ces termes : « Comment les capacités peuvent-elles être ressaisies, dans une dynamique qui les ferait échapper, d’une part, aux pièges de la fixité, de la permanence substantielle, et, de l’autre, à la mobilité incessante qui affecte les structures sociales et fragmente les expériences et les parcours individuels jusqu’au risque de leur dissolution ? ».
Derrière ce style, parfois compliqué, qui lui propre et qui est cohérent à l’exercice, se cache une véritable réflexion sur la crise de la représentation dans nos démocraties instables, marquées par le triomphe de l’instant, « liquides ». Le résultat d’une démarche intellectuelle, qu’elle déroule tout au long de cet ouvrage, et dont on a parfois du mal à comprendre la résonance par rapport aux enjeux actuels. Pourtant, tout s’éclaire quand on arrive dans les dernières pages. Le salut de notre système politique viendrait d’une reconquête du « pouvoir heuristique de la fiction autrefois incarné par le théâtre antique » ; retrouver une capacité imaginative du citoyen et narrative des vies – à la manière des travaux de Svetlana Alexievitch – permet de (re)constituer une communauté d’expérience, une appartenance à un nous. C’est pour cela que Myriam Revault d’Allones se lance, dès le début de son livre, dans une analyse sémantique du mot « représentation ». De la délégation de pouvoir à la performance théâtrale, les différentes significations de ce terme, qui est au centre de nos discours politiques, permettent de mieux comprendre les différentes conceptions de la démocratie.
Pour cela, l’auteur fait appel à l’ensemble du corpus intellectuel de la philosophie politique, de Platon à Hobbes ou Rousseau, en passant par Hannah Arendt et d’autres, pour expliquer en quoi la polysémie de ce terme peut éclairer le contexte actuel. L’une des questions centrales qui intéresse nos démocraties, à laquelle Myriam Revault d’Allones tente de répondre dans Le miroir et la scène, est de savoir si, dans notre système représentatif, les représentants doivent ressembler à la population, ou si, au contraire, ce travail de représentation doit pleinement jouer son rôle. De l’élection au tirage au sort, en vigueur à Athènes, comment résoudre cette crise de la représentativité, à la lumière de ces différentes théories qui se confrontent depuis plusieurs siècles ? Pour cela, elle passe par une description précise des différentes formes par lesquelles le pouvoir passe et se transforme, du corps dual du souverain monarque au rôle d’intermédiation que peut jouer le gouvernement dans les démocraties. Par ailleurs, elle pose la question de la transparence, ô combien actuelle, dans sa réflexion, comme éventuelle condition pour améliorer cette représentativité, qui ferait aujourd’hui défaut, comme le prouve le désintérêt croissant des citoyens pour la politique.
Chacune des pièces de ce puzzle – pensées philosophiques, concepts théoriques ou trop rares références à l’actualité – est, prise à part, d’une finesse d’analyse brillante et précise. Mais elles mettent du temps à s’assembler pour permettre d’avoir une vue d’ensemble sur le sujet que Myriam Revault d’Allones traite ici. Il faut suivre la philosophe dans son raisonnement, lui faire confiance, et justement s’engager dans une lecture heuristique, qu’elle appelle d’ailleurs de ses vœux pour nos démocraties, pour arriver au résultat final, où tout s’éclaire. Nous sortirons de la crise de représentativité, sans doute, par des solutions très opérationnelles, livrées clés en main, mais aussi par cette puissance intellectuelle dont fait preuve la philosophe, qui permet de redonner du sens à nos démocraties.