Le genre est-il instrumentalisé dans le conflit israélo-palestinien ? Analyse pour Israël

Apporter un regard différent sur le conflit israélo-palestinien et les populations qui sont impliquées, c’est l’objectif de Déborah Rouach dans cette note1Cet écrit s’inspire d’un travail de recherche précédent : Déborah Rouach, « L’instrumentalisation du genre dans le conflit israélo-palestinien (2000 – 2020) », mémoire Master 2 en géopolitique et prospective, sous la direction de Marie-Cécile Naves, Paris, Iris Sup’, 2020. qui analyse l’emprise des représentations genrées sur l’identité de la population israélienne.

Le conflit israélo-palestinien est un sujet qui n’a pas fini de faire couler de l’encre. Sa médiatisation et son importance géopolitique depuis des décennies ont participé à développer une certaine lecture politique et géographique des faits, basée sur une image militariste et patriarcale où les hommes sont omniprésents. Que ce soit la société israélienne ou palestinienne, celles-ci sont toutes deux les otages d’un conflit insoluble qui dévore leur individualité, conditionne leur existence et s’est imposé comme l’élément déterminant de la construction de leur identité. En cela, le conflit tend à occulter tout autre sujet pour incarner la prison de ces deux peuples.

Le concept de genre occupe un rôle clé dans le contexte de ce conflit hyper-masculinisé qui a façonné des imaginaires genrés précis de l’homme et de la femme israélien·ne·s. Le genre est un domaine d’analyse attestant qu’il n’existe pas d’essence de la féminité et de la masculinité fondée sur des caractéristiques biologiques immuables. Les différences entre les hommes et les femmes sont des constructions sociales, culturelles et politiques en perpétuelle mutation et non le résultat de dispositions naturelles. Les comportements adoptés par les femmes et les hommes, élaborés en opposition l’un avec l’autre, témoignent de ce qui est socialement attendu d’eux. En outre, cette interaction entre femmes et hommes est loin d’être une relation égalitaire. Elle se caractérise par divers rapports de force entre les sexes qui participent à la hiérarchisation entre le féminin et le masculin.

En se focalisant sur la représentation des femmes et des hommes de ce pays, c’est une réflexion différente que l’on veut présenter, plus intime et humaine, de la situation en Israël et dans les Territoires palestiniens. Étudier les codes de lecture genrés qui sont associés à l’autre, le camp adverse, l’ennemi, permet d’avoir une meilleure compréhension de la manière dont se pense le corps de la nation en guerre, de l’organisation de ces deux populations et de leurs interactions. Adopter le genre comme concept d’analyse du conflit israélo-palestinien et de la société israélienne met également en lumière les formes d’oppression internalisées dans chaque camp.

Cette note se focalise sur Israël et en annonce une autre qui transposera cette analyse aux Territoires palestiniens.

Le discours genré du nationalisme en Israël

La construction du corps, des corps, de la nation israélienne a débuté bien avant la création de l’État d’Israël. Elle prend racine avec le sionisme, mouvement politique né à la fin du XIXe siècle pour l’établissement d’un État juif en Palestine, qui a participé au façonnement de l’identité nationale israélienne. Le sionisme pensé par Theodor Herzl porte les ambitions d’« invincibilité2Notion expliquée dans le paragraphe suivant. » d’un peuple humilié et incarne une forme de « nationalisme érotisé3Simona Sharoni, « Gendered Identities in Conflict: The Israeli-Palestinian Case and Beyond », Women’s Studies Quarterly, vol. 23, n°3/4, 1995. » où la féminité et la masculinité sont essentialisées. Toutefois, les hommes et les femmes n’ont pas le même rôle dans la pensée sioniste.

L’homme juif doit personnifier la puissance, le courage et l’héroïsme viril, il garantit la survie de la nation contre l’ennemi. C’est un être actif sorti de sa passivité d’antan, un guerrier au service de son pays qu’il doit défendre et protéger à tout prix. La nation s’est donc érigée de pair avec celle du mythe du « nouvel homme juif » opposé au juif de la diaspora considéré comme faible. La figure du Sabra (cactus en hébreu) est édifiante. Le Sabra est le juif né en Israël à la peau dure, mais qui cache une certaine douceur sous sa force extérieure.

Dans la littérature sioniste, la nouvelle masculinité juive est également incarnée par le conquérant d’une terre à féconder, le pionnier qui fertilise la terre par la conquête de soi et de la nation contre l’autre, l’ennemi. Ici, les concepts de « territoire » et de « nation » sont féminisés, les hommes doivent assurer l’intégrité territoriale comme celle des Juives contre les Palestiniens.

Ce projet national repose donc sur les hommes, il est bâti comme le domaine hégémonique de la masculinité. Cette relation intime créée entre la masculinité et le nationalisme juif a conduit à discriminer et invisibiliser les femmes. L’opposition et la hiérarchisation entre les hommes et les femmes au sein de l’idéologie sioniste a donc marginalisé les femmes à une place subalterne. Il est important de comprendre que les penseurs sionistes considèrent que les femmes sont à blâmer pour la faiblesse du peuple juif4Valérie Pouzol, Clandestines de la paix. Israéliennes et Palestiniennes contre la guerre, Paris, Éditions Complexe, 2008..

Le discours politique a défini le devoir national des femmes en complémentarité avec celui des hommes : pour les uns la sécurité, pour les autres la reproduction. La femme juive doit se satisfaire d’être la reproductrice biologique et idéologique de la nation : fournir des soldats à la nation et transmettre la culture et l’identité aux jeunes générations. La fonction de nourricières du pays imposée aux femmes idéalise et glorifie leur rôle. La vertu et les mœurs des mères et des épouses est véhiculée à l’ensemble du peuple, il en va donc de l’honneur de la nation de maintenir les femmes en sécurité, cantonnées à la sphère privée et de l’intime. La géographie du corps des femmes comporte également des frontières, elle définit la limite entre soi et l’ennemi. Ainsi ne pouvant servir leur nation par les armes, les femmes le font avec leur corps, tel est le discours national à l’intention des Juives installées en Israël. Lors des différentes périodes de guerre, la stratégie nataliste du pays a été renforcée face au « risque démographique » représenté par les Palestinien·ne·s. Après la Guerre des Six Jours, le 8 décembre 1967, le Premier ministre David Ben Gourion s’exprimait dans le journal Ha’aretz à ce sujet : « L’augmentation du taux de natalité juive est un besoin vital pour l’existence d’Israël, et une femme juive qui n’a pas mis au moins quatre enfants au monde […] est en train de frauder la mission juive5Uta Klein, The Gendering to National Discourses and the Israeli-Palestinian Conflict, University of Muenster, 1997.. » Les Israéliennes ont la responsabilité de garantir la pérennité du peuple juif par la procréation. La conditionnalité de l’appartenance à la nation pour les femmes et les hommes expose donc les liens entre identité de genre et identité nationale. L’universitaire Simona Sharoni fait le constat d’un « nationalisme érotisé6Simona Sharoni, « Gendered Identities in Conflict: The Israeli-Palestinian Case and Beyond », Women’s Studies Quarterly, vol. 23, n°3/4, 1995. ».

Quel rôle détient Tsahal dans le façonnement des identités de genre de la société israélienne ?

Dans un pays en prise à un conflit insoluble depuis 1948 tel qu’Israël, la conquête de la nationalité israélienne est intimement liée au service militaire. L’armée de défense d’Israël étant érigée comme l’institution la plus indispensable du pays, elle légitime l’affiliation à la nation en plus d’incarner le lieu de la construction, ou plutôt du conditionnement, d’une identité commune. Elle participe à transmettre aux jeunes le sens de leur citoyenneté et par conséquent leur place au sein de la société. Cela explique l’hostilité des hommes religieux depuis les années 1950 à une meilleure intégration des femmes dans l’armée, et par extension dans la société israélienne.

L’armée ne peut être pensée hors d’un cadre de référence construit autour du genre. Elle s’est développée dans un environnement patriarcal qui voue un culte à la masculinité hyper-virilisée et se pense difficilement en dehors du domaine masculin. Elle modèle les corps autant que les esprits suivant une grille de lecture bien définie. La participation civique via le service militaire devient un acte codé en fonction de certains comportements genrés qui s’apparente à un privilège acquis par le courage mis au service de la survie de la nation et du sacrifice pour celle-ci. Pour les femmes comme les hommes, l’armée est un rite de passage mais la hiérarchisation qui y règne place le soldat au sommet et fait de lui le citoyen ultime7Orna Sasson-Levy, Edna Lomsky-Feder, « Israeli Women Soldiers and Citizenship : Gendered Encounters with the State », Brandeis University, 2016..

Pour les Israéliens cisgenres hétérosexuels, leur rôle de défenseurs de la nation est conforté tout comme les attributs traditionnels rattachés à la masculinité. La relation des Israéliennes à l’armée est plus complexe. Des témoignages de soldates8Orna Sasson-Levy, Yagil Levy, Edna Lomsky-Feder, « Women breaking the silence: military service, gender, and antiwar protest », Gender & Society, vol. 25, n°6, 2011. recueillis en 2010 démontrent que la Force de défense d’Israël demeure un lieu de hiérarchisation des genres, où la féminité et la masculinité sont en représentation et où une certaine porosité entre les genres voit le jour. Les femmes qui occupent des postes dits « masculins » expérimentent plus fortement un franchissement des frontières de genre à travers l’adoption de comportements violents associés aux hommes en vue de s’extraire de l’ostracisation qu’elles subissent. Néanmoins, les circonstances de cette expérience restent temporaires et dépendent de l’approbation des hommes. Leur identité oscille donc entre différentes assignations genrées qui ne sont pas forcément cohérentes, ce qui leur demande un travail constant d’équilibriste. Bien que le service militaire soit obligatoire pour les Israéliennes, leur place au sein de Tsahal est ambiguë. Les soldates servent à l’armée pour une plus courte durée, leur présence n’est pas considérée comme indispensable9Les femmes sont plus facilement exemptes du service militaire. En 2016, 58,2% des Israéliennes s’enrôlaient dans l’armée contre 71,9% des hommes. Source : Judah Ari Gross, « L’armée israélienne révèle ses statistiques », The Times of Israël, 18 novembre 2016., les postes auxquels elles pouvaient prétendre respectaient des critères sexospécifiques. Elles étaient secrétaires et occupaient des fonctions de soutien aux soldats jusque dans les années 1990, leur présence étant acceptée comme subordonnée uniquement. Les postes de combat et donc de commandement ont été ouverts aux femmes en 2000. Avant cela, elles servaient dans le Corps des femmes, Hen, démantelé un an plus tard et remplacé par le Conseil pour les questions de genre entraînant la pleine intégration des femmes dans Tsahal. En 2004, Caracal, la première unité mixte, voit le jour et deux ans plus tard les femmes participent au combat lors de la guerre du Liban. La place des femmes dans l’armée demeure toutefois un sujet actuel : en 2020 une pétition a été signée par des femmes pour servir dans les chars d’assaut et des Israéliennes ont porté la demande de pouvoir intégrer les commandos d’élite, unités uniquement masculines, devant la Haute Cour de justice10 Danièle Kriegel, « Les Israéliennes veulent intégrer les commandos de Tsahal », Le Point, 27 novembre 2020.. S’il y a eu une intégration progressive des femmes au sein de l’armée, l’image d’un pays qui vante le service militaire féminin comme un gage d’égalité de genre et d’émancipation des femmes doit être nuancée. L’inclusion des femmes dans Tsahal a été motivée par un besoin de rentabiliser toute main-d’œuvre disponible et non l’expression d’un programme social en faveur de l’égalité femmes-hommes.

Le risque en Israël est d’établir un lien de causalité entre une participation égale au service militaire pour les femmes et les hommes et l’égalité de genre dans la société israélienne. La première interaction des citoyen·ne·s avec l’État par le biais du service militaire expose son pouvoir d’accorder ou de nier leur place dans la société. Par ailleurs, l’influence de la participation à l’armée sur l’insertion des citoyen·ne·s dans la vie publique et politique en Israël qui dépend de la durée du service militaire et du grade occupé désavantage les femmes11Ilaria Simonetti, « Le service militaire et la condition des femmes en Israël », Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 2006.. La 24e Knesset, le Parlement, compte seulement un quart de députées depuis avril 2021, une proportion faible qui s’explique par le poids de l’armée ainsi que par la reproduction des comportements hostiles envers les femmes. De surcroît, les hommes sont souvent considérés comme les seuls capables de protéger et diriger le pays, de penser l’avenir de la nation et donc d’avoir une opinion légitime sur le conflit. En comparaison, la voix des femmes sur ces sujets se retrouve décrédibilisée dans la société.

Quand le féminisme s’oppose au nationalisme

L’égalité des droits des femmes en Israël est consacrée par une loi adoptée en 1951. Elle n’est cependant que « symbolique puisqu’elle ne permet pas à la Cour suprême de casser les décisions du Parlement qui iraient à son encontre, ni d’intervenir dans le domaine du statut personnel au sujet du mariage et du divorce12Esther Benbassa, « Légalité, ambiguïtés, réalités : la condition des femmes en Israël », Après-demain, 2007/2 (n° 2, NF). ». En effet, la juridiction du Grand rabbinat d’Israël gère le statut personnel de la population juive via l’application de la halakhah, la loi juive, laquelle discrimine les femmes qui subissent à leur détriment des pratiques archaïques et misogynes. La citoyenneté des Israéliennes s’avère en ce sens incomplète car elles sont privées de certains droits fondamentaux.

Bien qu’au cours des années 1990 une série de lois ait été adoptée s’agissant de l’égalité femmes-hommes et de la lutte contre les discriminations de genre, la présence de juifs ultra-orthodoxes et de nationalistes religieux à la Knesset entrave toute initiative d’évolution en matière d’égalité femmes-hommes et de droits des femmes en Israël. Sous les différentes administrations de Benyamin Netanyahou, les partis ultra-orthodoxes ont pris de l’ampleur dans la vie politique et ont été instrumentalisés par l’ancien Premier ministre pour consolider la coalition de partis favorables à ses multiples élections. Un tel contexte politique a concouru à passer sous silence les problématiques de genre dans la société et à étouffer la voix publique desIsraéliennes. Au gouvernement, l’union des juifs ultra-orthodoxes et des nationalistes religieux est souvent la première à se prononcer contre toute évolution de la condition des femmes ou prise de position en faveur de l’égalité femmes-hommes au sein de l’armée ou de la société.

La religiosité présente dans l’ensemble des sphères de la société israélienne enclave les hommes et les femmes dans une essentialisation de leur rôle sexué où la femme est subordonnée à l’homme. Dans la réalité, cette misogynie se concrétise entre autres par une ségrégation entre femmes et hommes dans certaines villes comme Beit Shemesh ou Méa Shéarim où les agressions verbales et physiques à l’encontre des femmes qui refusent de s’habiller religieusement, de changer de trottoir ou de s’asseoir à l’arrière des bus sont courantes.

À cela vient s’ajouter un désintérêt de l’opinion publique pour les questions relatives à l’égalité de genre et au combat des féministes pour leurs droits ainsi qu’une minimisation de leurs revendications, comportements justifiés par la centralité de la question sécuritaire. Le conflit israélo-palestinien délégitime les sujets de société interrogeant l’organisation sociale et le modèle national en Israël. L’État juif s’impose en ce sens comme le point focal de tout raisonnement. Cette « nécessité de penser, et de réfléchir à partir d’Israël, de sentir l’État partout13Clarisse Fabre, « Nadav Lapid, réalisateur : « En Israël, les autorités n’ont pas besoin d’opprimer les gens, ils s’oppriment très bien eux-mêmes », Le Monde, 15 septembre 2021. » constitue une forme d’oppression dirigée contre celles et ceux qui ne jouent pas leur rôle, que ce soit par le gouvernement ou la population elle-même. Dans cette société où le comportement et l’opinion d’une personne vis-à-vis du conflit et de la politique du pays symbolisent des baromètres de son niveau d’allégeance ou de trahison envers le pays, toute remise en question du modèle national est perçue comme une menace à la survie d’Israël. Nadav Lapid, cinéaste israélien, décrit en ces termes la relation des Israéliens et Israéliennes avec leur État : « Israël est un pays qui ne vous laisse pas prendre de distance, c’est un pays qui vous force tout le temps à être en relation fusionnelle14 Nadav Lapid, « Nadav Lapid, libre et debout », France Culture, 16 septembre 2021. ».

Un tel environnement affecte directement les Israéliennes, prises en étau entre revendiquer leurs droits et dénoncer les injustices ou manifester leur appartenance nationale, ce que Valérie Pouzol qualifie de « multiplication des fronts internes et externes pour les femmes15 Valérie Pouzol, Clandestines de la paix. Israéliennes et Palestiniennes contre la guerre, Paris, Éditions Complexe, 2008. ». L’hostilité de certaines franges de la population pour les combats féministes a contraint les Israéliennes à adopter des formes de disruption propres à la situation du pays.

L’idéologie nationale, l’armée et la religion, principaux obstacles en faveur d’une libéralisation des mœurs et des assignations sociales fixées, occupent une place prédominante dans l’identité de la nation. Les femmes ont donc dû trouver le moyen de s’affirmer dans la société. Le combat féministe s’est focalisé sur la dénonciation de la guerre, omniprésente et à l’origine de la relégation des femmes en tant que citoyennes de seconde zone et de la banalisation de la violence. Femmes en noir est un des organismes les plus connus, créé en 1988 et toujours actif. Les militantes instrumentalisent leur identité de femmes et dénoncent les dérives de leur société au travers de leur corps endeuillé, incarnation du rôle imposé de la mère sacrifiant ses enfants pour la nation. Ici, la limite entre intériorisation et dénonciation des assignations de genre par les femmes est poreuse, mais cette réappropriation de leur corps et de l’espace public leur permet d’exprimer leur « désir d’en finir avec cette culture de la brutalité16 Danielle Storper-Pérez, « Lettre sur le machisme israélien », Confluences Méditerranée, 2005/3, n°54, pp.133-138. ».

Le mouvement Women Wage Peace, créé en 2014 suite à la guerre menée par Israël à Gaza, a mobilisé des milliers de personnes, principalement des femmes qui portent la voix de la réconciliation, une possibilité abandonnée par les politiques au pouvoir qui maintiennent la société israélienne et palestinienne dans l’impasse. L’engagement majoritairement féminin au sein des associations pour la paix s’explique par la reconnaissance croissante de la responsabilité du conflit, et donc de la militarisation des sociétés palestinienne et israélienne, sur les inégalités de genres. Le militantisme des femmes engagées pour la paix exprime leur rejet de toute forme d’oppression et de domination qu’elle soit politique, militaire ou sexuelle. Elles exposent ainsi les maux de leur société, leur permettant d’expérimenter des identités disruptives et de franchir les multiples frontières imposées par les assignations de genre élaborées par la guerre et leur société. Mais cet engagement en faveur de la paix, la solidarité de ces féministes avec le peuple palestinien et leur rapprochement avec l’aile gauche politique d’Israël accentuent leur perte de légitimité de leur place dans la société. En plus de s’investir dans des thématiques considérées comme étant hors de leur champ d’action et d’expertise, et surtout de leur nature genrée, ces femmes prennent le parti de l’ennemi.

La démarche de ces femmes va au-delà d’une simple revendication et dénonciation de leur exclusion de certains pans de la société. En s’extrayant du corps social, elles portent un regard critique à l’égard des mesures politiques et militaires de leur pays. D’une certaine manière, leur marginalisation leur permet de se libérer de l’engrenage destructeur dans lequel leur société évolue.

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    Cet écrit s’inspire d’un travail de recherche précédent : Déborah Rouach, « L’instrumentalisation du genre dans le conflit israélo-palestinien (2000 – 2020) », mémoire Master 2 en géopolitique et prospective, sous la direction de Marie-Cécile Naves, Paris, Iris Sup’, 2020.
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    Notion expliquée dans le paragraphe suivant.
  • 3
    Simona Sharoni, « Gendered Identities in Conflict: The Israeli-Palestinian Case and Beyond », Women’s Studies Quarterly, vol. 23, n°3/4, 1995.
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    Valérie Pouzol, Clandestines de la paix. Israéliennes et Palestiniennes contre la guerre, Paris, Éditions Complexe, 2008.
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    Uta Klein, The Gendering to National Discourses and the Israeli-Palestinian Conflict, University of Muenster, 1997.
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    Simona Sharoni, « Gendered Identities in Conflict: The Israeli-Palestinian Case and Beyond », Women’s Studies Quarterly, vol. 23, n°3/4, 1995.
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    Orna Sasson-Levy, Edna Lomsky-Feder, « Israeli Women Soldiers and Citizenship : Gendered Encounters with the State », Brandeis University, 2016.
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    Orna Sasson-Levy, Yagil Levy, Edna Lomsky-Feder, « Women breaking the silence: military service, gender, and antiwar protest », Gender & Society, vol. 25, n°6, 2011.
  • 9
    Les femmes sont plus facilement exemptes du service militaire. En 2016, 58,2% des Israéliennes s’enrôlaient dans l’armée contre 71,9% des hommes. Source : Judah Ari Gross, « L’armée israélienne révèle ses statistiques », The Times of Israël, 18 novembre 2016.
  • 10
    Danièle Kriegel, « Les Israéliennes veulent intégrer les commandos de Tsahal », Le Point, 27 novembre 2020.
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    Ilaria Simonetti, « Le service militaire et la condition des femmes en Israël », Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 2006.
  • 12
    Esther Benbassa, « Légalité, ambiguïtés, réalités : la condition des femmes en Israël », Après-demain, 2007/2 (n° 2, NF).
  • 13
    Clarisse Fabre, « Nadav Lapid, réalisateur : « En Israël, les autorités n’ont pas besoin d’opprimer les gens, ils s’oppriment très bien eux-mêmes », Le Monde, 15 septembre 2021.
  • 14
    Nadav Lapid, « Nadav Lapid, libre et debout », France Culture, 16 septembre 2021.
  • 15
    Valérie Pouzol, Clandestines de la paix. Israéliennes et Palestiniennes contre la guerre, Paris, Éditions Complexe, 2008.
  • 16
    Danielle Storper-Pérez, « Lettre sur le machisme israélien », Confluences Méditerranée, 2005/3, n°54, pp.133-138.

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