Le « Freedom Caucus » du Congrès américain : origines et orientations

Le « Freedom Caucus » a beaucoup fait parler de lui ces dernières années. Pour en savoir davantage sur ses origines et sa ligne politique, Laure Pallez et Flore Kayl ont rencontré Philip Wallach, senior fellow à l’American Enterprise Institute, un think tank politiquement néoconservateur et économiquement néolibéral, dans le cadre d’un partenariat avec le think tank La France et le monde en commun.

Le Congrès des États-Unis est constitué de deux chambres : le Sénat, composé de 100 sénateurs, deux pour chacun des 50 États américains, et la Chambre des représentants (the House), composée de 435 représentants élus, l’équivalent de nos députés. Dans chacune des chambres, les membres peuvent choisir d’appartenir à un certain nombre de groupes d’intérêt et de travail informels appelés des « caucus ». Il suffit de deux membres pour créer un caucus, et un ou une élu·e peut rejoindre autant de caucus qu’il ou elle le souhaite.

Les caucus sont donc pléthore et souvent bipartisans. Courants politiques, intérêts scientifiques, enjeux sécuritaires, questions de société : les caucus peuvent couvrir n’importe quel sujet. Parmi eux, on trouve des caucus sur les blockchains, l’Afghanistan, le cancer du sein, la fin des cigarettes électroniques, le hockey, etc. Il existe d’ailleurs un « French-American Caucus » composé de 37 membres. Il est co-présidé par deux Républicains et deux Démocrates. La représentation française à Washington en est proche.

L’un des caucus les plus connus est le « Freedom Caucus », qui a beaucoup fait parler de lui ces dernières années. Il trouve ses origines en 1973, lorsqu’une cinquantaine de Républicains conservateurs se regroupent et fondent le Republican Study Committee (RSC), dont l’objectif est de faire pression sur la direction républicaine de la Chambre des représentants, qu’ils considèrent trop modérée. Ce caucus conservateur est une réponse – un peu tardive – au Democratic Study Group, caucus fondé par des Démocrates progressistes en 1959 et devenu depuis une réelle force d’influence à la Chambre.

Dans les années 2000, le RSC compte environ 150 députés. En 2008, la crise financière change la donne : la grogne monte chez les membres les plus conservateurs du RSC. Ils sont mécontents de la tendance qu’ont certains Républicains à travailler en collaboration avec les Démocrates pour proposer des projets de loi bipartisans. En parallèle, le mouvement du Tea Party apparaît en 2009 et se structure au cours des années qui suivent pour fédérer la droite du Parti républicain.

C’est en 2014, en toute discrétion, que plusieurs ultra-conservateurs soutenus par le Tea Party désormais en difficulté financière se regroupent pour fonder le Freedom Caucus, qui voit officiellement le jour en 2015. Ils sont initialement neuf membres, dont Ron DeSantis, devenu depuis gouverneur de Floride, qui est alors député du 6e district de Floride. Le premier président de ce groupe est Jim Jordan, député de l’Ohio, mais le leadership est tournant. L’idée fondatrice derrière la création du Freedom Caucus est que les Républicains doivent être une réelle force d’opposition face à l’administration Obama. Il base son action politique sur le rejet du compromis au Congrès, le rejet du Medicare et plus globalement le rejet de la façon dont Barack Obama gère la crise économique que traversent les États-Unis.

En novembre 2016, à la surprise de l’establishment républicain, Donald Trump remporte la primaire du Parti, puis la présidence des États-Unis. La plupart des membres du Freedom Caucus avaient soutenu Ted Cruz lors des élections primaires républicaines mais avaient fait de Donald Trump le nouveau favori à partir de mars 2016. Ron DeSantis, lui, n’a soutenu personne, ce qui constitue une stratégie intéressante.

Entre 2016 et 2020, de nombreux membres du Freedom Caucus feront carrière dans l’administration Trump à un très haut niveau, positionnant le caucus comme un accélérateur de carrière. D’après Philip Wallach, c’est ce facteur qui attire certains membres, davantage intéressés par la perspective de devenir des célébrités politiques que par la volonté de peser au Congrès, comme le député Matt Gaetz (Floride) ou Marjorie Taylor Greene (Georgie), qui semble avant tout attirés par la lumière médiatique. Certains membres du caucus comme le député du Texas Chip Roy placent cependant leurs principes au-dessus de l’allégeance à Donald Trump.

Aujourd’hui, le Freedom Caucus compte une quarantaine de membres. Jim Jordan en reste l’un des plus influents. En matière d’éducation, le conservateur de l’Ohio est en faveur d’un programme très conservateur. Il est par exemple de ceux qui, opposés à l’avortement, prônent à la place l’enseignement à l’école de l’abstinence. Il a cependant une grande expérience législative de coalition bipartisane.

Que défend le Freedom Caucus aujourd’hui ? Moins d’interventionnisme du gouvernement, plus de dérégulation, un scepticisme vis-à-vis des dépenses engagées par l’administration Biden et des dépenses militaires, un scepticisme aussi envers l’aide internationale au développement et la guerre en Ukraine. Les membres du Freedom Caucus ont une forme de sympathie pour Vladimir Poutine. Contrôle renforcé des frontières et mesures anti-immigration sont également au programme.

De quels leviers dispose vraiment le caucus ? L’un des principaux leviers qu’il utilise est de ne pas voter les projets de loi. En 2017, ils ont ainsi refusé de voter un texte qui aurait permis d’affaiblir l’Obamacare, qui est pourtant l’une des bêtes noires des Républicains. Le premier projet de loi a échoué à la Chambre des représentants, mais y sera finalement approuvé, avant d’être rejeté par le Sénat à majorité républicaine. Les membres du Freedom Caucus refusèrent de voter en faveur de ce projet de loi car ils estimaient qu’il n’allait pas assez loin. Ce fut un réel échec législatif pour les Républicains et pour Donald Trump, qui le leur reprocha.

En janvier 2023, le Freedom Caucus montre toute son influence lors de l’ouverture de la première session parlementaire du 118e Congrès. Bien que plus de la moitié de ses membres soutienne le Républicain modéré Kevin McCarthy, défendu par Trump, au poste de Speaker (l’équivalent de notre président de l’Assemblée), une vingtaine d’entre eux refuse initialement de s’aligner et de voter pour lui. Il ne faut pas moins de 15 scrutins pour que McCarthy l’emporte, au prix de grandes concessions faites au Freedom Caucus, mais également au prix d’un affaiblissement du Parti républicain.

D’après Philip Wallach, la stratégie radicale des membres du caucus force finalement souvent les autres Républicains à voter avec les Démocrates, par exemple dans le cas du relèvement du plafond de la dette, afin d’éviter au pays une crise économique majeure, et donc à accepter des compromis plus à gauche que ce qu’une union républicaine aurait permis d’obtenir. Les positions extrêmes du Freedom Caucus sont donc parfois contreproductives et il n’est, de ce fait, pas vraiment un canal d’influence législative. En revanche, l’existence et l’activisme des membres du caucus affectent l’équilibre des forces au sein du Parti républicain. Selon Philip Wallach, celui-ci est devenu un parti très confus et en quête de sens. Il se positionne uniquement contre la gauche ou sur les questions culturelles (« guerre culturelle », « wokisme », etc.).

Dans ce contexte, quel avenir pour le Freedom Caucus et ses idées ? L’un de ses porte-voix les plus actifs actuellement est son ancien membre Ron DeSantis. Confortablement réélu gouverneur de Floride en novembre 2022, il s’exprime fréquemment et principalement sur les questions culturelles et sociétales. La spécificité de DeSantis est qu’il a un pedigree universitaire et militaire très rassurant pour les donateurs républicains, tout en ayant des origines familiales modestes à mettre en avant. Selon notre interlocuteur, DeSantis n’est pas ouvertement anti-Trump et il clame régulièrement : « Trump est un grand héros américain ». Sachant qu’il lui doit le début de sa carrière, il serait mal vu aujourd’hui qu’il se retourne contre son parrain. Pourtant, la rumeur enfle en Floride et à Washington DC : DeSantis se préparerait à se présenter à la prochaine élection présidentielle de 2024. Il vient de publier (le 28 février 2023) son ouvrage programmatique The Courage to be free, un indice supplémentaire de l’annonce à venir d’une déclaration de candidature pour l’élection présidentielle de 2024.

À propos de La France et le monde en commun :
La France et le monde en commun est un think tank dont les réflexions et analyses sont orientées vers les Français de l’étranger et l’international. Il se donne pour mission de proposer un espace de débat au moyen de contributions, d’accroître les connaissances au sujet des Français de l’étranger et des politiques les concernant et d’apporter aux acteurs des éclairages internationaux utiles pour leur prise de décision. L’approche comparatiste constitue l’originalité de la démarche, qui s’appuie sur un réseau international de Français présents dans le monde entier, connaisseurs par leurs activités professionnelles, électives et politiques de la réalité du terrain. L’équipe, plurilingue, s’appuie sur son accès à des sources précises et des acteurs politiques locaux. Ses travaux sont complémentaires de ceux de la Fondation Jean-Jaurès avec laquelle le think tank partage une vision internationaliste. Notre partenariat a démarré en janvier 2023 et consiste en l’échange d’idées novatrices contribuant au débat public par le biais de publications communes (articles, rapports, manuscrits).

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