Face à de nouveaux enjeux médicaux et sociétaux, après quelques années d’hystérie de La Manif pour tous et autres officines traditionalistes, René Frydman nous offre, avec la collaboration de Charlotte Rotman, les clés pour comprendre le débat dans Le droit de choisir, manifeste des médecins et biologistes de la procréation médicale assistée (Seuil, janvier 2017, 112 pages, 14 euros). Cet ouvrage est une lumière, nous dit Denis Quinqueton pour Esprit critique.
Le 17 mars 2016, dans un manifeste publié dans le journal Le Monde, 200 médecins – gynécologues, biologistes, psychologues, obstétriciens – ont reconnu « avoir aidé, accompagné certains couples ou femmes célibataires dans leur projet d’enfant dont la réalisation n’est pas possible en France ». Quarante-quatre ans après l’appel de 331 médecins qui assumèrent avoir « pratiqué des avortements ou aidé selon leurs moyens à ce qu’ils soient réalisés, en dehors de tout trafic financier », René Frydman en était déjà signataire. Cette fois, il est l’initiateur du manifeste pour une modification des conditions légales d’accès à la procréation médicale assistée et, plus largement, à une remise en mouvement de la discussion bioéthique.
Il a pris le temps, dans les mois qui ont suivi, de formuler cette réflexion collective, en collaboration avec la journaliste Charlotte Rotman, un peu plus longuement que ne le permet la presse d’actualité et notre habitude d’appréhender les débats politiques les plus complexes avec un mental de poisson rouge, pressés de passer au sujet suivant.
Louons le mental de poisson rouge et la presse d’actualité, car René Frydman nous livre, avec Le droit de choisir, un manifeste énergique, humain et argumenté en faveur d’une approche rationnelle du progrès. « La connaissance de l’humain s’accélère, le savoir est à notre portée et charrie avec lui des questionnements inédits et troublants. Nous faisons désormais face à de nouveaux enjeux médicaux et sociétaux. Regardons-les en face », écrit l’ancien membre du comité consultatif national d’éthique. Après quelques années d’hystérie de La Manif pour tous et autres officines traditionalistes, ce livre est une lumière.
René Frydman parle d’expérience. « Quand j’ai commencé ma carrière, il n’y avait ni IVG légale, ni contraception, ni échographie, ni amniocentèse, ni congélation, ni fécondation in vitro. (…) Avec le biologiste Jacques Testart et Émile Papiernik, nous avons mis au point des protocoles et testé de nouvelles techniques. Nous avons parfois fait preuve d’imagination tout autant que de rigueur. Nous avons convoqué la science et la chance. En 1982, Amandine, premier “bébé-éprouvette”, est née ».
Il a, depuis, passé sa carrière comme « médecin de la naissance », et comme médecin humanitaire aussi, dans des camps palestiniens, au Nicaragua après un tremblement de terre et auprès des mineurs du Nord de la France atteints de silicose… « et des femmes, déjà », rappelle-t-il.
Et aujourd’hui, il pose la question d’accomplir vraiment le « droit de choisir » qui revient aux femmes. Car la question de l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes amène à examiner des questions liées. René Frydman en fait le tour sur la base d’exemple concrets, rencontrés dans sa pratique quotidienne. Il reconnaît y trouver la majeure partie des sources de l’évolution de sa réflexion : « voilà comment j’ai évolué : souvent à partir d’un cas qui m’a fait réfléchir hors des schémas habituels, hors des sentiers battus ».
Ce cheminement l’amène à nous faire nous-mêmes réfléchir sur les modalités du don d’ovocyte, sur l’élargissement des possibilités d’analyse génétique de l’embryon, sur les conditions d’autorisation de l’autoconservation des ovocytes, et sur la possibilité d’avoir accès au don de sperme pour une femme célibataire. Cette réflexion est utile car le « désir d’enfant » de la part de nombreux adultes n’est pas une figure réthorique mais une réalité vécue par tant et tant. L’élargissement des possibilités d’analyse génétique de l’embryon n’implique pas fatalement de céder à je ne sais quel ignoble eugénisme et présente un certain nombre d’avantages en termes médicaux. L’autoconservation de ses ovocytes est aujourd’hui pris en charge financièrement par des employeurs comme Google ou Apple. Faut-il continuer à n’en rien dire et laisser les femmes salariées de ces entreprises – et de combien d’autres ? – aux prises avec l’injonction de retarder la maternité, contenue dans cette mesure d’apparence sociale ?
Certains voient le débat bioéthique comme une permission demandée à je ne sais qui d’enfreindre des limites posées on ne sait comment. Un peu comme quand, ado, on sollicite l’autorisation parentale d’aller à sa première soirée, le cœur battant et les jambes flageolantes, craignant la réponse. Or, le débat bioéthique est d’abord politique et citoyen. Il doit nous permettre de déterminer, à l’occasion d’une grande conversation publique, posée et argumentée, de quelle manière nous décidons de franchir les limites que la science a vaincues. Face à cette réalité, deux choix s’offrent à nous : ne pas en parler et laisser les initiatives individuelles et clandestines ou l’économie capitaliste décider, ou bien en parler et décider nous-mêmes l’usage qu’entend faire notre société démocratique des progrès scientifiques réalisés.
Le petit livre de René Frydman est une excellente introduction au débat !