Le droit à un environnement sain : un droit fondamental en pleine expansion

Face à la détérioration accélérée des conditions environnementales générales et à son impact sur l’habitabilité du monde, la question du lien inextricable entre droit de l’environnement et droits humains s’impose toujours davantage. La juriste Lise-Hélène Gras montre ainsi que peu à peu, un consensus international autour de la reconnaissance d’un droit à un environnement sain se dessine, incitant les États à garantir une justice environnementale efficace.

Depuis plusieurs décennies déjà, la pollution atmosphérique est devenue un problème majeur de santé publique. Le mot est faible lorsque l’on constate le nombre alarmant de décès liés à la mauvaise qualité de l’air. Chaque année, elle est responsable de la mort prématurée de près de 40 000 Français1Données de l’Agence nationale de santé publique collectées dans le cadre du programme de surveillance « Air et Santé ».. En Europe, ce sont plus d’un demi-million de décès qui sont attribués annuellement à la mauvaise qualité de l’air2Données de l’Agence européenne de l’environnement.. Enfin, un autre chiffre donne la mesure du péril : selon les dernières données de l’OMS, plus de 90% de la population mondiale serait exposée quotidiennement à un air contenant de hauts niveaux de polluants, entraînant chaque année le décès de 7 millions de personnes.

Si l’on ne s’en tient pas à la seule pollution de l’air, 24% des décès dans le monde sont aujourd’hui liés aux facteurs environnementaux, dont l’exposition à un environnement pollué3Données de l’OMS, Preventing disease through healthy environments: a global assessment of the burden of disease from environmental risks, 2018.. Ainsi 13,7 millions de personnes meurent chaque année des conséquences de la dégradation de l’environnement.

Ces chiffres sont sans appel : l’accès un environnement sain, entendu comme un environnement non pollué et équilibré, est vital pour notre santé, notre dignité et notre bien-être. Ce constat nous amène ainsi à considérer l’impact de la pollution atmosphérique et, de manière globale, de la qualité de l’environnement sur la jouissance de nos droits humains, dont l’un des plus fondamentaux, le droit à la vie.

Il nous pousse également à reconsidérer l’importance d’une protection effective des droits environnementaux, et en particulier du droit à un environnement propre, sain et durable. Ce dernier doit se comprendre comme le droit de vivre dans un environnement de qualité et non pollué ou encore comme le droit à un air pur et à une eau salubre. De manière plus « éco-centrée », ce droit peut faire référence à la protection de la santé et de l’équilibre de la nature en tant qu’écosystème.

Une écologisation des droits de l’homme

Si l’accès à un environnement propre, sain et durable nous est vital, celui-ci est également essentiel à la jouissance de nos droits fondamentaux. En d’autres termes, l’exercice de nombreux droits humains dépend aujourd’hui de la qualité de nos écosystèmes, si bien que les dégradations environnementales sans précédent auxquelles nous faisons face aujourd’hui ont de graves répercussions sur la protection de ces droits.

Depuis les années 1970, un mouvement d’« écologisation » des droits humains a permis de mettre en lumière les liens étroits entre le droit de l’environnement et les droits humains. Jusqu’alors, ceux-ci ont étaient pensés et développés séparément, selon une vision rejetant la dépendance évidente entre les humains et la nature. La nature est pensée à cette époque selon une logique anthropocentrique et profondément utilitariste faisant de la nature un simple objet de droit.

La Déclaration de Stockholm de 1972 marque le commencement d’une reconnaissance juridique internationale de l’interdépendance de ces deux domaines, qui n’est aujourd’hui plus remise en cause. Il est désormais largement admis que la protection de l’environnement et celle des droits humains sont intrinsèquement liées. Ces derniers droits sont ainsi interprétés de manière à inclure une dimension plus écologique, permettant de prévenir simultanément les atteintes touchant l’un comme l’autre droit. Ainsi, en s’écartant d’une séparation artificielle entre l’Homme et la nature, il est désormais possible de concevoir une protection des écosystèmes par les droits humains.

Cette écologisation des droits humains a toutefois rapidement montré ses limites. En contexte de crise environnementale et climatique, une protection de l’environnement uniquement à travers les droits humains n’est plus suffisante et comporte de nombreux inconvénients.

Les procédures et instruments de protection des droits humains sont fondamentalement inappropriés pour prévenir ou remédier à une atteinte environnementale. Ils ne seront effectivement adaptés que lorsque le dommage viole un droit humain. Dans cette logique, la protection de l’environnement ne serait que secondaire : elle devient accessoire, dépendante de la violation d’un droit humain tel que le droit à la santé, le droit à la vie ou le droit au respect de la dignité humaine. Cette approche ne permet ainsi de remédier qu’aux dommages environnementaux les plus graves et s’oppose à une protection per se des éléments de la nature, pourtant urgente dans le contexte actuel.

Une reconnaissance mondiale du droit à un environnement sain

Le droit à un environnement sain, né de cette « écologisation », est reconnu par de nombreux textes régionaux et nationaux de protection des droits humains. On retrouve ainsi, dès les années 1980, sa consécration dans la Charte arabe des droits de l’homme, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ou encore dans la Convention américaine relative aux droits de l’homme.

Enfin, près de la moitié des pays du monde ont inscrit le droit à un environnement sain dans leur Constitution, si bien que ce droit bénéficie d’une protection constitutionnelle dans plus d’une centaine d’États. Les Constitutions portugaise et espagnole sont les premières – dès la fin des années 1970 – à inclure ce droit. En France, la Charte de l’environnement, reconnue de valeur constitutionnelle depuis 2005, intègre en son article premier le « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».

Bien que ce droit ait été repris dans de nombreux textes, il est en réalité peu mis en œuvre et son effectivité est encore réduite. Sa consécration en droit international est aujourd’hui essentiellement déclaratoire ; en effet, il ne fait que figurer dans les déclarations de Stockholm et de Rio. En Europe, la reconnaissance de ce droit n’est pas explicite. Celui-ci est absent de la Convention européenne des droits de l’homme, texte régional phare de protection des droits humains, et n’est à ce titre protégé qu’indirectement, par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Un droit faiblement protégé par le système européen de protection des droits humains

Le droit à un environnement sain, s’il est protégé, ou du moins reconnu, par de nombreuses législations nationales et régionales dans le monde, est un droit insuffisamment appliqué et manquant cruellement d’effectivité en Europe.

La Convention européenne des droits de l’homme ne comprend pas de dispositions expresses sur le droit à un environnement sain, si bien que ce dernier ne détient pas la valeur de droit humain. Ce droit a cependant été déduit indirectement par l’interprétation de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle assure ainsi, par sa jurisprudence, une certaine protection – bien que faible – du droit à un environnement sain.

La Cour garantit une simple protection par ricochet de ce droit, dépendante de l’applicabilité des droits reconnus par la Convention tels que le droit à la vie, le droit au respect de la vie privée et familiale, ou encore le droit de propriété. La Cour a, par exemple, considéré que le droit au respect de la vie privée et familiale comprenait le droit d’être protégé contre les atteintes graves à l’environnement4Arrêt de la Cour EDH « Lopez Ostra contre Espagne » du 9 décembre 1994.. Elle déduit également du droit à la vie le droit d’être protégé contre les risques inhérents aux activités industrielles dangereuses5Arrêt de la Cour EDH « Öneryildiz contre Turquie » du 30 novembre 2004.. Le problème est que cette méthode de la Cour ne permet de sanctionner que les dommages à l’environnement qui entraînent obligatoirement une atteinte à d’autres droits protégés par la Convention. La Cour privilégie de ce fait une approche utilitariste et anthropocentrique de l’environnement, empêchant la protection efficace de ses éléments.

Malgré les efforts de négociation et les nombreuses tentatives pour faire évoluer le statut de ce droit, les États membres du Conseil de l’Europe se montrent toujours réticents à adopter un instrument juridique contraignant reconnaissant textuellement un tel droit. Les blocages politiques empêchent les lignes de bouger : le droit à un environnement sain ne crée toujours aucun droit subjectif et la protection de celui-ci est encore limitée à l’interprétation de la Cour.

La reconnaissance onusienne d’un droit humain à un environnement sain

Dans une résolution historique du 8 octobre 2021, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies reconnaît pour la première fois que l’exercice du droit à un « environnement propre, sain et durable » est essentiel à la jouissance de l’ensemble des droits humains et qu’il constituait de ce fait un droit humain à part entière. Ce texte, adopté par une majorité des États membres de l’organisation, réaffirme ainsi l’interdépendance entre protection de l’environnement et protection des droits humains, mais aussi et surtout consacre un véritable droit autonome à un environnement sain. Cette initiative concorde avec la montée d’une « justice climatique », confrontant les États à leurs inactions ainsi qu’à leur incapacité à prévenir les dommages intergénérationnels causés par les émissions excessives de polluants atmosphériques et la dégradation des écosystèmes.

Cette résolution laisse sceptiques de nombreuses personnes, qui contestent la valeur de ce texte et soulignent ses effets limités pour la protection du droit à un environnement sain. Les résolutions onusiennes sont effectivement de simples recommandations et n’ont à ce titre aucune valeur contraignante, si bien que celles-ci ont une portée réduite, avant tout symbolique. Ainsi, cette résolution ne crée pas de droit subjectif et n’est pas porteuse d’obligations pour ses destinataires. Les États, premiers destinataires de ce texte, n’ont aucune obligation juridique de suivre ses recommandations quant à la protection de ce droit.

Le poids de cette résolution onusienne ne doit pas pour autant être sous-estimé. Elle témoigne d’un consensus historique autour d’un droit jusque-là absent de la scène internationale. Cette résolution envoie un signal politique fort, soutenu par une grande majorité d’États, et ouvre la voie au développement de ce droit.

Bien qu’à l’échelle internationale, de nombreux textes régionaux et nationaux d’envergure reconnaissent déjà de longue date ce droit, ce texte onusien se distingue positivement de ces dispositifs en ce qu’il est le premier texte international à conférer une telle valeur au droit à un environnement sain. Fondamentalement, si cette résolution ne consacre pas un droit nouveau et n’opère pas de grands changements, elle met toutefois en évidence la volonté d’une meilleure protection des droits humains environnementaux de la part de la communauté internationale. Finalement, ce texte de soft law, en élevant le droit à un environnement sain au rang de droit humain, lui confère – symboliquement – une valeur universelle.

Cette résolution joue un rôle prescriptif et, peut-être, programmateur ; elle permet de pallier momentanément l’absence de reconnaissance formelle du droit à un environnement sain. Afin d’acter définitivement l’universalité de ce droit, il conviendrait tout de même que l’Assemblée parlementaire des Nations unies le consacre à son tour et l’intègre durablement dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Enfin, au-delà de sa portée, ce texte pourrait aussi donner une plus grande légitimité au processus de reconnaissance enclenché au Conseil de l’Europe et permettre d’encourager la consécration ou la mise en œuvre de ce droit au sein des systèmes législatifs internes.

Un droit déclaré « liberté fondamentale » par le Conseil d’État français

Ce texte a eu très certainement une influence non négligeable sur les récentes évolutions du droit à un environnement sain en France. En effet, moins d’un an après l’adoption de la résolution onusienne, le Conseil d’État français affirme dans une décision inédite que « le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » présentait le caractère d’une liberté fondamentale6Décision n° 451129 du Conseil d’État, 20 septembre 2022..

Ce droit de valeur constitutionnelle, équivalent français du droit à un environnement sain, est ainsi érigé au rang de liberté fondamentale, ouvrant la voie au référé liberté et facilitant sa mise en œuvre. Désormais, un individu estimant qu’une action de l’administration porte une atteinte grave à cette liberté fondamentale pourra demander au juge des référés de faire cesser une telle atteinte en urgence.

Pour la première fois, le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé est donc considéré comme un droit subjectif, invocable pour stopper une atteinte à l’environnement. Cette décision constitue une avancée considérable, pouvant par exemple permettre d’empêcher les autorités publiques de poursuivre un projet d’aménagement ayant de graves répercussions sur la viabilité d’un écosystème.

En constante évolution, le droit à un environnement sain trouve peu à peu une véritable justiciabilité. Si, au niveau du Conseil de l’Europe, la reconnaissance de ce droit est encore freinée politiquement, un consensus international autour de la fondamentalité de ce droit se dessine, incitant les États à garantir une justice environnementale efficace. Les juges nationaux, premiers garants de cette dernière, semblent prendre la mesure de l’urgence et vont dans le sens d’une protection renforcée de la nature.

  • 1
    Données de l’Agence nationale de santé publique collectées dans le cadre du programme de surveillance « Air et Santé ».
  • 2
    Données de l’Agence européenne de l’environnement.
  • 3
    Données de l’OMS, Preventing disease through healthy environments: a global assessment of the burden of disease from environmental risks, 2018.
  • 4
    Arrêt de la Cour EDH « Lopez Ostra contre Espagne » du 9 décembre 1994.
  • 5
    Arrêt de la Cour EDH « Öneryildiz contre Turquie » du 30 novembre 2004.
  • 6
    Décision n° 451129 du Conseil d’État, 20 septembre 2022.

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