Le 11 septembre 1973 dans les mobilisations et mémoires des socialistes français

Le 11 septembre 1973 et la mort de Salvador Allende furent pour le Parti socialiste français refondé depuis deux ans par François Mitterrand un choc immense. Judith Bonnin, à travers une enquête basée notamment sur la presse socialiste, les déclarations des dirigeants du parti dans la presse généraliste et les débats des instances nationales, esquisse une histoire des échos de cet événement traumatique pour toute une génération militante, et s’interroge sur le poids de cet événement jusqu’à aujourd’hui.

Le 11 septembre 1973 a été un événement chilien, un événement-monde1Olivier Compagnon, « Chili, 11 septembre 1973. Un tournant du XXe siècle latino-américain, un événement-monde », Revue internationale et stratégique, 2013, 91, pp. 97-105. et un événement générationnel : « pour les gauches latino-américaines et européennes, à l’Est comme à l’Ouest, le coup d’État a constitué un choc émotionnel et politique considérable, un moment de tristesse et de sidération partagée par toute une génération2Maud Chirio, « 1973. L’autre 11 septembre », dans Patrick Boucheron (dir.), Histoire mondiale de la France, Paris, Seuil, 2017, pp. 707-711. ». C’est sur le choc ressenti par les socialistes français, par la « génération d’Épinay » et celles qui l’ont suivie depuis que nous souhaitons ici brièvement revenir.

Le parti socialiste français (PS), refondé en 1971 au congrès d’Épinay autour de François Mitterrand et du projet d’union de la gauche, a en effet ressenti très fortement et singulièrement cette fin tragique de l’Unité populaire et la mort de Salvador Allende, car des liens et proximités particuliers existaient entre ces deux pays et leurs gauches. Claude Estier, qui comme journaliste avait couvert les cérémonies d’investiture de Salvador Allende en 1970, déclare ainsi dès le congrès d’Épinay que le Chili offre « peut-être le premier exemple concret d’une marche au socialisme dans le respect de la démocratie3Les retranscriptions de débats des congrès socialistes sont tous disponibles sur le portail des Archives socialistes. ». Il plaide alors pour que François Mitterrand accepte quelques mois plus tard une invitation de Salvador Allende ; puis il l’accompagne, avec Gaston Defferre, du 8 au 17 novembre 1971 au Chili. Ce choix de la destination chilienne pour le premier grand voyage à l’étranger du nouveau Premier secrétaire socialiste est ainsi chargé d’une forte symbolique, très transparente pour les contemporains : l’homme qui incarne le projet socialiste français d’union de la gauche rencontre celui qui a porté l’Unité populaire chilienne au pouvoir. Les hasards du calendrier font que François Mitterrand rencontre également Fidel Castro à la Moneda. Grâce au Chili, le PS commence à s’ouvrir à l’Amérique latine et à ses mouvements progressistes et révolutionnaires. Si les obstacles et difficultés rencontrés par la gauche chilienne amènent les socialistes français à maintenir publiquement certaines distances et à refuser l’idée d’un « modèle chilien » pour la gauche française4Judith Bonnin, « Salvador Allende et François Mitterrand : un même socialisme démocratique et unitaire ? », Fondation Jean-Jaurès, 9 septembre 2013., de fait, « l’expérience chilienne » incarne pour eux un précédent porteur d’espoir, un exemple de socialisme démocratique porté au pouvoir par l’union des gauches, une source d’inspiration.

Dans les années 1970, le parallélisme des expériences d’union, ainsi que des trajectoires de leurs leaders – certains commentateurs qualifièrent François Mitterrand d’« Allende français » – s’inscrivaient par ailleurs dans une histoire commune plus longue, remontant à l’époque des fronts populaires espagnol, français et chilien. Ainsi, si le parti frère du PS au sein de l’Internationale socialiste était le Parti radical chilien et non le parti socialiste marxiste d’Allende, le PS chilien et le PS français se percevaient comme des cousins politiques proches.

Le 11 septembre 1973, l’émotion et le choc sont donc d’autant plus immenses au sein du PS que l’identification est forte. La dictature est immédiatement sanglante, des milliers de réfugiés chiliens affluent, notamment en France : c’est le début d’une longue mobilisation qui ne prendra fin qu’au fil de la démocratisation du Chili : le 1er septembre 1988 la junte militaire autorise le retour des exilés, le 5 octobre Pinochet est défait lors d’un plébiscite relatif à l’élection présidentielle, le 14 décembre 1989 le Chili élit son premier président depuis Allende, le démocrate-chrétien Patricio Aylwin, qui prend ses fonctions en mars 1990. Pinochet n’est alors plus président, mais il se maintient à la tête de l’armée jusqu’en mars 1998, et meurt en décembre 2006 sans avoir été jugé ni condamné pour ses crimes. Tout au long de ces étapes, les socialistes français témoignent leur solidarité aux démocrates chiliens, et se remémorent le 11 septembre 1973.

Dans cette note, après un retour sur le choc initial et l’élan de solidarité qu’il provoqua au PS, nous souhaitons questionner dans un second temps ce que furent les échos de cet événement traumatique au sein du Parti socialiste français, la place que cet événement chilien et mondial5Caroline Moine et Olivier Compagnon (dir.), « Chili 1973, un événement mondial », Monde(s), 8, 2015. conserve dans la mémoire des générations qui ne militaient pas encore en 1973. Notre étude, loin d’être exhaustive, s’appuiera notamment pour les années postérieures à 19836Pour la période précédente voir : Judith Bonnin, « L’internationalisme rose au tournant de la mondialisation. La politique internationale du Parti socialiste français de 1971 à 1983 », thèse d’histoire, université Paris Diderot et université de Bologne, 2017. En cours de publication. sur les débats socialistes en instances nationales, la presse socialiste et généraliste.

Un choc immense puis une « blessure ouverte7« Pologne, blessure ouverte », PS Info, 229, janvier 1985. » : combats et solidarités des générations Mitterrand et Allende face à la dictature de Pinochet

Le 11 septembre 1973 ouvre une période de mobilisation exceptionnelle pour les gauches mondiales dont le parti socialiste français. Durant les dix premières années de la dictature notamment, le Chili est l’objet de mouvements de soutien de grande envergure : il polarise la solidarité partisane socialiste. La fin tragique de l’Unité populaire est aussi au cœur de débats politiques, au sein du PS comme dans ses débats avec la droite. Au moment des élections municipales de mars 1983, le Chili est une référence négative avancée par les adversaires des socialistes, ainsi qu’un objet de tensions politiques et commémoratives. Cette « décennie chilienne » pour le PS marque ainsi durablement des cohortes de socialistes : les jeunes qui l’observent et s’engageront dans les années 1980, ceux qui étaient au cœur des actions de solidarité socialiste dès septembre 1973, les générations qui étaient aux responsabilités partisanes ou de gouvernement dans les années 1970 et 1980. Les différentes « générations Mitterrand », celles qui s’engagent aux côtés du premier secrétaire comme du président Mitterrand, semblent ainsi aussi être pour beaucoup des « générations Allende », dont le souvenir traumatique de 1973 marque l’engagement politique.

Le 11 septembre 1973 : un choc immense et une mobilisation exceptionnelle (1973-1983)

Pour les socialistes français, ce jour est celui de l’assassinat d’un gouvernement et d’un homme, mais aussi de symboles. Le 11 septembre 1973 ne freine ou n’accélère pas la dynamique d’union de la gauche qui s’est déjà concrétisée par la signature du Programme commun de gouvernement avec les communistes et le Mouvement des radicaux de gauche en juin 1972. En revanche, elle ébranle le PS et est une rupture forte dans la vision du monde des socialistes français. L’événement interroge la politique économique comme la politique de défense que doit promouvoir la gauche8Le Vietnam, le Portugal et « le coup d’État au Chili forment à cet égard une toile de fond essentielle de ce rapport de la gauche à l’armée dans les années 1970 » : Maxime Launay, « Une armée nouvelle ? La gauche et l’armée française (1968-1985). Antimilitarisme, libertés publiques et défense nationale », thèse d’histoire, Sorbonne Université, 2022, p. 39. Voir notamment les pages 258-260 consacrées aux « leçons de l’expérience chilienne ».. Les leaders du courant CERES par exemple s’appuient à diverses reprises sur l’expérience Allende pour souligner leurs craintes d’une fragilité de la gauche au pouvoir sous la Ve République. Il s’agit pour eux de ne pas « périr comme au Chili9Ni de « trahir comme au Portugal » selon la formule de l’époque. ». Au congrès de Metz de 1979, Laurent Fabius convoque également l’exemple chilien au moment du débat sur la rupture économique, soulignant l’importance des rapports de force extérieurs puisque : « on ne nous fera pas croire qu’Allende a été assassiné par un taux d’inflation ! ». Plus largement, après la guerre du Vietnam, c’est aussi pour beaucoup de socialistes l’épisode chilien qui infléchit durablement leur vision de la puissance états-unienne dans le monde et leur perception des enjeux latino-américains : si la révolution cubaine de 1959 n’a pas marqué l’histoire du socialisme français, le Chili en 1970 et plus encore en 1973 enclenche un tournant latino-américain du PS10Judith Bonnin, « François Mitterrand à la découverte de l’Amérique latine (1971-1981) », Le Genre humain, 58, 2017, pp. 29-53., comme du socialisme international dans son ensemble11Guillaume Devin, L’Internationale socialiste : histoire et sociologie du socialisme international, 1945-1990, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1993, pp. 116-127. : si le parti de Salvador Allende n’était pas membre de l’IS, la solidarité qui s’enclenche à son égard incite l’IS à redéfinir ses propres contours.

Au-delà de l’évolution des représentations et doctrines, le tournant chilien est aussi, pour des milliers de militants, un immense élan de solidarité qui rejoint un mouvement mondial d’aide aux exilés12Caroline Moine, « « Votre combat est le nôtre ». Les mouvements de solidarité internationale avec le Chili dans l’Europe de la Guerre froide », Monde(s), 8, 2015, pp. 83-104. et qui prend une dimension concrète pendant une grosse décennie. Cet élan est humanitaire et politique en de multiples sens : il s’agit pour les socialistes français d’aider des camarades et la gauche chilienne bien sûr, mais aussi d’agir stratégiquement au sein du collectif de 18 organisations qui pilote la solidarité avec le Chili13Parti communiste français, Parti socialiste, Radicaux de gauche, PSU, Objectif socialiste, CFDT, CGT, FEN, Ligue des droits de l’Homme, Jeunesse communiste, Jeunesse socialiste, Jeunes radicaux de gauche, UNEF, UGE, UNICAL, Jeunes CGT, Jeunes CFDT, JOC., afin notamment de ne pas se laisser déborder par le Parti communiste. De multiples actes de solidarité et de diplomatie partisane jalonnent ainsi ce soutien aux Chiliens – unitaires ou strictement socialistes. On peut par exemple citer les nombreux réunions publiques et meetings tenus dans toutes les municipalités socialistes, les manifestations, les mobilisations des élus et sections pour trouver logements et emplois aux exilés14Voir notamment aux archives de la Fondation Jean-Jaurès : 616RI/12., les collectes de fonds réalisées via la vente d’un disque – Chile Venceremos – ou de cartes, l’édition et diffusion de plusieurs affiches en hommages à Salvador Allende15Sur le portail numérique des Archives socialistes, on trouve notamment : un poster de 1973 du PS de Salvador Allende, poster pour le « soutien à la résistance populaire chilienne » des Étudiants socialistes (ES) avec ce portrait déchiré de Salvador Allende ; une affiche des ES-MJS en soutien à la lutte de Carlos Altamirano après le décès d’Allende en 1973-1974 ; une affiche du PS sur le « soutien au peuple chilien en lutte » en 1976 ; une affiche de « solidarité avec le Chili en lutte » de la section de Pessac en 1977., le parrainage de prisonniers politiques détenus au camp de Tres Alamos, la création d’un Comité d’avocats français pour la défense des prisonniers politiques chiliens en 197316Fondation Jean-Jaurès, 616RI/38., le baptême de rue ou d’équipements publics du nom de Salvador Allende, etc. Cette solidarité est pour le PS d’une ampleur inédite, par le nombre de mobilisations, leur diversité, leur durée. Parmi les singularités du « répertoire d’actions » mobilisé par le PS sur le Chili, on soulignera enfin le vote par le bureau exécutif du 16 janvier 1980 d’une aide financière ponctuelle au Parti radical chilien, et surtout d’une aide régulière, matérielle et financière, au Parti socialiste chilien17Le PS finance un local avec un téléphone aux dépenses plafonnées, deux emplois de permanents à mi-temps dans des municipalités socialistes, et prévoit le versement d’une allocation mensuelle de 7 000 francs.. Cette aide est alors justement présentée comme « considérable », comme un « effort absolument sans précédent18Lettre de Lionel Jospin à Simone Vidal, Paris, 22 février 1980. Lettre jointe à la circulaire nationale n°823, adressée par Véronique Neiertz et Lionel Jospin, aux premiers secrétaires fédéraux. Le seul point de comparaison nous semble être l’aide apportée aux exilés républicains espagnols. » pour ce parti aux faibles moyens financiers.

Dans cet océan de mobilisations se distinguent bien sûr Salvador Allende, devenu une icône, et sa famille : François et Danielle Mitterrand multiplient ainsi les contacts et hommages à sa veuve, Hortensia Bussi, qui est particulièrement mise à l’honneur lors de l’investiture présidentielle de 198119André Fontaine, « La guerre civile en France ? », Le Monde, 9 novembre 1981.. On songe également aux multiples liens noués par Isabel Allende, leur fille, avec la gauche mondiale et le PS : elle est omniprésente dans les relations du parti avec le Chili, dans les années 1970 et après puisqu’elle est aussi invitée et longuement applaudie au congrès de Bordeaux en 1992, et aurait noué une amitié politique avec Ségolène Royal et François Hollande en 2006.

L’année 1983 clôture néanmoins ce premier cycle de mobilisations autour du 11 septembre 1973 sur plusieurs plans. Au printemps, dans le contexte des élections municipales de 1983, la droite réactive dans la presse des comparaisons Mitterrand/Allende pour appuyer l’idée d’un échec annoncé de la gauche au pouvoir. Les événements chiliens de 1970-73 sont alors une clé de lecture compréhensible pour l’électorat. Cette référence sera plus discrète ensuite, une fois le pouvoir socialiste plus durablement installé en France qu’au Chili. Par ailleurs, 1983 est une année jalonnée de grandes journées de protestations nationales au Chili, portées par la société civile comme les forces syndicales et politiques. Pour contrecarrer la junte qui s’apprête à fêter les dix ans de la chute de l’Unité populaire, le 8 septembre une cinquième journée de protestation est organisée. En France, la direction du PS mêle commémoration et soutien aux luttes en cours en mandatant son premier secrétaire Lionel Jospin, accompagné d’une délégation de militants et d’élus, pour une manifestation devant l’ambassade du Chili le 10 septembre20Fondation Jean-Jaurès, 616RI/5, communiqué du PS, 6 septembre 1983.. Lionel Jospin y lit une déclaration sur la situation chilienne. Le message, long, indique que le PS « s’associe à la mémoire d’Allende, ce grand chef d’État dont les dernières paroles traduisaient sa certitude d’un « futur meilleur » ». Le message rappelle la violence de la dictature, sa violence économique également, et les espoirs du PS de voir la démocratie rétablie. Il apporte ainsi le soutien du PS à l’Alliance démocratique conclue en août par une partie de la gauche (dont les radicaux et une partie des socialistes) et la démocratie-chrétienne chilienne.

L’anniversaire des dix ans de la dictature est ainsi, en plus d’une commémoration, un moment de forte mobilisation, à Santiago bien sûr, et dans une moindre mesure en France, où la solidarité s’installe dans la durée.

Mémoires et combats des « générations Mitterrand » et « générations Allende » pour le retour à la démocratie (1983-1990)

L’historienne Noëlline Castagnez définit « la génération d’Épinay » comme une « génération mémorielle », soudée par une « mémoire des guerres partagée », une mémoire « antifasciste, antitotalitaire et anticolonialiste21Noëlline Castagnez, Quand les socialistes français se souviennent de leurs guerres : mémoire et identité, 1944-1995, Rennes, PUR, 2021, pp. 413-415. » qui est le socle de sa culture politique. La mémoire du 11 septembre 1973 et du combat solidaire avec les exilés chiliens nous semble également participer de cette mémoire et culture communes. Allende et le 11 septembre 1973 deviennent « des lieux de mémoire22Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984. » qui singularisent avant tout les cohortes générationnelles qui ont vécu ces événements, et qui en restent les défenseurs politiques et mémoriels. Cette période est ainsi celle où les événements de 73 sont souvent évoqués sur le registre du témoignage, de l’émotion vécue. La mémoire du Chili de 1973 reste une mémoire traumatique vive, comme l’illustre ce texte du secrétariat international en 1985 : « Le Parti socialiste a vécu le 13 décembre 1981 aussi fort que le coup d’État du 11 septembre 1973 contre Salvador Allende. La Pologne et le Chili sont deux blessures ouvertes au cœur des socialistes23« Pologne, blessure ouverte », PS Info, 229, janvier 1985. ».

Ainsi, tant que la dictature perdure, les circonstances de sa naissance restent la clé de compréhension de la vie politique chilienne, et restent ainsi très présentes dans les analyses et combats du PS : il s’agit de défendre les démocrates, parmi lesquels les socialistes, contre les soutiens de Pinochet. Le soutien au Chili héritier d’Allende est un combat partagé tant par les jeunes « sabras » comme Lionel Jospin et Laurent Fabius que par les plus anciens compagnons socialistes de François Mitterrand comme Pierre Mauroy. Adversaires politiques24Le PS dénonce par exemple en 1987 des hommages rendus par le Front national au régime de Pinochet : PS Info, 344, 5 décembre 1987. et commentateurs mobilisent encore ponctuellement cette référence : au moment des grèves de chauffeurs routiers de 1988, certains évoquent le « spectre du Chili d’Allende » qui donnerait « le frisson à la « gauche caviar »25Jean-Yves Lhomeau, « 1984, Carl Lewis à Matignon », Le Monde, 18 mars 1988. ». Il y a ainsi une vraie référence générationnelle.

La nouvelle « génération Mitterrand », celle de 1988, semble ainsi être toujours une « génération Allende » : lors du grand concert organisé par l’association « Avec Mitterrand » au Zénith le 1er mars 1988, les organisateurs dessinent le panthéon des figures de la gauche qui leur semble devoir entourer Francois Mitterrand, en projetant des portraits de « Rousseau, Jaurès, Blum, Palme, Allende26Jean-Louis Andréani, « Grand-messe au Zénith », Le Monde, 2 mars 1988. ». Ils postulent ainsi que ces références sont encore largement partagées par les 5000 personnes présentes. Pour les plus jeunes, Isabel Allende est aussi une passeuse mémorielle, un rappel de 1973 : elle poursuit en effet les combats de son père via de multiples manifestations françaises et internationales, à l’image de la grande fête célébrant à la Défense le 26 août 1989 les droits de l’Homme, où elle se tient aux côtés d’Harlem Désir.

Si avec le temps d’autres causes internationales mobilisent le PS et s’imposent de manière plus urgente que le Chili dans l’agenda politique du PS, la solidarité avec les Chiliens se maintient : au moment des répressions qui suivent l’attentat contre Pinochet en 1986 par exemple, le PS cherche à alerter l’opinion française et internationale sur les violations des droits humains au Chili27Communiqué de Pierre Brana, 26 novembre 1986, dans PS Info, 307, 13 décembre 1986.. Lors du plébiscite de 1988, étape majeure de la démocratisation du Chili, Pierre Mauroy, premier secrétaire, se rend deux fois à Santiago, en juillet puis en octobre à la tête d’une délégation d’observateurs composée d’une trentaine de responsables et élus locaux28« Chile 1988. Communiqué du CEPREN-CHILI », PS Info, 365, 26 mai 1988 ; communiqué de Pierre Guidoni, secrétaire national aux relations internationales, 3 octobre 1988, PS Info, 376, 8 octobre 1988.. Des personnalités font campagne pour le « non », à l’image de Laurent Fabius, aux côtés de Jacques Chonchol, ancien ministre d’Allende29« M. Fabius soutient les partisans du « non », Le Monde, 30 septembre 1988.. Le PS comme les jeunesses socialistes appuient encore les démocrates chiliens dans les élections de 1989 en collectant des fonds pour soutenir leurs campagnes30Appel du secrétariat international ainsi que du MJS : « 16 ans de dictature au CHILI : ça suffit », PS Info, 419, 4 novembre 1989..

Ainsi, le temps n’est pas venu de la simple commémoration, celle-ci sert l’action. Au congrès de Rennes, qui se tient quelques jours après l’entrée en fonction du président Patricio Aylwin, l’émotion est vive parmi les orateurs qui évoquent le Chili désormais démocratique – Pierre Mauroy, Michel Rocard, Laurent Fabius, Claude Évin et Pierre Guidoni – et accueillent à la tribune le secrétaire général du PS chilien, Roberto Arrate. Le témoignage de Claude Évin témoigne de la cohérence de la séquence 1973-1990 dans les engagements et mémoires socialistes :
« Chers camarades, lundi dernier, j’avais l’honneur de représenter le gouvernement français à l’installation du nouveau président de la République du Chili, Patricio Aylwin… (applaudissements)… et comme vous, chers camarades, en 1973, je m’éveillais à la politique, et près de vingt ans plus tard, vous pouvez imaginer l’émotion […] Près de vingt ans plus tard, j’ai été heureux de porter aux Chiliens le témoignage du gouvernement et des socialistes français ».

Vers la démocratie et une ère nouvelle de commémoration du 11 septembre 1973

Du temps de la dictature, le 11 septembre était au Chili un jour férié et fêté, comme celui de la naissance du régime. Le PS français suit ainsi le rythme de la réappropriation de cette date par la gauche chilienne. Le 4 septembre 1990, le corps de Salvador Allende, jusqu’ici enterré à 100 kilomètres de Santiago, est transféré dans la capitale chilienne au cours d’obsèques solennelles. Aux côtés de la famille Allende, des autorités et de la foule chilienne, trois invités officiels français : Danielle Mitterrand, le Premier ministre Michel Rocard et Laurent Fabius. En septembre 1991, pour la première fois, une messe solennelle commémorative est donnée à Santiago en hommage à Salvador Allende.

En 1992, au congrès national de Bordeaux, Gérard Fuchs, secrétaire international, signale ému la présence d’Isabel Allende et lui adresse ces mots :
« Je lui dirai simplement que nous faisons partie de ces milliers et milliers de socialistes de par le monde qui garderont toujours la vision de la ronde infernale de ces avions pilonnant le Palais de la Moneda à Santiago un certain 11 septembre 1973. (Applaudissements) À jamais Salvador Allende fait partie de notre souvenir, mais aussi de notre honneur de socialiste. (Applaudissements) »

En 1993 pourtant, on trouve encore peu de traces de commémoration du vingtième anniversaire du coup d’État : le combat politique et mémoriel reste très vif au Chili où Pinochet est toujours chef des armées et a annoncé à cette date demander l’amnistie des crimes commis par l’armée, provoquant ainsi des manifestations de la gauche et la mort de deux militants. La brève qui rapporte l’événement dans la presse socialiste précise : « Le message de Salvador Allende reste encore d’une actualité pressante31Vendredi, 199, 17 septembre 1993. ».

Ce n’est ainsi que très progressivement que le 11 septembre 1973 passe d’une date traumatique, mobilisatrice, « politiquement vive », à celle d’un « souvenir », appartenant pleinement à l’histoire socialiste française.

La fin de la Guerre froide et de la dictature chilienne : Salvador Allende et le 11 septembre 1973, des « lieux de mémoire » du PS 

Comme cela a été rappelé en introduction, entre 1990 et sa mort en 2006, Pinochet continue à peser fortement sur la politique chilienne. Pourtant, le retour de nombre d’exilés, à partir de 1988, et le retour progressif de la démocratique avec l’élection de Patricio Aylwin, candidat soutenu par une large coalition comprenant les socialistes, sont des ruptures fortes pour le Chili comme pour la solidarité internationale qui soutenait les démocrates chiliens depuis 1973. Les combats se reconfigurent, il s’agit désormais de défendre les droits de l’homme au Chili, de se battre pour obtenir justice pour les crimes commis par la dictature. Dans ces combats, le 11 septembre 1973, élément déclencheur, reste bien sûr central. Pour autant, les nouveaux défis du Chili démocratique amènent aussi le PS à se focaliser sur l’actualité politique de ce pays et, par le glissement des générations, un nouveau rapport mémoriel au 11 septembre apparaît : les plus jeunes n’ont ainsi pas de souvenirs personnels de 1973. La transmission mémorielle se fait alors par différents passeurs, par l’instauration de commémorations, par la persistance matérielle des luttes des années 1970.

Des souvenirs à la mémoire collective

Si les jeunes générations socialistes ont, mécaniquement, de moins en moins de souvenirs directs de 1973, beaucoup d’acteurs pour qui ces événements ont eu une importance cruciale ont eu à cœur de transmettre cette mémoire. On songe notamment, dans L’Hebdo des socialistes, aux nombreux billets de son « bloc-notes » que Claude Estier dédie au Chili dans les années 1990 et 2000. Ces derniers évoquent presque systématiquement Salvador Allende et 1973, aux côtés d’articles d’auteurs plus jeunes, comme Jean-Jacques Kourliandsky, qui suivent l’actualité du Chili contemporain. Antoine Blanca, spécialiste de l’Amérique latine dès les années 1970, puis ambassadeur dans les années 1980, est un autre passeur mémoriel ; il publie ainsi, après les événements du 11 septembre 2001 et à l’occasion des trente ans des événements chiliens, un livre intitulé Salvador Allende. L’autre 11 septembre32Antoine Blanca, Salvador Allende : l’autre 11 septembre, Paris, Bruno Leprince, 2003.. La presse socialiste fait largement écho à cette publication. Elle relaie aussi régulièrement dans ses pages culturelles les sorties d’œuvres retraçant les événements chiliens, comme par exemple en 2007 la diffusion du documentaire Rue Santa Fe de Carmen Castillo, ancienne militante du MIR33L’Hebdo des socialistes, n°468, 1er décembre 2007..

Ces témoignages suffisent-ils à faire du 11 septembre 1973 une référence pour les plus jeunes ? Faute d’enquête systématique, il est difficile de répondre. Dans la presse du MJS des années 1990, on trouve quelques traces épisodiques et à faible représentativité de cette mémoire : en 1999 un dossier de deux pages est consacré au Chili de 1970-1973, dans la rubrique « Le temps de l’histoire34Le temps des conquêtes, numéro de janvier-mars 1999, pp. 24-25. ». Son contenu est assez synthétique, pédagogique : il s’agit a priori d’informer des militants qui ignoreraient tout de ces événements. Pourtant, la même année, la promotion issue de la première université permanente des cadres fédéraux PS et MJS qui se tient en décembre choisit, parmi un vaste panthéon des possibles, de s’appeler la « promotion Allende35L’Hebdo des socialistes, n°128, 17 décembre 1999. ». Les promotions suivantes choisiront Louise Michel et Léon Blum. En 2003, un article est publié par le MJS à l’occasion de l’anniversaire des trente ans : il précise que si le 11 septembre est un jour de commémoration du 11 septembre 2001, il est « aussi et surtout » celui du 11 septembre 197336Garnier Morgane, « Trente ans après le coup d’État contre Salvador Allende. Le Chili continue de panser ses plaies », Le temps des conquêtes, 20, août-septembre 2003. Ce seul article ne suffit pas à caractériser le rapport des MJS aux États-Unis et aux événements chiliens.. Julien Dray en 2018 déplore que la référence chilienne ne soit pas toujours maîtrisée par les jeunes militants37Entretien de Julien Dray avec Laurent Telo, Le Monde, 12 mars 2018., lui qui avait dix-huit ans en 1973 et se référait encore à ces événements en 2000 dans son analyse des grèves des transports routiers français38« Julien Dray fait un parallèle avec le Chili », Le Monde, 9 septembre 2000..

On atteint ainsi les limites de l’enquête menée par notre corpus : pour les « générations Mitterrand » elles-mêmes, la recherche de mémoires plus individuelles aboutit à un portrait collectif impressionniste, où toutes les nuances coexistent. Certains acteurs évoquent les événements chiliens comme centraux dans leur éveil politique, et même déterminants : Pierre Schapira par exemple mentionne le Chili comme un élément majeur de son engagement39Entretien réalisé le 19 janvier 2017., c’est aussi ce que souligne un élu comme Yann Galut, pourtant très jeune en 197340Entretien avec Valérie Mazerolle, « Yann Galut, une vie d’engagement(s) », Le Berry républicain – Cher, 30 juin 2020.. Certains ont vu leurs sociabilités et imaginaires politiques durablement marqués par le Chili : en 1994, Gérard Collomb aurait été « capable de réciter par cœur le discours de Salvador Allende avant sa mort41Propos de Nathalie Perrin-Gilbert dans Julia Pascual, Cédric Pietralunga et Richard Schittly, « Gérard Collomb, le fidèle récompensé », Le Monde, 28 septembre 2017. », tandis qu’aux origines du fort tropisme latino-américain de Jean-Luc Mélenchon se trouveraient les liens solidaires noués à Massy dans les années 1980 avec les réfugiés politiques chiliens42Marceau Taburet, « L’Amérique latine, source inépuisable d’inspiration pour la gauche française », Libération, 8 août 2022.. Pour d’autres, l’expérience est plus lointaine : en 2017, François Hollande évoque à l’occasion d’un voyage au Chili son propre souvenir des événements, dont il a été surtout spectateur :
« J’avais dix-neuf ans au moment du coup d’État. Je me souviens de la manifestation à Paris, quelques jours après […] C’était la première fois que la gauche unie défilait dans les rues après la défaite de 73. Il y avait Mitterrand, Marchais, Robert Fabre43Jean-Louis Andréani, « Au Chili, François Hollande veut écrire lui-même la fin de l’histoire », L’Obs, 24 janvier 2017. Voir aussi son témoignage dans L’Hebdo des socialistes, 286, 13 septembre 2003, p. 14.. »

Et de fait, les liens noués avec la gauche chilienne par François Hollande comme Ségolène Royal remontent a priori surtout à la campagne présidentielle de Michelle Bachelet en 200644Claire Martin, « Isabel Allende, 64 ans, députée chilienne », Libération, 5 mai 2007.. Après les commémorations de 2003, cette campagne électorale de 2006 relance ainsi les relations partisanes franco-chiliennes sur des bases neuves, où 1973 est présent, notamment par la biographie même de la candidate chilienne, mais au second plan.

L’ère des commémorations

Les enjeux politiques chiliens contemporains s’éloignent en effet progressivement de ceux de 1973, et les raisons qui motivaient l’écho particulier du drame chilien en France également. Après 1981 et 1997, l’accession de la gauche unie au pouvoir n’est plus une question qui se pense dans les mêmes termes, et le président Jacques Chirac salue en 2006 la démocratisation du Chili et condamne la période Pinochet. Lorsque Ségolène Royal se rend au Chili la même année pour soutenir la campagne présidentielle de Michelle Bachelet, elle croise Isabel Allende, est reçue par Ricardo Lagos à la Moneda, mais elle ne mobilise pas les souvenirs de 1973. L’enjeu n’est en effet plus d’abord, au Chili comme à Paris, la succession politique et symbolique de Salvador Allende, mais celle de l’accession d’une femme au pouvoir présidentiel : plus de trente ans après la comparaison de François Mitterrand à « l’Allende français », des journalistes scrutent le lancement de la candidature de Ségolène Royal comme celle d’une « Michelle francesa45Isabelle Mandraud, « La « Michelle francesa » grisée par la campagne de son modèle chilien », Le Monde, 11 janvier 2006. ». Le PS soutient fortement cette nouvelle candidate, comme en témoigne par exemple le Comité de soutien français à Michelle Bachelet dont Anne Hidalgo a la présidence d’honneur.

En 2009, cette distance mémorielle se confirme : si le PS rend hommage à Hortensia Bussi lors de sa disparition en juin46« Hommage à Tencha Bussi de Allende », Nouvelles internationales, 21, 24 juin 2009., quelques mois plus tard, Jean-Christophe Cambadélis analyse l’élection chilienne en cours en soulignant la rupture qu’elle crée avec la séquence ouverte en 1973 : l’enjeu n’est plus seulement la défense des démocrates contre les soutiens de Pinochet, et le PS se refuse à choisir parmi les deux candidatures issues des rangs socialistes chiliens car « la solidarité d’hier n’est plus à l’ordre du jour », et ne suffit plus47Jean-Christophe Cambadélis, « Chili, incertitudes électorales », Nouvelles internationales, 29, 28 octobre 2009..

Ainsi, si une mémoire de 1973 perdure, elle se cristallise en premier lieu sur les moments de commémorations. En 2003, les socialistes commémorent le 11 septembre 1973 par de multiples manifestations, dont l’une à l’Hôtel de ville de Paris, tandis que la place « Santiago du Chili » à Paris devient la place « Salvador Allende48Un dossier est consacré au Chili dans L’Hebdo des socialistes, 286, 13 septembre 2003, pp. 14-15. ». En 2013 également, les commémorations sont nombreuses. Enfin, une nouvelle date apparaît dans ce calendrier commémoratif : en 2008 le PS célèbre le centenaire de la naissance de Salvador Allende49Voir les manifestations et articles dédiés à Allende dans deux numéros de L’Hebdo des socialistes en juin 2008 (n°492) et octobre 2008 (n°502)..

Une mémoire matérielle

Au-delà des moments de commémorations, les événements de 1973 semblent aussi persister dans les mémoires socialistes, toutes générations confondues, grâce à des balises concrètes héritées des années 1970 : l’iconographie centrée sur Salvador Allende ainsi que la toponymie.

Les portraits de Salvador Allende tout d’abord, qui ont, comme on l’a souligné, été un vecteur important de la solidarité socialiste, ont marqué l’histoire de la propagande politique comme l’imaginaire visuel du PS. L’aide au Chili dans les années 1970 s’était ainsi beaucoup appuyée sur des supports visuels et sonores. Or, si les chants et chansons sont moins évoqués dans les témoignages, des socialistes évoquent des posters et portraits de Salvador Allende. À Palaiseau par exemple, le maire socialiste François Lamy aurait longtemps eu un grand portrait de Salvador Allende dans son bureau50« François Lamy, le mécano de Solférino », Le Monde, 19 décembre 2019. ; en 2009, Jean-Paul Huchon, président du Conseil régional d’Île-de-France, pose volontiers devant un portrait d’Allende que lui a récemment offert un ami51« Île de France, une région qui roule », L’Hebdo des socialistes, n°538, 14 novembre 2009.. Si poser aux côtés d’un portrait du « Che », pourtant devenu central dans la culture populaire, aurait quelque chose de décalé, poser aux côtés d’Allende, icône du socialisme démocratique, fait toujours sens à la fin des années 2000.

La présence matérielle de Salvador Allende, c’est aussi l’héritage toponymique des années 1970 : de nombreux équipements et voies publiques de municipalités ayant été à gauche durant cette décennie portent encore le nom de Salvador Allende, comme en témoigne par exemple une recherche par mots clés dans la presse socialiste, dans des titres comme Communes de France. Ils sont a minima autant de « lieux de mémoire » discrets mais persistants du Chili de 1970-73. Ils sont aussi parfois des lieux de commémoration : à Palaiseau encore, un groupe d’une quinzaine de militants aurait commémoré en 2019 la mémoire du 11 septembre 1973 à la médiathèque Salvador-Allende estimant que « célébrer une figure totémique de la gauche peut être utile à quelques mois des municipales52« Les militants PS croient aux vertus de l’unité », Le Monde, 4 octobre 2019. ».

Ces éléments peuvent apparaître anecdotiques, mais ils doivent aussi attirer notre attention sur un angle mort de ce panorama mené « par le haut » : en 1973, la solidarité socialiste avait couvert tout le territoire. Une circulaire nationale avait appelé les socialistes à « célébrer publiquement la mémoire et l’exemple de notre camarade Salvador Allende » en demandant à « chaque municipalité à direction socialiste » de donner le nom de Salvador Allende à « une voie de la localité53Fondation Jean-Jaurès, circulaire nationale N°192, R. Pontillon, D. Motchane et G. Sarre aux secrétaires fédéraux », Paris, 18 septembre 1973. ». En 1974 par exemple, François Mitterrand inaugure le Stade Allende de la ville de Villepreux54Communes de France, n°137, 1er novembre 1974., en 1978, il inaugure le nouveau lycée Salvador-Allende à Hérouville. En 1983, plusieurs municipalités nouvellement passées à droite cherchent à effacer le nom de Allende de leurs villes : dès le 6 mai 1983, le nouveau maire RPR de Levallois-Perret, Patrick Balkany, débaptise un parc qui portait le nom de Salvador Allende55Jean-Jacques Kourliandsky, « François Mitterrand et la restauration de la démocratie en Amérique latine », Le Genre humain, 58, 2017, pp. 103-115.. Le 12 septembre 1984 à Noisy-le-Grand, la maire RPR Françoise Ricard rebaptise la place Salvador-Allende place Georges-Pompidou au terme d’un conseil municipal houleux, ce qui aurait provoqué la manifestation de 200 personnes56Martine Ducousset, « Mairies : les chiraco-lepénistes à l’œuvre », L’Unité, n°579, 16 novembre 1984, pp. 10-11.. Or une rapide recherche sur la base de données des toponymes français57Nommée « Base adresse nationale ». indique combien Salvador Allende est aujourd’hui encore très présent dans les villes françaises.

L’histoire des mobilisations locales est ainsi encore largement à écrire et n’effleure que par touches la mémoire collective : en 1998, une tribune de la section du Mans, nommée Salvador Allende, appuyant les demandes de procès à l’encontre de Pinochet est relayée par l’hebdomadaire national58Les militants de la section Le Mans Sud-Salvador Allende. 72-Le Mans, « Les crimes de Pinochet ne peuvent rester impunis », L’Hebdo des socialistes, n°81, 20 novembre 1998, p. 8., mais pour combien d’autres ayant échappé à notre radar ? Une plongée plus poussée dans le vaste corpus des récits biographiques comme des archives locales, par exemple, permettrait sans doute de nuancer encore et de compléter cette trajectoire mémorielle du « 11 septembre 1973 » au sein du socialisme français.

  • 1
    Olivier Compagnon, « Chili, 11 septembre 1973. Un tournant du XXe siècle latino-américain, un événement-monde », Revue internationale et stratégique, 2013, 91, pp. 97-105.
  • 2
    Maud Chirio, « 1973. L’autre 11 septembre », dans Patrick Boucheron (dir.), Histoire mondiale de la France, Paris, Seuil, 2017, pp. 707-711.
  • 3
    Les retranscriptions de débats des congrès socialistes sont tous disponibles sur le portail des Archives socialistes.
  • 4
    Judith Bonnin, « Salvador Allende et François Mitterrand : un même socialisme démocratique et unitaire ? », Fondation Jean-Jaurès, 9 septembre 2013.
  • 5
    Caroline Moine et Olivier Compagnon (dir.), « Chili 1973, un événement mondial », Monde(s), 8, 2015.
  • 6
    Pour la période précédente voir : Judith Bonnin, « L’internationalisme rose au tournant de la mondialisation. La politique internationale du Parti socialiste français de 1971 à 1983 », thèse d’histoire, université Paris Diderot et université de Bologne, 2017. En cours de publication.
  • 7
    « Pologne, blessure ouverte », PS Info, 229, janvier 1985.
  • 8
    Le Vietnam, le Portugal et « le coup d’État au Chili forment à cet égard une toile de fond essentielle de ce rapport de la gauche à l’armée dans les années 1970 » : Maxime Launay, « Une armée nouvelle ? La gauche et l’armée française (1968-1985). Antimilitarisme, libertés publiques et défense nationale », thèse d’histoire, Sorbonne Université, 2022, p. 39. Voir notamment les pages 258-260 consacrées aux « leçons de l’expérience chilienne ».
  • 9
    Ni de « trahir comme au Portugal » selon la formule de l’époque.
  • 10
    Judith Bonnin, « François Mitterrand à la découverte de l’Amérique latine (1971-1981) », Le Genre humain, 58, 2017, pp. 29-53.
  • 11
    Guillaume Devin, L’Internationale socialiste : histoire et sociologie du socialisme international, 1945-1990, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1993, pp. 116-127.
  • 12
    Caroline Moine, « « Votre combat est le nôtre ». Les mouvements de solidarité internationale avec le Chili dans l’Europe de la Guerre froide », Monde(s), 8, 2015, pp. 83-104.
  • 13
    Parti communiste français, Parti socialiste, Radicaux de gauche, PSU, Objectif socialiste, CFDT, CGT, FEN, Ligue des droits de l’Homme, Jeunesse communiste, Jeunesse socialiste, Jeunes radicaux de gauche, UNEF, UGE, UNICAL, Jeunes CGT, Jeunes CFDT, JOC.
  • 14
    Voir notamment aux archives de la Fondation Jean-Jaurès : 616RI/12.
  • 15
    Sur le portail numérique des Archives socialistes, on trouve notamment : un poster de 1973 du PS de Salvador Allende, poster pour le « soutien à la résistance populaire chilienne » des Étudiants socialistes (ES) avec ce portrait déchiré de Salvador Allende ; une affiche des ES-MJS en soutien à la lutte de Carlos Altamirano après le décès d’Allende en 1973-1974 ; une affiche du PS sur le « soutien au peuple chilien en lutte » en 1976 ; une affiche de « solidarité avec le Chili en lutte » de la section de Pessac en 1977.
  • 16
    Fondation Jean-Jaurès, 616RI/38.
  • 17
    Le PS finance un local avec un téléphone aux dépenses plafonnées, deux emplois de permanents à mi-temps dans des municipalités socialistes, et prévoit le versement d’une allocation mensuelle de 7 000 francs.
  • 18
    Lettre de Lionel Jospin à Simone Vidal, Paris, 22 février 1980. Lettre jointe à la circulaire nationale n°823, adressée par Véronique Neiertz et Lionel Jospin, aux premiers secrétaires fédéraux. Le seul point de comparaison nous semble être l’aide apportée aux exilés républicains espagnols.
  • 19
    André Fontaine, « La guerre civile en France ? », Le Monde, 9 novembre 1981.
  • 20
    Fondation Jean-Jaurès, 616RI/5, communiqué du PS, 6 septembre 1983.
  • 21
    Noëlline Castagnez, Quand les socialistes français se souviennent de leurs guerres : mémoire et identité, 1944-1995, Rennes, PUR, 2021, pp. 413-415.
  • 22
    Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984.
  • 23
    « Pologne, blessure ouverte », PS Info, 229, janvier 1985.
  • 24
    Le PS dénonce par exemple en 1987 des hommages rendus par le Front national au régime de Pinochet : PS Info, 344, 5 décembre 1987.
  • 25
    Jean-Yves Lhomeau, « 1984, Carl Lewis à Matignon », Le Monde, 18 mars 1988.
  • 26
    Jean-Louis Andréani, « Grand-messe au Zénith », Le Monde, 2 mars 1988.
  • 27
    Communiqué de Pierre Brana, 26 novembre 1986, dans PS Info, 307, 13 décembre 1986.
  • 28
    « Chile 1988. Communiqué du CEPREN-CHILI », PS Info, 365, 26 mai 1988 ; communiqué de Pierre Guidoni, secrétaire national aux relations internationales, 3 octobre 1988, PS Info, 376, 8 octobre 1988.
  • 29
    « M. Fabius soutient les partisans du « non », Le Monde, 30 septembre 1988.
  • 30
    Appel du secrétariat international ainsi que du MJS : « 16 ans de dictature au CHILI : ça suffit », PS Info, 419, 4 novembre 1989.
  • 31
    Vendredi, 199, 17 septembre 1993.
  • 32
    Antoine Blanca, Salvador Allende : l’autre 11 septembre, Paris, Bruno Leprince, 2003.
  • 33
    L’Hebdo des socialistes, n°468, 1er décembre 2007.
  • 34
    Le temps des conquêtes, numéro de janvier-mars 1999, pp. 24-25.
  • 35
    L’Hebdo des socialistes, n°128, 17 décembre 1999.
  • 36
    Garnier Morgane, « Trente ans après le coup d’État contre Salvador Allende. Le Chili continue de panser ses plaies », Le temps des conquêtes, 20, août-septembre 2003. Ce seul article ne suffit pas à caractériser le rapport des MJS aux États-Unis et aux événements chiliens.
  • 37
    Entretien de Julien Dray avec Laurent Telo, Le Monde, 12 mars 2018.
  • 38
    « Julien Dray fait un parallèle avec le Chili », Le Monde, 9 septembre 2000.
  • 39
    Entretien réalisé le 19 janvier 2017.
  • 40
    Entretien avec Valérie Mazerolle, « Yann Galut, une vie d’engagement(s) », Le Berry républicain – Cher, 30 juin 2020.
  • 41
    Propos de Nathalie Perrin-Gilbert dans Julia Pascual, Cédric Pietralunga et Richard Schittly, « Gérard Collomb, le fidèle récompensé », Le Monde, 28 septembre 2017.
  • 42
    Marceau Taburet, « L’Amérique latine, source inépuisable d’inspiration pour la gauche française », Libération, 8 août 2022.
  • 43
    Jean-Louis Andréani, « Au Chili, François Hollande veut écrire lui-même la fin de l’histoire », L’Obs, 24 janvier 2017. Voir aussi son témoignage dans L’Hebdo des socialistes, 286, 13 septembre 2003, p. 14.
  • 44
    Claire Martin, « Isabel Allende, 64 ans, députée chilienne », Libération, 5 mai 2007.
  • 45
    Isabelle Mandraud, « La « Michelle francesa » grisée par la campagne de son modèle chilien », Le Monde, 11 janvier 2006.
  • 46
    « Hommage à Tencha Bussi de Allende », Nouvelles internationales, 21, 24 juin 2009.
  • 47
    Jean-Christophe Cambadélis, « Chili, incertitudes électorales », Nouvelles internationales, 29, 28 octobre 2009.
  • 48
    Un dossier est consacré au Chili dans L’Hebdo des socialistes, 286, 13 septembre 2003, pp. 14-15.
  • 49
    Voir les manifestations et articles dédiés à Allende dans deux numéros de L’Hebdo des socialistes en juin 2008 (n°492) et octobre 2008 (n°502).
  • 50
    « François Lamy, le mécano de Solférino », Le Monde, 19 décembre 2019.
  • 51
    « Île de France, une région qui roule », L’Hebdo des socialistes, n°538, 14 novembre 2009.
  • 52
    « Les militants PS croient aux vertus de l’unité », Le Monde, 4 octobre 2019.
  • 53
    Fondation Jean-Jaurès, circulaire nationale N°192, R. Pontillon, D. Motchane et G. Sarre aux secrétaires fédéraux », Paris, 18 septembre 1973.
  • 54
    Communes de France, n°137, 1er novembre 1974.
  • 55
    Jean-Jacques Kourliandsky, « François Mitterrand et la restauration de la démocratie en Amérique latine », Le Genre humain, 58, 2017, pp. 103-115.
  • 56
    Martine Ducousset, « Mairies : les chiraco-lepénistes à l’œuvre », L’Unité, n°579, 16 novembre 1984, pp. 10-11.
  • 57
    Nommée « Base adresse nationale ».
  • 58
    Les militants de la section Le Mans Sud-Salvador Allende. 72-Le Mans, « Les crimes de Pinochet ne peuvent rester impunis », L’Hebdo des socialistes, n°81, 20 novembre 1998, p. 8.

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