L’allaitement : pour une politique publique permettant aux femmes de choisir

Cachez ces seins que vous ne sauriez voir ! L’allaitement est-il un tabou en France ? C’est la question que Paula Forteza, députée des Français de l’étranger, pose dans cette note. Tiraillées entre les injonctions contradictoires du corps médical, de la famille, et plus largement de la société, les femmes ont – encore aujourd’hui – des difficultés à faire valoir leur choix d’allaiter ou non. Paula Forteza soumet plusieurs propositions pour y remédier.

Introduction

L’allaitement est-il un tabou en France ? Si la question semble au premier abord saugrenue, force est de constater l’apparition récurrente de ce sujet dans le débat public. En mai 2021 à Bordeaux, une jeune maman, qui faisait la queue à un point-relais et nourrissait son bébé de six mois au sein, a été giflée par une autre femme1« Giflée alors qu’elle nourrissait son bébé au sein dans la rue, une Bordelaise raconte son agression », Ouest France, 18 mai 2022.. En juillet 2021, c’est Disneyland qui crée le débat après que deux agents de sécurité ont empêché une mère d’allaiter en public2Élie Julien, « Priée d’arrêter d’allaiter à Disneyland Paris : ‘On m’a dit que je devais aller ailleurs’ », Le Parisien, 6 juillet 2021. Si, suite à l’intervention de la ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes de l’époque, Élisabeth Moreno, le parc d’attractions a reconnu « une erreur », la question de l’allaitement semble encore couverte d’un voile de gêne pour beaucoup. L’une des dernières polémiques sur la question date d’il y a quelques jours, le 7 juin 2022, lorsqu’une femme s’est de nouveau vue interdite d’allaiter au Louvre, un agent l’en ayant empêchée parce que « cela pouvait déranger une partie des visiteurs »3Élie Julien, « Jasmin a voulu allaiter au Louvre, mais un agent lui a dit « que ce n’était pas permis » , Le Parisien, 7 juin 2022 et l’a envoyée aux toilettes.

D’ailleurs, dans un sondage récent, « 69% des mères interrogées ont confié qu’elles ne s’étaient pas senties suffisamment soutenues par la société dans cette démarche »4Mathilde Debry, « Allaitement en public : 17% des Françaises affirment avoir été l’objet de critiques », Pourquoi docteur, 25 mars 2022..

Ces situations humiliantes et stigmatisantes pour les jeunes mères ne sont donc pas des cas particuliers et entraînent un sentiment d’insécurité pour ces femmes souhaitant allaiter.

Cela pose d’autant plus question que, depuis plus d’un siècle, les femmes sont soumises à un ensemble d’injonctions plus contradictoires les unes que les autres5Isabelle Zinn, Alix Heiniger, Marianne Modak et Clothilde Palazzo-Crettol , « Mon corps nous appartient« , Nouvelles Questions féministes, vol. 40, pp. 8-16, janvier 2021.. Au niveau médical, d’une part, les recommandations6Irène Cappon et Françoise Roland, « Allaitement maternel : liberté individuelle sous influences« , Devenir, vol. 25, pp. 117-136, février 2013. n’ont eu de cesse d’évoluer : faire jeûner plusieurs heures le bébé ou attendre un ou deux jours avant de débuter l’allaitement après la naissance ou faire des tétés à heures fixes. Plus généralement, le corps de la femme et le choix d’allaiter font l’objet d’un contrôle permanent au centre des jugements de chacun : la durée d’allaitement est considérée comme trop longue ou trop courte, critiquée en public mais obligatoire en privé ; la mère ne doit pas être l’esclave de son enfant mais encore moins donner du lait maternel artificiel moins bon pour la santé…

L’allaitement a également fait l’objet de différentes positions au sein du discours féministe depuis la fin du XIXe siècle. D’une « obligation qui découle de la nature des choses »7Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau, « L’allaitement est-il compatible avec le féminisme ? », Spirale, n°27, pp. 139-147, mars 2003. au début du XXe siècle à une « servitude épuisante » de Simone de Beauvoir, les féministes ont successivement rejeté ou accepté l’allaitement.

Si les recherches médicales actuelles tendent à plébisciter l’allaitement, il semble nécessaire de rappeler que, contrairement à ce que le sens commun pourrait laisser croire, chaque femme a un rapport avec l’allaitement qui lui est propre. Il demande un apprentissage à la fois pour les mères et pour l’enfant, que prodiguent les professionnels de santé pour pratiquer une alimentation adaptée et dirigée par le bébé. Dans une étude menée par Lansinoh en 2021, 61% des femmes ne se sont pas senties bien préparées au fait d’allaiter, et 39% ont jugé leur expérience « plus difficile que prévue »8Mathilde Debry, « Allaitement en public : 17% des Françaises affirment avoir été l’objet de critiques », Pourquoi docteur, 25 mars 2022..

Ainsi, adapter l’alimentation de son enfant peut s’avérer un challenge qui se conjugue avec la diversité des situations économiques, sociales, familiales, professionnelles. Une étude de la DREES datant de 20139DREES, « Deux nouveaux nés sur trois sont allaités à la naissance », n°958, 2016. montre d’ailleurs que ce sont les familles les moins favorisées économiquement qui recourent à l’alimentation artificielle : 74% des femmes cadres supérieures allaitent et 51% seulement des femmes ouvrières qualifiées.

Une évolution du rapport à l’allaitement : quelle est la place des femmes dans ce choix ? 

Il est une évidence de dire que, depuis le début de l’histoire de l’humanité, les femmes allaitent. Pourtant, ce rapport à l’allaitement a beaucoup évolué dans notre société. Aujourd’hui, dès les premiers mois, les femmes enceintes sont soumises à de multiples pressions. Quelles que soient leurs décisions, leur corps ne leur appartient plus : c’est un bien public soumis aux jugements de chacun.

Le sein, un vecteur d’assignation des femmes aux fonctions sexuelles et nourricières

L’érotisation du sein survient dès la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis. La pin-up à large poitrine est fantasmée, le lait maternisé se propage, la fonction nourricière des seins régresse et la sexualisation progresse10Elizabeth Azoulay, 100 000 ans de beauté, Paris, Gallimard, 2012..

Cela conduit d’ailleurs à une confusion pour les femmes prises entre la fonction sexuelle et nourricière qu’on assigne à leur poitrine. Encore aujourd’hui, l’argument convoqué pour entraver l’allaitement en public est généralement celui de « l’exhibition sexuelle », conséquence directe de cette perpétuelle érotisation du corps des femmes. Les comportements hostiles à l’allaitement en public ne sont pas anodins et traduisent un malaise dans notre société et une méconnaissance générale du corps de la femme durant et après la grossesse.

D’après plusieurs études11 Elizabeth Murphy, « ‘Breast is best’: Infant feeding decisions and maternal deviance », Sociology of Health & Illness, n°21, pp. 187-208, 2001., seule une minorité de femmes se sent réellement à l’aise à l’idée d’allaiter en public. La plupart d’entre elles éprouve le besoin de se cacher, ou n’ose pas sortir par crainte de devoir allaiter à l’extérieur. 17% d’entre elles affirment même avoir été ouvertement critiquées ou victimes de préjugés lorsqu’elles allaitaient en public.

Ainsi, l’érotisation du sein a un impact direct sur les décisions des femmes d’allaiter ou non en instillant une profonde inquiétude dans leur esprit. Certaines d’entre elles précisent aussi ne pas souhaiter allaiter de peur de ne pas savoir gérer l’enfant si celui-ci se met à pleurer dans un magasin ou une administration s’il a faim12Fiona Lazaar, « Allaitement dans un lieu public : “les femmes doivent savoir qu’elles ont la loi de leur côté” », 20 minutes, 17 juin 2021..

Par ailleurs, 37% des femmes13Esther Vivas, Mama desobediente : una mirada feminista de la maternidad, Capitán Swing, 2019. considèrent que l’inconvénient majeur de l’allaitement est la perte de fermeté de leurs seins, qui ne correspondraient plus à l’idéal de beauté véhiculé par la société. Un chiffre qui démontre l’impact de la pression des stéréotypes de genre qui pèsent sur le corps de la femme et de sa représentation dans notre société au travers la publicité et les médias sociaux.

Ces difficultés opposées aux femmes qui souhaitent allaiter librement constituent un paradoxe face aux recommandations médicales de l’OMS qui promeut pourtant l’allaitement maternel durant les six premiers mois du nourrisson. Ces recommandations ont d’ailleurs énormément évolué au cours du siècle, au point de créer des incompréhensions d’une génération à une autre. Pour Irène Capponi et Françoise Roland14Irène Capponi et Françoise Roland, « Allaitement maternel : liberté individuelle sous influences« , Devenir, vol. 25, pp. 117-136, février 2013., « le corps médical longtemps constitué exclusivement d’hommes a de tout temps fourni des prérogatives sur le mode de nutrition des nourrissons ».

Comme le définit très justement Camille Froidevaux-Metterie, les corps des femmes sont ainsi « considérés comme des outils de séduction à destination des hommes ou des instruments nourriciers à destination du bébé15Citée dans Bénédicte Lutaud, « Mère giflée pour avoir allaité en public : pourquoi tant de haine vis-à-vis du sein nourricier ? », Le Figaro, 25 mai 2021. ».

Sur ce sujet cependant, la société civile se mobilise. Ainsi, suite à une série d’articles vantant les bienfaits de l’allaitement et les risques pour le bébé de ne pas être nourri au sein en février 2016, un collectif de femmes prend la parole pour appeler à cesser de culpabiliser les jeunes mères sur leurs choix16Élisabeth Bost, Pénélope Bagieu, Lauren Bastide, Delphine Manivet, Alix Girod, Nadia Daam, Alexandrine Duhin, Marlène Schiappa et Sophie de Closets, « Allaitement : cessons de culpabiliser les femmes », Libération, 4 février 2016.. C’est face à des articles tels que « Généraliser l’allaitement de longue durée sauverait 800 000 enfants par an »17Pierre Le Hir, « Généraliser l’allaitement sauverait plus de 800 000 enfants par an », Le Monde, 28 janvier 2016. comme le titre Le Monde à cette période que, dans un texte commun, ces femmes s’insurgent sur ce qu’elles considèrent comme une atteinte au droit de chaque femme de choisir la manière de nourrir son enfant.

Les femmes se retrouvent ainsi prises en étau entre la peur d’allaiter en public au risque de se voir confrontées aux regards malveillants et à l’injonction du corps médical d’allaiter son enfant pour « assurer sa survie ».

Entre bonne santé et sécurité, le choix d’allaiter ou non devient socialement difficile à assumer, quelle que soit la décision de la mère pour son enfant. Pourtant, celui-ci devrait être le fruit d’une décision personnelle et éclairée, et non une contrainte sociale oppressante.

L’allaitement : arme féministe ou servitude épuisante ?

En France, les rapports entre féminisme et allaitement n’ont jamais été simples non plus.

Au début du XXe siècle, la tendance est à l’allaitement18Claude Didierjean-Jouveau, « Allaitement et féminisme », www.claude-didierjean-jouveau.fr, 11 juin 2016.. Le journal féministe La Fronde par exemple combat le biberon à tube qui à l’époque engendre une importante mortalité infantile. D’ailleurs, suite à l’afflux supplémentaire de femmes dans les usines durant la Première Guerre mondiale, les féministes luttent pour que les travailleuses aient davantage de droits spécifiques à l’allaitement.

Parmi ces nouveaux droits, nous pouvons citer la loi pour « l’heure de l’allaitement » et les « chambres d’allaitement » adoptées en 1917 sous le ministre Albert Thomas ou encore la loi de 1919 qui alloue une allocation supplémentaire de 15 francs pour toute Française qui allaiterait. Ces droits allaient de pair avec la politique nataliste de la France à cette époque.

Après la Seconde Guerre mondiale, les féministes de la deuxième vague s’approprient la théorie de Simone de Beauvoir développé dans le Deuxième Sexe, notamment la définition qu’elle fait de l’allaitement. Elles dénoncent « l’esclavage de la maternité, elles concentrent le combat féministe sur le droit à la contraception et à l’avortement »19Claude Didierjean-Jouveau, « Allaitement et féminisme », www.claude-didierjean-jouveau.fr, 11 juin 201620.. Elles revendiquent le pouvoir de disposer librement de leur corps et d’obtenir une stricte égalité entre les hommes et les femmes. Dans les années 1960, le taux d’allaitement est d’ailleurs approximativement de 36,6%21Vilain, 2011. contre 76,7% en 194622Adrienne Aboulenc, « Enquête sur la pratique de l’allaitement maternel dans la région parisienne et sur les motifs de son abandon », thèse soutenue à la Faculté de médecine de Paris en 1946..

Les années 1970 marquent quant à elles, une nouvelle fois, un regain d’intérêt des féministes pour la santé procréative de femmes. L’ouvrage emblématique Our Bodies Ourselves (Collectif de Boston pour la santé des femmes, 1971) fait figure de proue en la matière et prône la reconquête de femmes de leurs corps. Arme d’émancipation des femmes, cet ouvrage contient une soixantaine de pages sur la grossesse et marque un tournant majeur pour celles-ci en ouvrant une voie vers le savoir sur le corps féminin.

La suite montre un rapport contradictoire à l’allaitement, entre la dénonciation d’une « maternité esclave » et l’épanouissement des « différentialistes » qui insistent sur les différences de nature entre hommes et femmes que nous vivons toujours à l’heure actuelle. Cependant, un mouvement de repossession de son corps prospère.

Au-delà des avancées médicales qui établissent le lien entre bonne santé de l’enfant et allaitement, ce nouveau mouvement marque une prise de pouvoir des femmes sur leur propre corps, notamment face aux normes sexuelles et esthétiques autour du sein.

Pour Claude Didierjean-Jouveau, l’allaitement est un acte féministe « parce qu’il participe à l’empowerment (« empouvoirement ») des femmes. Il échappe au système marchand puisque le lait de femme est gratuit (sauf lorsqu’il est recueilli par les lactariums) et que, sauf exception, il ne nécessite aucun dispositif pour sa production ni son utilisation […]. Il leur donne aussi une extraordinaire confiance en leurs capacités, un sentiment de force, de puissance, de compétence, de plénitude. Elles savent en effet qu’elles ont pu faire grandir et grossir leur enfant avec quelque chose que leur propre corps a produit. Elles n’ont pas eu à s’en remettre à un produit industriel, elles n’ont pas eu à suivre les directives d’un « expert » (très souvent masculin) sur les quantités à donner, les horaires à respecter, etc. C’étaient elles les expertes en ce qui concernait la nutrition et le bien-être de leur enfant. »

La France n’est pas le seul pays où la question de l’allaitement fait partie des préoccupations féministes. Au Brésil, par exemple, la comédienne Bibi Vogel crée, en 1980, le Grupo de Mães Amigas do Peito (« Groupe des mères amies du sein ») qui revendique l’allaitement comme un plaisir maternel et non une obligation, une valeur chère aux mouvements féministes.

Cette évolution de la pensée féministe marque les différences entre « différentialistes » et « universalistes », entre acceptation et rejet de l’allaitement.

Remettre la femme au cœur de la décision

Au-delà de l’idéologie du féminisme et des recommandations médicales, le choix d’allaiter est influencé par plusieurs facteurs socio-économiques, culturels et naturels.

Une décision aux multiples facteurs d’influence

Les conditions de travail de la mère ont une influence déterminante dans son choix. Un travail instable, sans structure de garde d’enfant ou des métiers physiques peuvent pousser une femme à ne pas allaiter. On remarque d’ailleurs que ce sont les familles les moins aisées économiquement qui ont majoritairement recours à l’alimentation au lait artificiel.

D’ailleurs, une analyse de la DREES23Marc Collet et Annick Vilain, Le premier certificat de santé de l’enfant (certificat au 8ème jour), DREES, 2013. de 2016 met en évidence l’influence de la profession et du niveau de diplôme lors du choix d’allaiter. On observe notamment chez les femmes ayant un plus haut niveau d’éducation et appartenant à une catégorie socio-professionnelle élevée une conformité au discours médical.

En 2013, ce sont 74% des femmes cadres qui allaitent leur enfant à la naissance, contre 51% des ouvrières, 61% des employées et 69% des professions intermédiaires. Tout comme la situation professionnelle, le niveau d’études est également un facteur d’influence avec 71% de femmes diplômées de l’enseignement supérieur allaitant leur enfant contre 55% parmi les femmes ayant un diplôme inférieur au baccalauréat.

Les possibilités économiques conditionnent le choix des femmes d’allaiter ou non. Par ailleurs, la pratique de l’allaitement diffère d’une famille à l’autre et les messages contradictoires en provenance de l’entourage peuvent être une source de stress dans ce choix.

Par exemple, l’expérience d’allaitement de la grand-mère maternelle, qu’elle ait été positive ou négative, peut orienter le choix de la future mère. La rupture intergénérationnelle du mode d’alimentation, entre les grands-mères nées dans les années 70 ayant peu allaité et les mères d’aujourd’hui est forte. À cela s’ajoutent les décalages entre générations vis-à-vis des différentes pratiques de l’allaitement : entre espacement des tétés ou allaitement à la demande24Aurélie Maurice, Claire Kersuzan, Géraldine Comoretto, Christine Tichit, « Le choix d’allaiter son premier enfant : une décision maternelle sous influence », Cahiers de nutrition et de diététique, vol. 56, n°1, pp. 79-88, février 2021..

Une étude25Ifeyinwa V. Asiodu, Catherine M. Walters, Dawn E. Dailey, Audrey Lyndon, « Infant Feeding Decision-Making and the Influences of Social Support Persons among First-Time African American Mothers », Maternal and Child Health Journal, avril 2017. menée en France en 2012 auprès d’environ 3000 mères montre par ailleurs l’importante influence de l’opinion du conjoint sur l’allaitement : moins d’un tiers des femmes dont le conjoint avait une perception négative de l’allaitement a choisi d’allaiter à la maternité. 

Aussi l’allaitement maternel ne convient pas à toutes les femmes et certaines choisissent d’abandonner l’allaitement en faveur de l’usage partagé du biberon avec le deuxième parent.

Tous ces facteurs témoignent du poids qui pèse sur les épaules des femmes quand il s’agit de choisir le mode d’alimentation de leur enfant à la naissance. C’est pourquoi les décideurs publics doivent faciliter le choix de la femme, quel qu’il soit et sans aucun jugement de valeur, en levant les obstacles à la mise en exécution de ce choix.

Penser une politique pour permettre aux femmes de choisir

L’allaitement est un sujet ancien qui connaît un regain d’intérêt du fait de l’activisme d’associations qui le promeut. La Leche League, association créée initialement aux États-Unis en 1956 par des mères au foyer catholiques, est une figure emblématique de l’activisme pro-allaitement. Aujourd’hui, son objectif est notamment d’informer et de soutenir les femmes qui désirent allaiter leurs bébés à travers une aide personnelle « de mère à mère ».

Pour rappel, les femmes disposent de droits en matière d’allaitement au travail dans le code du travail : « Pendant une année à compter du jour de la naissance, la salariée allaitant son enfant dispose à cet effet d’une heure par jour durant les heures de travail »26Articles L1225-30, L1225-31 et L1225-32 du code du travail (Legifrance).. Toutefois, selon les statistiques de la DREES, le taux d’allaitement baisse significativement à trois mois, date de reprise du travail pour la mère, passant de 67% à 36%. De plus, ces heures dédiées à l’allaitement s’ajoutent aux heures de travail habituelles et sont souvent considérées comme des pauses.

Ces chiffres sont éloignés de ceux de la Suède, par exemple, qui affiche un taux de 93% à trois mois et 72% à six mois. Ces taux ne correspondent pourtant toujours pas à la recommandation de l’OMS d’allaiter jusqu’au sixième mois. Avec un taux de sevrage précoce, la France est dans une position particulièrement basse en Europe puisqu’elle occupe l’une des dernières places de la liste, aux côtés de Malte et de l’Irlande du Nord, en matière d’allaitement.

Une étude menée par l’Université de Picardie27Hadia Souare, « Allaitement et travail : Enquête auprès de 270 mères actives », thèse de l’Université de Picardie-Jules Verne, UFR Pharmacie, soutenue le 10 juillet 2018. en 2018 met en évidence les contraintes majeures qui, en France, limitent un allaitement de longue durée. La première d’entre elles est sans équivoque la reprise de la vie professionnelle. Pour 46% des mères, ce sont les conditions de travail peu favorables à une poursuite de l’allaitement qui les conduit à un sevrage précoce de l’enfant.

Si nous devons le rappeler, l’objectif de cette note n’est pas de pousser les femmes à allaiter, cette décision appartient à chacune d’entre elles. En effet, nous ne devons pas tomber dans l’écueil de la Suède qui, avec une politique pro-allaitement et anti-lait artificiel très agressive, a pu soumettre les femmes à la pression sociale et la culpabilisation.

Rappelons par ailleurs que le lait artificiel ne présente pas de risque pour le développement de l’enfant, comme le précise le pédiatre Philippe Grandsenne : « Il n’y a pas de différence de santé significative entre un bébé allaité et un bébé nourri au biberon dans un pays occidental muni de l’eau potable »28Corine Goldberger, « Allaiter : les excès de la pression pro-allaitement », Marie Claire, 2010..

Toutefois, il est nécessaire de mobiliser le droit en faveur d’un choix libre et éclairé des jeunes mères afin de les accompagner si besoin à allier travail, maternité et allaitement.

Cette question n’est pas tout à fait étrangère au législateur. Fiona Lazaar, députée du Val-d’Oise, a par exemple déposé il y a peu une proposition de loi afin de clarifier cette législation29Proposition de loi par Fiona Lazaar, députée, portant création d’un délit d’entrave à l’allaitement.. Elle y propose par exemple de réaffirmer que l’allaitement n’est pas constitutif d’une infraction en France et introduit un délit d’entrave à l’allaitement dans l’espace public puni de 1500 euros. Cela constituerait un premier pas afin que les femmes ne soient pas empêchées par le regard des autres mais nous pourrions aller encore plus loin.

Nous pourrions par exemple mettre en place des lieux dédiés dans l’espace public pour plus de confort et de simplicité. La Belgique a par exemple installé le premier banc à « tire lait », un espace dédié à l’allaitement en plein air. 

Afin d’accompagner davantage la mère les premiers mois de l’enfant et de lui éviter un épuisement spontané suite à la reprise du travail, il pourrait être intéressant d’établir un congé parental allongé partagé entre les deux parents sur le modèle des pays scandinaves. À titre d’exemple, la Suède permet que pères et mères se partagent équitablement un congé parental de 480 jours avec une prise en charge d’environ 80% du salaire. Un moyen de rendre la distribution des tâches plus égalitaire et de réduire la fatigue de la mère qui allaite.

Nous devons porter également notre ambition au niveau de l’information auprès de l’ensemble des citoyennes et citoyens. Bien que le droit d’allaiter pendant les heures de travail soit inscrit dans la loi, force est de constater que ce droit n’est pas complètement respecté par toutes les entreprises, qui ne mettent pas à disposition des mères des structures favorables à cette pratique.

Nous nous devons de plaider davantage auprès des entreprises et employeurs, via des campagnes d’informations publiques, pour l’adoption sur le lieu de travail de politiques qui promeuvent et soutiennent l’allaitement en fournissant une assistance technique aux mères30 Global Breastfeeding Collective, Unicef et OMS, Allaitement et politiques favorables à la famille, note de plaidoyer, 2019. telles que des salles d’allaitement au sein de la structure de travail.

Par ailleurs, certaines salariées jeunes mamans peuvent être désireuses de travailler depuis leur domicile, pour être au mieux disponibles pour l’enfant. Dans cette perspective, afin de rétablir une forme d’équilibre et de faciliter l’organisation professionnelle des jeunes mères, nous devrions favoriser un maximum le télétravail à la suite du congé maternité, en allant jusqu’à un véritable droit au télétravail d’au moins deux jours par semaine.

Dans la même dynamique et afin de permettre aux femmes qui le souhaitent d’adapter leur pratique au plus proche de leurs besoins, nous devrions encourager la création de crèches dans les espaces de travail.

Enfin, comme nous l’avons déjà souligné, l’allaitement demandant informations et accompagnement pour s’y préparer, nous devons encourager la formation du personnel médical pour aider au mieux les femmes désirant allaiter.

Ainsi, l’allaitement et sa pratique posent de nombreuses problématiques. Entre culpabilisation, injonctions contradictoires et problèmes pratiques, nourrir son enfant est toujours aujourd’hui une question sensible au sein de notre société.

C’est pourquoi il est nécessaire que le législateur puisse se saisir de cette problématique dans les meilleurs délais. Il est temps que nous puissions désacraliser l’allaitement et permettre aux femmes d’user de toute la liberté relative à ce choix.

Propositions

  • Pour l’inscription d’un délit d’entrave à l’allaitement dans l’espace public puni de 1500 euros
  • Mettre en place des lieux dédiés dans l’espace public facilitant la possibilité pour les femmes d’allaiter si elles le souhaitent
  • Allonger le congé parental pour les deux parents pour une répartition plus égalitaire des tâches
  • Rappeler aux employeurs à leurs obligations à travers des campagnes d’informations
  • Favoriser le télétravail à deux jours par semaine après le congé maternité pour les femmes qui le souhaiteraient
  • Créer des crèches sur les lieux de travail
  • Former le personnel médical pour accompagner les femmes dans leur choix d’allaiter ou non

Pour aller plus loin :

  • Isabelle Zinn, Alix Heiniger, Marianne Modak et Clothilde Palazzo-Crettol , « Mon corps nous appartient« , Nouvelles Questions féministes, vol. 40, pp. 8-16, janvier 2021
  • Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, Paris, Gallimard, 1949.
  • Elizabeth Azoulay, 100 000 ans de beauté, Paris, Gallimard, 2012
  • Elizabeth Murphy, « ‘Breast is best’: Infant feeding decisions and maternal deviance », Sociology of Health & Illness, n°21, pp. 187-208, 2001
  • Esther Vivas, Mama desobediente : una mirada feminista de la maternidad, Capitán Swing, 2019
  • Irène Capponi et Françoise Roland, « Allaitement maternel : liberté individuelle sous influences« , Devenir, vol. 25, pp. 117-136, février 2013
  • Élisabeth Bost, Pénélope Bagieu, Lauren Bastide, Delphine Manivet, Alix Girod, Nadia Daam, Alexandrine Duhin, Marlène Schiappa et Sophie de Closets, « Allaitement : cessons de culpabiliser les femmes », Libération, 4 février 2016
  • Claude Didierjean-Jouveau, « Allaitement et féminisme », www.claude-didierjean-jouveau.fr, 11 juin 2016
  • Aurélie Maurice, Claire Kersuzan, Géraldine Comoretto, Christine Tichit, « Le choix d’allaiter son premier enfant : une décision maternelle sous influence », Cahiers de nutrition et de diététique, vol. 56, n°1, pp. 79-88, février 2021
  • Ifeyinwa V. Asiodu, Catherine M. Walters, Dawn E. Dailey, Audrey Lyndon, « Infant Feeding Decision-Making and the Influences of Social Support Persons among First-Time African American Mothers », Maternal and Child Health Journal, avril 2017
  • Hadia Souare, « Allaitement et travail : Enquête auprès de 270 mères actives », thèse de l’Université de Picardie-Jules Verne, UFR Pharmacie, soutenue le 10 juillet 2018
  • Martine Herzog Evans, « Féminisme biologique, allaitement et travail, une nouvelle forme d’autodétermination des femmes », La Revue des droits de l’homme, n°3, 2013
  • Anne Cova, Maternité et droits des femmes en France, XIXe-XXe siècles, Paris, Anthropos, coll. Historiques, 1997
  • Collectif NCNM, Notre corps nous-mêmes, Paris, Hors d’atteinte, coll. Faits & idées, 2020
  • Camille Froidevaux-Metterie, Seins. En quête d’une libération, Paris, Anamosa, 2020 ; Un corps à soi, Paris, Seuil, 2021
  • Dominique Turck, « Plan d’action : allaitement maternel. Propositions d’actions pour la promotion de l’allaitement maternel », rapport ministériel pour Roselyne Bachelot, juin 2010

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