La semaine de quatre jours : un nouveau symptôme de l’individualisation du travail ?

Si la semaine de quatre jours revêt, dans le monde, des réalités différentes et des modalités variées, cette mesure a partout un point commun : celui de s’apparenter à un symptôme généralisé de l’individualisation de l’organisation du travail. Pour Sarah Proust, experte associée à la Fondation, mettre en place ces nouvelles organisations nécessite donc de trouver où se loge le commun au travail, comment le consolider, comment y faire contribuer chacun afin que chacun en bénéficie.

La semaine de quatre jours, semble, dans de nombreux pays du monde1Un panorama rapide des situations internationales a été fait dans une note précédente : Sarah Proust, « La semaine de quatre jours : ni remède, ni solution magique, mais un outil possible du commun au travail ? », Fondation Jean-Jaurès, juin 2023., le grand sujet d’actualité lié au travail, tant au sein des organisations (entreprises, administrations, associations) que dans l’agenda politique des gouvernements.

Néanmoins, évoquer la semaine de quatre jours aujourd’hui, c’est utiliser un vocable unique en visant des réalités de nature différente (réduction du temps de travail ou volume horaire constant), des modalités variées (un jour travaillé en moins identique pour tous ou à la carte pour chacun, hebdomadaire ou saisonnier, etc.) et des intentions hétérogènes (attractivité, compensation au télétravail, gains de places, etc.).

Pour autant, de toute cette diversité d’objectifs et de mises en œuvre, se dégage un point commun : cette mesure s’apparente à un symptôme généralisé de l’individualisation de l’organisation du travail. Or, à accélérer cette tendance, le risque est de ne plus savoir à quoi tient le commun au travail.

Comparer et analyser la nature de la mesure, les objectifs qu’on lui assigne permettent d’offrir aux organisations et aux salariés un cadre de réflexion et de décision utile à tous.

Un même vocable, deux natures de mesure

Évoquer la semaine de quatre jours aujourd’hui, c’est penser une mesure de répartition du travail puisqu’elle est majoritairement réfléchie à volume horaire constant. Il y a quelques années encore, la semaine de quatre jours était synonyme des 32 heures et s’entendait comme une mesure de réduction du temps de travail.

Cité par Libération en juin dernier, Éric Heyer, économiste de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), résume le sujet d’une formule limpide : « il ne faut pas confondre la semaine « de quatre jours », qui réduit le temps de travail, et la semaine « en quatre jours », qui le comprime2Frantz Durupt, « La semaine de 4 jours, le mirage du travailler moins », Libération, 13 juin 2023. ».

Dans les expérimentations en cours en France et dans le monde, les deux mesures existent, mais celle qui prévaut partout, celle qui est très majoritairement étudiée dans les organisations, celle qui est promue par les autorités publiques, reste la semaine de quatre jours à volume horaire constant (entre 39 heures et 35 heures).

Il apparaît donc que, lorsque la semaine de quatre jours est aujourd’hui évoquée, c’est bien la question de l’organisation du travail et sa répartition qui est visée plutôt que l’idée de la place que l’on entend accorder au travail dans la société.

Afin de comparer des éléments comparables, il est donc nécessaire de toujours préciser si l’on évoque une semaine à 32 heures ou à volume horaire constant, puisque c’est bien cet élément qui induit des appréciations différentes dans les bienfaits ou méfaits de la mesure pour les salariés.

Des intentions hétérogènes

Pour les entreprises qui réfléchissent, envisagent ou mettent en œuvre la semaine de quatre jours, les intentions ou les objectifs qui ont présidé à ce choix sont très hétérogènes. 

Un levier d’attractivité

Toutes les organisations cherchent à être attractives en matière de recrutement, mais certaines y sont plus contraintes que d’autres. Citée par Le Monde, la Grande Consultation des entrepreneurs menée en mars 2023 montre que près de 30% des entreprises ont des difficultés à recruter3Margherita Nasi, « « Les jeunes diplômés exigent une liberté totale » » : la semaine de quatre jours, un appât pour les entreprises », Le Monde, 29 août 2023.. Attirer les « talents » devient donc une nécessité vitale pour les organisations.

En effet, de nombreux directeurs de ressources humaines d’administrations ou d’entreprises publiques l’affirment : n’étant pas compétitifs d’un point de vue salarial, ils doivent l’être sur d’autres champs, celui des conditions de travail, par exemple. Dans les métiers en tension, la logique est la même : réussir à recruter et à fidéliser nécessite de penser autrement les conditions dans lesquelles le travail s’exerce. Ainsi, rendre possible, largement, la semaine de quatre jours constituerait pour un certain nombre d’organisations un levier important d’attractivité. En mai dernier, le commissaire européen à l’Emploi et aux Droits sociaux, Nicolas Schmit, a lui-même appelé les entreprises à déployer la mesure pour être plus attractives sur le marché du travail, notamment auprès des plus jeunes. Il note néanmoins que les pays membres n’ont pas de point de vue commun sur le sujet.

Les entretiens que nous menons auprès de salariés nous montrent que la mesure n’est attractive que si les conditions individuelles permettent qu’elle le soit : peut-on absorber une intensification du travail, peut-on faire garder les enfants plus tard chaque jour, etc.

Un outil en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

Certaines organisations mettent en avant l’égalité professionnelle pour instaurer la semaine de quatre jours. C’est le cas de la Métropole de Lyon qui expérimente pour six mois la semaine de quatre jours à partir de septembre 2023. Lors de la présentation de la mesure à la presse, Zémorda Khelifi, vice-présidente déléguée aux ressources humaines, a affirmé : « nous offrons la possibilité à plus de 900 femmes qui étaient à 80% de repasser à temps plein sur quatre jours et récupérer ainsi l’intégralité de leur salaire »4Alexandra Marie Ertiani, « Lyon : la semaine de 4 jours expérimentée par les agents de la Métropole », France3-régions.francetvinfo.fr, 10 mai 2023..

Chez KPGM, cabinet international d’audit et de conseil, une semaine de quatre jours parentale est proposée aux salariés, nouvellement parents. Il s’agit d’un temps partiel à 80% payé à 100% pendant une durée maximale de six mois.

Néanmoins, d’autres organisations dressent un bilan plus mitigé des bénéfices pour les femmes (et les parents) de la semaine de quatre jours. C’est le cas par exemple de l’URSSAF de Picardie, dont on a beaucoup entendu parler ces derniers mois, Gabriel Attal ayant choisi d’en faire un exemple à suivre lorsqu’il était ministre délégué chargé des Comptes publics. Lors d’un colloque organisé au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) en mai 2023, Anne-Sophie Rousseau, directrice par intérim de cette antenne locale de l’URSSAF, a partagé leur constat sur le sujet : les journées organisées sur quatre jours (à volume horaire constant en l’espèce) ne permettent pas aux parents de déposer puis d’aller chercher les enfants à l’école. Très peu se sont donc portés volontaires pour la semaine de quatre jours.

Autre nuance apportée par des salariés à temps partiel qui n’ont finalement pas opté pour la semaine de quatre jours (à volume horaire constant) : la hausse de salaire ne couvrait pas les frais de garde d’enfants.

On le voit là encore, la semaine de quatre jours peut constituer une mesure d’égalité professionnelle en fonction des situations individuelles des salariés, mais pas en soi.

Une compensation pour ceux qui ne sont pas éligibles au télétravail

On le sait, la pandémie de Covid-19 a mis les salariés de bureau au télétravail en mars 2020 et cette organisation s’installe durablement, puisqu’une grande majorité en France et en Europe, comme le montre notre enquête de mars 2023, met en place un télétravail régulier.

En trois ans, le télétravail est passé d’une pratique assez mal perçue (n’étant plus soumis au contrôle du regard des autres, les salariés allaient-ils travailler ou paresser ?) en une pratique considérée comme une avancée sociale par 75% des salariés de notre enquête.

Or la plupart des entreprises et des administrations ont des missions dont des fonctions ne sont pas télétravaillables. Assez vite, la question s’est donc posée de la manière de compenser cette inégalité de fait entre les salariés. Il fallait en effet trouver rapidement une mesure de compensation, faute de quoi les organisations pourraient être durablement fragilisées.

On voit donc des organisations imaginer ou mettre en place la semaine de quatre jours exclusivement pour les salariés dont les missions ne sont pas télétravaillables.

Si cette mesure réduit l’inégalité entre les télétravailleurs et les autres, elle ancre deux organisations de travail différentes en fonction des métiers et pourrait figer des modalités de travail.

Une mesure en faveur de l’emploi et de la productivité

C’est un débat économique de savoir si la semaine de quatre jours (avec ou sans réduction du temps de travail) serait une mesure favorable à l’emploi. Nous appuyant sur le rapport de l’IGAS de 20165Rapport de l’IGAS daté de 2016 et non publié (Bertrand Bissuel, « 35 heures : ce que dit le rapport secret de l’IGAS », Le Monde, 17 juillet 2016), qui reconnaît que les lois Aubry ont permis la création de 350 000 emplois et recommande de réduire la durée du travail dans une perspective prioritaire de création d’emplois., il nous semble clair que la mise en place d’une nouvelle réduction du temps de travail, pour peu qu’elle soit réelle et non factice (comme la baisse de la durée quotidienne de travail de quinze minutes par jour ou la réduction des pauses), pourrait être une vraie mesure de création d’emplois.

Quant à l’efficacité et la productivité, il faut, là encore, être clair sur le fait de savoir s’il s’agit de les évaluer dans le cadre d’une semaine de travail à 32 heures ou plus. Dans le cas d’une semaine de quatre jours à volume horaire constant, la question de la productivité va se poser : peut-on sur le long terme être productif plus de neuf heures par jour ? Cela dépend probablement des individus. Selon un chiffre de la Dares, cité par Le Monde, le nombre d’heures travaillées en moyenne chaque semaine par l’ensemble des actifs en France en 2020 est de 37,4 heures ; sur quatre jours, cela fait plus de 9 heures 30 de travail quotidien.

Des salariés avec lesquels nous nous sommes entretenus6Nous menons depuis avril 2020 des entretiens qualitatifs avec des salariés français et européens sur leur travail. et qui envisagent de se lancer dans l’expérimentation de la semaine de quatre jours à horaire constant nous ont fait valoir que la motivation du cinquième jour non travaillé pourrait les rendre plus productifs, d’autres confient au contraire que les journées de 9 heures 30 sont bien longues et envisagent de couper la semaine par le jour non travaillé (ils travailleraient ainsi les lundis, mardis, jeudis et vendredis).

Là encore, la semaine de quatre jours à volume horaire constant ne permet pas plus de productivité en soi, cela dépend des individus, de leurs situations personnelles, de leur capacité de travail, du management, etc.

Une mesure en faveur du climat

Si la semaine de quatre jours est commune à tous les salariés et induit donc la fermeture de l’entreprise un jour entier en continuité du week-end, alors une baisse d’économie d’énergie se constate avec évidence. C’est le choix qu’ont fait quelques PME industrielles françaises ces derniers mois.

Pour les salariés, qui majoritairement se rendent à leur travail en voiture7Chantal Brutel et Jeanne Pages, « La voiture reste majoritaire pour les déplacements domicile-travail, même pour de courtes distances », Insee Première n°1835, janvier 2021., l’économie financière d’un déplacement en moins par semaine est substantielle.

Il est à cet égard intéressant de constater que la Convention citoyenne pour le climat s’est penchée sur cette question du lien entre travail et climat. L’idée d’une réduction du temps de travail n’a pas été retenue parmi les propositions mais, selon un animateur de la convention cité par Le Monde diplomatique, c’est l’idée qui a enregistré le plus de temps de débat.

Qualité de vie au travail et en dehors du travail

L’association 4 Day Week, le think tank Autonomy et des chercheurs de l’université de Cambridge et du Boston College ont mené au Royaume-Uni un essai fin 2022 sur la semaine de quatre jours8The results are in: the UK’s four-day week pilot, Autonomy, 4 Day Week, Day Week Global, février 2023.. Soixante-et-une entreprises britanniques ont participé à cette expérimentation inédite : le temps de travail de 2 900 salariés a été réduit de 20%, sans baisse de salaire. Le rapport rédigé sur cette expérimentation expose les résultats suivants : « Sur les 61 entreprises qui ont participé, 56 poursuivent la semaine de quatre jours (92%) et 18 ont confirmé que cette mesure serait pérenne […]. Les bénéfices les plus importants de la réduction du temps de travail ont été constatés au niveau du bien-être des salariés. Les données avant/après montrent que 39% d’entre eux étaient moins stressés et 71% ont constaté une moindre fatigue à la fin de l’essai. De la même manière, les niveaux d’anxiété, de fatigue et de troubles du sommeil ont diminué, tandis que la santé morale et physique s’est améliorée. L’équilibre entre vie professionnelle et vie privée s’est également amélioré lors de l’essai : 54% des salariés ont considéré qu’il était plus facile de concilier le travail et les tâches domestiques […]. Pour 60% des salariés, il est plus facile de concilier travail et responsabilités familiales, et pour 62% d’entre eux, il est plus facile de concilier travail et vie sociale ». Les données sur les chiffres d’affaires des entreprises concernées montrent une augmentation moyenne de 35%. Par ailleurs, sans pouvoir en tirer une valeur statistique eu égard à la faiblesse de l’échantillon, les auteurs exposent néanmoins trois éléments intéressants : dans les entreprises ayant participé à l’essai, on constate une baisse des nouvelles embauches, une baisse de l’absentéisme, une baisse des démissions.

Ce rapport a beaucoup inspiré les promoteurs de la semaine de quatre jours, y compris ceux qui la mettent en œuvre sans réduction horaire. Or, les effets escomptés ne sont pas les mêmes selon le volume horaire.

Des modalités très variées

Dans les organisations qui ont mis en place la semaine de quatre jours, les modalités sont variées. Ceci est probablement dû au fait que, d’une part, aucun cadre législatif ne fixe précisément cette mesure et que, d’autre part, des organisations de tout type dans tout type de secteur tentent cette nouvelle organisation : entreprises (autant des TPE que des PME ou des grandes entreprises), administrations, associations, et où, comme nous l’avons vu, les objectifs sont disparates, et chez les décideurs, et chez les salariés.

Ouvert à tous les salariés, ou pas…

Certaines organisations ouvrent la possibilité des quatre jours à tous les salariés, d’autres à certaines catégories seulement : les salariés dont les tâches ne sont pas télétravaillables, les parents de jeunes enfants, les salariés qui ont plus de trois heures de transport par jour, par exemple.

Un jour fixe et commun pour fermer l’entreprise

Dans certaines organisations, la semaine de quatre jours n’est pas un droit ouvert aux salariés, mais une modalité générale de l’entreprise. Il s’agit donc d’un jour fixe pour tous (le vendredi généralement), où l’entreprise ferme. On comprend que ce schéma n’est pas généralisable car les administrations ou des organisations qui accueillent du public par exemple ne peuvent pas fermer un jour par semaine.

Le binômage pour éviter la fermeture

Lorsque la semaine de quatre jours est généralisée (dans toute l’entreprise ou au sein d’un service entier), elle s’accompagne de la mise en place d’un binômage entre deux salariés qui s’organisent sur les jours « off » pour assurer le suivi des dossiers.

Des rythmes multiples

La plupart du temps, la semaine de quatre jours est mise en place de manière hebdomadaire. Mais certaines organisations suivent un rythme mensuel, voire annuel.

Certaines fonctionnent en alternance hebdomadaire : quatre jours par semaine, quatre jours et demi par semaine, ou une alternance de quatre et cinq jours par semaine ; d’autres par trimestre : les salariés doivent à la fin de chaque trimestre avoir rempli leur obligations de temps de travail mais s’organisent comme ils l’entendent dans le cadre d’un plancher horaire minimum et d’un plafond maximum par semaine ; d’autres fonctionnent avec des jours flottants avec délais de prévenance ou des jours fixes pour une année ; d’autres encore s’organisent en fonction de l’activité : on sait que certaines organisations ont des rythmes saisonniers (tourisme, restauration, etc.), la semaine de quatre jours en période creuse vient compenser des périodes très chargées.

Toutes ces modalités ont un impact fort sur les enjeux juridiques et de ressources humaines dans les organisations. En effet, selon les cas, tous les contrats sont à revoir, la question des compensations des RTT se pose différemment selon le nombre de jours travaillés, etc.

Semaine de quatre jours : des situations hétérogènes qui posent un problème commun

On le constate, la semaine de quatre jours n’est en rien une mesure homogène, qui s’applique à tous les salariés, en fonction d’objectifs collectifs. Elle est une mesure d’organisation du travail qui se met en place ou non en fonction de situations et de critères individuels.

Qu’est-ce que cela nous dit de la question du commun au travail ?

La mise en place, pérenne, du télétravail a accéléré une tendance probablement doucement à l’œuvre auparavant, celle de l’individualisation du travail, c’est-à-dire une inversion de l’équilibre entre l’individu et le collectif au travail. La semaine de quatre jours semble en être le nouveau symptôme.

Les managers en arbitre des vies de chacun

Puisque le télétravail, en France comme en Europe, se pratique quasiment exclusivement à domicile9Sarah Proust, « Travailler autrement ? Comment la pandémie a changé les organisations du travail en Europe », Fondation Jean-Jaurès, 15 mars 2023., il est choisi et validé par les salariés et les managers en fonction de leur situation individuelle (vie familiale, espace dédié au travail, temps de transport, rapport au collectif, amitiés avec les collègues, etc.). Il en est de même pour la semaine de quatre jours qui peut être une amélioration significative des conditions de vie (et de travail) ou au contraire un inconvénient fort en termes d’organisation (familiale notamment).

Plus qu’auparavant, même si l’arbitrage des congés d’été en fonction des situations familiales constituait depuis longtemps le casse-tête de nombreux managers, les encadrants disent être de plus en plus exposés aux situations individuelles, en position d’arbitrage entre les vies privées des salariés. La vie personnelle s’invite beaucoup plus au travail qu’auparavant, elle devient un paramètre de l’organisation du travail et modifie de facto le positionnement du manager.

Le « je », le « nous » et le « eux »

Le monde du travail n’est pas le seul à être traversé par la puissance émergente du « je » face (et parfois contre) au « nous ». Mais par essence, le travail est un lieu et une activité du collectif (et pas forcément du commun).

Que le travail s’adapte, s’ajuste aux individus est bien évidemment une bonne chose. Mais tout est question d’équilibre et de mesure. Un collectif ne peut être l’addition des individus. Une organisation humaine, quelle qu’elle soit, doit s’appuyer sur un socle commun et ce pour une raison majeure : si les situations individuelles prennent trop de place dans l’organisation du travail, alors les inégalités entre salariés ne feront que s’accroître, au motif que les situations individuelles des gens sont très inégalitaires.

On l’a constaté pendant les périodes de confinement : le télétravail est très inégalitaire puisque sa pratique s’appuie sur les conditions individuelles des salariés. Télétravailler dans une pièce dédiée et équipée chez soi ou sur son lit n’est pas tout à fait la même chose.

À force de tordre le collectif pour s’adapter aux situations individuelles, on crée de nouvelles inégalités.

Prenons un exemple : un service public a des fonctions télétravaillables et d’autres qui ne le sont pas (jardinier, agent de propreté, assistante maternelle…). C’est pour ces fonctions que certaines collectivités pensent à la semaine de quatre jours, en excluant en conséquence les salariés dont les tâches sont télétravaillables – mais qui ne le souhaitent pas au regard des conditions de travail à domicile. Dans le service public pourtant, le service doit être rendu au public, au moins cinq jours par semaine. Sans embauche supplémentaire, un certain nombre de métiers ne seront pas éligibles par impossibilité matérielle au télétravail, mais pas non plus à la semaine de quatre jours pour nécessité de service.

Dès lors, dans une même organisation, on pourrait avoir quatre catégories de salariés : ceux qui télétravaillent, ceux travaillent quatre jours par semaine, ceux qui ne sont éligibles à aucune de ces deux nouvelles mesures et ceux qui sont éligibles à l’une ou à l’autre mais qui ne la pratiquent pas au regard de leurs conditions individuelles qui font que ni le télétravail, ni la semaine de quatre jours ne constitue un avantage.

Conclusion

Nous ne plaidons pas pour le recul sur le télétravail, ni nous cherchons à dissuader sur la mise en œuvre de la semaine de quatre jours. Nous constatons que plus l’organisation du travail est individualisée, plus le collectif de travail en pâtit certes, c’est avéré, mais plus surtout les conditions individuelles des salariés pèsent ou influencent leurs choix et les arbitrages managériaux sur leurs conditions de travail. Il est à craindre qu’émerge une spirale de comparaisons individuelles entre les salariés qui accentuerait le sentiment que le travail dans ces nouvelles formes est de moins en moins équitable. Or, on le sait, partout dans le monde, mais dans la culture française singulièrement, les sujets d’égalité et d’équité sont à la fois sensibles, éruptifs et un puissant liant de notre collectif social.

Si ce n’est pas le rôle du monde du travail de réduire les inégalités sociales de départ, il peut à tout le moins en prendre sa part et ne doit pas, en tout état de cause, participer à les creuser.

Ainsi, mettre en place ces nouvelles organisations du travail nécessite de trouver où se loge le commun au travail, comment le consolider, comment y faire contribuer chacun afin que chacun en bénéficie.

Nous plaidons donc pour un débat général et collectif qui penserait un nouveau socle du commun du travail, au travail.

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