L’ensemble de la communauté internationale est confronté à la pandémie de Covid-19. Si cette crise sanitaire sans précédent, notamment dans la vitesse et la violence de sa propagation, va très certainement interroger fortement nombre de dogmes de tous ordres jusqu’ici dominants, l’urgence est pour chaque État de parer à cette épidémie. Farid Vahid, coordinateur de Thinkestân, analyse le cas de l’Iran.
Avec 60 500 cas officiels de contamination et 3 739 décès, l’Iran est l’un des épicentres de la pandémie du Covid-19 dans le monde. Cette crise sanitaire intervient après une année particulièrement difficile pour l’Iran en raison des sanctions économiques des États-Unis et de la crise de confiance de la population vis-à-vis du pouvoir suite à la répression des révoltes dues à l’augmentation du prix du pétrole, à l’assassinat du général Soleimani et au crash d’un avion civil touché par des missiles. Cette arrivée du Covid-19 dans un pays affaibli met en exergue des crises sociale, économique et politique pouvant déboucher éventuellement vers une crise géopolitique.
Le 25 février 2020 ont eu lieu les élections législatives en Iran. Elles avaient une importance stratégique en raison des événements précédemment cités et de la déception d’une grande partie de la population vis-à-vis du gouvernement. On enregistre une participation de seulement 42,57%, taux le plus bas dans l’histoire de la République islamique d’Iran. C’est une victoire flagrante pour les conservateurs qui obtiennent 207 sièges, contre 38 pour les réformistes. Le pays retombe ainsi sous la coupe des conservateurs non favorables aux négociations avec les pays occidentaux.
Le 18 février dernier, le premier cas de coronavirus officiel est déclaré à Qom. Selon le ministre de la Santé iranien, le premier mort est un commerçant ayant voyagé récemment en Chine. Parmi les causes de l’arrivée de l’épidémie, peuvent être cités la venue d’étudiants chinois en théologie à Qom, les allers-retours d’ouvriers chinois non contrôlés ainsi que le maintien des vols par la compagnie Mahan entre l’Iran et la Chine, sa principale destination à l’étranger en raison des sanctions.
Dans un contexte de défiance, la population ne croit pas aux chiffres donnés par les autorités. De bonnes raisons scientifiques permettent de partager leurs craintes, si l’on compare les taux de mortalité en Iran avec ceux des autres pays. Même si l’Iran a de bonnes infrastructures, un bon personnel médical et hospitalier, ainsi qu’un système de santé gratuit permettant à un grand nombre de citoyens d’être testés et hospitalisés, les autorités ont tardé à agir, en raison, selon certains observateurs, de la tenue des élections. Or comme cela a pu être observé, le temps est le facteur principal dans la lutte contre le Covid-19. Malgré la demande du député de Qom, la ville n’est toujours pas confinée.
Le président Rohani avait en effet annoncé que les désavantages du confinement étaient plus grands que leur efficacité et que le choix annoncé entre l’économie et la vie des gens était un complot des antirévolutionnaires. Pour Ibrahim Raissi, conservateur et chef du pouvoir judiciaire, si un choix doit être fait, c’est celui de la vie des gens. Malgré une union nationale affichée, il est certain que la gestion de la crise du Covid-19 par le gouvernement sera au cœur des débats de l’élection présidentielle l’année prochaine.
L’absence de confinement peut s’expliquer dans ce contexte économique très difficile. L’État ne peut se permettre des plans massifs de relance de l’économie et une grande partie de la population, notamment les classes défavorisées, ont besoin de sortir pour travailler.
Cette crise sanitaire met également en lumière une certaine crise culturelle de la société iranienne. La fermeture de lieux religieux, comme le mausolée de l’Imam Reza à Machhad et la grande mosquée de Qom, ont donné lieu à des scènes de violence de la part d’intégristes pour qui ces fermetures sont inacceptables. Cette contestation des décisions prises pourtant par une République islamique de la part d’une frange de la population montre une certaine fracture de la société. Cela explique le fait que la ville sainte de Qom ne soit pas en quarantaine car elle constitue un symbole religieux fort et que sa fermeture serait difficile à faire accepter.
Des théories du complot ont également un certain succès : le Covid-19 serait une arme biologique créée par les Américains pour toucher la Chine et l’Iran. Le Guide de la révolution, dans son discours pour le Nouvel An iranien, a lui-même dit que les Américains ont proposé une aide, non nécessaire, alors qu’ils sont accusés eux-mêmes de l’avoir créé. Un discours pour favoriser le sentiment d’unité au sein de la population a été initié par les autorités. À l’image des soldats en Syrie, en Irak et en Syrie nommés les modafeh haram (ceux qui protègent les lieux saints), le personnel hospitalier et médical est qualifié de modafeh salamat (ceux qui protègent la santé). À leur mort, ils deviennent shahid (martyr) et leur portrait rejoint ceux des soldats. Cette figure du martyr à laquelle les Iraniens sont sensibles mobilise la population.
Le directeur général des Nations unies et les chefs de gouvernement ont demandé le retrait des sanctions américaines pour permettre à l’Iran de contrer l’épidémie du Covid-19 et empêcher sa propagation à l’étranger. Pour en venir à bout, une coopération internationale est nécessaire et ce régime de sanctions n’est pas tenable moralement et pragmatiquement. Une demande d’aide de 5 milliards de dollars a été déposée auprès du FMI, demande toujours sans réponse. Le premier échange avec l’Instex pour 500 000 dollars d’équipements médicaux a eu lieu mais cela reste symbolique.
Le 23 mars dernier, une équipe de 9 personnes de Médecins sans frontières (MSF) s’est rendue en Iran pour installer un site de 50 lits à Ispahan mais est expulsée du pays deux jours seulement après son arrivée. Selon les autorités, il pouvait y avoir des espions parmi eux. Une défiance à l’égard des Occidentaux s’est développée alors que MSF est actif depuis déjà de nombreuses années à Ispahan et Machhad. Le résultat des élections législatives et ce comportement ne sont pas de bons signes. L’Iran se replie.
Le gouvernement a fait une nouvelle fois preuve de son incompétence au moment des fêtes du Nouvel An (20 mars) en n’interdisant que très tardivement les voyages. Des milliers de voitures se sont ainsi retrouvées sur les routes. Il existe une grande inquiétude quant au retour de ces voyageurs.
Enfin, une potentielle crise géopolitique pointe le bout de son nez. Suite aux mouvements militaires américains en Irak (l’installation de patriots et la concentration d’effectifs sur la base d’Al-Asad), une attaque des milices chiites pro-Iran serait imminente. Les États-Unis misent sur le fait que l’opinion publique iranienne ne soutiendrait pas un nouvel engagement militaire. Le général Qa’ani est allé récemment en Irak, à l’aéroport de Bagdad, là où le général Soleimani a été tué comme pour délivrer un message : un homme a été tué mais le chemin reste le même. C’est une situation à suivre avec beaucoup d’attention. Il est à espérer que les Européens joueront un rôle d’apaisement pour éviter une nouvelle crise humanitaire dans la région.
Certains observateurs se demandent si le régime iranien va survivre à cette crise sanitaire. Il est difficile de se lancer dans ce genre de questionnement. Le régime iranien a en effet vécu de pires situations et il n’existe pour le moment aucune alternative politique. Ceux qui n’ont pas tenu en revanche, ce sont les réformistes et c’est là une mauvaise nouvelle pour les relations avec les pays occidentaux.