La gauche qui vient. Place à la République !

Fractures de la politique, crispations de la société : dans ce contexte d’une exceptionnelle gravité, Jean-Marie Le Guen propose à la gauche, pour faire face au bloc réactionnaire et à l’approche de 2017, de se rassembler, de renouveler son offre politique et de prendre la tête du camp républicain.

Jean-Marie Le Guen entreprend d’identifier les ruptures qui marquent notre entrée dans l’ère du XXIe siècle et révèlent le retard de la gauche dans son travail d’analyse du monde. Il propose de réfléchir sur la manière de transformer ces ruptures en défis et de renouveler l’ordre des priorités, sur le plan de l’action et sur celui des valeurs. La gauche a des réponses mais elle doit les reconstruire dans le développement d’une pensée politique qui se confronte au réel et à autrui pour se traduire ensuite en action.

Quatre crises majeures caractérisent notre époque. Economiquement, l’heure est à la fin de l’illusion libérale. Notre modèle de croissance est fragile, le numérique entraîne la désintermédiation, la déflation et l’apparition de nouvelles formes de travail indépendant à côté du salariat, les enjeux environnementaux nous obligent à reconsidérer notre idée du progrès, à revoir nos indicateurs, le chômage de masse persiste et la compétitivité reste faible malgré l’action du gouvernement pour la redresser. A cela s’ajoute la question de la pérennité de l’Union européenne, fragilisée par l’affaiblissement de Schengen, la crise grecque et la crise des migrants. Ensuite, l’instabilité géopolitique qui s’étend de l’Ukraine à la Méditerranée se confirme. Enfin, nous traversons une crise des migrations qui devrait s’intensifier et dont la réponse – nationale, européenne, internationale – reste à inventer. 

Mais face aux tendances pessimistes, à l’hystérisation qui nourrit l’angoisse, rappeler les sujets d’espérance et les atouts de la France forme un enjeu politique majeur. La COP21 marque une prise de conscience collective bénéfique, les avancées scientifiques et technologiques induisent de nouvelles pratiques et de nouveaux possibles qui bouleversent positivement nos modes de vie, notamment dans le domaine médical. Enfin, la France, au carrefour géographique de l’Europe, reste un pays riche dont la culture et l’art de vivre rayonnent et attirent et dont le niveau de protection sociale est exceptionnel.

Toutefois, l’année 2015 nous a fait entrer dans une ère nouvelle au gré de mutations radicales qui sonnent la fin de l’innocence. Les attentats nous ont conduits à la guerre contre Daesh et le terrorisme islamiste.

La percée d’un bloc réactionnaire, en parallèle de l’affirmation du Front national comme force politique et électorale, est de plus en plus préoccupante.

Il devient alors nécessaire pour la gauche de revoir son agenda politique. Les réponses qu’elle apporte traditionnellement ne permettent pas de comprendre et d’éclairer un monde devenu « apolaire », plus chaotique que libéral. Le Parti socialiste qui doit son succès politique à la fusion de différents courants idéologiques de la gauche française est désormais appelé à constituer de nouveaux alliages et les rassembler dans une nouvelle architecture.

Le premier défi qui est posé est de proposer une République à l’offensive en reconnaissant que les questions sécuritaires et civilisationnelles s’imposent aujourd’hui d’elles-mêmes. Il s’agit de défendre dans la fermeté et la bienveillance le respect de l’Etat de droit et des valeurs républicaines. Le thème de la nation française doit conduire à une véritable réflexion au sein de la gauche d’autant qu’il est désormais perçu comme une communauté de droits et de devoirs plus qu’un statut juridique protecteur, en témoigne le débat polémique sur la déchéance de la nationalité.

Le deuxième défi à relever consiste à prendre le virage de l’économie de demain pour préserver notre souveraineté et notre modèle social. Face au dualisme qui persiste entre les travailleurs « à vie » et des chômeurs définitivement exclus, il faut abaisser les barrières autour de l’emploi et renouer avec l’esprit d’entreprendre, trop longtemps opposé à l’intérêt général. Cet esprit doit être pensé et promu comme un esprit d’émancipation, d’engagement social et citoyen.

Le troisième défi est de renouer avec l’égalité des chances, mise à mal par le poids toujours plus lourd du milieu social sur la réussite scolaire, la ségrégation sociale et le coût de l’immobilier, l’inégalité dans l’accès aux soins médicaux.

Ces trois priorités de gauche peuvent ainsi être à la base d’un compromis plus large. Au regard de la décomposition politique à l’œuvre dans les partis de gauche et de droite, la perspective des élections de 2017 devrait s’accompagner d’un temps de recomposition. Il s’agit alors, pour la gauche, de porter une réflexion plus stratégique qu’identitaire, allant de la présidentielle aux législatives, pour imposer le débat sur le camp républicain. Avec l’affirmation d’un camp républicain comme stratégie idéologique, comme périmètre politique commun, la gauche donnera le ton à la reconquête républicaine et pourra proposer un nouveau pacte de confiance autour de la coopération européenne, de la justice, du rassemblement et du refus de la xénophobie et du racisme.

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