La France politique de 2024 : portrait géographique et social

A-t-on vraiment tiré toutes les leçons des scrutins de l’année 2024 ? Youssef Souidi, docteur en économie, et Thomas Vonderscher, éditeur indépendant, se proposent d’étudier, via des méthodes statistiques innovantes, le lien entre vote et conditions de vie, mais aussi de dresser un tableau politique inédit des rapports de force électoraux dans les quartiers populaires et de leur contribution au front républicain.

La France traverse un séisme politique aux multiples secousses. La dernière en date est sans conteste le franchissement du seuil de dix millions de voix pour le Rassemblement national (RN), le 30 juin 2024. Au second tour de ces élections législatives anticipées, le parti d’extrême droite et ses alliés ciottistes sont néanmoins arrivés loin de la majorité absolue avec 142 sièges sur 577. Depuis, les regards se sont tournés vers les tractations dans une Assemblée nationale cadenassée et un gouvernement qui dispose d’une assise fragile : la neutralité bienveillante dont il bénéficie de la part du RN menace à tout moment de se retourner, tandis que le « socle commun » sur lequel il repose est traversé de divisions.

Mais a-t-on vraiment tiré toutes les leçons des scrutins de l’année 2024 ? Via des méthodes statistiques innovantes, nous proposons d’étudier dans cette note, de manière extrêmement fine, le lien entre vote et conditions de vie, mais aussi de dresser un tableau politique inédit des rapports de force électoraux dans les quartiers populaires et de leur contribution au front républicain.

Le vote au prisme du niveau de vie, un outil précieux

Dans la lignée des élections présidentielle et législatives de 2022, les législatives anticipées de 2024 ont confirmé la configuration en trois blocs, la droite incarnée par Les Républicains (LR) se retrouvant très souvent dans un rôle mineur d’arbitre. Le premier tour de la présidentielle en 2022 avait ainsi été marqué par un phénomène de « vote utile », trois candidats (Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon) totalisant plus de 70% des suffrages. Lors des législatives qui ont suivi, le président réélu n’a pas emporté la majorité absolue (ses soutiens ont obtenu 245 sièges), ce qui n’était plus arrivé dans la foulée de l’élection présidentielle depuis 1988 – la faute, notamment, à la formation de la Nupes à gauche et aux victoires du Rassemblement national dans des circonscriptions rurales. Cette législature de deux ans a été l’une des plus fragmentées de la Ve République.

Cette configuration est vue comme un désaveu de l’ambition d’Emmanuel Macron d’imposer un face-à-face avec l’extrême droite, en se posant comme le seul bloc à même de gouverner. Alors que les élections européennes de juin 2024 ont été marquées par une plus grande offre politique, un éparpillement des voix et une percée du RN (31,37%), la dissolution surprise annoncée par le président de la République a conduit au regroupement des partis de gauche, cette fois sous la bannière du Nouveau Front populaire (NFP). Ce retour des trois pôles pourrait bien ne pas être conjoncturel.

Pour comprendre la dynamique des élections de l’année 2024, nous avons publié le 5 juillet dernier, durant l’entre-deux-tours des législatives, un article dans Alternatives économiques sur la dimension sociale du vote. Jusqu’alors, deux types d’analyses étaient proposés au lendemain des élections : le premier sur les dimensions géographiques du vote, à partir des données à l’échelle de la commune ou des circonscriptions – ainsi de la fameuse ligne Le Havre-Perpignan à l’est de laquelle prospère le vote RN1Ainsi que des analyses de Jacques Lévy sur l’éloignement du cœur des métropoles, voir ici et, pour 2022, .. Le second, en utilisant de nombreux sondages, permet de mettre en avant un certain nombre de caractéristiques sociales du vote. Néanmoins, ainsi que l’écrivent Julia Cagé et Thomas Piketty, « la taille limitée des échantillons utilisés dans ces enquêtes permet de dégager certaines tendances générales mais fragilise les comparaisons fines d’une élection à l’autre, et en particulier empêche de croiser de façon statistiquement fiable les critères territoriaux (tels que la taille de commune et d’agglomération) et socio‑économiques (tels que le secteur d’activité, la profession, le revenu ou le patrimoine)2Julia Cagé et Thomas Piketty, Une histoire du conflit politique. Élections et transformations démocratiques en France (1789-2022), Paris, Seuil, 2023, p. 21. ».

Partant de la classe « géosociale » (qui « ne se mesure pas seulement par la relation à la richesse, mais également par une insertion particulière dans le tissu territorial et productif3Ibid., p. 589. »), Julia Cagé et Thomas Piketty ont cherché à dépasser les écueils des analyses fondées uniquement sur des sondages, en recourant à une méthode statistique novatrice mêlant résultats électoraux et caractéristiques socio-démographiques des électeurs : « [Elle] consiste à utiliser les données électorales au niveau spatial le plus fin possible (cantons, communes, bureaux de vote, etc.) et à les mettre en correspondance avec des données socio-économiques observées au même niveau. On peut ainsi comparer la manière dont votent les communes les plus pauvres (définies par exemple par leur niveau de revenu ou de capital immobilier moyens) et les communes les plus riches, ou bien les communes les plus agricoles et les moins agricoles, les plus industrielles et les moins industrielles, et ainsi de suite4Ibid., p. 22. ».

Dans cette veine et afin de proposer un angle nouveau, nous sommes partis des données fournies par l’Insee depuis 2023, permettant une analyse à l’échelle du bureau de vote5Il s’agit d’une échelle plus fine que celle utilisée par Julia Cagé et Thomas Piketty, dont l’essentiel des analyses reposent sur des données au niveau de la commune. Comme les auteurs le notent, si le bureau de vote constitue le niveau le plus détaillé, la profondeur historique des données disponibles ne permet pas de replacer les résultats observés dans le temps long. On se contentera donc ici d’analyser les résultats des élections législatives 2024.. La liste des adresses correspondant à chaque bureau de vote est en effet désormais publiée en open-data6Cette publication, qui porte sur les contours des bureaux de vote pour l’année 2022, est notamment le résultat de pressions citoyennes comme l’explique Joël Gombin.. Il en est de même des données sur le niveau de vie moyen des habitants par carreau de 200 mètres7Le niveau de vie d’un individu est le niveau de vie du ménage auquel il appartient. On l’obtient en divisant le revenu disponible du ménage par son nombre d’unités de consommation. Par ailleurs, le niveau de vie des individus situés aux extrêmes de la distribution sont réhaussés (pour les plus pauvres) ou rabaissés (pour les plus riches) selon un processus de winsorisation. Voir le dispositif de l’Insee. La base de données la plus récente porte sur l’année 2019.. En associant ces carreaux à un bureau de vote, il devient possible d’estimer un niveau de vie moyen pour chaque bureau de vote8Cette méthode présente quelques limites. D’abord, c’est le niveau de vie des habitants et non celui des citoyens inscrits sur les listes électorales auquel on a accès. Ensuite, le découpage en carreaux ne correspond pas parfaitement au découpage administratif en bureau de vote : un même carreau peut alors être associé à différents bureaux de vote. Néanmoins, elle apporte des éléments inédits pour comprendre la carte politique française..

Ces données nous ont permis de classer l’ensemble des bureaux de vote de France métropolitaine selon le niveau de revenu, et de les diviser en cent groupes de taille égale. Le premier groupe comprend le 1% de bureaux de vote au niveau de vie le plus faible. Au sein de ce groupe, sept départements regroupent à eux seuls près de 40% des bureaux de vote : le Nord, le Pas-de-Calais, la Seine-Saint-Denis, les Bouches-du-Rhône, le Gard, l’Hérault et le Vaucluse. Le dernier groupe comprend le 1% de bureaux de vote au revenu le plus élevé – la quasi-totalité de ces bureaux sont concentrés dans trois départements : Paris, les Hauts-de-Seine et les Yvelines.

Ces données nous ont également permis d’étudier les comportements électoraux à une échelle jamais étudiée jusque-là9L’Insee a pu estimer le niveau d’abstention dans l’ensemble des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), mais pas les suffrages que leurs habitants ont exprimés lorsqu’ils se sont déplacés. Pour autant, de nombreux travaux qualitatifs se sont intéressés aux habitants des quartiers populaires, voir notamment Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen, La Démocratie de l’abstention, Paris, Gallimard, 2007, ou plus récemment Ulysse Rabaté, Streetologie, Rennes, Éditions du Commun, 2024. : les quartiers populaires. Pour approximer les tendances politiques exprimées par leurs habitants au niveau national, des exemples locaux de territoires fortement associés à ces quartiers étaient jusque-là mis en avant, par exemple le taux d’abstention en Seine-Saint-Denis. Ici, nous nous penchons sur les comportements électoraux dans l’ensemble des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV10« Les QPV sont des territoires métropolitains qui bénéficient des dispositifs de la politique de la ville, basée sur un critère de pauvreté », voir par exemple la carte du ministère. Dans l’étude des QPV, nous considérons l’ensemble des bureaux de vote dont le périmètre comprend plus de 90% d’habitants résidant en QPV.) du territoire métropolitain. En ressort un tableau plus précis des préférences politiques de leurs habitants, mais aussi de leur contribution au front républicain. Il devient ainsi possible d’éclairer sous un angle nouveau l’abstention et les préférences politiques exprimées par les électeurs selon leur position dans l’espace social et géographique. Nos résultats confortent certaines tendances mises en avant par les sondages, par exemple le fait que la coalition présidentielle et le parti de droite LR ont davantage été tributaires du barrage républicain pour gagner des circonscriptions. Ils sont aussi inédits, dans certaines dimensions, ainsi du fait que le RN n’a pas été le premier choix des plus défavorisés ou encore que dans les bureaux de vote les plus aisés, près d’un électeur sur dix confronté à un second tour NFP/RN a voté blanc ou nul.

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Premier tour – Les comportements électoraux au prisme du niveau de vie et des territoires

Abstention : la persistance d’un « sens » caché

Avant tout, l’abstention : elle reste un facteur déterminant malgré la participation élevée au regard de l’histoire récente des élections législatives, 67% des électeurs s’étant rendus aux urnes au premier tour11Faute de données, nous ne pouvons pas tenir compte des citoyens non inscrits sur les listes électorales. Par ailleurs, l’abstention peut également être la conséquence d’un phénomène de mal-inscription sur ces listes..

Cette moyenne cache en effet de grandes disparités selon le niveau de vie. Le graphique 1 illustre ainsi la récurrence du lien entre le revenu et la participation. Le niveau moyen de cette dernière atteint presque le niveau de l’élection majeure, la présidentielle, et est en tout cas beaucoup plus élevé aux deux tours des législatives de 2024 que quelques semaines auparavant aux européennes, qui était lui-même plus grand que lors des élections législatives de 2022.

Mais le plus marquant reste la forme de la courbe, identique peu importent les scrutins : le niveau de participation augmente rapidement avec le revenu dans les premiers centiles, puis de manière plus modeste tout au long de la distribution.

Figure 1

Lecture : au premier tour des élections législatives de 2024, la participation dans les bureaux de vote les plus défavorisés est d’environ 50%, contre plus de 75% dans ceux qui ont le niveau de vie le plus élevé.

Le graphique 2 permet de voir différemment la dimension sociale de l’abstention, en représentant les résultats en pourcentage des inscrits – et non des votants comme cela se fait habituellement. Nous constatons alors que la rengaine faisant de vote RN un vote de classes populaires ne résiste pas à l’épreuve des données : le bloc d’extrême droite obtient en réalité des résultats relativement homogènes, entre 20 et 30% des inscrits, dans tous les bureaux de vote, à l’exception des plus pauvres et des plus riches. Dans les premiers, l’abstention est de loin le premier parti12D’où notre référence, dans le titre, à l’ouvrage de Daniel Gaxie, Le Cens caché, Paris, Seuil, 1978., suivi par la coalition de gauche. Par ailleurs, l’abstention arrive en tête dans quasiment tous les centiles. Ce classement fait également apparaître un vote massif pour le camp présidentiel dans les 1% de bureaux de vote les plus favorisés13Youssef Souidi et Thomas Vonderscher, « Le revenu, variable clé du premier tour des législatives 2024 », art. cité..

Figure 2

Lecture : la première case en bas à gauche est bleu foncé, illustrant l’ampleur prise par l’abstention dans le premier centile des bureaux de vote, c’est-à-dire les bureaux de vote avec les revenus les plus bas. La dernière case en haut à droite correspond aux résultats du Rassemblement national et de ses alliés dans le centile des bureaux de vote aux revenus les plus élevés. La couleur claire de cette case révèle que cette formation n’a pas fait le plein dans cette catégorie de bureaux de vote.

Des villes plus hermétiques à l’extrême droite, mais à quel point ?

La fracture politique entre les territoires urbains et ruraux occupe une place prépondérante dans le débat public. Nous mettons donc ici (provisoirement) de côté le niveau de vie pour étudier cette question. Pour ce faire, nous nous appuyons sur un découpage du territoire réalisé par l’Insee, qui divise la France en plusieurs aires d’attraction des villes14Tripartition construite à partir des notions d’aire, de pôle et de couronne de l’Insee : « Une aire est constituée d’un pôle et d’une couronne. […] Au sein du pôle, la commune la plus peuplée est appelée commune-centre. […] Les communes qui envoient au moins 15% de leurs actifs travailler dans le pôle constituent la couronne de l’aire. » Dans cette note, afin d’alléger la lecture, la couronne urbaine désigne les communes du pôle hors commune-centre, la couronne périurbaine le reste des communes faisant partie de l’aire (« couronne » pour l’Insee).. Au sein de chaque aire d’attraction se trouve une commune-centre, associée, selon la taille de l’aire, d’une couronne urbaine et/ou d’une couronne périurbaine. Certaines communes n’appartiennent quant à elles à aucune aire d’attraction – nous les qualifions ici de communes rurales.

Le graphique 3 rappelle la répartition du vote au premier tour à l’échelle nationale, puis distingue ces différents types de territoires : la commune-centre, la couronne urbaine et la couronne périurbaine. Nous avons ensuite ajouté les « quartiers prioritaires de la politique de la ville » (QPV) et les « zones de revitalisation rurale » (ZRR)15« Les zones de revitalisation rurale (ZRR) regroupent à l’échelle nationale un ensemble de communes reconnues comme fragiles sur le plan socio-économique. Afin de favoriser le développement de ces territoires ruraux, des aides fiscales et sociales soutiennent la création ou la reprise d’entreprise. » Voir par exemple le site du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie., pour illustrer l’opposition souvent retenue entre urbain et rural.

Figure 3

Lecture : les zones orange représentent la coalition présidentielle, relativement stable, aux alentours de 15% des inscrits, dans tous les territoires, sauf dans les QPV.

En moyenne, le RN fait bien ses plus gros scores dans le rural et dans les couronnes périurbaines des métropoles. En revanche, il apparaît que les électeurs des couronnes urbaines sont moins susceptibles de voter pour le RN que ceux habitant les villes-centre. Pour interpréter ce résultat, il convient de préciser que les plus petites aires d’attraction sont dépourvues de couronne urbaine. À l’inverse, les communes-centre recouvrent une large diversité de tailles. Or, il existe une corrélation très forte entre la taille d’une aire et la proportion de votes pour le RN. Elle passe ainsi de 10% des inscrits dans les communes-centre des aires de plus de 700 000 habitants à 25% dans les aires de moins de 50 000 habitants – par exemple, de 12% à Strasbourg (Bas-Rhin, 142 668 inscrits) à 28% à Rambervillers (Vosges, 3 420 inscrits)16Pour prolonger, voir Ivan Gleta, Achille Warnant, Législatives 2024 : qu’a voté la France des villes moyennes ?, Fondation Jean-Jaurès, 27 juillet 2024..

Le vote des plus grandes villes a d’ailleurs été, comme toujours, particulièrement scruté lors de ces élections législatives de 2024. De Paris à Reims, les graphiques 4a, 4b et 4c recensent les résultats au premier tour dans les trente aires de France les plus peuplées, en distinguant les trois types de communes.

Figures 4a, 4b et 4c

Lecture : dans l’aire de Marseille, plus on s’éloigne de la commune-centre, plus la participation et le vote pour l’extrême droite augmentent, à l’inverse du vote pour la gauche.

Une tendance apparaît particulièrement évidente dans ces trente zones : le vote NFP est fort dans la commune-centre, puis baisse dans la couronne urbaine, et encore plus dans la couronne périurbaine ; le RN suit le mouvement inverse ; Ensemble est plutôt stable dans les trois types de communes.

Des déviations par rapport à cette tendance restent toutefois perceptibles. À Nice ou Toulon, l’écart entre la commune-centre et les communes sous son influence est relativement faible pour ce qui est du NFP et du RN, les variations concernant plutôt la distribution du vote entre Ensemble et LR. Le vote LR, ultra-minoritaire à l’échelle nationale, est quant à lui sauvé par quelques fiefs (Caen, couronne urbaine de Nice…), le plus souvent au détriment du vote Ensemble.

Les cartes suivantes, qui donnent à voir l’ensemble des aires de plus de 100 000 habitants, éclairent d’une autre manière les différences de comportements électoraux entre ces types de territoires.

Figure 5

Lecture : la carte du haut représente les aires urbaines de 200 000 habitants (plus de cinquante) ; sur le pourtour méditerranéen et dans le nord (hormis Lille), les couronnes périurbaines votent majoritairement à plus de 35% pour l’extrême droite, mais les couronnes urbaines et même les communes-centre connaissent un vote élevé pour ce bloc.

La ligne Le Havre/Perpignan ressort bien sur la première carte, les plus grandes aires urbaines de l’ouest apparaissant plus réticentes à l’extrême droite17À noter : le bleu prévalant pour la couronne périurbaine de Nancy vient du fait que le vote « autre extrême droite », qui n’est pas représenté sur cette carte, est relativement élevé et se fait au détriment du vote « bloc d’extrême droite ».. De même, il est assez frappant que le vote RN est plus élevé dans les aires de 100 000 à 200 000 habitants que dans les aires de plus grande taille. Par ailleurs, ces cartes donnent à voir des configurations marquantes. Ainsi, les aires de Lille et de Lens, pourtant distantes de moins de 30 kilomètres, se distinguent fortement par leur propension à voter pour l’extrême droite. Parfois, c’est l’écart de vote RN entre la commune-centre et sa couronne périurbaine qui est particulièrement fort (Nîmes, Troyes ou Beauvais, par exemple). À l’inverse, dans le sud, à l’image de l’aire d’attraction de Fréjus, le vote RN atteint des sommets, indépendamment du type de commune. Ces configurations invitent à nuancer l’utilisation d’une grille de lecture reposant exclusivement sur le caractère plus ou moins urbain d’une commune pour expliquer le vote RN.

Derrière le clivage urbain-rural, des populations aux conditions de vie radicalement différentes

Que recouvrent les différences de comportement de vote entre communes plus ou moins urbaines ? Alors que la question des écarts de vote RN entre territoires s’est imposée dans le débat public, il convient d’abord de rappeler que les conditions de vie des habitants des communes-centre, des couronnes urbaines, des couronnes périurbaines et du rural sont radicalement différentes. Le graphique 6 souligne les différences fondamentales qui existent entre ces territoires, notamment pour ce qui est des conditions de logement et de la distance à certains équipements essentiels de la vie courante. Dans l’analyse des différences de vote, il est essentiel de prendre en compte de tels paramètres : selon Jérôme Fourquet, s’appuyant sur un sondage Ifop18Jérôme Fourquet, « Législatives 2024 : quelles leçons tirer du séisme électoral ? », Challenges, 17 juillet 2024., le RN représente ainsi désormais 49% des personnes « très dépendantes » à la voiture (contre 28% n’en dépendant pas du tout).

Figure 6

Lecture : la distance en voiture pour aller faire ses courses au commerce le plus proche est en moyenne de 0,9 km pour les communes-centre contre 4,4 km pour les communes rurales.

L’exercice statistique que nous proposons permet de répondre à la question suivante : si l’on prend deux bureaux de vote d’un même département, aux caractéristiques semblables (revenu, conditions de logement, éloignement aux services publics…), mais l’un se situant dans une commune-centre et l’autre dans une commune d’un autre type (couronne urbaine, périurbaine, ou commune rurale), observe-t-on des différences dans la propension à voter pour le RN ? La richesse des données utilisées permet d’intégrer à notre modèle (une régression linéaire) une grande diversité de variables de contrôle, calculées au niveau du bureau de vote – nous raisonnons ainsi « toutes choses égales par ailleurs » :

  • des variables relatives aux conditions de vie : niveau de vie, taux de pauvreté, part de familles monoparentales, part de ménages en logement social, part de ménages en logement collectif et part de ménages propriétaires ;
  • des variables relatives à l’éloignement à différents services19On utilise pour cela les données de la base permanente des équipements de l’Insee, ainsi que celles de la SNCF pour mesurer l’éloignement à la gare en activité la plus proche. Les distances sont mesurées depuis le centroïde de chaque carreau de 1 km (et non de 200 m pour réduire le temps de calcul) à l’aide l’outil OpenStreetMap. On attribue donc à l’ensemble des habitants d’un même carreau la même distance à l’équipement le plus proche. : reprenant le concept de « panier de la vie courante » de l’Insee20Voir L’accès aux services, une question de densité des territoires, Insee Première, n°1579, 2016. Le panier de l’Insee comprend 22 services. On y ajoute les maisons de santé pluridisciplinaires ainsi que les gares SNCF en activité., on calcule la distance en voiture à 24 équipements ou services de la vie courante (commerces, services publics, services de soins…).

On ajoute à ces variables de contrôle le département de résidence, afin de tenir compte d’éventuelles spécificités locales21Quelques détails techniques pour préciser la méthode : dans une première spécification, on régresse le pourcentage des inscrits ayant voté RN au niveau du bureau de vote sur trois variables indicatrices permettant de savoir si le bureau se situe en couronne urbaine, couronne périurbaine ou commune rurale. Le territoire de référence est donc la commune-centre. Les « écarts bruts » indiqués dans le graphique 7 correspondent aux coefficients issus de ces régressions. Dans une deuxième spécification, on introduit l’ensemble des variables de contrôle, elles aussi mesurées au niveau du bureau de vote, sous la forme de variables indicatrices correspondant aux vingtiles de la distribution de ces variables. Les « écarts nets des différences socioéconomiques et territoriales » affichés dans le graphique 7 correspondent aux coefficients issus de ces régressions..

Figure 7

Lecture : en moyenne, la proportion d’inscrits votant pour le RN est supérieure de 9,90 points de pourcentage dans les communes de la couronne périurbaine, relativement aux communes-centre. Une fois les différences socio-démographiques et territoriales détaillées dans la note prises en compte, cet écart passe à 1,04 point de pourcentage. Les étoiles présentes à côté des coefficients permettent d’indiquer que ces différences sont « statistiquement significatives ».

Les résultats de l’exercice statistique sont affichés dans la figure 7. On y constate que l’écart entre communes-centre et les autres types de communes est fortement réduit, une fois les variables socio-démographiques prises en compte. Ces résultats vont dans le même sens que ceux du géographe Olivier Bouba-Olga et du journaliste Vincent Grimault, qui ont étudié les différences de vote RN selon le type de commune pour cette même élection avec une méthodologie légèrement différente.

Ce résultat plaide pour une approche avant tout sociale des déterminants du vote. Cependant, il reste malgré tout un écart dans le vote RN, ce qui semble indiquer des spécificités propres aux différents types de communes. Sans proposer des interprétations qui excèdent nos compétences, deux hypothèses nous semblent prometteuses.

Une première explication tient au modèle statistique utilisé. Les variables de contrôle intégrées au modèle ne permettent pas de tenir compte de l’ensembles des différences sociodémographiques entre territoires22Le modèle statistique utilisé permet d’expliquer 61% (valeur du R2) des différences de vote RN entre bureaux de vote.. Par exemple, le niveau de diplôme, qui apparaît comme un prédicteur extrêmement fort du vote RN, n’a pas pu être intégré ici23Une enquête d’Ipsos sur la sociologie des électorats publiée le 30 juin 2024 indique que, parmi les personnes avec un diplôme inférieur au bac s’étant déplacées au premier tour des élections législatives, 49% ont voté pour le RN et ses alliés. C’est le cas de seulement 22% des plus diplômés (bac +3 et plus). Ces écarts de vote pour l’extrême droite en fonction du niveau de diplôme s’observent sur le temps long, voir notamment cette note de Jérôme Fourquet.. Il en va de même des différentes catégories socioprofessionnelles. Par ailleurs, les variables utilisées ne sont que des indicateurs imparfaits des réalités que nous souhaitons mesurer. Par exemple, la distance en voiture par la route ne tient pas compte de la congestion du trafic, ou même de la possibilité de se garer à proximité de l’endroit désiré. De même, rien ne nous permet d’affirmer que le médecin le plus proche du domicile est disposé à recevoir de nouveaux patients24Voir notamment à ce sujet l’étude réalisée par la Fondation Jean-Jaurès sur l’accès aux soins.. Enfin, au-delà des variables socio-démographiques, le sociologue Félicien Faury a mis en évidence dans une enquête qualitative l’importance des schémas de pensée racistes dans l’adhésion aux discours de l’extrême droite, en prenant pour terrain le sud-est de la France. Il ne nous est pas possible d’intégrer cette dimension dans notre modèle statistique.

Il est également possible que, même à caractéristiques sociodémographiques similaires, la réception des discours politiques soient différenciés. Il existerait alors vraiment une spécificité proprement géographique. Certains discours portés par la gauche (par exemple autour du barbecue) l’éloigneraient ainsi encore des territoires ruraux.

Toujours est-il que les données disponibles à l’issue du premier tour des législatives de 2024 montrent un certain nombre de clivages que nous avons survolés dans cette partie : entre pauvres et riches, entre communes-centre et rurales… Les résultats du second tour nous fournissent quant à eux des éléments révélateurs quant au comportement des électeurs, en fonction de leur niveau de vie ou du type de territoires de résidence.

Second tour – Une nouvelle évaluation de la « discipline républicaine »

Reports de voix : un aperçu global

Les graphiques 8a, 8b et 8c décomposent les principales situations rencontrées lors du second tour de ces élections législatives, dans l’ordre : duels gauche/extrême droite, camp présidentiel/extrême droite, gauche/camp présidentiel, droite/extrême droite (moins fréquents), ainsi que triangulaires.

Figures 8a, 8b et 8c

Lecture : chaque carré représente un point de pourcentage. Lors des duels NFP/extrême droite, le bloc de cette dernière a gagné 4 points entre les deux tours (passant de 25% au premier tour à 29% au second).

Ces graphiques nous semblent marquants à plusieurs égards.

Tout d’abord, on voit que le NFP a gagné 11 points (de 21% à 32%25Même si l’abstention est identique aux deux tours, il est théoriquement possible que ce soient des individus différents qui s’abstiennent. Autrement dit, il se pourrait que le passage de 21 à 32% soit dû à des électeurs qui s’étaient abstenus au premier tour, compensés par une abstention de même ordre de grandeur de la part d’électeurs Ensemble qui avaient voté au premier tour. Cela nous semble néanmoins peu probable, peu importent les configurations de duels ou de triangulaires.) entre les deux tours lorsqu’il affrontait l’extrême droite, soit moins que ce qu’Ensemble représentait au premier tour (12%). Le bloc présidentiel, de son côté, a gagné 18 points (de 20% à 38%), soit plus que ce que représentaient le NFP et LR au premier tour (respectivement 15 et 2%).

En cumulant abstention et votes blancs et nuls, on arrive à 39% dans les duels NFP-RN (34% au premier tour) contre 33% dans les duels Ensemble-RN (32% au premier tour) et 34% dans les duels LR-RN (33% au premier tour). Cela appuie ce que les sondages post-électoraux ont mis en lumière, à savoir que la « discipline républicaine » a mieux fonctionné pour le report des voix de la gauche que pour le report des voix du camp présidentiel et de la droite républicaine. Plus que par l’abstention, c’est par l’utilisation de votes blancs et nuls que les électeurs insatisfaits par l’offre politique qui leur était offerte au second tour ont exprimé leur sentiment. En particulier, dans les duels NFP-RN, la part de votes blancs et nuls passe de 2% à 6%. On verra par la suite que ce comportement est socialement marqué.

Dans les situations de duels entre NFP et Ensemble, cette dernière force semble bénéficier d’un report de voix du RN, puisqu’elle passe de 30 à 42% entre les deux tours, soit plus que les résultats de LR et autres au premier tour (respectivement 5 et 5%).

Dans les configurations de second tour entre LR et RN, on remarque que le parti présidentiel a fait un score quasiment nul au premier tour, ce qui ne s’explique pas uniquement par les quelques accords passés au premier tour entre Ensemble et LR et ce qui pourrait être interprété comme la preuve qu’Ensemble est considéré comme une force de centre droit.

Pour les cas de triangulaires, précisons qu’une bonne partie ont eu lieu quand le NFP et Ensemble ont considéré que le RN n’était pas le mieux placé pour l’emporter. Le camp présidentiel est là encore le grand gagnant du report de voix, qui lui permet de dépasser le NFP de 2 points alors qu’ils étaient quasiment à égalité à l’issue du premier tour.

Quelle que soit la configuration de second tour, les marges de progression du RN et ses alliés se révèlent assez faibles (1 point dans les triangulaires, 2 dans les duels avec LR, 3 dans les duels avec Ensemble, 4 dans les duels avec NFP), ce qui tend à illustrer la persistance d’un « plafond républicain » auquel se heurte le RN, malgré le ralliement de quelques éléments du parti Les Républicains.

Les QPV, aux avant-postes du front républicain

Ce phénomène de vote barrage à l’extrême droite apparaît amplifié lorsque l’on se concentre sur les quartiers populaires au sein des circonscriptions. Ces territoires sont, comme nous l’avons vu, une zone de force de la gauche26Ce qui explique notamment, dans les cas de duel Ensemble/RN au second tour, les 20% recueillis par le NFP au premier tour (que le candidat NFP n’ait pas dépassé les 12,5% au niveau de la circonscription ou qu’il se soit retiré au profit d’Ensemble ensuite)..

Figures 9a, 9b et 9c

Lecture : chaque carré représente un point de pourcentage. Dans les cas de triangulaires, l’abstention passe de 49 à 47% entre les deux tours dans les QPV.

Alors que l’abstention est élevée dès le premier tour dans toutes les configurations, elle a plutôt tendance à baisser au second tour. Le bloc d’extrême droite ne progresse quant à lui que de deux points au maximum, ce qui entraîne un report massif de voix vers l’adversaire du RN, surtout en faveur de la coalition Ensemble, qui passe de 8% à 31% entre les deux tours – la progression est quasi identique lorsqu’il s’agit d’un candidat LR, qui se hisse à 29%. À notre connaissance, il n’existe pas de chiffres plus significatifs pour illustrer le barrage républicain.

Ces statistiques sont éloquentes alors qu’un certain discours public affirme que le vote des quartiers populaires serait essentiellement motivé par des considérations communautaires auxquelles répondraient les partis de gauche (et plus particulièrement La France insoumise). Si tel était le cas, on observerait une explosion de l’abstention lorsque le NFP est absent du second tour. Or, le report de voix est massif, même lorsque le candidat de second tour appartient au parti LR, dont les responsables ont parfois des discours très durs envers ces quartiers. Étant donné que bon nombre de victoires se sont jouées à quelques centaines de voix près, on ne peut pas exclure que l’électorat des QPV a été indispensable à certains députés LR pour se faire (ré)élire, ce qui invite à reconsidérer cet électorat qui, lorsqu’il ne s’abstient pas, fait preuve d’un sens des responsabilités républicaines.

Une discipline populaire

Pour terminer notre tour d’horizon et mieux apprécier les reports de voix selon le niveau de vie, nous en revenons à la classification des bureaux de vote par centile selon le revenu. Nous distinguons les deux configurations les plus fréquentes27Pour les autres configurations, le nombre plus faible d’observations rend l’exercice de décomposition par centiles moins pertinent. : les duels NFP-RN (graphique 10a) et Ensemble-RN (graphique 10b) au second tour.

Figures 10a et 10b

Lecture : dans les bureaux de vote médians, le vote NFP passe d’environ 20% à plus de 30% des inscrits entre les deux tours lorsque l’opposant est d’extrême droite.

En cas de duel entre gauche et extrême droite, on voit que l’abstention reste stable, que le NFP gagne plus de voix que le RN dans tous les centiles, mais que les votes blancs et nuls croissent régulièrement selon le niveau de vie, jusqu’à atteindre quasiment 10% chez les plus riches. Les observateurs de la vie politique mettent ces comportements sur le compte de candidats LFI perçus comme trop radicaux pour des électeurs modérés28La vaste enquête post-électorale menée par Ipsos pour Le Monde, le Cevipof, l’Institut Montaigne et la Fondation Jean-Jaurès révèle que, parmi les sondés déclarant une proximité partisane avec LR ou la coalition présidentielle, près de neuf sur dix considèrent que LFI est un « parti qui attise la violence », voire qu’il est « dangereux pour la démocratie »., ce qui reste à l’état d’hypothèse.

Cette dernière donnée est particulièrement intéressante à comparer aux duels Ensemble-RN, dans lesquels les votes blancs et nuls comme l’abstention ne progressent quasiment pas. Peu importe le niveau de vie, le RN ne progresse jamais de plus de 5 points, alors que la coalition présidentielle engrange quasiment toujours 20 points supplémentaires. Parmi les autres constats qui nous semblent marquants : la progression de l’extrême droite est inférieure dans tous les centiles face à un adversaire Ensemble que face à un adversaire NFP. Par ailleurs, la coalition présidentielle gagne plus de 20 points dans les bureaux les plus pauvres, témoignant d’une grande discipline républicaine de la part des plus défavorisés.

Conclusion

Les comportements électoraux restent donc fortement corrélés au niveau de revenu dans ces élections législatives anticipées de 2024. Les classes les plus populaires continuent de nettement moins se mobiliser que les classes supérieures. Au sein des votants, une part significative des suffrages dans les bureaux de vote au revenu le plus faible se dirige vers le bloc de gauche – à ce titre, l’antienne qui ferait du bloc d’extrême droite le principal réceptacle de la colère des plus démunis mérite d’être nuancée.

Le vote RN en fonction du caractère plus ou moins urbain du territoire apparaît également dans les données que nous utilisons. Cependant, ici ou là, des déviations majeures par rapport à cette tendance sont perceptibles. Surtout, ces écarts semblent s’expliquer en grande partie par des disparités de profils sociodémographiques et d’accès aux services entre ces différents types de territoire, loin d’une explication géographique simpliste.

La corrélation entre niveau de revenu et comportement électoral se manifeste aussi au second tour. Dans les duels opposant la gauche à l’extrême droite, la part de votes blancs ou nuls augmente ainsi régulièrement avec le niveau de revenu. Plus globalement, l’étude des votes au second tour selon la configuration permet de constater une plus grande discipline républicaine de la part des électeurs de gauche, qui se sont massivement reportés vers les candidats Ensemble et LR. De nombreux sièges s’étant joués à quelques centaines de voix près, il est à ce titre probable que la défaite de l’extrême droite aurait été plus cinglante encore si les électeurs ayant opté pour la droite traditionnelle ou la coalition présidentielle au premier tour avaient fait preuve de la même discipline – et la victoire du NFP d’autant plus claire.

  • 1
    Ainsi que des analyses de Jacques Lévy sur l’éloignement du cœur des métropoles, voir ici et, pour 2022, .
  • 2
    Julia Cagé et Thomas Piketty, Une histoire du conflit politique. Élections et transformations démocratiques en France (1789-2022), Paris, Seuil, 2023, p. 21.
  • 3
    Ibid., p. 589.
  • 4
    Ibid., p. 22.
  • 5
    Il s’agit d’une échelle plus fine que celle utilisée par Julia Cagé et Thomas Piketty, dont l’essentiel des analyses reposent sur des données au niveau de la commune. Comme les auteurs le notent, si le bureau de vote constitue le niveau le plus détaillé, la profondeur historique des données disponibles ne permet pas de replacer les résultats observés dans le temps long. On se contentera donc ici d’analyser les résultats des élections législatives 2024.
  • 6
    Cette publication, qui porte sur les contours des bureaux de vote pour l’année 2022, est notamment le résultat de pressions citoyennes comme l’explique Joël Gombin.
  • 7
    Le niveau de vie d’un individu est le niveau de vie du ménage auquel il appartient. On l’obtient en divisant le revenu disponible du ménage par son nombre d’unités de consommation. Par ailleurs, le niveau de vie des individus situés aux extrêmes de la distribution sont réhaussés (pour les plus pauvres) ou rabaissés (pour les plus riches) selon un processus de winsorisation. Voir le dispositif de l’Insee. La base de données la plus récente porte sur l’année 2019.
  • 8
    Cette méthode présente quelques limites. D’abord, c’est le niveau de vie des habitants et non celui des citoyens inscrits sur les listes électorales auquel on a accès. Ensuite, le découpage en carreaux ne correspond pas parfaitement au découpage administratif en bureau de vote : un même carreau peut alors être associé à différents bureaux de vote. Néanmoins, elle apporte des éléments inédits pour comprendre la carte politique française.
  • 9
    L’Insee a pu estimer le niveau d’abstention dans l’ensemble des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), mais pas les suffrages que leurs habitants ont exprimés lorsqu’ils se sont déplacés. Pour autant, de nombreux travaux qualitatifs se sont intéressés aux habitants des quartiers populaires, voir notamment Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen, La Démocratie de l’abstention, Paris, Gallimard, 2007, ou plus récemment Ulysse Rabaté, Streetologie, Rennes, Éditions du Commun, 2024.
  • 10
    « Les QPV sont des territoires métropolitains qui bénéficient des dispositifs de la politique de la ville, basée sur un critère de pauvreté », voir par exemple la carte du ministère. Dans l’étude des QPV, nous considérons l’ensemble des bureaux de vote dont le périmètre comprend plus de 90% d’habitants résidant en QPV.
  • 11
    Faute de données, nous ne pouvons pas tenir compte des citoyens non inscrits sur les listes électorales. Par ailleurs, l’abstention peut également être la conséquence d’un phénomène de mal-inscription sur ces listes.
  • 12
    D’où notre référence, dans le titre, à l’ouvrage de Daniel Gaxie, Le Cens caché, Paris, Seuil, 1978.
  • 13
    Youssef Souidi et Thomas Vonderscher, « Le revenu, variable clé du premier tour des législatives 2024 », art. cité.
  • 14
    Tripartition construite à partir des notions d’aire, de pôle et de couronne de l’Insee : « Une aire est constituée d’un pôle et d’une couronne. […] Au sein du pôle, la commune la plus peuplée est appelée commune-centre. […] Les communes qui envoient au moins 15% de leurs actifs travailler dans le pôle constituent la couronne de l’aire. » Dans cette note, afin d’alléger la lecture, la couronne urbaine désigne les communes du pôle hors commune-centre, la couronne périurbaine le reste des communes faisant partie de l’aire (« couronne » pour l’Insee).
  • 15
    « Les zones de revitalisation rurale (ZRR) regroupent à l’échelle nationale un ensemble de communes reconnues comme fragiles sur le plan socio-économique. Afin de favoriser le développement de ces territoires ruraux, des aides fiscales et sociales soutiennent la création ou la reprise d’entreprise. » Voir par exemple le site du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie.
  • 16
    Pour prolonger, voir Ivan Gleta, Achille Warnant, Législatives 2024 : qu’a voté la France des villes moyennes ?, Fondation Jean-Jaurès, 27 juillet 2024.
  • 17
    À noter : le bleu prévalant pour la couronne périurbaine de Nancy vient du fait que le vote « autre extrême droite », qui n’est pas représenté sur cette carte, est relativement élevé et se fait au détriment du vote « bloc d’extrême droite ».
  • 18
    Jérôme Fourquet, « Législatives 2024 : quelles leçons tirer du séisme électoral ? », Challenges, 17 juillet 2024.
  • 19
    On utilise pour cela les données de la base permanente des équipements de l’Insee, ainsi que celles de la SNCF pour mesurer l’éloignement à la gare en activité la plus proche. Les distances sont mesurées depuis le centroïde de chaque carreau de 1 km (et non de 200 m pour réduire le temps de calcul) à l’aide l’outil OpenStreetMap. On attribue donc à l’ensemble des habitants d’un même carreau la même distance à l’équipement le plus proche.
  • 20
    Voir L’accès aux services, une question de densité des territoires, Insee Première, n°1579, 2016. Le panier de l’Insee comprend 22 services. On y ajoute les maisons de santé pluridisciplinaires ainsi que les gares SNCF en activité.
  • 21
    Quelques détails techniques pour préciser la méthode : dans une première spécification, on régresse le pourcentage des inscrits ayant voté RN au niveau du bureau de vote sur trois variables indicatrices permettant de savoir si le bureau se situe en couronne urbaine, couronne périurbaine ou commune rurale. Le territoire de référence est donc la commune-centre. Les « écarts bruts » indiqués dans le graphique 7 correspondent aux coefficients issus de ces régressions. Dans une deuxième spécification, on introduit l’ensemble des variables de contrôle, elles aussi mesurées au niveau du bureau de vote, sous la forme de variables indicatrices correspondant aux vingtiles de la distribution de ces variables. Les « écarts nets des différences socioéconomiques et territoriales » affichés dans le graphique 7 correspondent aux coefficients issus de ces régressions.
  • 22
    Le modèle statistique utilisé permet d’expliquer 61% (valeur du R2) des différences de vote RN entre bureaux de vote.
  • 23
    Une enquête d’Ipsos sur la sociologie des électorats publiée le 30 juin 2024 indique que, parmi les personnes avec un diplôme inférieur au bac s’étant déplacées au premier tour des élections législatives, 49% ont voté pour le RN et ses alliés. C’est le cas de seulement 22% des plus diplômés (bac +3 et plus). Ces écarts de vote pour l’extrême droite en fonction du niveau de diplôme s’observent sur le temps long, voir notamment cette note de Jérôme Fourquet.
  • 24
    Voir notamment à ce sujet l’étude réalisée par la Fondation Jean-Jaurès sur l’accès aux soins.
  • 25
    Même si l’abstention est identique aux deux tours, il est théoriquement possible que ce soient des individus différents qui s’abstiennent. Autrement dit, il se pourrait que le passage de 21 à 32% soit dû à des électeurs qui s’étaient abstenus au premier tour, compensés par une abstention de même ordre de grandeur de la part d’électeurs Ensemble qui avaient voté au premier tour. Cela nous semble néanmoins peu probable, peu importent les configurations de duels ou de triangulaires.
  • 26
    Ce qui explique notamment, dans les cas de duel Ensemble/RN au second tour, les 20% recueillis par le NFP au premier tour (que le candidat NFP n’ait pas dépassé les 12,5% au niveau de la circonscription ou qu’il se soit retiré au profit d’Ensemble ensuite).
  • 27
    Pour les autres configurations, le nombre plus faible d’observations rend l’exercice de décomposition par centiles moins pertinent.
  • 28
    La vaste enquête post-électorale menée par Ipsos pour Le Monde, le Cevipof, l’Institut Montaigne et la Fondation Jean-Jaurès révèle que, parmi les sondés déclarant une proximité partisane avec LR ou la coalition présidentielle, près de neuf sur dix considèrent que LFI est un « parti qui attise la violence », voire qu’il est « dangereux pour la démocratie ».

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