Jean Jaurès, combats pour l’humanité

À l’heure des commémorations de la fin de la Grande Guerre que Jaurès avait voulu à tout prix éviter, la bibliographie jaurésienne s’est enrichie récemment d’une nouvelle biographie, Jean Jaurès, combats pour l’humanité (Éditions midi-pyrénéennes) que l’on doit à Rémy Cazals et que Catherine Moulin a lue pour Esprit critique. Les écrits de Rémy Cazals, qui fut professeur au lycée Jean-Jaurès de Castres et est actuellement professeur émérite d’histoire à l’université Jean-Jaurès de Toulouse, sont nombreux ; il a notamment publié des témoignages sur le XIXe siècle, le début du XXe et la guerre de 14-18. Son récent ouvrage, La fin du cauchemar. 11 novembre 1918, est paru aux Éditions Privat.

Une biographie de Jaurès ? Encore ! Assurément, celle de Rémy Cazals s’ajoute à bien d’autres, dont celle de Gilles Candar et Vincent Duclert publiée par Fayard en 2014. Quel est dès lors l’intérêt de cet ouvrage ?

Il se signale tout d’abord par une composition originale et attractive. L’auteur reste fidèle à une classique présentation chronologique, mais il fractionne son texte en une vingtaine de courts chapitres couvrant chacun deux à quatre ans de la vie de Jaurès (à l’exception de ses années de jeunesse). Le livre de Rémy Cazals s’apparente donc en quelque sorte à des annales, ce qui présente plusieurs avantages. Ce choix donne une dimension synchronique au propos qui permet d’embrasser la grande diversité des combats que Jaurès mène au même moment. Ainsi les années 1904-1906 sont-elles à la fois celles de la création de L’Humanité, de l’unité socialiste avec la naissance de la SFIO, mais aussi des débats qui aboutissent à la loi de séparation des Églises et de l’État, sans oublier la question marocaine avec le « coup de Tanger » et la guerre russo-japonaise dont le député de Carmaux tire tous les enseignements concernant les risques d’une guerre moderne. Cette composition permet aussi au lecteur d’établir des passerelles entre différents thèmes et permet un repérage aisé dans la chronologie souvent dense des événements.

Autre originalité, il s’agit en quelque sorte d’un ouvrage à deux voix : celle de Rémy Cazals et celle de Jaurès. Dans l’avant-propos, Rémy Cazals souligne son « intention affirmée (…) de laisser le plus possible la parole à cet écrivain de talent, à cet orateur puissant. » On ne peut que le louer de nous le laisser « entendre » mais aussi de nous permettre de pénétrer sa pensée, de suivre le cheminement de son raisonnement. Rémy Cazals est un excellent connaisseur des textes de Jaurès, lui qui a notamment dirigé avec Rémy Pech l’édition de l’intégrale des articles de Jaurès de 1887 à 1914 publiés dans La Dépêche (Éditions Privat-La Dépêche du Midi, 2009, réédition en 2014).

Cet ouvrage, conçu par l’auteur comme une « première approche » de la vie, de la pensée et de l’action de Jaurès, est donc destiné à un large public, servi par un style enlevé, une narration fluide qui rend la lecture aisée et agréable. D’une grande rigueur dans l’information et dans la maîtrise du sujet, cette biographie décrit et analyse les multiples combats menés par Jaurès (quelle belle et juste idée d’avoir intitulé ce livre Jaurès, combats pour l’humanité !). On retrouve bien sûr les thèmes les plus connus : les engagements aux côtés des ouvriers en grève, la lutte pour « le beau soleil de l’unité socialiste », le long combat dreyfusard, celui pour la laïcité, pour la paix… mais on relève aussi des propositions de Jaurès beaucoup moins connues, comme ses projets d’université régionale (incluant des échanges avec des universités étrangères et les possibilités de voyages pour les étudiants) et de réforme de l’enseignement secondaire, d’une grande modernité. Par ailleurs, Rémy Cazals lui-même tarnais, restitue bien Jaurès dans sa « petite patrie ». Enfin, avec les pages intitulées « les combattants évoquent Jaurès », ce spécialiste de la Première Guerre mondiale nous livre des témoignages tout à la fois riches d’informations et émouvants, particulièrement bienvenus en ces temps de commémoration de la fin de la Grande guerre. Bref, ce n’est pas une biographie de plus, c’est une nouvelle approche du « continent Jaurès », que l’on ne finit pas de découvrir.

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