Iran et Israël : éternels ennemis ?

Dans le cadre de la « journée mondiale de Qods » organisée depuis 1979 par les autorités iraniennes, Farid Vahid décrypte en quoi elle consiste historiquement et idéologiquement, et met en avant les conséquences de cette stratégie d’opposition frontale à Israël.

Ce vendredi 22 mai 2020, les partisans de la République islamique d’Iran fêtent la « journée mondiale de Qods (Jérusalem) ». Depuis maintenant quarante ans, la journée de Qods, dernier vendredi du mois de Ramadan, symbolise les hostilités entre l’Iran et Israël.

Cette journée officielle du calendrier de la République islamique a été proposée par Ebrahim Yazdi, ministre des Affaires étrangères du gouvernement provisoire en 1979. L’ayatollah Khomeiny déclare le 7 août 1979 que la journée mondiale de Qods a pour but de manifester le soutien des peuples musulmans aux « droits légitimes du peuple palestinien ». Ce à quoi il ajoute : «  La journée de Qods n’est pas la journée de la Palestine, c’est la journée de l’Islam, la journée de la gouvernance islamique. C’est la journée où il faut faire comprendre aux superpuissances qu’ils ne peuvent plus avancer dans les pays islamiques. » Cette déclaration de l’ayatollah Khomeiny illustre parfaitement la volonté du nouveau régime de se positionner comme défenseur de la Palestine mais surtout de la résistance islamique face aux grandes puissances du monde. Auparavant, une journée de la Palestine était célébrée au mois d’octobre en mémoire de la bataille de Karameh, bataille considérée comme légendaire dans le monde arabe. Mais le caractère national de cette fête pousse Yazdi à élaborer une nouvelle fête plus islamique. La journée de Qods reste depuis un jour très important dans le calendrier de la République islamique, d’un point de vue idéologique mais aussi en termes de propagande. C’est un moyen de donner une « légitimité » démocratique à sa politique anti-israélienne.

Ceci dit, les relations entre l’Iran et Israël n’ont pas toujours été de cette nature. L’Iran a été en effet le deuxième pays à majorité musulmane à reconnaître officiellement l’existence de l’État israélien (après la Turquie). En mars 1950, l’Empire d’Iran inaugure son consulat à Jérusalem. L’État impérial iranien et l’État hébreu ont alors une relation pragmatique. Étant inquiets du panarabisme de certains dirigeants comme Nasser et Saddam, les deux pays développent une certaine relation stratégique. Après la Révolution de 1979, Téhéran coupe tous les liens diplomatiques et politiques avec Israël. Les responsables du nouveau régime adoptent alors un nouveau vocabulaire concernant l’État d’Israël, le qualifiant de « régime sioniste » ou encore de « régime occupant de Qods ». La branche des opérations extérieures des Gardiens de la Révolution est alors baptisée « la force de Qods », ayant comme ultime but de libérer Jérusalem. L’ayatollah Khomeiny ira même jusqu’à dire qu’« Israël doit être rayé de la carte ».

D’un point de vue opérationnel, Téhéran apporte son soutien financier et logistique aux partis comme le Hezbollah au Liban et le Hamas et le Jihad islamique en Palestine. Selon une information révélée cette semaine par l’agence de presse Tasnim, proche des Gardiens, le général Soleimani avait envoyé une lettre quelques jours avant son assassinat à Mohammed al-Zeyf, commandant des opérations militaires du Hamas où il écrivait : « malgré toutes les pressions, l’Iran n’abandonnera pas la Palestine ».

Mais que cherchent réellement les responsables iraniens ? La politique de Téhéran à l’égard de Tel Aviv n’a non seulement pas « libéré » la Palestine, mais rend une solution pacifique au conflit israélo-palestinien de moins en moins probable. En s’appuyant sur la politique et les déclarations des responsables iraniens, Benjamin Netanyahou a pu se faire réélire à plusieurs reprises. Les puissances islamiques de la région, telle l’Arabie saoudite, se méfient tellement de l’Iran qu’ils ont formé une alliance stratégique avec l’État hébreu afin de combattre les ambitions iraniennes dans certains pays arabes comme la Syrie. La Palestine n’est plus la première préoccupation du monde arabe et l’Iran a joué un rôle important dans l’établissement de cette situation. Le plan de « paix » élaboré par l’administration américaine et l’accord entre Benjamin Netanyahou et Benny Gantz sur l’annexion des territoires occupés en Cisjordanie annoncent tous deux des jours sombres pour le peuple palestinien.

Même si la République islamique n’accepte pas officiellement une solution à deux États, l’ancien président réformiste Mohammad Khatami avait déclaré en octobre 1997 lors de la conférence de l’Organisation de la coopération islamique à Téhéran : « si les Palestiniens acceptent l’existence de l’État d’Israël, nous serons d’accord avec eux ». Le président Ahmadinejad soutiendra des thèses révisionnistes lors de son mandat inaugurant une période de tensions. Néanmoins, il s’alignera sur les propos de Mohammad Khatami lors d’un entretien le 26 avril 2009 avec la chaîne américaine ABC. Ce discours est néanmoins ambigu alors que les Iraniens soutiennent les partis palestiniens opposés à une solution à deux États. L’élection d’Hassan Rohani aurait pu apaiser les tensions entre les deux pays. Le ministère des Affaires étrangères Zarif souhaite le Nouvel An juif en hébreu sur son compte Twitter. Mais il semble que les Gardiens de la révolution soient les vrais décideurs de la politique étrangère de l’Iran au Moyen-Orient. La présence iranienne en Syrie est vue par Israël comme une menace stratégique et les Gardiens et l’armée israélienne s’y affrontent directement et indirectement. Le contexte politique interne, avec un nouveau Parlement conservateur et un prochain président qui le sera sûrement, semble annoncer une exacerbation des tensions. De plus, les mauvaises relations de l’Iran avec les pays occidentaux s’accompagnent rarement de bonnes relations avec Israël.

Cette année, en raison du Covid-19 et de la crise sanitaire, la manifestation de la journée de Qods n’aura pas lieu en Iran mais un discours en visio-conférence de l’ayatollah Khamenei est prévu. Une affiche publiée il y a quelques jours sur le compte Instagram du Guide de la révolution a fait scandale. En haut de l’affiche est inscrit « La solution finale : résistance jusqu’au référendum », provoquant de vives réactions. L’ayatollah Khamenei a tweeté via son compte en français à plusieurs reprises après la publication de cette affiche pour justifier ces propos. « Le projet de référendum pour choisir le gouvernement du pays historique de Palestine a été enregistré à l’ONU, comme le point de vue de l’Iran. Les vrais Palestiniens et ceux qui vivent en dehors de la Palestine doivent décider pour le système qui gouvernera la Palestine. » Il poursuit : « L’éradication du gouvernement israélien ne signifie pas l’éradication du peuple juif, car nous ne sommes pas antisémites ! Cela signifie l’éradication de ce régime imposé. L’éradication d’Israël signifie que c’est le peuple de Palestine qui doit élire son gouvernement. Cela signifie qu’ils devraient expulser des étrangers et des voyous comme Netanyahu. C’est ce que signifie l’éradication d’Israël et c’est ce qui va se produire. »

Mike Pompeo réagit à son tour sur Twitter : « Le leader du principal sponsor du terrorisme et de l’antisémitisme dans le monde nie l’Holocauste, envoie de l’argent et des armes aux terroristes anti-Israël et vient d’invoquer l’appel nazi à la solution finale. Je le demande à toutes les nations : peut-on faire confiance à cette personne avec des armes mortelles ? ».

Depuis maintenant quatre décennies, les politiques des différents gouvernements iraniens et israéliens vis-à-vis de l’autre ont été nuisibles à leur population mais aussi à la population palestinienne. D’un côté, la « menace » iranienne est un argument favorable aux extrémistes en Israël, ce qui ne facilite pas une reprise des négociations sérieuse avec les Palestiniens pour un véritable plan de paix. De plus, les Israéliens sont soupçonnés d’avoir assassiné en Iran des physiciens nucléaires et ont mené de multiples cyberattaques contre des installations iraniennes. De l’autre, l’agressivité de l’Iran envers Israël est un véritable problème pour la diplomatie iranienne et les partisans d’un dialogue avec les puissances occidentales. Ces dernières années, Benjamin Netanyahou a fait tout son possible pour empêcher un apaisement entre Téhéran et les capitales occidentales. 

Un avenir moins tendu entre les deux pays est-il envisageable ou l’Iran et Israël sont-ils condamnés à être d’éternels ennemis ? Selon certaines estimations, environ 250 000 Iraniens ou personnes d’origine iranienne vivent aujourd’hui en Israël. Ils pourraient être les artisans d’un dialogue entre les deux peuples même si rien ne le laisse présager pour le moment.

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