25 mai 2011, à Tbilissi, capitale de la Géorgie : une manifestation pacifique est réprimée avec violence. Des événements qui symbolisent le désenchantement d’une population qui regrette le décalage entre les espoirs éveillés par la révolution de 2003 et les progrès effectivement réalisés depuis.
Le 9 avril 1991, la Géorgie proclamait son indépendance. Deux décennies plus tard, et malgré les espoirs éveillés par la Révolution des roses de 2003, nombreux sont les Géorgiens qui se disent désabusés. La Géorgie n’est pas un cas unique : les pays de l’espace post-soviétique partagent assez largement les difficultés de ce que l’on a coutume d’appeler la « transition démocratique ». En réalité, le passage vers l’économie de marché ne garantit aucunement aux citoyens un accès égalitaire aux richesses créées. L’exemple de la Géorgie en est une nouvelle preuve.
Au lendemain de l’indépendance du pays, l’une des urgences consistait à assurer le passage de l’économie planifiée à l’économie de marché, alors que l’Etat social avait cessé de fonctionner et que l’inflation faisait des ravages. Les populations géorgiennes avaient ainsi placé beaucoup d’espoirs dans la Révolution des roses conduite par Mikheïl Saakachvili. Et certaines réalisations sont effectivement remarquables, au premier rang desquelles le rétablissement de la sécurité au quotidien, la suppression de la petite corruption et les performances économiques, avec une croissance autour de 10 % par an pendant quelques années.
Reste que le désenchantement de la population géorgienne est prégnant. La recherche coûte que coûte de la croissance et de la compétitivité économique est une constante de l’équipe au pouvoir à Tbilissi, capitale du pays. Or cet ultralibéralisme affiché, bien que suivi de résultats réels au niveau macro-économique, s’accompagne en réalité d’importantes lacunes en matière de politique économique proprement dite. Celle-ci est dépourvue de cadre prospectif, de politique de l’emploi et consiste en une suite de mesures ad hoc sans vision d’ensemble cohérente. Un ultralibéralisme également lourd de conséquences au niveau social, d’autant que cette nouvelle ligne économique constitue une rupture profonde et durement ressentie par les populations géorgiennes par rapport à l’Etat social de l’époque soviétique. Les fruits de la croissance n’ont pas donné lieu à la répartition tant souhaitée par les Géorgiens et le dénuement matériel des populations est à l’origine de manifestations récurrentes.
Le désenchantement se fait sentir également au niveau démocratique : le déficit de démocratie est nettement perceptible, à travers les entorses faites au respect des droits individuels, la grande opacité qui entoure la propriété des médias, l’absence de dialogue social, le caractère particulièrement sommaire de la législation du travail ou encore le nombre record de prisonniers dans le pays.
Le bilan de l’expérience géorgienne depuis la Révolution des roses paraît très mitigé. Certes il y eut modernisation spectaculaire de l’appareil d’Etat et essor économique incontestable. Mais ce ne fut pas une révolution démocratique : ce fut une révolution néo-libérale. Preuve, si besoin en était, que la rupture avec un régime autoritaire quel qu’il soit ne conduit pas automatiquement vers la démocratie et que la démocratisation doit être considérée comme un processus (d’ailleurs non linéaire) et non comme un état acquis une fois pour toutes.