Comment garantir la mobilité pour tous à l’heure de la transition énergétique et climatique ? La mobilité constitue un vecteur essentiel de la socialisation des Français, où qu’ils habitent. Plutôt que de parier sur une – illusoire – réduction des déplacements dans les années à venir, il faut transformer ces derniers : c’est ce que propose l’Observatoire de la transition écologique et sociale de la Fondation qui avance ici des pistes pour préparer cette inévitable adaptation des mobilités aux impératifs écologiques.
La mobilité constitue un des sujets clés du quotidien des Français, qu’ils habitent dans les grandes métropoles ou dans les villes petites et moyennes, au sein des territoires périurbains comme au cœur des zones rurales. Aller travailler, faire ses courses, accomplir des démarches administratives, accéder aux services de santé, pratiquer ses loisirs, visiter des proches : la mobilité constitue un vecteur essentiel de la socialisation. En dépit des progrès de la technologie, le temps quotidien consacré aux déplacements est resté stable ces dernières années, autour d’une heure-une heure trente. Il est donc illusoire de parier sur une réduction des déplacements dans les années à venir ; il s’agit plutôt de préparer l’adaptation des mobilités aux nouveaux impératifs écologiques.
La majeure partie de ces déplacements s’effectue en voiture individuelle. Selon l’Insee, près de 70% des salariés français utilisent ainsi leur véhicule quotidiennement pour se rendre au travail ; seulement 16% des salariés empruntent les transports en commun. Dans les territoires faiblement urbanisés, la domination de la voiture est encore plus nette : dans le Cantal, la Creuse, la Lozère, la Vendée et le Gers, toujours selon l’Insee, ce sont moins de 2% des salariés qui ont recours aux transports en commun. Nos politiques publiques ne peuvent se décider sans tenir compte de cette partie de la France pour laquelle la voiture reste associée à l’exercice d’une liberté fondamentale, celle d’aller et venir, qui conditionne l’accès à l’émancipation professionnelle, économique, sociale et culturelle.
La crise des « gilets jaunes » de novembre 2018 l’a montré. Pour beaucoup de nos concitoyens, la liberté de mouvement est un acquis non négociable. L’exercice de ce droit fondamental à la mobilité est pourtant aujourd’hui menacé. Les coûts qui y sont associés empiètent en effet de plus en plus sur le budget des ménages français. L’Insee relève que la part du budget consacré aux dépenses de transport est ainsi d’environ 21% pour ceux qui habitent à la campagne, contre 16% pour ceux qui résident au sein d’une métropole. Nombreuses à vivre en dehors des grands centres métropolitains, ce sont les familles modestes qui sont les plus touchées : proportionnellement, elles consacrent aux transports deux fois plus de leurs ressources que les autres, générant le risque d’une véritable fracture sociale de la mobilité.
Le défi des années à venir consistera donc à concilier les besoins de déplacement des Français et la transition écologique, sans restreindre la capacité à se déplacer des plus modestes. Pour cela, le maire dispose de plusieurs leviers.
La meilleure énergie demeure celle que l’on ne consomme pas, ce qui justifie de rendre pleinement attractives les mobilités douces et notamment le vélo – et leur substitution aux transports individuels et collectifs – et de leur rendre une partie de l’espace public. Les distances intra-villes restant courtes, le vélo devrait représenter une part importante des déplacements quotidiens. Or, en dehors des grandes villes, la part modale du vélo reste très faible. Elle est de 2 à 3% en moyenne en France alors qu’elle est de 10% en Allemagne et de 29% aux Pays-Bas. La densité de population étant plus faible, les villes moyennes ont souvent un réseau de transport en commun moins développé, car peu rentable, ce qui a entraîné un fort développement de la voiture, rendant ainsi peu attractif l’usage du vélo, sur des axes de circulation rapide. Nous avons tous en tête les grandes artères routières qui traversent les villes moyennes ; le vélo y trouve difficilement sa place.
Par conséquent, le développement du vélo dans les villes moyennes nécessite de revoir le partage de la voirie. Sur les axes à circulation rapide, au-delà de 50 km/h, le développement de la circulation à vélo ne pourra se faire sans l’installation de pistes cyclables séparées, préservant la sécurité des cyclistes. En centre-ville, la logique serait de réduire la vitesse de circulation de véhicules et de créer des zones de circulation partagée, où vélos, piétons et véhicules pourraient circuler.
Ces zones de circulation partagée auraient également l’avantage de redonner une attractivité à des centre-villes qui ont parfois souffert de leur traversée par des axes de circulation rapide. Ce réaménagement de la voirie en centre-ville permettrait une meilleure mise en valeur du patrimoine historique des communes françaises et une revitalisation des commerces.
Il est indispensable de développer la signalisation des voies cyclables afin que les cyclistes aient une visibilité sur leur itinéraire et leur temps de trajet. À l’instar de ce qui est fait pour le réseau routier, le réseau « vélo » pourrait être doté de panneaux de signalisation ad hoc.
Les municipalités ont également un rôle à jouer dans l’incitation à l’usage du vélo, à travers l’aide à l’achat d’un vélo à propulsion électrique et l’installation de locaux à vélos sécurisés, notamment à proximité des lieux de travail et des gares. Les modes « doux » de transport ne doivent pas être pensés de façon isolée, mais également en lien avec d’autres solutions de transport, comme le train. La ville a un rôle à jouer pour faciliter l’intermodalité sur son territoire, grâce à des itinéraires entre le centre-ville et la gare, des lieux de stationnements améliorés, le transport gratuit de vélo dans le transport en commun. Ainsi, Nantes propose un abonnement qui permet aussi bien d’accéder à un vélo en libre-service qu’aux transports en commun. À Grenoble, il est possible de transporter gratuitement son vélo dans les TER et le tram.
La politique de transport collectif constitue ensuite encore et toujours un levier pertinent des élus locaux. Optimum écologique, le transport collectif permet également d’offrir la prise en charge d’une fraction significative des coûts par la collectivité, donc représente également un optimum social, certaines collectivités faisant désormais même le choix de la gratuité des transports collectifs.
Les villes ont à ce titre un rôle à jouer dans le basculement du transport individuel vers le transport collectif. L’émergence de solutions de transport à la demande devrait permettre de proposer des solutions de transport collectif moins coûteuses que les lignes de bus traditionnelles aux heures où la demande est insuffisante pour justifier le maintien d’un passage à heures fixes, couteux économiquement et écologiquement et parfois insatisfaisant pour l’usager, en ajustant l’offre et la desserte à la demande constatée en temps réel. Nombre d’entreprises numériques proposent désormais des solutions permettant de compléter les lignes de transport public par des solutions à la croisée du bus et du taxi. La ville de Bruxelles a ainsi mis en place entre 23 heures et 6 heures du matin un service de taxi collectif subventionné couvrant tout le territoire de la région de Bruxelles-Capitale. Pour 5 euros par personne, une flotte de taxis permet à des clients souhaitant effectuer le même trajet de partager un seul et même véhicule. Ces solutions permettent de proposer une offre de mobilité à coût optimisé aux citoyens dont le domicile se situe au-delà des limites du réseau desservi par les transports en commun, ainsi qu’aux travailleurs aux horaires décalés dont les trajets doivent s’effectuer en dehors des heures habituelles de service.
Mais la transition écologique impose aussi de développer une politique incitative à la bascule des véhicules individuels polluants vers des mobilités plus écologiques. Le maire peut encourager la transition du parc automobile vers des motorisations moins polluantes, et moins dépendantes de l’évolution des prix du pétrole. Près de 40% des ménages français possèdent au moins deux véhicules thermiques et, parmi eux, le diesel constitue souvent le carburant utilisé. Cette situation fait de chacun d’eux des contributeurs importants aux émissions de gaz à effet de serre, à la dégradation de la qualité de l’air, mais aussi à la pollution sonore.
Le déploiement des mobilités alternatives, le véhicule électrique bien sûr, mais également la mobilité hydrogène ou au biogaz constituent des solutions au dérèglement climatique. Le basculement des ménages vers l’achat d’un véhicule électrique pour leur second véhicule, consacré aux déplacements du quotidien, serait déjà une étape forte. La mobilité au biogaz, issu de la méthanisation agricole, dans une logique d’économie circulaire s’enracine dans un projet de territoire local – l’énergie utilisée provenant alors de la transformation en énergie de résidus agricoles, de cultures intermédiaires entre deux cultures alimentaires produites localement – et offre une solution de décarbonation pour des véhicules demandant plus d’autonomie.
Les municipalités peuvent également soutenir l’achat de véhicules en en facilitant l’usage : instauration de zones à faibles émissions, stationnement non payant pour les véhicules les moins polluants, accès aux voies prioritaires de bus et de co-voiturage, péages gratuits, bornes de recharges électriques en libre-service, stations d’avitaillement en biogaz ou en hydrogène… C’est par le déploiement de ce type de mesures incitatives que la Norvège est devenue le leader mondial du véhicule électrique. Alors que ces derniers représentent moins de 3% des ventes en France, ils dépassent les 50% des ventes en Norvège, pays où les péages et ferries sont notamment gratuits pour les véhicules électriques.
Le passage aux nouvelles mobilités doit être accompagné par les villes, notamment pour les ménages les plus modestes. Les municipalités peuvent en effet soutenir l’achat de véhicules propres en proposant un bonus, qui s’ajouterait à la prime étatique. C’est par exemple déjà le cas de la ville de Paris, qui verse une subvention additionnelle aux professionnels souhaitant s’équiper de voitures non polluantes.
Par ailleurs, si le coût du véhicule électrique reste aujourd’hui plus élevé que celui d’un véhicule thermique du même gabarit, le faible coût de la recharge par rapport au prix du pétrole le rend attractif sur le long terme. Une aide pour les nouvelles mobilités peut donc faciliter leur adoption.
Enfin, cette politique de mobilité doit être pensée de façon globale : la révolution de la mobilité s’appuie désormais sur son caractère intermodal, sur l’organisation d’un trajet où l’on est successivement usager de son véhicule personnel, du transport collectif, cycliste et piéton. La lutte contre le dérèglement climatique impose alors une double extension de la politique municipale du transport public vers la mobilité en organisant des trajets fluides et vers le verdissement de l’ensemble des transports. La ville doit savoir répondre à ses besoins de mobilité, et l’accompagner vers une mobilité éco-responsable.
Les municipalités pourraient ainsi mettre en place un « pack mobilité » pour accompagner la transition vers des déplacements plus propres. Il s’agirait ici de proposer aux citoyens d’acheter ou de prendre en leasing un véhicule électrique leur permettant d’assurer leurs trajets du quotidien et de bénéficier, pour certains trajets plus longs, d’un crédit de location auprès d’un concessionnaire local pour l’usage d’un véhicule thermique au biogaz ou à l’hydrogène. Ce pack de mobilité pourrait également comprendre, selon les villes concernées, un abonnement à prix préférentiel aux transports publics et/ou une aide à l’achat d’un vélo électrique. Jusqu’à aujourd’hui, chaque type de mobilité est adressé séparément par les municipalités, oubliant le fait que les citoyens diversifient de plus en plus leurs modes de déplacements, en fonction du trajet, de la météo ou des offres disponibles.
Ces mesures s’inscrivent dans l’objectif de redonner à chacun le « pouvoir de vivre », c’est-à-dire la possibilité de reprendre le contrôle sur sa vie, en conciliant au mieux protection de l’environnement, préservation du pouvoir d’achat des ménages et maintien de la liberté d’aller et venir.
Retrouvez les notes :
- Garantir la mobilité pour tous à l’heure de la transition énergétique et climatique, 12 mars 2020
- Les infrastructures locales : redonner aux élus municipaux le « pouvoir de faire » la transition, 27 mai 2020
- Environnement et emploi : comment repenser la gestion des déchets au plus près des territoires ?, 23 juin 2020
- Pour une politique du logement inclusive et écologique dans les territoires, 3 septembre 2020