Pour des raisons évidentes d’hygiène, la crise sanitaire a conduit à une hausse significative des déchets plastique à usage unique. Mais, loin d’être conjoncturelle, cette augmentation des déchets produits en France est une tendance lourde. Face à cet accroissement régulier et néfaste, la collecte et le traitement des déchets doivent être au cœur de la transition écologique des territoires. Les prochaines mandatures des élus municipaux constituent une opportunité pour améliorer leur gestion.
Il y a quinze ans, chaque ménage produisait environ 300 kg de déchets par an. Aujourd’hui, un même ménage français en génère en moyenne près de 460 kg chaque année. Environ un tiers de ces déchets est d’origine alimentaire : restes de repas, épluchures, déchets de préparation alimentaire, produits périmés… En ajoutant les ordures ménagères et les déchets dits « du bâtiment », issus des chantiers de travaux publics, les déchets générés en France sont proches de 1,5 tonne par an et par habitant. Il est urgent d’agir. Les prochaines mandatures municipales constituent une opportunité pour mettre en place des actions ambitieuses en matière de tri, de recyclage, de valorisation des déchets comme en matière de prévention et de réduction de leur volume.
À plus long terme, si la politique de gestion des déchets devient plus efficiente, la diminution de la production de déchets grâce à l’écoconception des produits, l’amélioration du tri grâce à l’isolement des biodéchets et l’interdiction des plastiques devraient conduire à réduire drastiquement le besoin d’incinération et à offrir de nouvelles modalités de valorisation.
La réduction de la production de déchets ne pourra certes jamais être totale. Il faut donc imaginer de nouvelles façons de penser leur gestion. L’évolution actuelle des modes de consommation des Français et le progrès technique permettent d’envisager de passer d’une politique de gestion des déchets à une politique d’économie circulaire.
Il s’agit de mettre en place une politique capable d’agir sur le pouvoir d’achat et d’avoir des retombées positives sur la santé publique. Elle doit préfigurer les nouvelles solidarités territoriales.
Les compétences en termes de collecte et de valorisation des déchets que possèdent déjà les communes, les intercommunalités et les syndicats intercommunaux offrent aux collectivités locales des outils pour agir.
Elles peuvent, dès le lendemain des élections municipales, engager six types d’actions visant à favoriser le développement de modèles d’économie circulaire à la fois résilients et créateurs de valeur ajoutée pour les territoires.
Réduire la quantité de déchets
Le meilleur déchet demeure celui que l’on ne produit pas. Réduire les déchets permet d’ailleurs de minorer à la fois les dépenses engagées par les collectivités et par les ménages.
Chaque ménage français paie en moyenne 700 euros par an pour permettre la collecte, le traitement et la valorisation des déchets. C’est deux fois plus qu’il y a quinze ans. Le gaspillage alimentaire est par ailleurs coûteux, puisqu’il se situe aux alentours de 300 euros par an et par ménage.
Dans un pays où le revenu médian se situe sous la barre des 1800 euros par mois, il est impératif que les politiques de gestion des déchets intègrent la préservation, voire l’augmentation, du pouvoir d’achat des ménages. Les collectivités disposent en la matière d’un certain nombre de leviers.
Le premier consiste à mettre en place un système de tarification incitative, donc de proportionner la redevance des ordures ménagères aux volumes produits. La mise en place de cette redevance incitative, particulièrement adaptée dans les quartiers d’habitats individuels, permettrait d’intéresser les ménages à la réduction de leur empreinte environnementale. Déjà expérimentée par la ville de Besançon et dans les communes alentour, cette démarche y a permis de réduire les déchets résiduels de 35% en dix ans.
Les collectivités peuvent en outre favoriser la réduction des déchets à collecter, notamment pour les habitants disposant d’un habitat individuel. La distribution de systèmes de compostage individuel avec la mise à disposition par la collectivité de « maîtres composteurs », issus de parcours réinsertion et chargés de former aux opérations de compostage, pourrait ainsi être proposée.
Une déclinaison territoriale ambitieuse de la loi économie circulaire pourrait en outre être réalisée à travers la création de territoires « zéro plastique », avec l’exploitation des compétences des collectivités territoriales (« zéro plastique usage unique » dans les écoles, Ehpad…) et des partenariats avec des zones d’activités commerciales et industrielles.
Les collectivités pourraient en outre montrer elles-mêmes l’exemple en revoyant les cahiers des charges de leurs appels d’offre pour favoriser les produits éco-conçus.
Organiser la collecte et la valorisation des déchets verts
30% des ordures ménagères sont aujourd’hui constituées de déchets organiques, aujourd’hui le plus souvent incinérés. Triés à la source, ces biodéchets pourraient pourtant devenir des composts utilisables en agriculture ou être valorisés par méthanisation.
La loi de transition énergétique du 17 août 2015 a prévu la généralisation du tri des biodéchets à la source d’ici 2025. En 2018, la directive européenne relative aux déchets a avancé la généralisation à la fin 2023. Le mandat municipal qui s’annonce devrait donc être celui de la généralisation des solutions de tri des déchets alimentaires, de leur collecte et de leur valorisation sous forme de compost ou de méthanisation, y compris en mettant en place des politiques en faveur de ce tri réellement incitatives pour les administrés.
Chaque habitant doit pouvoir bénéficier d’une solution lui permettant de ne pas jeter ses biodéchets dans les ordures ménagères. Distribution de composteurs pour l’habitat individuel, organisation d’un nouveau flux de collecte et de traitement, et organisation de la valorisation organique de ces biodéchets constituent ainsi un nouveau devoir pour les collectivités territoriales ou leurs regroupements qui illustre l’importance de développer l’économie circulaire.
Développement de lieux de « recycleries » afin de renforcer les liens sociaux et les solidarités
Si l’on prend l’ensemble des objets qui occupent son logement, un ménage français stocke en moyenne 2,5 tonnes de CO2. Le réemploi, la réparation et la réutilisation des déchets de tous types constituent des bonnes pratiques à largement diffuser dans des lieux tels que les « recycleries » (ou « ressouceries »), compte tenu de leurs bénéfices en termes d’économies, de ressources et de lutte contre l’exclusion.
Leur diffusion permet, outre les externalités positives générées sur la société, de développer des liens sociaux au travers de rencontres, d’échanges et de retours d’expériences. Elle favorise également la création de nouveaux emplois sociaux et solidaires. Ces pratiques constituent par conséquent de puissants outils d’insertion professionnelle et sociale.
Afin d’encourager l’implantation des « recycleries » et de « ressourceries », les communes et syndicats intercommunaux peuvent envisager plusieurs options :
- pratiquer l’urbanisme temporaire en facilitant l’implantation éphémère des recycleries. Les villes peuvent s’inspirer des modèles pratiqués par le Hangar à Dunkerque ou par la recyclerie des « grands voisins », provisoirement installée dans l’ancien hôpital St-Vincent-de-Paul à Paris ;
- utiliser les programmes de rénovation urbaine (ANRU), les programmes d’aménagement (Établissements public d’aménagement – EPA – et Opérations d’intérêt régional – OIR) et les programmes de redynamisation (Actions Cœur de ville) en y insérant des dispositions pour aider au développement de l’urbanisme solidaire et à l’implantation d’activités de l’économie sociale et solidaire. Par exemple, des clauses visant à réserver des espaces à « loyers modérés » peuvent être insérées dans ces programmes afin de faciliter l’implantation de « recycleries et ressourceries » ;
- implanter des « recycleries et des ressourceries » sur le foncier appartenant aux syndicats de collecte et de valorisation des déchets. Les exemples du Syctom de Libourne et du Siom de la vallée de la Chevreuse sont éclairants ;
- professionnaliser les pratiques de gestion en soutenant des programmes de formation à destination des dirigeants de structures de l’économie sociale et solidaire impliqués dans le réemploi et la réutilisation. Les initiatives telles que celles lancées par le Réseau francilien des acteurs du réemploi (REFER) en Île-de-France ou le programme de formation en Région Sud peuvent servir de modèles.
Accompagnement du développement d’entreprises à impacts sociaux
Dans la lignée de la mise en œuvre des objectifs définis par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), une multitude d’entreprises de l’économie sociale et solidaire font de l’innovation sociale. À l’image des Ripperts, de Moulinot et des Alchimistes, elles agissent dans la gestion des déchets du bâtiment ou dans la collecte et la valorisation des déchets alimentaires. Elles s’impliquent également de plus en plus dans le traitement des déchets verts ou la réparation des produits usagers.
Ces initiatives restent néanmoins encore trop localisées et mériteraient de couvrir progressivement l’ensemble des régions.
Pour cela, les communes, les intercommunalités et les syndicats de collecte, de traitement et de valorisation des déchets peuvent s’engager à travers des appels d’offres afin de soutenir l’implantation sur leur territoire de ces activités qui se sont déjà développées avec succès dans de nombreuses localités.
Les appels d’offres devront inclure plusieurs clauses à cet effet :
- stimuler l’innovation et l’ambition en fixant des objectifs quantitatifs de collecte et de valorisation ;
- développer des modèles de rémunération innovants, pour renforcer les modèles économiques des entreprises. Une partie des ressources des syndicats pourrait être fléchée vers le soutien au réemploi, à la réparation et aux recycleries ;
- développer des partenariats avec les établissements scolaires et universitaires du territoire pour attirer les futurs chefs d’entreprise à impacts sociaux et environnementaux.
Ce positionnement permettra de préfigurer une évolution inéluctable de ces institutions. De la même façon que les autorités organisatrices des transports se sont peu à peu transformées pour prendre en compte l’ensemble des mobilités, celles-ci devront devenir de véritables syndicats de l’économie circulaire.
Création de circuits alimentaires de proximité et de nouvelles solidarités territoriales
Les communes françaises s’insèrent peu à peu au sein des nouveaux circuits alimentaires. Elles sont ainsi de plus en plus nombreuses à accroître la part du bio dans les cantines scolaires, ou à introduire un jour « sans viande » pour réduire le bilan carbone de l’alimentation.
Cette tendance est appelée à se poursuivre. Pour pérenniser ces actions et augmenter leur impact, les métropoles et les villes moyennes devront prendre un certain nombre de mesures complémentaires telles que :
- la mise en place de partenariats avec des producteurs locaux qui permettront de préfigurer de nouvelles formes de solidarités territoriales. On peut ainsi envisager la mise en place d’un paiement par la collectivité vers des acteurs agricoles pour fourniture d’alimentation locale, pensé sur le modèle du paiement pour les services environnementaux ;
- l’amendement des documents d’urbanisme et d’aménagement en prévoyant l’établissement d’une relation de travail avec les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER). Cette collaboration aidera à sécuriser le foncier nécessaire à l’implantation des activités de ces dernières à proximité des zones urbaines.
Ces partenariats doivent prendre la forme de contrats d’achat de moyen et de long terme qui pourraient être pilotés par des opérateurs d’alimentation locale (Société d’économie mixte, Société publique locale). Ces derniers apporteraient leur soutien aux exploitations via des aides à l’implantation. Elles adopteraient également un objectif d’introduction d’alimentation locale pour les communes membres de leur réseau.
Valorisation énergétique et gestion territoriale des déchets
La préservation de l’environnement doit nous pousser à limiter au maximum aussi bien l’enfouissement des déchets que leur incinération.
En cas d’incinération, une réutilisation de la chaleur est indispensable. Elle permettrait à la fois de limiter l’impact du bilan énergétique de l’opération, et d’en réduire les coûts.
La production de chaleur ou de gaz bas carbone issue de combustibles solides de récupération (CSR), en particulier ceux produits localement à partir de refus de tri de déchets d’activités économiques, doit être soutenue. Ces sources de chauffage, compétitives face au charbon et au gaz conventionnel, constituent une source majeure de décarbonation et de compétitivité, dans une perspective d’augmentation du prix du CO2, du secteur de l’industrie. Des projets, rentables, se développent en France, tel que celui porté par Solvay et Veolia dans l’est de la France. Les collectivités, en lien avec l’Ademe, peuvent favoriser la mise en place de solutions de substitution à des installations utilisant des combustibles très émetteurs de CO2, comme le charbon.
La valorisation organique des déchets organiques – donc le traitement par compostage ou par méthanisation des déchets agroalimentaires, verts, des résidus agricoles comme les lisiers ou les fumiers – offrirait également une véritable alternative. Elle permettrait de valoriser les déchets et les résidus de l’agriculture en même temps qu’elle améliorerait le bilan carbone de l’ensemble du processus. De plus, les procédés de méthanisation permettent de créer de la valeur ajoutée pour les acteurs économiques locaux (agriculteurs, collectivités, usagers). En particulier, la méthanisation permet de créer du biogaz, qui peut ensuite être utilisé en substitution du gaz naturel fossile pour décarboner le réseau de distribution de gaz, le chauffage, comme les usages de mobilité (flottes captives ou transports publics de la collectivité par exemple).
Quelle que soit la solution retenue par les autorités locales en fonction de leurs besoins, de leurs capacités et de leurs spécificités, il convient de désormais réfléchir à notre politique de gestion des déchets dans le cadre plus large de l’économie circulaire et de la production d’énergies renouvelables. Les déchets ne doivent plus être considérés comme des nuisances qu’il faudrait systématiquement enfouir ou détruire : par l’injection dans un réseau de chaleur ou un réseau de gaz, il est possible de leur donner une seconde vie et une nouvelle utilité.
Enfin, la modification profonde des flux qu’il s’agit d’organiser, par la collecte des déchets verts comme par leur traitement, du fait de la disparition des plastiques qui limitent les possibilités d’incinération, doit être l’occasion d’initier une nouvelle prospective sur le traitement des déchets et la revue à l’horizon 2030 de la pertinence des installations de traitement. Cela s’observe d’ores et déjà dans de nombreux plans régionaux de prévention et de gestion des déchets (PRPGD). Toutefois, il est important de rappeler que l’atteinte des objectifs fixés dans ces plans repose d’une part sur une réussite des politiques de prévention, de valorisation et de disparition de certains flux comme le plastique et, d’autre part, sur des investissements adaptés aux nouveaux flux.