Faire du citoyen un acteur continu de la démocratie

Au-delà de la consultation sur la réforme de l’Assemblée nationale, Émeric Bréhier, directeur de l’Observatoire de la vie politique de la Fondation, et Henri Isaac, président de Renaissance numérique, ont voulu s’interroger sur le rôle du citoyen à l’ère d’une démocratie numérique. Quelles opportunités offrent, en termes de participation et de transparence, ces nouvelles technologies ?

Penser la réforme de l’Assemblée nationale sans penser celle de nos institutions dans leur entièreté est un exercice imparfait, tant les enjeux qu’elle couvre nécessite une transformation profonde de ces dernières. Pour y répondre, nous devons donc dépasser l’objet même de la consultation lancée par le président de l’Assemblée. Cela est d’autant plus nécessaire quand nous interrogeons le rôle du citoyen à l’ère d’une démocratie numérique. Sa place dans notre système politique doit en effet être repensée à l’aune de ces opportunités nouvelles de participation et de transparence que permettent ces technologies. 

Définir notre rapport à la décision politique

Le numérique occasionne une sorte de « bouillonnement participatif » qui décrit le fait que les citoyens participent de plus en plus, interagissent entre eux et commentent la vie publique en ligne. Mais cet engagement demeure en dehors du périmètre des institutions qui ne parviennent pas à capter ces dynamiques. La participation numérique viendrait ainsi répondre à « l’incomplétude » de notre démocratie représentative, en permettant l’implication directe du citoyen dans l’élaboration de nos politiques publiques, et en premier lieu de nos lois. Toutefois, tant que nous n’aurons pas tranché notre rapport à la décision, les dispositifs participatifs que nous mettrons en œuvre demeureront limités dans leur ambition. En témoignent les plateformes de consultation publique mises en ligne à l’occasion des récentes concertations nationales (États généraux de l’alimentation, Assises nationales de la mobilité, consultation sur la stratégie nationale de santé, etc.). Nous savons aujourd’hui que ces plateformes peinent à mobiliser les citoyens et ne permettent pas d’instaurer une véritable co-construction de nos politiques. Il importe donc, en amont de leur conception, de clarifier les règles de cet engagement.

Cette nouvelle implication citoyenne dans la gouvernance impose de faire évoluer notre paysage institutionnel. Une réforme de notre Constitution sera donc nécessaire. Cette dernière pourrait s’inspirer des exemples islandais et estonien, par la mise en place d’une assemblée mixte constituée à moitié d’élus, à moitié de citoyens représentatifs de la population française tirés au sort, chargée de mettre en place un texte intégrant la nouvelle place du citoyen à l’ère de la société collaborative, dans les principes fondateurs de notre pays. Cette réforme devra permettre de systématiser le processus de co-construction de la loi et de répondre à un certain nombre de questions techniques découlant de ces nouveaux processus de gouvernance (quelle place dans la décision donne-t-on au citoyen ?, etc.). Dans cette perspective de transparence et d’efficience démocratiques, elle devra également donner toute sa place à l’évaluation de nos politiques publiques.

 

Se donner les moyens de l’inclusion citoyenne

La montée du populisme d’une part et l’abstention civique d’autre part confirment l’éloignement d’une partie des citoyens vis-à-vis des pratiques électorales et démocratiques. Le numérique nous offre la possibilité de repenser notre approche de la démocratie et l’implication du citoyen dans un temps long. Il permet de porter le débat démocratique en dehors de ses instances traditionnelles, au plus près des citoyens, là où ils s’investissent et interagissent déjà. L’e-inclusion démocratique est une condition sine qua non de cette transformation. Il convient de ne pas rater le coche en créant une citoyenneté à deux vitesses, entre ceux qui auraient accès à ces nouvelles formes de participation et maîtriseraient leurs usages et les autres. Pour réussir, nous devons nous donner les moyens de former les citoyens dès le plus jeune âge à leurs nouvelles responsabilités. Nous devons passer à une instruction civique 2.0, c’est-à-dire qui adresserait les enjeux numériques. Ces cours devront à la fois intégrer la compréhension du monde informationnel qui nous entoure, la pluralité et la véracité des sources, et à la fois la capacité à débattre pacifiquement en ligne, à argumenter et discuter à l’ère où Internet invite les individus à entrer en conversation avec l’autre avec intérêt et vigilance.

Dans cette optique, il convient également de repenser dans sa globalité, avec une vision stratégique pluriannuelle, la politique nationale de médiation numérique, afin qu’elle s’adresse prioritairement aux publics a-numériques. Un maillage de lieux dédiés à l’innovation et la participation politiques, type « civic halls », devra également être mis en œuvre, pour installer une véritable proximité dans cet usage démocratique des outils numériques : des lieux citoyens, où des dispositifs seront mis en place pour permettre de proposer des idées, mais aussi accéder à l’information et aux données publiques. Mêler le lieu historique du commun, qui est la mairie, avec l’outil numérique est une façon forte et claire de réussir cette transition.

Soumettre un projet, voter, participer en ligne à des assemblées via des supports numériques nécessitera par ailleurs que l’identité de chacun soit connue et reconnue. C’est la condition de la transparence du débat et de la validité des décisions. Il faut donc rapidement mettre en place un dispositif national pour lancer le projet de signature numérique pour les citoyens et leur permettre ainsi d’exercer leurs droits et devoirs en ligne. Plusieurs pistes sont aujourd’hui possibles : sur la base du volontariat, tout citoyen qui le souhaite pourra mettre en place son identification en ligne, afin d’avoir accès à tous les services en ligne ; de façon systématique, à la naissance de tout nouveau citoyen, à partir de l’acte de naissance. Ainsi, un renouveau de génération permettra à la France de passer au tout numérique. Son attribution dès 16 ans permettrait aux adolescents de s’investir tôt dans les expériences démocratiques et de vivre ainsi un véritable apprentissage, accompagné, à la citoyenneté.

Embarquer tous les acteurs dans l’innovation démocratique

L’intégration de ce processus de co-création induit enfin un changement de posture considérable pour l’État et les représentants de nos instances démocratiques. Face à l’arrivée des nouveaux outils numériques dans leur quotidien, ils ne perçoivent pas toujours les opportunités réelles pour faire évoluer leurs méthodes de travail et leurs missions. Mais cette lacune ne concerne pas seulement les agents de l’État et nos élus, les corps intermédiaires doivent également s’adapter à cette gouvernance ouverte. Loin de la conception descendante de nos institutions, l’horizontalité du numérique nous invite à repenser nos pratiques pour promouvoir une citoyenneté active. Cette posture sous-entend la montée en compétences des acteurs du processus démocratique. Pour permettre ce renouvellement, il convient également de libérer les innovations démocratiques dans notre société, par un droit à l’expérimentation assoupli. La dimension locale pourrait constituer ce nouveau laboratoire d’expérimentation. En s’appuyant sur les outils numériques, il est possible d’imaginer et mettre en débat à ce niveau des actions qui pourront être développées par la suite à un niveau national, si elles donnent satisfaction. Le numérique est ainsi très prometteur en ce qu’il pourrait favoriser un meilleur équilibre démocratique entre les formes participatives, qu’il faut promouvoir, et les formes représentatives, qu’il faut rénover, et ce à tous les échelons de gouvernance.

 

NB : Renaissance numérique est le think tank de la société numérique. Il réunit les grandes entreprises de l’Internet et des autres secteurs de l’économie en mutation, des entrepreneurs, des chercheurs et universitaires ainsi que des représentants de la société civile, pour participer à la définition d’un nouveau modèle économique, social et politique issu de la révolution numérique. Il regroupe aujourd’hui une cinquantaine d’adhérents, amenés à faire vivre la réflexion numérique partout sur le territoire. www.renaissancenumerique.org

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